Islamo-gauchisme: le débat est nécessaire
Dans le champ des sciences sociales comme dans celui de la philosophie, les querelles universitaires sont constitutives des processus d’élaboration de nouveaux concepts, rappelle l’historien Vincent Troger dans une tribune au « Monde », et mériteraient un débat plus approfondi qu’indigné.
Tribune.
Au mois d’octobre 2020, Jean-Michel Blanquer a dénoncé l’influence d’un courant « islamo-gauchiste » qui se serait développé au sein de certains départements universitaires de sciences humaines et sociales. En janvier, la ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a renchéri dans le même sens. Ces déclarations ont provoqué une cascade de polémiques.
Pour qui veut tenter une analyse raisonnée de cette agitation, il faut d’abord rappeler que dans le champ des sciences sociales, et, avant leur naissance, dans celui de la philosophie ou même de la théologie, les querelles universitaires et les postures provocatrices qui les accompagnent ont toujours existé. Elles sont en fait constitutives des processus d’élaboration des nouveaux savoirs et des nouveaux concepts. Dans les universités médiévales, le mot latin « disputatio » (« dispute ») désignait d’ailleurs les épreuves au cours desquelles les universitaires de l’époque devaient convaincre public et jury de la légitimité de leurs thèses.
Sans remonter aussi loin, on peut rappeler les débats virulents qui ont agité les sciences humaines dans les années 1960-1980 : antagonismes entre historiens marxistes et non marxistes sur l’analyse de la Révolution française, conflits entre économistes libéraux, keynésiens ou marxistes à propos des évolutions du capitalisme, mouvement radical de déconstruction des savoirs établis en philosophie, littérature, sociologie ou linguistique derrière des auteurs comme Michel Foucault (1926-1984), Jacques Derrida (1930-2004) ou Pierre Bourdieu (1930-2002).
Intersectionnalité
Si on veut bien prendre le recul de l’histoire, on comprend assez vite que les affrontements contemporains autour de l’islamo-gauchisme s’inscrivent d’abord dans cette logique séculaire des antagonismes intellectuels qui accompagnent régulièrement l’émergence de nouvelles idées portées par de nouvelles générations d’universitaires.
Les accusations d’islamo-gauchisme visent en effet une nouvelle école de sociologie dite de « l’intersectionnalité ». Les chercheurs de ce courant se focalisent sur les discriminations ethniques ou de genre qu’ils analysent comme des mécanismes de domination à la fois masculine et raciale dans les démocraties libérales.
La dimension radicale de cette critique attire évidemment l’hostilité des défenseurs du système politique républicain, mais pas seulement. Car ces travaux remettent aussi en cause les thèses marxistes classiques, qui posent qu’en dernière analyse ce sont les questions de classes sociales qui sont déterminantes et qu’il n’y a pas de distinction à faire entre les travailleurs puisque toutes et tous, qu’ils soient hommes ou femmes, blancs, maghrébins ou noirs, hétérosexuels ou homosexuels, subissent la même injustice sociale.
Si on veut bien prendre le recul de l’histoire, on comprend assez vite que les affrontements contemporains autour de l’islamo-gauchisme s’inscrivent d’abord dans cette logique séculaire des antagonismes intellectuels qui accompagnent régulièrement l’émergence de nouvelles idées portées par de nouvelles générations d’universitaires.
Les accusations d’islamo-gauchisme visent en effet une nouvelle école de sociologie dite de « l’intersectionnalité ». Les chercheurs de ce courant se focalisent sur les discriminations ethniques ou de genre qu’ils analysent comme des mécanismes de domination à la fois masculine et raciale dans les démocraties libérales.
La dimension radicale de cette critique attire évidemment l’hostilité des défenseurs du système politique républicain, mais pas seulement. Car ces travaux remettent aussi en cause les thèses marxistes classiques, qui posent qu’en dernière analyse ce sont les questions de classes sociales qui sont déterminantes et qu’il n’y a pas de distinction à faire entre les travailleurs puisque toutes et tous, qu’ils soient hommes ou femmes, blancs, maghrébins ou noirs, hétérosexuels ou homosexuels, subissent la même injustice sociale.