Biodiversité : une loi européenne sur la restauration de la nature
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Les ONG se réjouissent, les médias applaudissent et les entreprises de la fast fashion grimacent : il y a quelques semaines, le député Républicain Vermorel-Marques s’est engagé à modifier la loi pour imposer un système de « bonus-malus » afin de sanctionner les entreprises du textile et de la mode dont la production et la vente en ligne sont irrespectueuses de l’environnement.
Visé directement par le parlementaire, le groupe Shein est monté au créneau dans les médias, arguant que son modèle industriel « à la demande », lui permettait d’avoir « des niveaux de stocks et d’invendus bien inférieurs à 10 % alors que les acteurs traditionnels sont entre 20 % et 40 % ». Sachant que le gaspillage et la surproduction sont largement responsables de la pollution provoquée par l’industrie textile, cet argument suffira-t-il à provoquer la mansuétude du législateur français ? Affaire à suivre.
D’ailleurs, les écologistes Bjorn Lomborg et Mickael Shellenberger rappellent régulièrement dans leurs ouvrages que ce qui conditionne la capacité d’un pays à faire face aux conséquences du changement climatique, c’est son développement économique : une industrie puissante peut se permettre de financer de l’innovation pour être plus vertueuse ; une société prospère sera prête à se soucier de la nature.
Loïc Rousselle est professeur de physique-chimie, membre du bureau politique du parti Écologie au Centre et porte-parole national.
Quelle « restauration » de la nature ?
En juillet 2023, au comble de la torpeur estivale, une question brûlante échauffait l’hémicycle du Parlement européen. L’Europe en fait-elle assez pour protéger l’environnement ? Au-delà de la protection de la nature, ne faudrait-il pas s’engager un cran plus loin, proactivement, à la « restaurer » ? Cette idée était au centre d’une proposition de règlement adoptée à une très courte majorité, le 11 juillet 2023, après un parcours législatif particulièrement houleux au sein de la Commission agriculture. L’essentiel des débats a porté sur le périmètre de ce règlement (dont les terres agricoles ont finalement été exclues) ainsi que sur le niveau de contrainte qu’elle exerce sur les États membres.
par Nassima Abdelghafour
chercheuse post-doc en sciences sociales, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)
François Thoreau
Sciences Techniques et Société, Humanités environnementales, Université de Liège dans The Conversation
Pour les résumer succinctement, les débats mettaient en scène l’habituelle opposition entre la protection de l’environnement, plutôt soutenue à gauche et par les verts, et la protection de l’économie et des activités agricoles, plutôt soutenue à droite et, en particulier, par le Parti populaire européen.
Si personne n’était d’accord sur la réponse à apporter, le constat de départ fait consensus. Il est celui d’une perte considérable de biodiversité et d’une incapacité à endiguer la déplétion des écosystèmes terrestres et marins. Ce constat, établi par un rapport de l’Agence européenne de l’environnement, désigne les facteurs responsables de cette situation : l’emprise toujours croissante du bâti, des modèles agricoles très intensifs mais encore et surtout une incapacité du cadre réglementaire actuel à produire des effets concrets. Ce diagnostic a conduit la Commission à faire de la restauration de la nature un enjeu politique majeur de son Pacte vert, en renforçant le caractère contraignant des mesures.
Mais ni la notion de restauration elle-même, ni le type de démarche que cette notion implique n’ont été discutés.
Pourtant, cette idée ne va pas de soi, et la question mérite d’être posée : peut-on seulement « restaurer » la nature ? Le terme de restauration suggère un retour, sinon à un état initial, du moins à un état antérieur. Dès lors, comment déterminer quel état antérieur fait référence ? Faut-il revenir à la situation qui existait il y a 10, 20, 50 ou 100 ans ? Et comment caractériser l’état auquel il faudrait revenir ? Parmi les innombrables espèces végétales et animales peuplant les sites concernés, lesquelles seront prises en compte dans une démarche de restauration de l’écosystème ? Comment établir la liste des entités qui ont souffert (sols, animaux, humains, rivières, végétation, etc.) ? Comment faire le tri entre ce qui compte et ce qui sera négligé ? En pratique, les réponses à de telles questions dépendent toujours de circonstances situées.
Prenons le cas de l’exploitation de l’or alluvionnaire en forêt tropicale, en Guyane française. Ce type d’exploitation consiste à creuser le lit argileux d’un cours d’eau pour en extraire de l’or, ce qui implique nécessairement de détruire une zone de forêt et de détourner un cours d’eau. La fine couche de sol fertile est rapidement dispersée par les pluies, laissant à nu un sol stérile et en proie à une érosion rapide. Depuis les années 2000, les exploitants ont l’obligation légale de réhabiliter et de revégétaliser les sites miniers. Il est notamment attendu des opérateurs miniers qu’ils effectuent des travaux de terrassement afin de reboucher les trous qu’ils ont creusés et de recréer les méandres de la rivière, et qu’ils replantent des arbres sur au moins 30 % de la surface déboisée. Mais, en pratique, un flou persiste sur les critères permettant de juger si les travaux de réhabilitation et de revégétalisation sont satisfaisants, afin de libérer (ou non) l’exploitant minier de ses obligations.
Agents de l’ONF (office national des forêts), experts travaillant dans des bureaux d’étude, chercheurs et fonctionnaires de l’administration impliqués dans les processus de reforestation se penchent sur le problème et y apportent des réponses différentes. Certains acteurs insistent sur le rétablissement d’un couvert végétal sur le sol déboisé, d’autres sur le retour d’une activité microbienne dans le sol, d’autres encore sur la présence d’arbres « charismatiques », endémiques de la Guyane. Quant à la rivière, certains acteurs insistent sur un reprofilage du cours d’eau fidèle aux tracés d’origine, quand d’autres préfèrent des méthodes qui portent moins sur la reconstruction d’un paysage que sur le retour de la vie aquatique.
Dans un contexte de ressources techniques et financières limitées – les entreprises impliquées dans l’exploitation de l’or alluvionnaire, souvent décrites comme « artisanales », opèrent avec relativement peu de moyens – il est difficile de mettre en pratique ces diverses exigences. Pour prendre la mesure de ces limites techniques et financières, on peut citer par exemple le cas de très petites entreprises travaillant avec une ou deux pelles mécaniques et qui jugent trop chers les services des bureaux d’étude spécialisés dans les travaux de réhabilitation et de revégétalisation. Dans ces cas-là, les travaux de réhabilitation sont conduits en interne, par les mêmes ouvriers qui ont creusé le flat alluvionnaire. Une autre difficulté souvent évoquée est liée à l’approvisionnement en graines ou en plants en grande quantité, au vu du petit nombre de pépinières spécialisées dans la revégétalisation des sites endommagés par l’activité minière.
Finalement, l’ambition d’un retour à un état antérieur aux perturbations liées à l’activité humaine peut se révéler discutable si elle se fonde sur une vision de la nature dans laquelle les humains n’ont pas de place et sont pensés comme extérieurs. C’est en particulier un problème pour des groupes humains autochtones dont les modes de vie et de subsistance sont étroitement liés au milieu. Des politiques fondées sur une telle vision de la nature peuvent par exemple conduire à exclure certaines activités humaines (chasse, pêche, cueillette), en favoriser d’autres (tourisme vert) et ainsi définir de bons et mauvais usages d’un milieu naturel. Par ailleurs, les paysages pensés comme naturels sont souvent le résultat d’interventions humaines et portent donc la trace d’événements et d’organisations sociales et politiques passés, impliquant souvent de multiples oppressions. Ainsi, la forêt tropicale guyanaise est un espace qui ne peut être envisagé comme « vierge » et vide d’humains que parce que l’arrivée des colons européens a provoqué, par la violence et la propagation de maladies, une chute tristement spectaculaire de la population autochtone qui la peuplait.
On le voit, au travers de situations concrètes faites de contraintes financières, d’incertitudes scientifiques et de difficultés techniques, l’ambition de restaurer la nature se traduit par un geste partiel et partial, qui suppose une réinvention et une réinterprétation a minima d’un milieu naturel plutôt qu’un retour à l’identique. Les acteurs impliqués dans le contrôle des travaux de réhabilitation des zones endommagées par l’exploitation minière ont d’ailleurs cessé d’employer le terme de restauration, estimant qu’un retour à l’identique des sites est impossible, et que la destruction causée par les mines d’or est en partie irrémédiable.
En plus d’idéaliser le passé, la notion de « restauration » dépolitise le futur. En effet, l’idée qu’une restauration de la nature est possible peut se révéler délétère si elle est employée pour justifier de nouveaux projets impliquant des dommages environnementaux. Nous proposons de mettre en avant la notion de remédiation écologique.
D’abord, remédier signifie apporter un remède : ce terme insiste sur le dommage causé et rappelle ainsi l’existence d’une situation problématique nécessitant de l’attention et du soin. Plutôt qu’un retour en arrière ou à l’identique, la « remédiation » évoque un processus de transformation à l’issue incertaine, qui laisse visibles non seulement les traces des destructions écologiques passées, mais aussi les traces des gestes de réparation accomplis sur un milieu. En effet, certaines opérations de remédiation peuvent échouer tout à fait, ou ne réussir que partiellement. Dans le cas de la forêt guyanaise par exemple, les arbres replantés sur les sites miniers ne survivent pas toujours sur un sol stérile, ou bien forment un couvert végétal qui améliore la situation en limitant l’érosion sans pour autant évoluer vers un retour de la forêt tropicale.
Plutôt que de revenir à un passé figé, la notion de remédiation invite à fabriquer de nouvelles médiations écologiques, et donc à poser explicitement la question inévitable de ce qui est considéré comme important et précieux dans une situation donnée. En d’autres termes, elle rend visibles et débattable les choix qui doivent être faits. En effet, les différentes options techniques favorisent différents types d’êtres (arbres, animaux, micro-organismes, etc.) en organisant des conditions propices à leur implantation à partir de la situation de dégât écologique. Il s’agit donc de réinterpréter les relations entre les êtres peuplant un milieu qui a changé, souvent avec des moyens limités.
Au-delà de la question sémantique, le choix d’un terme pour décrire des opérations de réparation de la nature implique différents rapports à la nature, aux torts qui ont été causés aux milieux et aux façons d’y répondre. Ainsi, « restaurer » naturalise un état auquel il faudrait revenir alors que « remédier » implique de fabriquer de nouvelles médiations tout en faisant exister, de façon pratique, le fait même que ces relations aient été endommagées en premier lieu – et donc la nécessité de les réparer. En ce sens, le terme de remédiation nous semble mieux indiqué pour tendre vers une réinvention des relations entre humains et non-humains, réunis dans une seule communauté de destin. Finalement, la notion de remédiation écologique offre une ligne de fuite entre une position cynique, postulant que les écosystèmes sont irrémédiablement détruits, et une position prométhéenne utilisant les possibilités de restauration comme argument pour justifier qu’on continue à produire et à exploiter comme avant.
Les limites de la restauration de la nature
En juillet 2023, au comble de la torpeur estivale, une question brûlante échauffait l’hémicycle du Parlement européen. L’Europe en fait-elle assez pour protéger l’environnement ? Au-delà de la protection de la nature, ne faudrait-il pas s’engager un cran plus loin, proactivement, à la « restaurer » ? Cette idée était au centre d’une proposition de règlement adoptée à une très courte majorité, le 11 juillet 2023, après un parcours législatif particulièrement houleux au sein de la Commission agriculture. L’essentiel des débats a porté sur le périmètre de ce règlement (dont les terres agricoles ont finalement été exclues) ainsi que sur le niveau de contrainte qu’elle exerce sur les États membres.
par Nassima Abdelghafour
chercheuse post-doc en sciences sociales, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)
François Thoreau
Sciences Techniques et Société, Humanités environnementales, Université de Liège dans The Conversation
Pour les résumer succinctement, les débats mettaient en scène l’habituelle opposition entre la protection de l’environnement, plutôt soutenue à gauche et par les verts, et la protection de l’économie et des activités agricoles, plutôt soutenue à droite et, en particulier, par le Parti populaire européen.
Si personne n’était d’accord sur la réponse à apporter, le constat de départ fait consensus. Il est celui d’une perte considérable de biodiversité et d’une incapacité à endiguer la déplétion des écosystèmes terrestres et marins. Ce constat, établi par un rapport de l’Agence européenne de l’environnement, désigne les facteurs responsables de cette situation : l’emprise toujours croissante du bâti, des modèles agricoles très intensifs mais encore et surtout une incapacité du cadre réglementaire actuel à produire des effets concrets. Ce diagnostic a conduit la Commission à faire de la restauration de la nature un enjeu politique majeur de son Pacte vert, en renforçant le caractère contraignant des mesures.
Mais ni la notion de restauration elle-même, ni le type de démarche que cette notion implique n’ont été discutés.
Pourtant, cette idée ne va pas de soi, et la question mérite d’être posée : peut-on seulement « restaurer » la nature ? Le terme de restauration suggère un retour, sinon à un état initial, du moins à un état antérieur. Dès lors, comment déterminer quel état antérieur fait référence ? Faut-il revenir à la situation qui existait il y a 10, 20, 50 ou 100 ans ? Et comment caractériser l’état auquel il faudrait revenir ? Parmi les innombrables espèces végétales et animales peuplant les sites concernés, lesquelles seront prises en compte dans une démarche de restauration de l’écosystème ? Comment établir la liste des entités qui ont souffert (sols, animaux, humains, rivières, végétation, etc.) ? Comment faire le tri entre ce qui compte et ce qui sera négligé ? En pratique, les réponses à de telles questions dépendent toujours de circonstances situées.
Prenons le cas de l’exploitation de l’or alluvionnaire en forêt tropicale, en Guyane française. Ce type d’exploitation consiste à creuser le lit argileux d’un cours d’eau pour en extraire de l’or, ce qui implique nécessairement de détruire une zone de forêt et de détourner un cours d’eau. La fine couche de sol fertile est rapidement dispersée par les pluies, laissant à nu un sol stérile et en proie à une érosion rapide. Depuis les années 2000, les exploitants ont l’obligation légale de réhabiliter et de revégétaliser les sites miniers. Il est notamment attendu des opérateurs miniers qu’ils effectuent des travaux de terrassement afin de reboucher les trous qu’ils ont creusés et de recréer les méandres de la rivière, et qu’ils replantent des arbres sur au moins 30 % de la surface déboisée. Mais, en pratique, un flou persiste sur les critères permettant de juger si les travaux de réhabilitation et de revégétalisation sont satisfaisants, afin de libérer (ou non) l’exploitant minier de ses obligations.
Agents de l’ONF (office national des forêts), experts travaillant dans des bureaux d’étude, chercheurs et fonctionnaires de l’administration impliqués dans les processus de reforestation se penchent sur le problème et y apportent des réponses différentes. Certains acteurs insistent sur le rétablissement d’un couvert végétal sur le sol déboisé, d’autres sur le retour d’une activité microbienne dans le sol, d’autres encore sur la présence d’arbres « charismatiques », endémiques de la Guyane. Quant à la rivière, certains acteurs insistent sur un reprofilage du cours d’eau fidèle aux tracés d’origine, quand d’autres préfèrent des méthodes qui portent moins sur la reconstruction d’un paysage que sur le retour de la vie aquatique.
Dans un contexte de ressources techniques et financières limitées – les entreprises impliquées dans l’exploitation de l’or alluvionnaire, souvent décrites comme « artisanales », opèrent avec relativement peu de moyens – il est difficile de mettre en pratique ces diverses exigences. Pour prendre la mesure de ces limites techniques et financières, on peut citer par exemple le cas de très petites entreprises travaillant avec une ou deux pelles mécaniques et qui jugent trop chers les services des bureaux d’étude spécialisés dans les travaux de réhabilitation et de revégétalisation. Dans ces cas-là, les travaux de réhabilitation sont conduits en interne, par les mêmes ouvriers qui ont creusé le flat alluvionnaire. Une autre difficulté souvent évoquée est liée à l’approvisionnement en graines ou en plants en grande quantité, au vu du petit nombre de pépinières spécialisées dans la revégétalisation des sites endommagés par l’activité minière.
Finalement, l’ambition d’un retour à un état antérieur aux perturbations liées à l’activité humaine peut se révéler discutable si elle se fonde sur une vision de la nature dans laquelle les humains n’ont pas de place et sont pensés comme extérieurs. C’est en particulier un problème pour des groupes humains autochtones dont les modes de vie et de subsistance sont étroitement liés au milieu. Des politiques fondées sur une telle vision de la nature peuvent par exemple conduire à exclure certaines activités humaines (chasse, pêche, cueillette), en favoriser d’autres (tourisme vert) et ainsi définir de bons et mauvais usages d’un milieu naturel. Par ailleurs, les paysages pensés comme naturels sont souvent le résultat d’interventions humaines et portent donc la trace d’événements et d’organisations sociales et politiques passés, impliquant souvent de multiples oppressions. Ainsi, la forêt tropicale guyanaise est un espace qui ne peut être envisagé comme « vierge » et vide d’humains que parce que l’arrivée des colons européens a provoqué, par la violence et la propagation de maladies, une chute tristement spectaculaire de la population autochtone qui la peuplait.
On le voit, au travers de situations concrètes faites de contraintes financières, d’incertitudes scientifiques et de difficultés techniques, l’ambition de restaurer la nature se traduit par un geste partiel et partial, qui suppose une réinvention et une réinterprétation a minima d’un milieu naturel plutôt qu’un retour à l’identique. Les acteurs impliqués dans le contrôle des travaux de réhabilitation des zones endommagées par l’exploitation minière ont d’ailleurs cessé d’employer le terme de restauration, estimant qu’un retour à l’identique des sites est impossible, et que la destruction causée par les mines d’or est en partie irrémédiable.
En plus d’idéaliser le passé, la notion de « restauration » dépolitise le futur. En effet, l’idée qu’une restauration de la nature est possible peut se révéler délétère si elle est employée pour justifier de nouveaux projets impliquant des dommages environnementaux. Nous proposons de mettre en avant la notion de remédiation écologique.
D’abord, remédier signifie apporter un remède : ce terme insiste sur le dommage causé et rappelle ainsi l’existence d’une situation problématique nécessitant de l’attention et du soin. Plutôt qu’un retour en arrière ou à l’identique, la « remédiation » évoque un processus de transformation à l’issue incertaine, qui laisse visibles non seulement les traces des destructions écologiques passées, mais aussi les traces des gestes de réparation accomplis sur un milieu. En effet, certaines opérations de remédiation peuvent échouer tout à fait, ou ne réussir que partiellement. Dans le cas de la forêt guyanaise par exemple, les arbres replantés sur les sites miniers ne survivent pas toujours sur un sol stérile, ou bien forment un couvert végétal qui améliore la situation en limitant l’érosion sans pour autant évoluer vers un retour de la forêt tropicale.
Plutôt que de revenir à un passé figé, la notion de remédiation invite à fabriquer de nouvelles médiations écologiques, et donc à poser explicitement la question inévitable de ce qui est considéré comme important et précieux dans une situation donnée. En d’autres termes, elle rend visibles et débattable les choix qui doivent être faits. En effet, les différentes options techniques favorisent différents types d’êtres (arbres, animaux, micro-organismes, etc.) en organisant des conditions propices à leur implantation à partir de la situation de dégât écologique. Il s’agit donc de réinterpréter les relations entre les êtres peuplant un milieu qui a changé, souvent avec des moyens limités.
Au-delà de la question sémantique, le choix d’un terme pour décrire des opérations de réparation de la nature implique différents rapports à la nature, aux torts qui ont été causés aux milieux et aux façons d’y répondre. Ainsi, « restaurer » naturalise un état auquel il faudrait revenir alors que « remédier » implique de fabriquer de nouvelles médiations tout en faisant exister, de façon pratique, le fait même que ces relations aient été endommagées en premier lieu – et donc la nécessité de les réparer. En ce sens, le terme de remédiation nous semble mieux indiqué pour tendre vers une réinvention des relations entre humains et non-humains, réunis dans une seule communauté de destin. Finalement, la notion de remédiation écologique offre une ligne de fuite entre une position cynique, postulant que les écosystèmes sont irrémédiablement détruits, et une position prométhéenne utilisant les possibilités de restauration comme argument pour justifier qu’on continue à produire et à exploiter comme avant.
Se reconnecter à la nature
Consommer moins et mieux, se déplacer en transport en commun, produire moins de déchets et les trier correctement… Favoriser l’émergence de comportements pro-environnementaux chez les individus constitue un défi majeur et urgent face au changement climatique. Les motivations pour agir dans l’intérêt de la planète sont très diverses et peuvent être propres aux individus ou stimulées par des facteurs externes ou sociaux. Les pouvoirs publics peuvent en effet avoir recours à de multiples leviers pour encourager les comportements durables. De manière globale, l’individu est sensible au contexte dans lequel il prend ses décisions. Nous savons aussi que notre état émotionnel n’est pas neutre dans la lutte contre le réchauffement climatique et que la nature influence directement et positivement à la fois notre état physique et psychologique.
par
Lisette Ibanez
Directrice de recherche en économie comportementale et environnementale, CEE-M, Inrae
Sébastien Roussel
Professeur des Universités en Sciences Economiques, CEE-M & EPSYLON, Université Paul Valéry – Montpellier III
Les individus évoluent le plus souvent dans un environnement urbanisé et passent une grande partie de leur temps loin de la nature, en raison de leurs activités professionnelles et personnelles. Cela contribue à une déconnexion physique et psychologique avec la nature alors que favoriser cette connexion pourrait promouvoir la réalisation de comportements pro-environnementaux.
Nous nous sommes demandé si le fait de favoriser la connexion à la nature pourrait stimuler le sentiment d’appartenance à la biosphère, et inciter les individus à être plus enclins à protéger l’environnement. Le cas échéant, cela constituerait une stratégie efficace et peu coûteuse. Nous avons donc étudié l’impact potentiel d’une exposition virtuelle à la nature (via le visionnage d’une vidéo) sur les comportements pro-environnementaux.
Nous testons ce lien de causalité dans le cadre d’une expérience en laboratoire où 113 sujets regardent une vidéo de 12 minutes. En fonction du traitement expérimental dans lequel ils se trouvent, les sujets visionnent soit une vidéo présentant un environnement urbain (extrait d’un documentaire sur l’architecture de la ville de New York), soit une vidéo présentant un environnement naturel (extrait du documentaire Wild Yellowstone réalisé par la chaîne National Geographic).
Pour évaluer l’impact, nous étudions deux décisions réelles effectuées suite au visionnage : une décision monétaire, correspondant à un don auprès d’une ONG de protection de l’environnement, puis une décision non monétaire, en l’occurrence un éco-geste de recyclage de charlottes hygiéniques pour un casque audio.
Nous avons inclus dans le protocole expérimental un questionnaire pour évaluer la conscience écologique des participants (échelle New Ecological Paradigm). Cet outil mesure les attitudes à l’égard de la nature, de sa sauvegarde, des menaces qui pèsent sur elle, et des comportements humains à proscrire ou à encourager pour sa préservation. Il permet de classer les individus en fonction du niveau de leur conscience écologique. Chaque individu obtient un score moyen compris entre 1 (aucune conscience écologique) et 5 (très forte conscience écologique). En s’appuyant sur la procédure Johnson-Neyman, nous avons scindé l’échantillon en deux groupes : les individus avec une conscience écologique relativement faible (inférieur à 4), et ceux avec une conscience écologique relativement élevée (supérieur ou égal à 4).
L’analyse des réponses collectées lors de cette expérience démontre qu’une exposition virtuelle à la nature augmente à la fois le don monétaire (+0,83 euro en moyenne sur une gamme de dons possibles comprise entre 0 et 10 euros) et l’éco-geste (+15 %) par rapport aux sujets virtuellement exposés à un environnement urbain. Autrement dit, l’exposition à la nature agit à la fois sur la disposition à faire un effort financier, ainsi que sur la disposition à faire un effort physique en faveur de l’environnement.
Le résultat particulièrement intéressant de cette expérience est que l’accroissement de comportements pro-environnementaux provient principalement des individus qui déclarent au préalable avoir une conscience écologique relativement faible. Au sein de ce groupe, après le visionnage d’une vidéo sur la nature, les dons augmentent de 1,47 € en moyenne, et plus de la moitié des individus effectuent l’éco-geste.
Un autre point à noter est que nous n’avons pas trouvé d’effets d’entraînement entre le don monétaire et l’éco-geste. En d’autres termes, le fait de donner n’augmente pas ou ne diminue pas la probabilité d’effectuer un éco-geste.
Pour nous assurer de la pertinence de nos résultats et bien comprendre les mécanismes à l’œuvre, nous avons intégré dans notre protocole expérimental deux vérifications de robustesse.
Nous avons vérifié que l’impact provenait de la thématique de la vidéo présentant un environnement naturel et non de sa composante émotionnelle. Pour cela, nous avons réalisé une expérience de contrôle avec un nouveau groupe. À la place de la vidéo présentant un environnement naturel, les participants ont visionné une succession de scènes tirées de films sans aucune référence à la nature, mais générant le même type d’émotions positives (Bruce Tout-Puissant, Sister Act, Ce que veulent les femmes, Wall-E). Il apparaît que pour un même type d’émotions ressenties, le don est significativement plus fort lorsque les sujets visionnent une vidéo qui fait référence à la nature (+1,13 euro en moyenne).
En 2009, de nombreux observateurs se sont demandé si la diffusion du film Home deux jours avant les élections européennes avait stimulé les votes pour le parti Europe Ecologie.
Nous avons également examiné si la thématique « naturelle » de la vidéo avait une influence sur le choix du destinataire du don. Pour cela, nous avons réalisé une autre expérience de contrôle avec un nouveau groupe, en leur proposant de faire un don à une ONG humanitaire n’opérant pas dans le domaine de la protection de l’environnement. Nous avons constaté que, quel que soit le champ d’action de l’ONG, le montant du don n’est pas significativement différent.
Dans l’ensemble les résultats de cette expérience semblent démontrer qu’il existe un impact positif d’une exposition virtuelle à la nature sur les comportements pro-environnementaux. Les implications politiques sont nombreuses. Les décideurs publics pourraient avoir recours à des solutions ludiques et facilement accessibles, s’apparentant à des coups de pouce/nudges verts, où l’individu serait exposé de manière répétée voire permanente à la nature. Les colonnes de tri, les bus et tramway pourraient par exemple être habillés d’images rappelant la nature. Ces solutions sont en général peu coûteuses, non contraignantes, et faciles à mettre en œuvre.
Ce type de solutions est complémentaire de la renaturalisation urbaine en réduisant la distance vers des espaces verts urbains, en installant des jardins partagés, en plantant plus d’arbres pour lutter contre les îlots de chaleurs, ou en créant des murs végétalisés. Combiner des solutions virtuelles et des solutions opérationnelles peut créer des synergies positives permettant de reconnecter les individus vers la nature, et ainsi promouvoir des comportements pro-environnementaux.
Reconnecter à la nature
Consommer moins et mieux, se déplacer en transport en commun, produire moins de déchets et les trier correctement… Favoriser l’émergence de comportements pro-environnementaux chez les individus constitue un défi majeur et urgent face au changement climatique. Les motivations pour agir dans l’intérêt de la planète sont très diverses et peuvent être propres aux individus ou stimulées par des facteurs externes ou sociaux. Les pouvoirs publics peuvent en effet avoir recours à de multiples leviers pour encourager les comportements durables. De manière globale, l’individu est sensible au contexte dans lequel il prend ses décisions. Nous savons aussi que notre état émotionnel n’est pas neutre dans la lutte contre le réchauffement climatique et que la nature influence directement et positivement à la fois notre état physique et psychologique.
par
Lisette Ibanez
Directrice de recherche en économie comportementale et environnementale, CEE-M, Inrae
Sébastien Roussel
Professeur des Universités en Sciences Economiques, CEE-M & EPSYLON, Université Paul Valéry – Montpellier III
Les individus évoluent le plus souvent dans un environnement urbanisé et passent une grande partie de leur temps loin de la nature, en raison de leurs activités professionnelles et personnelles. Cela contribue à une déconnexion physique et psychologique avec la nature alors que favoriser cette connexion pourrait promouvoir la réalisation de comportements pro-environnementaux.
Nous nous sommes demandé si le fait de favoriser la connexion à la nature pourrait stimuler le sentiment d’appartenance à la biosphère, et inciter les individus à être plus enclins à protéger l’environnement. Le cas échéant, cela constituerait une stratégie efficace et peu coûteuse. Nous avons donc étudié l’impact potentiel d’une exposition virtuelle à la nature (via le visionnage d’une vidéo) sur les comportements pro-environnementaux.
Nous testons ce lien de causalité dans le cadre d’une expérience en laboratoire où 113 sujets regardent une vidéo de 12 minutes. En fonction du traitement expérimental dans lequel ils se trouvent, les sujets visionnent soit une vidéo présentant un environnement urbain (extrait d’un documentaire sur l’architecture de la ville de New York), soit une vidéo présentant un environnement naturel (extrait du documentaire Wild Yellowstone réalisé par la chaîne National Geographic).
Pour évaluer l’impact, nous étudions deux décisions réelles effectuées suite au visionnage : une décision monétaire, correspondant à un don auprès d’une ONG de protection de l’environnement, puis une décision non monétaire, en l’occurrence un éco-geste de recyclage de charlottes hygiéniques pour un casque audio.
Nous avons inclus dans le protocole expérimental un questionnaire pour évaluer la conscience écologique des participants (échelle New Ecological Paradigm). Cet outil mesure les attitudes à l’égard de la nature, de sa sauvegarde, des menaces qui pèsent sur elle, et des comportements humains à proscrire ou à encourager pour sa préservation. Il permet de classer les individus en fonction du niveau de leur conscience écologique. Chaque individu obtient un score moyen compris entre 1 (aucune conscience écologique) et 5 (très forte conscience écologique). En s’appuyant sur la procédure Johnson-Neyman, nous avons scindé l’échantillon en deux groupes : les individus avec une conscience écologique relativement faible (inférieur à 4), et ceux avec une conscience écologique relativement élevée (supérieur ou égal à 4).
L’analyse des réponses collectées lors de cette expérience démontre qu’une exposition virtuelle à la nature augmente à la fois le don monétaire (+0,83 euro en moyenne sur une gamme de dons possibles comprise entre 0 et 10 euros) et l’éco-geste (+15 %) par rapport aux sujets virtuellement exposés à un environnement urbain. Autrement dit, l’exposition à la nature agit à la fois sur la disposition à faire un effort financier, ainsi que sur la disposition à faire un effort physique en faveur de l’environnement.
Le résultat particulièrement intéressant de cette expérience est que l’accroissement de comportements pro-environnementaux provient principalement des individus qui déclarent au préalable avoir une conscience écologique relativement faible. Au sein de ce groupe, après le visionnage d’une vidéo sur la nature, les dons augmentent de 1,47 € en moyenne, et plus de la moitié des individus effectuent l’éco-geste.
Un autre point à noter est que nous n’avons pas trouvé d’effets d’entraînement entre le don monétaire et l’éco-geste. En d’autres termes, le fait de donner n’augmente pas ou ne diminue pas la probabilité d’effectuer un éco-geste.
Pour nous assurer de la pertinence de nos résultats et bien comprendre les mécanismes à l’œuvre, nous avons intégré dans notre protocole expérimental deux vérifications de robustesse.
Nous avons vérifié que l’impact provenait de la thématique de la vidéo présentant un environnement naturel et non de sa composante émotionnelle. Pour cela, nous avons réalisé une expérience de contrôle avec un nouveau groupe. À la place de la vidéo présentant un environnement naturel, les participants ont visionné une succession de scènes tirées de films sans aucune référence à la nature, mais générant le même type d’émotions positives (Bruce Tout-Puissant, Sister Act, Ce que veulent les femmes, Wall-E). Il apparaît que pour un même type d’émotions ressenties, le don est significativement plus fort lorsque les sujets visionnent une vidéo qui fait référence à la nature (+1,13 euro en moyenne).
En 2009, de nombreux observateurs se sont demandé si la diffusion du film Home deux jours avant les élections européennes avait stimulé les votes pour le parti Europe Ecologie.
Nous avons également examiné si la thématique « naturelle » de la vidéo avait une influence sur le choix du destinataire du don. Pour cela, nous avons réalisé une autre expérience de contrôle avec un nouveau groupe, en leur proposant de faire un don à une ONG humanitaire n’opérant pas dans le domaine de la protection de l’environnement. Nous avons constaté que, quel que soit le champ d’action de l’ONG, le montant du don n’est pas significativement différent.
Dans l’ensemble les résultats de cette expérience semblent démontrer qu’il existe un impact positif d’une exposition virtuelle à la nature sur les comportements pro-environnementaux. Les implications politiques sont nombreuses. Les décideurs publics pourraient avoir recours à des solutions ludiques et facilement accessibles, s’apparentant à des coups de pouce/nudges verts, où l’individu serait exposé de manière répétée voire permanente à la nature. Les colonnes de tri, les bus et tramway pourraient par exemple être habillés d’images rappelant la nature. Ces solutions sont en général peu coûteuses, non contraignantes, et faciles à mettre en œuvre.
Ce type de solutions est complémentaire de la renaturalisation urbaine en réduisant la distance vers des espaces verts urbains, en installant des jardins partagés, en plantant plus d’arbres pour lutter contre les îlots de chaleurs, ou en créant des murs végétalisés. Combiner des solutions virtuelles et des solutions opérationnelles peut créer des synergies positives permettant de reconnecter les individus vers la nature, et ainsi promouvoir des comportements pro-environnementaux.
Environnement: Un fonds mondial pour la nature…très modeste
La création de ce fonds constitue une bonne nouvelle pour la biodiversité mais les moyens financiers annoncés sont très insuffisants pour l’instant voir dérisoires. Un nouveau fonds mondial pour la biodiversité visant à accélérer la protection de 30% de la planète d’ici 2030, objectifs fixés lors de la COP15 de l’année dernière, a donc été ratifié jeudi 24 août par 190 pays.
Ce fonds va permettre de mobiliser différents gouvernements mais aussi des acteurs privés afin de soutenir les pays en développement, notamment les petits États insulaires les plus vulnérables. Pour la première fois, il inclura notamment une part de 20% destinée directement aux initiatives autochtones et locales visant à protéger la nature.
Le Canada et le Royaume-Uni ont été les deux premiers à injecter respectivement 147 millions de dollars (136 millions d’euros) et 13 millions de dollars afin de lancer ce Fonds-cadre mondial pour la biodiversité (FCMB).
La création de ce fonds fait suite aux accords de la COP15 pris à Montréal fin décembre. Les pays participants se sont engagés sur une feuille de route visant notamment à protéger 30% de la planète d’ici 2030 et à porter à 30 milliards de dollars l’aide annuelle pour la biodiversité dans les pays en développement.
Un texte européen insuffisant pour restaurer la nature
Le 12 juillet dernier, le texte sur la restauration de la nature dont l’ambition est de restaurer les espaces naturels a été voté par le Parlement européen. Mais de nombreux points ont été revus à la baisse pour parvenir à un compromis. Et les conséquences sont catastrophiques, se désolent Julien Pillot et Philippe Naccache, respectivement économiste et enseignant-chercheur à l’INSEEC.
À l’issue d’un vote particulièrement serré, le Parlement de l’UE a voté ce 12 juillet 2023 le texte sur « la restauration de la nature ». Si certains, tels les membres du groupe Renew, soulignent une « extraordinaire victoire », d’autres ne manquent pas de pointer « un niveau d’ambition exceptionnellement peu élevé ». Il faut bien admettre que dans un contexte de vive opposition (notamment du groupe PPE ou du gouvernement Suédois), et même d’appels répétés à une pause réglementaire en matière de normes environnementales, les négociations avaient toutes les chances d’aboutir à une sorte de consensus mou. C’est ce qui est arrivé malheureusement, une fois encore, déconnecté à la fois des recommandations scientifiques, et de l’urgence de la situation.
En effet, la revue Nature Sustainability publiait, le 22 juin 2023, un travail de recherche dont les conclusions, particulièrement alarmantes, font état d’une sous-évaluation, de l’ordre de 38 % à 81 %, du délai dans lequel les écosystèmes risquent de s’effondrer par rapport aux estimations retenues présentement. La faute en revenant aux modèles actuels qui peinent à prendre en compte le caractère systémique du problème, et en viennent à sous-estimer les interactions entre les différents facteurs qui exercent une pression sur les écosystèmes. Nous étions dans l’urgence, nous voilà dans l’urgence absolue d’agir en faveur, bien évidemment de la réduction des pressions humaines sur l’environnement, mais aussi de la restauration de nos écosystèmes.
Nos dirigeants, à commencer par le Président Emmanuel Macron, qui a souvent clamé vouloir prendre ses décisions en cohérence avec le savoir scientifique, ne sont pas supposés ignorer l’existence de tels travaux et leurs funestes perspectives. Et pourtant, le texte adopté par les Eurodéputés acte un recul au niveau de la restauration des écosystèmes agricoles, y compris des tourbières, pourtant indispensables pour séquestrer du carbone.
Incompréhensible pour les uns, paradoxal pour les autres. Il est étonnant de voir que ceux-là même qui ont œuvré au retrait de l’article 9 portant sur les infrastructures agroécologiques se sont érigés par ailleurs en modèle de la croissance économique et de l’autonomie stratégique de l’Europe. Que ces personnes nous expliquent par quel miracle elles pensent pouvoir concilier ces objectifs dans un 21e siècle de tous les dangers, à commencer par le péril climatique ! N’en déplaise aux doux rêveurs et autres bras armés des lobbies de tout poil, toutes les projections portent à croire qu’il ne pourra y avoir de croissance économique pas plus que d’autonomie stratégique sans préservation de nos écosystèmes continentaux.
À cet aune, il est préjudiciable de n’avoir tenu aucun compte de la note de l’IDDRI du 12 juillet 2023 dans laquelle nous apprenions que la mise en place d’infrastructures agroécologiques, à hauteur de 10 % à 20 % des surfaces agricoles, se traduirait à la fois par des « bénéfices nets pour la biodiversité, et un effet neutre à positif sur la productivité alimentaire ».
Une conclusion qui fait écho à la position du World Economic Forum qui, en 2020, annonçait que plus de la moitié du PIB mondial dépendait (de modérément à fortement) des services rendus par la nature. Autrement dit, renoncer, ou minorer, la restauration de la nature se traduira par des pertes économiques directes – comme une moindre production alimentaire (elle-même accentuée par les effets du dérèglement climatique) – et de multiples effets de rebond encore difficile à estimer aujourd’hui, mais potentiellement vertigineux. Il est illusoire de pouvoir prétendre à une quelconque forme d’autonomie stratégique quand nous dépendrons de l’étranger pour nourrir notre population. Et encore faudra-t-il que lesdits étrangers affichent une productivité suffisante pour accepter d’exporter, à prix d’or, leurs maigres surplus.
Tous ces travaux et trajectoires sont connus et établis de longue date dans les publications scientifiques. Alors, notre Parlement européen est-il frappé d’amnésie collective ? C’est encore l’hypothèse que nous préférons retenir, tant l’autre explication – celle de la soumission à des intérêts économiques de court-terme, parfois même extra-européens – nous apparaît comme inconcevable. Voire proprement criminelle, au regard des enjeux.
« Dette contre nature »: Le projet douteux de l’union européenne
L’Union européenne est prête à aider des pays en difficulté financière contre la prise en compte de la biodiversité. Un projet sympathique a priori mais qui comme les Z au développement risque de finir dans les sables de la corruption et où dans les lourdes administrations publiques ou privées. Comme pour le codéveloppement, il serait sans doute davantage souhaitable non pas de passer par les mains des états et des gouvernements mais de financer directement des projets concrets évalués et régulièrement suivis.
En outre on peut aussi discuter de ce principe d’échange monétaire contre l’engagement de protection de la nature. Enfin on peut légitimement se demander si parfois l’Europe ne dilapide pas en vain des ressources qui pourtant devraient être rares.
De ce point de vue la monétarisation de la problématique environnementale justifie quelques inquiétudes par exemple avec la fameuse taxe carbone qui en réalité n’est qu’une taxe supplémentaire qui ne va guère influer sur les changements de comportement sans offre alternative. La Banque européenne d’investissement (BEI), l’institution de financement de l’Union européenne, devrait réaliser cette année son premier swap « dette contre nature », destiné à encourager la protection de la biodiversité.
« Nous travaillons avec un certain nombre de pays », indique Maria Shaw-Barragan, directrice des prêts à la division « EIB Global » de la banque de développement, une division spécialisée dans les prêts aux pays tiers.
Les banques de développement jouent un rôle crucial en fournissant des « garanties de crédit » qui permettent aux Etats en manque de liquidités d’emprunter à bas prix pour protéger leurs écosystèmes.
Les acteurs de la conservation espéraient depuis longtemps que la BEI se positionne sur ce secteur, car son bilan est important, plus de deux fois celui de la division de la Banque Mondiale responsable des prêts.
Maria Shaw-Barragan n’a pas indiqué quels pays seront concernés, ni pour quels montants, afin de ne pas influer sur le prix des obligations concernées -les swaps « dette contre nature » fonctionnant mieux lorsque la dette est achetée avec une décote- mais la responsable précise que, rien qu’en Afrique sub-saharienne, 5 à 10 pays seraient concernés.
Les swaps « dettes contre nature » ne sont pas nouveaux, mais pourraient jouer un rôle de plus en plus important : 140 échanges ont eu lieu au cours des 35 dernières années, totalisant seulement 5 milliards de dollars de dettes.
Le mécanisme devrait être mis en avant au cours d’un sommet organisé jeudi à Paris par le président français Emmanuel Macron et la Première ministre de la Barbade Mia Mottley, dont le pays a procédé à un swap « dettes contre nature » l’année dernière, et qui appelle à généraliser ce genre d’opérations.
Maria Shaw-Barragan a déclaré que la BEI n’interviendrait pas dans les pays déjà en défaut de paiement, mais les swaps aideront les gouvernements concernés à remplacer leur dette à court terme par une nouvelle dette à 10 ou 15 ans à un taux plus bas.
Société– » La nature en ville » ou les villes à la campagne !
Lors de la présentation de votre stratégie bas-carbone en septembre 2021, Icade a lancé une filiale baptisée « Urbain des bois » et s’est engagée à faire certifier 100 % de ses programmes de bureaux neufs de plus de 5 000 m2, ainsi que 50 % de ses logements par le label d’État « Énergie positive et réduction carbone ». Un an après, où en êtes-vous dans vos démarches ?
Emmanuel Desmaizières Nous avons atteint nos objectifs, et avons même accéléré ! En effet, nous avons décidé d’aligner nos trois métiers sur une trajectoire 1,5 °C, conformément à l’Accord de Paris. Pour ce faire, nous nous sommes fixé, pour le pôle Promotion, de réduire nos émissions carbone de nos activités de 41 % entre 2019 et 2030. D’ores et déjà, la majorité de nos projets sont bas-carbone et, pour la plupart, dépassent largement les exigences de la Réglementation Environnementale (RE2020). Chez Icade Promotion, nous avons par exemple plus de 475 000 m2 de projets en construction bois, en cours ou livrés. Par exemple, le Village des athlètes à Saint-Ouen-sur-Seine, en construction mixte bois/béton bas-carbone et éco-conçu avec du réemploi, n’émettra que 740 kg de CO2 par mètre carré, soit 50 % de moins par rapport à un programme traditionnel.
L’économie circulaire va-t-elle devenir la norme dans le BTP ?
E.D. Nous avons été précurseurs en la matière en créant avec Egis, dès 2017, Cycle Up, une plateforme de réemploi pour mettre à disposition des matériaux d’un chantier A à un chantier B. Nous récupérons ainsi des cloisons, des portes, des sanitaires ou encore des faux planchers que nous réinstallons dans des projets neufs. Force est de constater que l’ensemble du secteur s’est saisi de ce levier et que le réemploi fait désormais partie du cahier des charges des grandes opérations qui sont menées. À titre d’exemple, sur le Village des athlètes, 75 % des matériaux mis en œuvre de façon temporaire pour la phase Jeux seront réemployés dans la phase héritage.
Début 2022, le groupe a pris l’engagement de faire certifier sa trajectoire « zéro émission nette » alignée 1,5 °C par l’organisme international SBTi (Science Based Targets initiative). Où en êtes-vous ?
E.D. C’est chose faite, depuis le 6 octobre dernier : l’initiative Science Based Targets (SBTi) a validé nos objectifs de décarbonation à l’horizon 2030 et 2050 pour chacun de nos trois métiers, conformément aux attentes du Net-Zero Standard. Nous sommes très fiers de cette reconnaissance par un organisme indépendant de référence. En amont de cela, nous avions proposé au vote de nos actionnaires nos stratégies climat & biodiversité lors de notre assemblée générale d’avril dernier. La résolution (« Say on climate & biodiversity ») a été approuvée à plus de 99 % ! Tous les ans, nous mesurerons notre empreinte carbone et l’atteinte de nos objectifs.
Et qu’en est-il en matière de consommations d’énergie ? Avant même les politiques de sobriété, le directeur général d’Icade, Olivier Wigniolle, expliquait à La Tribune que vous pouviez les diminuer de 20 % grâce aux outils de modélisation pour analyser les cycles de vie des bâtiments…
E.D. Nous devons être au rendez-vous de ce niveau de performance énergétique et bas-carbone, que ce soit en termes d’isolation et de performance thermique, ou en termes de biodiversité. Par exemple, à Versailles, nous développons sur une friche militaire de 19 hectares les « Jardins de Gally » qui mêlent 12 hectares de pleine terre et 50 000 m2 : 550 logements, 5 000 m² d’activités professionnelles, 5 000 m² d’hôtels, une halle, une crèche ou encore une école. Nous avons renaturé 20 % du terrain initial avec de lourdes étapes de dépollution de désartificialisation et de désimperméabilisation. Cette cité-jardin, où nous avons planté 4 000 arbres, sera ouverte sur l’espace public.
Est-ce la déclinaison de votre programme « Un arbre, Un habitant » ?
E.D. Pour tous les logements familiaux que nous produisons, soit 6 000 à 7 000 par an, nous nous engageons à planter un arbre par habitant. Sachant qu’un appartement compte en moyenne 2,5 personnes, cela en fait 15 000 au total. Par exemple, sur chaque balcon ou terrasse, nous planterons un arbre mono-tige grâce à « Symbiose by Icade », nouvelle offre lancée par un de nos collaborateurs, qui permet d’alimenter en eau les espaces extérieurs sans être relié au réseau. À l’heure de la non-artificialisation des sols, nous devons faire entrer la nature en ville.
Justement, comment abordez-vous le sujet de la non-artificialisation des sols ?
E.D. Nous nous appuyons sur les règlements d’urbanisme, comme PLU ou PLU intercommunal. En parallèle, afin d’évaluer la biodiversité positive de nos opérations, nous mesurons le coefficient de biotope par surface (CBS) entre la phase d’avant- et d’après-projet, grâce à un outil de diagnostic de biodiversité. En 2021, 46 % de nos nouvelles constructions affichaient une biodiversité positive. Enfin, au travers de nos projets d’aménagement urbain portés par nos équipes
Lors de la présentation de votre stratégie bas-carbone en septembre 2021, Icade a lancé une filiale baptisée « Urbain des bois » et s’est engagée à faire certifier 100 % de ses programmes de bureaux neufs de plus de 5 000 m2, ainsi que 50 % de ses logements par le label d’État « Énergie positive et réduction carbone ». Un an après, où en êtes-vous dans vos démarches ?
Emmanuel Desmaizières Nous avons atteint nos objectifs, et avons même accéléré ! En effet, nous avons décidé d’aligner nos trois métiers sur une trajectoire 1,5 °C, conformément à l’Accord de Paris. Pour ce faire, nous nous sommes fixé, pour le pôle Promotion, de réduire nos émissions carbone de nos activités de 41 % entre 2019 et 2030. D’ores et déjà, la majorité de nos projets sont bas-carbone et, pour la plupart, dépassent largement les exigences de la Réglementation Environnementale (RE2020). Chez Icade Promotion, nous avons par exemple plus de 475 000 m2 de projets en construction bois, en cours ou livrés. Par exemple, le Village des athlètes à Saint-Ouen-sur-Seine, en construction mixte bois/béton bas-carbone et éco-conçu avec du réemploi, n’émettra que 740 kg de CO2 par mètre carré, soit 50 % de moins par rapport à un programme traditionnel.
L’économie circulaire va-t-elle devenir la norme dans le BTP ?
E.D. Nous avons été précurseurs en la matière en créant avec Egis, dès 2017, Cycle Up, une plateforme de réemploi pour mettre à disposition des matériaux d’un chantier A à un chantier B. Nous récupérons ainsi des cloisons, des portes, des sanitaires ou encore des faux planchers que nous réinstallons dans des projets neufs. Force est de constater que l’ensemble du secteur s’est saisi de ce levier et que le réemploi fait désormais partie du cahier des charges des grandes opérations qui sont menées. À titre d’exemple, sur le Village des athlètes, 75 % des matériaux mis en œuvre de façon temporaire pour la phase Jeux seront réemployés dans la phase héritage.
Début 2022, le groupe a pris l’engagement de faire certifier sa trajectoire « zéro émission nette » alignée 1,5 °C par l’organisme international SBTi (Science Based Targets initiative). Où en êtes-vous ?
E.D. C’est chose faite, depuis le 6 octobre dernier : l’initiative Science Based Targets (SBTi) a validé nos objectifs de décarbonation à l’horizon 2030 et 2050 pour chacun de nos trois métiers, conformément aux attentes du Net-Zero Standard. Nous sommes très fiers de cette reconnaissance par un organisme indépendant de référence. En amont de cela, nous avions proposé au vote de nos actionnaires nos stratégies climat & biodiversité lors de notre assemblée générale d’avril dernier. La résolution (« Say on climate & biodiversity ») a été approuvée à plus de 99 % ! Tous les ans, nous mesurerons notre empreinte carbone et l’atteinte de nos objectifs.
Et qu’en est-il en matière de consommations d’énergie ? Avant même les politiques de sobriété, le directeur général d’Icade, Olivier Wigniolle, expliquait à La Tribune que vous pouviez les diminuer de 20 % grâce aux outils de modélisation pour analyser les cycles de vie des bâtiments…
E.D. Nous devons être au rendez-vous de ce niveau de performance énergétique et bas-carbone, que ce soit en termes d’isolation et de performance thermique, ou en termes de biodiversité. Par exemple, à Versailles, nous développons sur une friche militaire de 19 hectares les « Jardins de Gally » qui mêlent 12 hectares de pleine terre et 50 000 m2 : 550 logements, 5 000 m² d’activités professionnelles, 5 000 m² d’hôtels, une halle, une crèche ou encore une école. Nous avons renaturé 20 % du terrain initial avec de lourdes étapes de dépollution de désartificialisation et de désimperméabilisation. Cette cité-jardin, où nous avons planté 4 000 arbres, sera ouverte sur l’espace public.
Est-ce la déclinaison de votre programme « Un arbre, Un habitant » ?
E.D. Pour tous les logements familiaux que nous produisons, soit 6 000 à 7 000 par an, nous nous engageons à planter un arbre par habitant. Sachant qu’un appartement compte en moyenne 2,5 personnes, cela en fait 15 000 au total. Par exemple, sur chaque balcon ou terrasse, nous planterons un arbre mono-tige grâce à « Symbiose by Icade », nouvelle offre lancée par un de nos collaborateurs, qui permet d’alimenter en eau les espaces extérieurs sans être relié au réseau. À l’heure de la non-artificialisation des sols, nous devons faire entrer la nature en ville.
Justement, comment abordez-vous le sujet de la non-artificialisation des sols ?
E.D. Nous nous appuyons sur les règlements d’urbanisme, comme PLU ou PLU intercommunal. En parallèle, afin d’évaluer la biodiversité positive de nos opérations, nous mesurons le coefficient de biotope par surface (CBS) entre la phase d’avant- et d’après-projet, grâce à un outil de diagnostic de biodiversité. En 2021, 46 % de nos nouvelles constructions affichaient une biodiversité positive. Enfin, au travers de nos projets d’aménagement urbain portés par nos équipes Synergies Urbaines, et de notre nouvelle offre AfterWork dédiée à la restructuration et à la transformation des bureaux, nous construisons la ville sur la ville et participons à l’atteinte de l’objectif de zéro artificialisation nette de la France.
nature: La personnalisation est une erreur
La personnalisation de la nature est une erreur
Louis de Redon est par ailleurs avocat Of Counsel au sein du cabinet Mialot Avocats où il conseille et défend, notamment, plusieurs associations de protection de l’environnement et collectivités territoriales.
Face aux menaces toujours plus prégnantes des activités humaines et des pollutions qu’elles génèrent, et alors que nous sommes entrés dans ce que les scientifiques appellent la sixième extinction de masse, beaucoup s’interrogent sur le cadre juridique dans lequel nous évoluons : celui-ci n’interdirait-il pas, de manière structurelle, une politique ambitieuse de conservation de la nature ?
Comme si tous nos efforts seraient vains tant que la table des paradigmes fondamentaux n’est pas renversée.
Parmi les objets principiels questionnés, celui de la singularité de l’être humain dans l’ordre du vivant ; et donc la personnalité juridique qui lui est accordée.
Ainsi, dans le débat public, l’idée est portée de faire de la nature, et/ou de certaines de ses composantes, des personnes. À en croire les tenants de cette innovation, qui n’en est pas une, la personnalité serait le remède à bien des maux. La nature, jusque-là sans voix et sans droit, serait alors considérée par la justice.
Quelle est la finalité recherchée d’une telle proposition ?
Si l’objectif est de parvenir à une sanctuarisation du vivant non humain à hauteur du vivant humain, pour garantir la conservation de la nature, alors ce saisissement relève d’une vision fantasmée de la condition d’« Homo sapiens ».
Pour apporter des éléments de réponse, il est primordial de s’interroger sur ce qu’est la personnalité juridique (et surtout sur ce qu’elle n’est pas) : son périmètre, les enjeux qui y sont attachés et, bien entendu, les effets de son attribution.
En résumé, dire si la personnalisation de la nature serait une nouvelle fausse bonne idée.
La personnalité est avant tout une fiction juridique. Au sens étymologique (du latin persona : le « masque d’acteur »), c’est le masque dont les citoyens s’affublent pour prendre part à la comédie humaine. Cette fiction nous impose de jouer dans une pièce aux règles clairement définies. Ainsi, une personne est avant tout un acteur de la vie en société, soumis au droit.
La personnalisation de la nature: une erreur
Louis de Redon est par ailleurs avocat Of Counsel au sein du cabinet Mialot Avocats où il conseille et défend, notamment, plusieurs associations de protection de l’environnement et collectivités territoriales.
Face aux menaces toujours plus prégnantes des activités humaines et des pollutions qu’elles génèrent, et alors que nous sommes entrés dans ce que les scientifiques appellent la sixième extinction de masse, beaucoup s’interrogent sur le cadre juridique dans lequel nous évoluons : celui-ci n’interdirait-il pas, de manière structurelle, une politique ambitieuse de conservation de la nature ?
Comme si tous nos efforts seraient vains tant que la table des paradigmes fondamentaux n’est pas renversée.
Parmi les objets principiels questionnés, celui de la singularité de l’être humain dans l’ordre du vivant ; et donc la personnalité juridique qui lui est accordée.
Ainsi, dans le débat public, l’idée est portée de faire de la nature, et/ou de certaines de ses composantes, des personnes. À en croire les tenants de cette innovation, qui n’en est pas une, la personnalité serait le remède à bien des maux. La nature, jusque-là sans voix et sans droit, serait alors considérée par la justice.
Quelle est la finalité recherchée d’une telle proposition ?
Si l’objectif est de parvenir à une sanctuarisation du vivant non humain à hauteur du vivant humain, pour garantir la conservation de la nature, alors ce saisissement relève d’une vision fantasmée de la condition d’« Homo sapiens ».
Pour apporter des éléments de réponse, il est primordial de s’interroger sur ce qu’est la personnalité juridique (et surtout sur ce qu’elle n’est pas) : son périmètre, les enjeux qui y sont attachés et, bien entendu, les effets de son attribution.
En résumé, dire si la personnalisation de la nature serait une nouvelle fausse bonne idée.
La personnalité est avant tout une fiction juridique. Au sens étymologique (du latin persona : le « masque d’acteur »), c’est le masque dont les citoyens s’affublent pour prendre part à la comédie humaine. Cette fiction nous impose de jouer dans une pièce aux règles clairement définies. Ainsi, une personne est avant tout un acteur de la vie en société, soumis au droit.
La personne est ensuite un « sujet de droit ». À ce titre, elle dispose de droits et de devoirs : des obligations regroupées au sein de son « patrimoine » (du latin pater : ce qui vient du « père ») ; un patrimoine dont nous avons hérité et que nous ambitionnons de transmettre aux générations futures.
Pour que cette transmission ait lieu, nous devons faire des choix. La personnalité, c’est cela : être en capacité de choisir. Être capable de différencier le bien du mal, le juste de l’injuste, le légal de l’illégal, et de répondre de ces choix devant la justice des hommes. Doués de raison, « Homo sapiens » est l’animal sachant, et la raison, le savoir et la capacité à dépasser notre instinct de prédateur, emportent notre responsabilité.
Les personnes sont les entités juridiques responsables de leurs actes.
Il existe deux grands types de personnes : les hommes et les femmes de chair et d’os – personnes physiques –, et leurs regroupements – personnes morales – (l’État, ses collectivités, les entreprises et les associations).
Qu’elles soient physiques ou morales, ces personnes sont soumises au droit, disposent d’un patrimoine, ont des obligations de faire et de ne pas faire, et engagent leur responsabilité devant les tribunaux.
Il fut un temps où les animaux étaient appréhendés par notre système judiciaire comme des personnes.
Au Moyen Âge, les cochons étaient jugés pour homicide et les pucerons pour ravages aux cultures. Un avocat était commis d’office. Le procureur prenait ses réquisitions. Et le glaive de la justice tombait : de l’écartèlement en place publique (puis exposition au gibet) de la truie mangeuse d’enfant à l’excommunication (à coups de goupillons) de moucherons fléaux des vergers, la machine pénale ne faisait pas dans le détail.
On le comprend, la personnalité n’est nullement un régime de protection. Et il existe des choses – res – qui disposent d’une protection intégrale et effective, à l’image des monuments historiques.
En réalité, la personnalité est un statut juridique qui soumet le sujet de droit à la loi ; qu’elle protège ou qu’elle ne protège pas (voire qu’elle menace et/ou sanctionne).
Pendant des siècles, le viol sur conjoint, une personne, était légal ; il était même encouragé. Il s’appelait alors « devoir conjugal » : que l’épouse consente, ou pas, à l’acte sexuel avec son époux, elle y était tenue, car soumise à cette règle du mariage (abrogée en 1990 en France).
Aujourd’hui encore, des dizaines de SDF meurent de froid chaque hiver dans la rue. Or ils disposent de la personnalité. Des milliers migrants meurent noyés chaque année dans la Méditerranée. Ils disposent aussi de la personnalité. Ce qui fait que les SDF et les migrants arrêteront de mourir sous notre regard aussi indifférent que coupable, ce n’est pas leur statut de personne, mais bien le régime juridique que nous déciderons, ou pas, de leur attribuer et les moyens humains, matériels et financiers, que nous allouerons, ou pas, à leur sauvetage.
Si nous attribuons la personnalité à certains fleuves, comme la Loire par exemple, qu’est-ce que cela changera ?
Si nous envisageons de passer par la création d’une association, c’est-à-dire le regroupement de femmes et d’hommes autour d’un objet visant à porter la voix de Loire dans le débat public et devant les tribunaux, alors cette solution existe déjà ! Elle est déjà inscrite dans notre droit : les associations de protection de l’environnement sont légions et elles ont joué, jouent encore et joueront toujours, un rôle aussi déterminant qu’indispensable en matière de lutte écologique.
En revanche si l’ambition est de donner la personnalité au fleuve lui-même, il faut alors se demander quels seront les droits et devoirs à lui opposer. Par exemple, dire en cas de crue si la Loire est responsable des dommages qu’elle cause et devant quelle juridiction elle aura à en répondre.
En réalité, la Loire est « objet de droit ». Elle fait partie du patrimoine commun de la Nation, res communis, tout comme la biodiversité ou les forêts, et nous avons l’obligation de la protéger.
Ce qu’il convient donc de faire, ce ne n’est pas de lui attribuer des droits et des devoirs, mais d’en imposer aux femmes et aux hommes qui sont interaction avec elle ; au premier rang desquels, les personnes qui en ont la charge : collectivités et administrations, mais aussi leurs émanations (comme l’Établissement Public Loire), qui établissent les règles d’usage et de conservation (et qui sont chargées d’en faire respecter l’application).
En cas de crue dévastatrice, ce n’est évidemment pas la responsabilité du fleuve qui est engagée, mais bien celle des élus et des techniciens qui ont, ou pas, établi le plan de prévention des risques et réalisé, ou pas, les investissements structurels nécessaires (déversoirs, barrages,…).
Finalement, si nous retenons la « patrimonialité » commune de la nature, qui est une belle idée interdisant une appropriation privée du vivant tout en mettant la communauté des hommes de manière solidaire face à sa responsabilité, la personnalité est alors non seulement inutile, mais aussi incompatible.
En effet, nous sommes, et serons toujours, dépendants des ressources naturelles et contraints à des prélèvements (de préférence responsables et durables). Or, on ne peut pas être une personne et entrer, même en partie, dans le patrimoine, même commun, d’une autre personne (il s’agit du principe d’indisponibilité du corps humain). Cela nous renverrait à une période de notre histoire où la propriété et l’exploitation de personnes par d’autres personnes étaient juridiquement possibles. Cela n’est évidemment plus acceptable.
La remise en cause de la summa divisio, c’est-à-dire la distinction cardinale entre les personnes et les choses, n’est pas un sujet de conservation de la nature. Elle relève d’une forme de misanthropie : elle pose la haine de l’être humain, et la négation de sa singularité dans le monde du vivant, comme un moyen de rupture écologique alternatif à une transition respectueuse de nos acquis humanistes.
Le mouvement d’écologie profonde pose une égalité biosphérique de principe (tous les êtres vivants seraient d’égale dignité), autour d’une affirmation de l’antispécisme (un mouvement qui entend mettre fin à la discrimination des hommes envers les animaux), et la remise en cause de la personnalité juridique est structurante de ce choix civilisationnel. Il s’agit d’un combat politique et idéologique bien plus qu’écologique.
Cela n’est assurément pas l’ambition de nombreuses personnes qui s’interrogent sur la personnalité. Il peut alors être soumis à leur critique que donner à la nature un statut identique à celui des hommes conduit finalement à l’assimiler à ce que nous sommes plutôt qu’à la reconnaître pour ce qu’elle est. Et cela serait finalement une négation de la singularité du vivant non humain.
Ou bien est-ce un simple cache-sexe posé devant notre incapacité à faire des choix qui nous engagent et qui nous responsabilisent face à la crise que nous provoquons !
Or, nous n’avons plus le temps pour les fausses bonnes idées, pour le greenwashing ou pour l’alibi écologique aux luttes idéologiques.
Nous sommes soumis à une obligation de résultat : sauver la biodiversité ou périr avec elle. Si la personnalité a été attribuée à la nature, ou à certaines de ses composantes, dans quelques autres pays à la culture juridique bien différente de la nôtre (comme l’Équateur, la Bolivie, Inde, la Colombie ou encore la Nouvelle-Zélande), le moins que l’on puisse dire, c’est que cela n’a pas entraîné de progrès foudroyants en matière de protection de l’environnement ; parfois même l’inverse.
En conclusion, il convient de dire avec force que la personnalisation de la nature s’inscrit soit dans une conceptualisation anthropocentrée du monde qui nous entoure, soit dans la négation de la dignité humaine qui est au cœur de notre projet de société ; il n’y pas d’alternative.
En tout état de cause, l’attribution de la personnalité n’est point ajustement juridique. Il s’agit d’un séisme qui ébranle l’édifice même de cinq cents ans de construction de l’État de droit et d’affirmation progressive des droits de l’Homme (sur la notion d’État, voir aussi les trois leçons au Collège de France de Pierre Bourdieu).
La nature ne peut être juridiquement une personne ; sauf à redéfinir ce qu’est une personne et donc ce qu’est le droit et ce qu’est notre société.
Entre le paradis supposé – voire fantasmé – de la personnalité, et l’enfer supposé – voire caricaturé – des choses, nous sommes pour l’instant au purgatoire du brainstorming…
Plutôt que de soumettre la nature aux choix des hommes, pourquoi ne pas la reconnaître (enfin) comme un véritable objet de droit ; un objet, certes, mais un objet singulier, précieux et fragile, devant être saisi à la fois avec force et délicatesse par un droit sui generi. Une troisième voie juridique, ni personne, ni chose ; une voie sur mesure tracée en fonction des enjeux de conservation, mais aussi de responsabilisation des acteurs humains.
dans The Conversation
Environnement -Droits accordés à la nature: des principes très théoriques
Les organisations environnementales les plus radicales réclament déjà depuis un moment une sorte de révolution juridique avec la reconnaissance d’une personnalité juridique de la nature. D’après eux, cela donnerait l’occasion de changer la vision du monde fondée sur la prééminence de l’être humain sur la planète.
Pourtant accorder des droits à ceux qui ne peuvent pas les exercer relèvent d’une certaine naïveté voire d’une certaine hypocrisie.
En effet, comment s’organisera la prise en charge de la défense des droits sinon par l’intermédiaire humain. D’une certaine manière, l’intermédiation humaine interviendrait donc à la fois comme institution judiciaire en même temps que défenseur des droits de la nature.
Cette idée qu’on peut comprendre compte tenu de l’ampleur des dégâts et des enjeux environnementaux ne peut être opérationnelle et sera forcément gérée de manière humaine.
Dans cette revendication, il ne s’agit pas simplement de reconnaître des droits au vivant mais à l’ensemble de la nature ( montagne, mer, terre etc.).
Juridiquement, ces propositions peuvent paraître assez irréalistes. En particulier si on reconnaît des droits on pourrait aussi reconnaître des devoirs. Exemple pourquoi pas aussi un procès à un volcan qui causerait des dommages à la nature et ou au vivant !
Ce positionnement environnemental radical n’a guère de sens.
Comment représenter la nature dans les grandes orientations
Comment représenter la nature dans les grandes orientations
Si un discours non anthropocentré est moralement souhaitable, il soulève de nouvelles difficultés pour les organisations, observent les chercheurs Benoît Demil, Xavier Lecoq et Vanessa Warnier dans une tribune au « Monde ».
Le second sens de la représentation concerne la façon d’inclure la nature dans les débats et les prises de décision relatifs aux aménagements du territoire, à l’usage des ressources naturelles et, plus généralement, aux activités humaines. Evidemment, les deux perspectives sont liées : l’inclusion du vivant ou de paysages dans les décisions dépend largement de la conception de la nature dans nos sociétés.
Après de nombreux pays européens, la France a finalement interdit cette pratique en prévoyant cependant un moratoire de sept ans pour permettre aux cirques de s’adapter …..