Inégalités: dès la naissance
Les chercheuses Lidia Panico et Anne Solaz rappellent, dans une tribune au « Monde », que, pour être efficace, la lutte contre les inégalités doit commencer bien avant l’école.
Tribune.
La petite enfance est une phase-clé pour le développement cognitif, social et émotionnel, ainsi que pour la croissance et la santé. De fortes disparités socio-économiques existent dès les premiers jours de vie dans presque tous les pays. La France n’est pas à l’abri de ces inégalités. Jusqu’à récemment, il y avait peu d’études sur le sujet, faute de grandes enquêtes représentatives au niveau national sur les jeunes enfants permettant de croiser origines sociales, santé et bien-être des enfants. L’Etude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe), qui suit plus de 18 000 enfants nés en 2011, a permis de faire plusieurs constats.
Il en ressort que, malgré un système de protection sociale généreux envers les familles, les inégalités socioé-conomiques de santé et de développement sont très marquées en France, dès la naissance. Par exemple, on observe un plus fort risque de prématurité ou de faible poids à la naissance chez les ménages les plus défavorisés. C’est aussi visible en matière de développement du langage. Alors que, en moyenne, aux alentours de leurs 2 ans, les enfants connaissent 74 mots parmi une liste de 100 mots proposés, ceux dont la mère a un niveau de diplôme inférieur au BEPC en connaissent 4 de moins, tandis que ceux dont la mère a un diplôme bac + 2 ou plus en connaissent 6 de plus. Vers 5 ans, des inégalités en matière de santé mentale sont mesurées, avec les enfants de milieu défavorisé à plus grand risque de connaître des difficultés socio-émotionnelles.
Quels mécanismes produisent ces inégalités et comment y remédier ? Les politiques du quinquennat actuel ont surtout misé sur les modes d’accueil extérieurs à la famille et l’éducation précoce. Depuis 2019, l’âge de l’instruction obligatoire a été abaissé à 3 ans (au lieu de 6), avec l’objectif théorique de réduire les inégalités sociales dès le plus jeune âge. L’une de ses mesures-phares de la stratégie nationale de prévention et d’action contre la pauvreté est de favoriser l’accès en crèche aux plus fragiles, notamment à travers la création d’un bonus mixité pour encourager la diversité sociale, et d’un plan de formation des professionnels de la petite enfance.
Est-ce que ces politiques fonctionnent ? Réduisent-elles les inégalités pendant la petite enfance ? Si on manque encore, à regret, d’évaluations directes de ces mesures, nos études suggèrent que oui, mais seulement jusqu’à un certain point.
Le développement du langage, par exemple, diffère entre les enfants selon le mode d’accueil utilisé. Les enfants accueillis en crèche ont acquis un vocabulaire plus riche que ceux gardés par leurs parents ou par leurs grands-parents, et ce, surtout chez les enfants plus défavorisés. Le contact avec des professionnels de la petite enfance, proposant des activités adaptées, pourrait être source d’enrichissement du vocabulaire. Les modes d’accueil collectif pourraient donc être des outils pour atténuer les inégalités. Mais ces modes d’accueil sont encore inégalement répartis à la fois territorialement et socialement, car accessibles en priorité aux parents en activité professionnelle et pouvant en supporter le coût (même si celui-ci est souvent modulé selon les revenus).