Le mystérieux monde quantique
La physique quantique contredit nos sens et bouscule notre logique. Ainsi l’« intrication quantique », sa capacité à produire deux objets éloignés loin l’un de l’autre, mais qui peuvent constituer un seul tout. Directeur du département de physique appliquée de l’université de Genève et pionnier de la téléportation et de l’informatique quantiques, Nicolas Gisin tente d’éclairer la question de la superposition de plusieurs réalités dans une interview du Point.
Comment la physique quantique produit-elle un phénomène tel que l’intrication quantique : le fait que deux objets très éloignés l’un de l’autre puissent constituer un seul tout ?
Nicolas Gisin : En fait, il est relativement facile de produire de l’intrication. En revanche, il est très difficile de ne pas la perdre quasi instantanément. Notamment lorsque ces objets sont des photons – des particules de lumière qui se propagent à la vitesse de la lumière. L’intrication est fragile, c’est pour cette raison qu’il est aussi difficile de la mettre en évidence.
Cela sous-entend tout de même l’existence d’un hasard capable de se manifester simultanément en plusieurs endroits ?
Effectivement. L’intrication semble permettre des communications sans support physique. Mais c’est une illusion. C’est un peu comme un téléphone qui génère un bruit lors d’une communication, c’est aléatoire et non localisé, car le bruit se manifeste dans deux appareils téléphoniques en même temps.
L’intrication est une propriété contagieuse ?
Non, aucun risque. Au contraire, l’intrication est monogame : si deux objets sont intriqués d’une façon maximale, alors ils ne peuvent être intriqués avec un troisième. En revanche, on peut permuter l’intrication, la faire passer des objets 1 et 2 à des objets 3 et 4.
Est-il exact que Newton avait prédit la non-localité, mais ajouté qu’il fallait « être fou » pour croire en sa théorie ?
Newton s’est rendu compte que sa théorie de la gravitation universelle était non locale, et il ne croyait pas, à juste titre, à cette non-localité. On ne saura jamais s’il aurait accepté la non-localité « quantique ». Aujourd’hui, cette non-localité « quantique » est un fait expérimental établi.
Cette stupéfiante non-localité quantique a-t-elle des applications concrètes, ou n’est-elle que pure création intellectuelle ?
Quand en 1991, Artur Ekert, grand spécialiste de l’information quantique, a réalisé que la non-localité quantique permettait de générer des clés cryptographiques à distance, cela a surpris beaucoup les physiciens qui croyaient que cette non-localité ne servait à rien.
Peut-on dire que l’on abolit la notion de temps et d’espace ?
Non, l’espace et le temps restent des concepts primordiaux en physique. Toutefois, elle montre que notre compréhension actuelle de l’espace et du temps est probablement trop naïve.
La physique quantique rend donc possible la téléportation imaginée par la science-fiction ?
La téléportation science-fiction reste de la science-fiction : la matière ne peut disparaître d’ici pour réapparaître ailleurs sans passer par un lieu intermédiaire. En revanche, la physique quantique permet de téléporter l’état d’un objet avec une précision atomique. C’est ce qu’on appelle la téléportation quantique.
Avez-vous déjà tenté une expérience de téléportation ?
De téléportation quantique, oui. Nous avons même été les premiers à démontrer une telle téléportation hors laboratoire.
Dans ce cas, c’est l’information et non l’objet lui-même qui circule ?
Oui, mais pas simplement la description de l’objet, c’est son état même d’objet qui disparaît – nécessairement – ici, pour réapparaître là-bas.
Peut-on imaginer pouvoir, un jour, télétransporter des êtres vivants ?
Probablement pas. En tout cas pas aujourd’hui ni dans un avenir prévisible !