Transition électrique: Surtout des mots
En effet, selon une nouvelle étude du réseau de recherche autour des énergies renouvelables REN21, la Chine est seul pays qui a augmenté significativement la part de l’électricité dans son mix global. De 2011 à 2021, celle-ci a crû de 20% à 30%, tandis qu’en Europe et aux Etats-Unis, ce pourcentage a stagné autour de 23% sur la même période. Or, « l’électrification est un levier très important pour réduire la consommation globale et les émissions de gaz à effet de serre », souligne à La Tribune la directrice de REN21, Rana Adib.
En France, l’organisme de référence sur la trajectoire énergétique de la France, RTE, le répète d’ailleurs régulièrement : pour tenir ses objectifs de décarbonation, il faudra utiliser moins d’énergie…mais beaucoup plus d’électricité (+34% en 13 ans). Et pour cause, la transition consistera à convertir une grande partie des usages thermiques d’aujourd’hui (pétrole, gaz…), à coup de véhicules électriques, de production d’hydrogène propre, d’électrification des procédés industriels et de pompes à chaleur dans les logements.
Mais pour REN21, ce mouvement n’est « pas assez rapide », dans l’Hexagone comme ailleurs, « aussi bien dans les transports, que les bâtiments et l’industrie ». En une décennie, l’électrification des bâtiments dans le monde n’a aussi augmenté que de 2%, pointe le réseau, contre +12% pour la Chine seule. Mais ce sont bien les transports qui restent « de loin le plus mauvais élève », pointe Rana Adib, avec une croissance de 0,2% seulement (1,1% en Chine). L’agriculture fait cependant figure d’exception, avec une utilisation d’électricité de 20% à 27% sur ce laps de temps.
Pourtant, la plupart des régions du monde ne restent pas les bras croisés. Dans les transports, les voitures électriques représentaient 18% de toutes les ventes en 2023, soit une croissance de 35% sur un an, relève REN21. Au global, les investissements dans le domaine ont augmenté de 36% en 2023. Et « au moins 18 pays ont annoncé de nouvelles politiques au cours de l’année pour soutenir » ce type de véhicules. Les gouvernements ont ainsi eu recours à divers instruments, notamment des objectifs chiffrés, des incitations fiscales telles que des réductions d’impôts et des subventions, souligne le rapport.
Celui-ci mentionne par exemple le Maroc, lequel a annoncé un budget de 2,24 milliards de dollars pour la mobilité électrique. Ou encore l’Australie et le Brésil, qui ont publié leur stratégie nationale en la matière. De son côté, la Pologne a mis en place des subventions allant jusqu’à 90% du coût de 79 modèles de véhicules électriques. Quant à la Norvège, elle est en passe d’atteindre son objectif de vendre 100% de voitures neuves d’ici 2025 à l’électricité ou à l’hydrogène, « et s’apprête désormais à interdire la vente de camions équipés d’un moteur à combustion interne ».
En 2023, la France a elle aussi agi, en renouvelant son fameux bonus écologique. Et dans l’Union européenne, une décision radicale a été prise l’année précédente : dès 2035, plus aucune voiture à essence, diesel ou hybride neuves ne sera commercialisée sur le Vieux continent, au profit du tout électrique – ce qui suscite d’ailleurs des débats houleux pendant la campagne des Européennes.
Même son de cloche sur l’industrie : « de nombreuses entreprises explorent des solutions d’énergie renouvelable, notamment le chauffage solaire thermique, la géothermie et les technologies de biomasse », relève REN21. Certaines envisagent de passer des hauts fourneaux aux fours électriques, et « pilotent des approches innovantes telles que l’injection d’hydrogène dans la fabrication de l’acier ». Par ailleurs, les secteurs de l’alimentation et du papier « utilisent de plus en plus la bioénergie, les pompes à chaleur à l’échelle industrielle et les systèmes solaires thermiques », note le rapport.
Enfin, dans les bâtiments, les pompes à chaleur remplacent de plus en plus les chaudières à gaz. Au niveau mondial, celles-ci ont augmenté de 10% en 2023 par rapport à 2022, un chiffre qui monte même à 38% si l’on se concentre sur l’Europe.
Alors, pourquoi les chiffres restent-ils si mauvais au global ? Pour les transports, il s’agit toujours du secteur avec la part d’énergies renouvelables la plus faible, avec seulement 3,9% en 2021. Surtout, après la forte baisse des émissions de gaz à effet de serre enregistrée pendant la pandémie, les émissions ont continué d’augmenter en 2022, « tirées principalement par la croissance du secteur de l’aviation », précise REN21. D’ailleurs, « le ferroviaire, l’aérien et le maritime ont bénéficié d’un soutien politique moindre » pour effectuer leur transition, note le rapport. Et en général, le secteur continue de souffrir d’un manque de « planification stratégique », estime Rana Adib.
« La semaine dernière, au Forum international sur les transports, la transition énergétique et le rôle des renouvelables n’ont quasiment pas été mentionnés. Sur le sujet, on voit une électrification massive en Chine, mais pour l’instant ça s’arrête là » glisse-t-elle.
Manqueraient aussi des objectifs de réduction de la demande, à travers des politiques publiques ambitieuses, poursuit la directrice de REN21. En outre, celle-ci note que de nombreuses subventions aux combustibles fossiles ont été mises en place pendant la crise, parmi lesquelles des remises à la pompe non ciblées vers les ménages dans le besoin.
Par ailleurs, dans le secteur des bâtiments, malgré les avancées, la plupart des objectifs « ont été limités aux nouveaux bâtiments résidentiels et principalement pour les chauffe-eau solaires ou les installations solaires sur les toits », selon REN21. « On pourrait dire : installez des pompes à chaleur et du solaire sur vos toits, avec d’importants dispositifs d’accompagnement. Mais ça n’arrive pas encore, ou très peu », considère Rana Adib.
Enfin, pour l’industrie, l’électrification se heurte à des défis physiques liés aux processus à haute température, tels que la fabrication de l’acier ou la production de ciment, note REN21. Pour de nombreux procédés, l’hydrogène bas carbone est ainsi identifié comme une solution plus adaptée. Mais là aussi, les progrès restent limités en raison de « coûts de production élevés », d’un « manque de subventions », de la « perception de risque élevé » de la part du secteur financier, ou encore du « manque de normes cohérentes ».