Hausse des températures et de la mortalité
Cette année, déjà marquée par le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré sur Terre, les décès liés à la chaleur dépasseront encore de loin la centaine de milliers dans le monde. En 2022 en Europe seule, la saison estivale, avait déjà causé près de 60 000 victimes sur le continent dont 5 000 en France.
par François Lévêque
Professeur d’économie, Mines Paris dans The Conversation
La surmortalité du réchauffement est manifeste depuis plusieurs décennies. Un demi-pourcent de la mortalité totale mondiale est en effet attribuable à l’effet du changement climatique sur les hautes températures. Un tiers en somme de tous les décès de chaleur.
Mais attention la relation entre élévation de la température et mortalité n’est pas à sens unique. Le réchauffement diminue aussi les journées et les pics de grand froid, et donc la mortalité qui leur est associée. Celle-ci ne se réfère pas spécifiquement au fait que des personnes meurent de froid par hypothermie. De même que la mortalité liée à la chaleur ne se résume pas aux décès par hyperthermie. Les températures plus basses ou plus hautes fragilisent les constitutions et accentuent les troubles pathologiques et, finalement, réduisent l’espérance de vie.
Le réchauffement entraîne donc plus de morts d’un côté mais moins aussi d’un autre. Ce second phénomène qui complique le décompte de la mortalité des nouvelles températures peut être très significatif. Au Mexique, par exemple, il a été calculé qu’une journée à plus de 32 °C se solde par un demi-millier de morts mais qu’une journée à moins de 12 °C par dix fois plus. Très peu d’habitations y disposent en effet de chauffage.
Il convient donc de tenir compte aussi de cette sous-mortalité. Mais dans quelle mesure compense-t-elle la surmortalité de chaleur ? En totalité pour les trente dernières années, selon une étude publiée dans The Lancet en 2021. Un résultat à prendre toutefois avec des pincettes à cause de la méthode suivie qui se fonde sur une température dite optimale, celle correspondant au minimum de décès observés.
Pour le futur, il n’y a en revanche pas de doute sérieux sur le caractère seulement partiel de la compensation.
Augmentation de la mortalité mondiale en fonction de la hausse des températures moyennes. Scientific Reports, 2021
Une illustration en est donnée par la figure ci-dessous extraite d’un article publié en 2021 dans la revue Scientific Reports.
Citons également une étude qui permet de chiffrer à 17,6 millions les décès additionnels en 2100 liés à l’élévation des températures – en prenant bien en compte la sous-mortalité liée au froid. Ce chiffre repose sur l’hypothèse d’une planète comptant 8 milliards de Terriens et sur l’estimation d’une augmentation nette de la mortalité qui s’élèverait à 220 décès pour 100 000 habitants, soit le ratio d’aujourd’hui pour les décès d’accidents cardiovasculaires. C’est considérable.
La sous-mortalité du froid doit être prise en compte sans fard et sans états d’âme car elle jette une lumière crue sur les inégalités face au réchauffement. Elle accentue les écarts de mortalité au sein d’un même État ou union d’États : entre la population des régions froides et des régions chaudes du Mexique, de l’Inde, des États-Unis ou de l’Europe, par exemple. Elle renforce les inégalités entre régions du monde : les États-Unis et l’Europe devraient connaître à l’horizon 2100 une surmortalité liée à l’élévation des températures légèrement positive et même négative.
La moyenne citée plus haut de 220 décès pour 100 000 habitants masque en effet une très grande hétérogénéité avec un ratio de +14,8/100 000 et de – 14,3/100 000 pour respectivement les États-Unis et l’Europe, tandis qu’il atteint +334/100 000 pour l’Union indienne.
Selon une étude de synthèse publiée en 2022 sous l’égide de l’American Thoracic Society, la mortalité liée au froid représente la moitié de la mortalité liée à la chaleur en Europe mais seulement le quart pour la région du Moyen-Orient et du nord de l’Afrique.
Les inégalités plus tranchées dès lors que l’on tient compte de la sous-mortalité liée au froid risquent de renforcer les égoïsmes et rendre plus difficiles encore les discussions politiques nationales et internationales sur les efforts d’atténuation. Mais rien ne sert de faire l’autruche. Ni l’expression ni l’animal n’existent sur Sirius.
Le développement des travaux sur la mortalité des températures procure une nouvelle vision et apporte de nouveaux résultats sur le coût des émissions de carbone. Ils permettent de calculer les effets du réchauffement en décès additionnels par tonne d’émission nouvelle et d’intégrer la mortalité dans la détermination du coût social du carbone.
Explications de ce baragouin d’un Sirien :
Il faut compter 0,000226 décès associé à l’émission d’une tonne supplémentaire de dioxyde de carbone. Dit autrement et plus précisément, réduire les émissions de ce gaz d’un million de tonnes épargnerait 226 vies humaines entre 2020 et 2100.
Faisons plus parlant encore : les émissions de quatre Américains au cours de leur vie correspondent à un décès en plus sur la planète. Ce chiffre choc ainsi que les précédents sont issus d’un article du chercheur Daniel Bressler récemment paru dans Nature Communications. Ils reposent sur l’hypothèse d’une augmentation des températures de +4,1 °C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle et d’une estimation d’une surmortalité de chaleur cumulée au cours de cette période de près de 100 millions de personnes.
Cette métrique de la mortalité additionnelle par tonne de carbone en plus ou en moins offre une façon simple d’évaluer les effets des projets d’investissement qui émettent de nouvelles émissions ou les réduisent. Vous pouvez vous-même l’utiliser comme jauge lorsque vous hésitez à prendre le train ou l’avion ! De plus, contrairement à la métrique canonique du coût social du carbone, c’est-à-dire du coût monétaire pour la société d’une tonne en plus ou en moins, elle évite deux contraintes : celle de choisir un taux d’actualisation et celle de donner une valeur en dollar ou en euro à une vie humaine.
Vous vous souvenez peut-être d’une controverse entre un économiste américain, William Nordhaus, et un économiste anglais Nicolas Stern, le second aboutissant à un coût social du carbone incomparablement supérieur au premier. Leur divergence s’explique principalement par une position radicalement différente sur le taux d’actualisation à retenir, un paramètre nécessaire pour comparer des dollars ou des euros d’aujourd’hui avec des dollars ou des euros de demain. Un choix acrobatique et périlleux quand demain veut dire en 2100.
L’affectation d’une valeur monétaire à une vie humaine en moins ou en plus est un choix plus délicat et polémique encore. En témoignent les innombrables travaux économiques depuis plus d’un demi-siècle sur la valeur statistique d’une vie ainsi que la farouche opposition que cette démarche rencontre auprès de Terriens qui ne parlent pas le Sirien. La prise en compte d’une vie en moins ou d’une année de vie en moins est un premier choix à trancher que j’ai discuté ailleurs.
Il est décisif car les décès de mortalité liés aux températures concernent principalement des personnes âgées. Un second choix crucial est d’opter pour une valeur universelle ou pour une valeur dépendante du revenu. En termes crus, le décès d’un Indien vaut-il moins que celui d’un Américain ? Discuter de ce choix nous entraînerait trop loin ici.
Surtout qu’il ne remet pas en cause le résultat que je veux souligner : la prise en compte de la mortalité des températures modifie considérablement la donne sur les effets économiques du réchauffement, la perte des vies humaines devenant le premier poste des dommages du réchauffement.
Prenons l’exemple du modèle climat-économie de William Nordhaus de 2016. La mortalité y représente seulement quelques pourcents des dommages. Les décès pris en compte se limitent en effet essentiellement à ceux occasionnés par le travail en extérieur des ouvriers agricoles et du bâtiment. Le coût social de la tonne de carbone s’élève à 38 euros.
En moulinant le même modèle mais en y ajoutant l’ensemble des décès liés à la chaleur, Daniel Bressler aboutit à un coût social du carbone égal à 258 dollars la tonne. Ce chiffre repose sur une valeur universelle d’une année de vie égale à quatre fois la moyenne globale de la consommation par habitant de la planète en 2020, soit 48 000 dollars. Bien entendu, le coût de mortalité du carbone est très sensible à cette valeur. Deux fois plus petite, le coût social de carbone devient 177 dollars/t, tandis qu’une valeur double conduit à 414 dollars/t.
Ce résultat a été confirmé par d’autres travaux. Un modèle récent intégrant un module complet sur les dommages de mortalité parvient à un coût social du carbone à 185 dollars/t dont 90 pour le seul poste de la mortalité.
Un autre article s’intéressant uniquement à ce poste l’estime à 144 dollars/t sur la base d’hypothèses de valeur d’une vie et de taux d’actualisation comparables à ceux du travail de Daniel Bressler. Ses auteurs se livrent par ailleurs à de multiples analyses de sensibilité du coût social de mortalité du carbone à ces deux variables. Il faut par exemple diviser les 144 euros/t à peu près par 3 en passant d’un taux d’actualisation de 2 % à 3 % ou bien en passant d’une valeur d’une vie universelle à une valeur d’une vie variable selon le revenu per capita des pays. Le passage en années de vie correspond de son côté à une division par deux.
Le futur coût social du carbone en discussion aujourd’hui aux États-Unis devrait tenir compte pleinement des pertes de vies humaines. C’est une décision importante car cette donnée est utilisée pour évaluer les décisions d’investissement public. Il est proposé par l’Agence pour l’Environnement et divers experts qu’il passe des 51 dollars/t d’aujourd’hui à 185 dollars/t. De façon générale, l’intégration de la mortalité dans le coût social du carbone en l’augmentant significativement justifie des actions de réduction de beaucoup plus grande ampleur. Elle les rend bénéfiques aux Terriens.
Les chiffres sur la mortalité liée aux températures à l’horizon du siècle prochain qui ont été mentionnés jusque-là reposent sur une vision pessimiste de l’avenir. Ils correspondent au scénario d’une poursuite des émissions de gaz à effet de serre au rythme actuel – le scénario dit RCP 8.5 des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Leur réduction autorisant une élévation moins forte des températures permettrait de limiter considérablement les dommages de mortalité. Reprenons le ratio des 220 décès pour 100 000 habitants en 2100. Dans le cas d’une stabilisation des émissions à un niveau faible (Scénario dit RCP 4.5) le ratio tombe à 40 décès, soit plus de cinq fois moins ! Si on reprend le coût cité plus haut de mortalité d’une tonne de carbone de 0,000226, l’effet est moins considérable mais reste impressionnant : une élévation de température de 2,4 °C au lieu de 4,1 °C le divise par plus de deux.
Les efforts d’atténuation que nous réaliserons permettent donc de sauver des vies humaines en très grand nombre. Cette conséquence positive de la transition n’est pas assez mise en avant. Vue de Sirius, elle offre pourtant une motivation et une justification simples aux Terriens à consentir des efforts de décarbonation d’envergure.
Quelles que soient les températures futures considérées, les projections de mortalité ne tiennent pas compte d’un autre puissant levier de réduction des décès : les marges d’adaptation des hommes et de la société face à la chaleur. Or, là encore, les effets peuvent être conséquents.
Ils sont toutefois difficiles à quantifier globalement. À ma connaissance, une seule étude s’y est essayée. Elle aboutit à une baisse de l’ordre de 15 % du risque de décès. Ce résultat repose cependant sur un jeu d’hypothèses très restrictives en particulier sur l’absence de politiques publiques d’adaptation. Or elles jouent un rôle clef. Ne serait-ce qu’à travers la mise en place d’alertes aux canicules et de diffusion de messages sur les règles de conduite à adopter pour s’en protéger. S’ajoutent de nombreux investissements publics, en particulier en ville pour lutter contre les îlots de chaleur.
L’été 2022 a été la seconde année la plus chaude que la France ait connue – presque autant que celui de 2003. Il totalise pourtant cinq fois moins de décès en excès.
Cet écart donne à penser que la société a réalisé des progrès dans son adaptation aux vagues de chaleur à répétition. Ce constat est confirmé par à un modèle mis au point par des épidémiologistes et des météorologues. Appliqué à la canicule de 2006 en France, il montre qu’elle se serait soldée sans adaptation par trois fois plus de décès.
Outre l’action publique, les progrès observés s’expliquent également par la diffusion de la climatisation. On en connaît les effets délétères à travers son apport au réchauffement de l’atmosphère par sa consommation d’énergie fossile, ses fuites de gaz frigorigènes et, localement, ses propres rejets d’air chaud. On parle moins de ses effets conséquents sur de la diminution de mortalité.
Une étude américaine a montré que la diffusion de la climatisation aux États-Unis entre 1960 et 2004 a permis d’éviter près d’un million de décès prématurés. A contrario, le moindre usage des climatiseurs au Japon lié à l’augmentation du prix de l’électricité et aux campagnes d’économie d’énergie consécutives à l’accident nucléaire de Fukushima Daïchi a entraîné près de 10 000 décès en excès.
Citons enfin comme moyen d’adaptation les migrations vers des régions aux températures moyennes moins élevées. Il est cependant potentiellement limité car les coûts de changer de lieu de résidence sont substantiels pour les personnes qui l’envisagent et les frontières entre États dressent de formidables contraintes politiques, culturelles et administratives. Les mouvements migratoires liés au réchauffement climatique ont plus de chances de se produire au sein du même pays. Par exemple pour les pays riches des métropoles vers le littoral ou la montagne, ou pour les pays pauvres des zones rurales vers les capitales.
Il n’est plus acceptable d’ignorer tous les Terriens dont la vie sera raccourcie alors que l’on dispose de données de plus en plus complètes et fiables sur la mortalité liée à l’élévation des températures. Compter les personnes manquantes en cas d’inaction face au changement climatique nous met face à nos responsabilités et justifie des investissements ambitieux d’atténuation et d’adaptation.
Sécurité routière : comment expliquer la hausse de la mortalité
Sécurité routière : comment expliquer la hausse de la mortalité
Il y a quelques semaines seulement le gouvernement se félicitait de la baisse de la mortalité sur les routes en attribuant pour l’essentiel la cause à la limitation de vitesse à 80 km/h. Le problème c’est que malheureusement la mortalité augmente assez nettement en janvier. Comme d’habitude, c’est le grand flou sur les facteurs explicatifs puisque l’État ne dispose d’aucune institution scientifique capable d’analyser les évolutions. L’observatoire national interministériel de la sécurité routière est en effet une coquille vide qui se contente de reprendre les commentaires gouvernementaux. Pour preuve, cette fois l’observatoire national de la sécurité routière n’explique aucunement cette hausse de tous les indicateurs. Bien entendu il conviendrait d’étudier ces statistiques de manière scientifique notamment en les rapprochant de l’évolution du volume de la circulation et des conditions météorologiques. Un exercice qui n’a jamais été fait.
260 personnes sont donc mortes sur les routes en janvier 2020, contre 237 en janvier 2019. La mortalité des cyclomotoristes, cyclistes et automobilistes augmente, alors que la mortalité à deux-roues motorisé est stable et celle des piétons baisse.
En ce début d’année 2020, le bilan des accidents sur les routes de France est considérable. Selon les estimations de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), 260 personnes sont décédées sur les routes lors du mois de janvier 2020. En 2019, le nombre de morts était de 237 sur cette même période, soit un hausse de 9,7%.
Dans son rapport, l’ONISR précise que tous les autres indicateurs sont en hausse. Il y a eu 4422 accidents corporels en janvier 2020 contre 3812 en janvier 2019, soit un augmentation de 16%.
L’observatoire dénombre aussi une hausse de 18,4% des blessés. Ils ont été 5628 cette année contre 4754 l’année précédent, soit 874 personnes de plus.
Avant d’avoir des chiffres plus détaillés selon les axes routiers, l’ONSIR ne donne pas d’analyse précise de cette hausse des accidents et des victimes. « Plusieurs facteurs sont a prendre ne considération ». On aurait aimé évidemment que ces facteurs soient indiqués ! Et si possible expliquait quantitativement et qualitativement.