Les valeurs morales plus importante chez les riches !
Ce sont les électeurs les plus aisés qui accordent l’importance la plus grande aux valeurs idéologiques et morales, qu’elles soient conservatrices ou progressistes, rapporte dans sa chronique l’universitaire Pauline Grosjean au « Monde ». (Professeure d’économie à l’université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie)
Une tribune intéressante à lire car elle traduit les insuffisances d’approche de certains intellectuels concernant les mutations actuelles. Première observation, un économiste n’est pas forcément le plus qualifié pour parler des questions morales. Deuxième observation, la nature même de la dimension morale ne peut se borner à une problématique économique. Troisième observation, il y a de toute évidence un manque d’articulation entre les aspects économiques, politiques, sociaux, technologiques, sociétaux et environnementaux. Bref davantage un papier de journaliste que d’un scientifique. NDLR
Les maux de la gauche électorale et l’analyse de ses causes font couler beaucoup d’encre. Les uns y voient les conséquences des mutations du « peuple de gauche », maintenant tertiarisé, ubérisé, et féminisé – bien qu’il ne soit pas clair en quoi ceci expliquerait cela. Les autres pointent du doigt la démographie : le vieillissement et la périurbanisation. Mais, malgré l’éloquence des cartes géographiques, corrélation ne vaut pas causalité. D’autres encore accusent la « trahison » des élites de gauche, urbanisées, éduquées et mondialisées, et l’incohérence de leurs valeurs sociales avec celles des classes populaires.
Les économistes, eux, se permettent de formaliser beaucoup plus simplement les affres de la gauche. Le modèle théorique de vote proposé par Benjamin Enke (Harvard), Mattias Polborn (Cologne) et Alex Wu (Harvard) repose sur une hypothèse simple : les valeurs sociales sont un bien de luxe (« Morals as Luxury Goods and Political Polarization », Harvard Mimeo, 2022). C’est-à-dire que plus notre revenu augmente, plus nous accordons de l’importance aux valeurs idéologiques et morales par rapport aux considérations économiques et matérialistes. C’est une reformulation de la théorie sociologique du postmatérialisme et de la pyramide des besoins du psychologue Abraham Maslow (1908-1970), selon laquelle les besoins d’accomplissement de soi et les besoins d’estime ne surviennent qu’une fois satisfaits les besoins physiologiques et les besoins de sécurité.
De nombreuses enquêtes montrent en effet que ce sont les électeurs les plus riches qui accordent l’importance la plus grande aux valeurs idéologiques et morales, qu’elles soient conservatrices (par exemple la position sur l’avortement aux Etats-Unis) ou progressistes. Dans leur modèle, ainsi que dans la plupart des modèles économiques de vote, les pauvres veulent plus de redistribution, et les riches moins de taxes. Mais les valeurs morales influencent nos préférences de politique économique. Ainsi, les électeurs idéologiquement de gauche considèrent que réduire les inégalités est une obligation morale, alors que les idéologues de droite veulent limiter l’intervention de l’Etat dans l’économie. Et plus ils sont riches, plus ces valeurs morales ont de l’importance pour chacun.
Ce modèle sera accusé par les détracteurs des sciences économiques d’être réducteur ; mais c’est justement sa force. De ce modèle simple découlent les prédictions suivantes. Quand un électeur de gauche devient plus riche, la réduction des inégalités comme impératif moral prend plus d’importance. C’est la « gauche caviar », qui s’accorde avec le peuple de gauche pour plus de redistribution et vote ainsi contre ses propres intérêts économiques. Au contraire, à droite, les électeurs les plus riches veulent une politique économique complètement différente de celle voulue par les électeurs pauvres. La séduction des classes populaires par la droite ne peut donc se faire que sur le terrain des valeurs. Ils sont aidés en cela par la « gauche caviar », qui en accordant de plus en plus de place aux valeurs idéologiques à mesure qu’ils s’enrichissent, se distancient des classes populaires