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Mondialisation : Limiter les dépendances

Mondialisation : Limiter les dépendances

 

L’économiste Sébastien Jean décrypte, dans une tribune au « Monde », la « nouvelle grammaire » de la mondialisation, dans laquelle la volonté d’indépendance est érigée en vertu cardinale.

 

 

Tribune. 
C’est avec stupeur que les Européens ont réalisé à quel point ils dépendaient des approvisionnements venus de Chine pour des produits aussi essentiels face à la pandémie que les masques ou certains médicaments. Mais ils ne sont pas les seuls à se préoccuper de leur dépendance extérieure : les Chinois observent avec inquiétude leur difficulté persistante à se passer des importations pour certaines technologies de pointe, tandis que les Etats-Unis s’alarment des failles de leur industrie face à la concurrence chinoise.
 

L’impératif de limitation des dépendances prend ainsi une place nouvelle dans les stratégies commerciales. Côté américain, au-delà de la guerre tarifaire de Trump, l’extension des contrôles des exportations et le bannissement d’équipementiers chinois des réseaux de télécommunication 5G sont les plus emblématiques d’une intention de réduire la dépendance à la Chine, au besoin en coupant certains liens économiques directs : c’est à un « découplage » qu’il faudrait procéder, une idée qui fait son chemin et que ne semble pas renier l’administration Biden.

La Chine y contribue aussi : le plan « China 2025 » fixait déjà, en 2015, des cibles explicites d’autosuffisance pour des technologies-clés, poursuivant une politique déjà ancienne d’« indigénisation » des technologies et des chaînes de valeur : en décembre 2020, le pays s’est doté d’une loi de contrôle des exportations qui pourrait augurer de mesures similaires à celles prises par les Etats-Unis. La « circulation duale », désormais clé de voûte de la stratégie chinoise, vise explicitement à mettre la sphère interne de l’économie à l’abri des pressions extérieures ; la circulation externe fait quant à elle référence à l’ambition de projeter sa puissance économique de par le monde.

L’Europe réaffirme certes sa volonté d’« engagement actif » avec ses partenaires. Mais sa politique d’« autonomie stratégique ouverte » inclut aussi le filtrage des investissements directs étrangers, le renforcement des capacités industrielles intérieures, le contrôle des exportations de technologies sensibles ; autant d’outils qui visent à « protéger les valeurs et les intérêts essentiels de l’Union européenne [UE] », selon la Commission.

Le découplage a déjà fait son chemin dans des domaines de première importance, comme Internet (applications et données) et les nouveaux réseaux de télécommunication. Dans d’autres, il est en cours. Nombreuses sont les entreprises américaines et européennes qui cherchent à diversifier leurs approvisionnements et à limiter leur exposition aux tensions internationales, tandis que la Chine s’efforce entre autres de développer un écosystème fonctionnel pour produire ses propres semi-conducteurs.

Les perdants de la mondialisation

Les perdants de la mondialisation

Dans son dernier essai, l’économiste Lionel Fontagné se concentre sur les perdants de la mondialisation, ceux dont les compétences professionnelles sont difficilement reconvertibles et qui vivent loin des grands bassins d’emploi diversifiés.(Chronique du Monde)

Le livre.

 

Face à la mondialisation, les citoyens européens oscillent entre appétence et inquiétude. Selon un sondage Eurobaromètre de 2017, 54 % d’entre eux jugent la mondialisation positive pour leur pays, mais 63 % soulignent qu’elle tend à augmenter les inégalités sociales et 38 % estiment qu’elle menace l’emploi. « La mondialisation a offert plus d’opportunités, de variété et des prix plus bas, tout en exacerbant la valorisation des compétences et l’adaptabilité. Cela a tracé une ligne nette entre gagnants et perdants », analyse Lionel Fontagné dans La Feuille de paie et le Caddie (Sciences Po Les Presses).

D’un côté, une population plutôt jeune, éduquée, bien rémunérée et citadine. Elle pardonnera facilement à ce professeur d’économie de l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne de lui avoir accordé si peu de place. Son ouvrage se concentre sur les perdants de la mondialisation, ceux dont les compétences professionnelles sont difficilement reconvertibles et qui vivent loin des grands bassins d’emploi diversifiés.

Parole à l’accusation donc : la mondialisation a déplacé ou supprimé les tâches les plus routinières et concentré les salariés les plus adaptables dans des tâches non répétitives comme la mise en œuvre de nouvelles technologies, la supervision, le management et la résolution de problèmes. Elle a supprimé des emplois au sein des entreprises exposées à la pression concurrentielle des pays émergents.

« Les tâches non délocalisables requérant le plus souvent une présence dans de grandes agglomérations, et seules les entreprises les plus productives pouvant payer le surcoût induit par une telle localisation, les emplois les mieux rémunérés, et, d’une façon plus large, la prospérité économique se sont concentrés géographiquement », détaille le professeur à l’Ecole d’économie de Paris.

Dans les pays ayant un niveau de rémunération élevé, les salariés situés au milieu de la distribution des qualifications ont été les plus affectés. « Enfin, la part du capital a augmenté aux dépens de la part des salaires là où les institutions du marché du travail ne protègent pas les plus bas salaires. » Il y a donc de vrais perdants, pour qui la baisse du prix du chariot de courses ne compense pas l’impact négatif de la mondialisation sur la feuille de paye. « Ces perdants ont des compétences très spécifiques, sont employés dans des bassins d’emploi peu diversifiés et peinant à se reconvertir, vivent en dehors des grandes agglomérations, où se développent les activités de services offrant de nouvelles opportunités d’emploi. »

Développement et reconfiguration géographique de la mondialisation

Développement et  reconfiguration géographique de la mondialisation

L’économiste El Mouhoub Mouhoud constate, dans une tribune au « Monde », que le numérique a fait entrer le capitalisme dans une phase d’hyper-mondialisation pour les activités de services.

 

Tribune. Nous sommes passés de la phase d’hyper-mondialisation des années 1990-2000, dans un cadre institutionnel de libéralisation des échanges débridée, à une recomposition de la mondialisation sur des bases régionales qui s’accompagne d’une résurgence du protectionnisme commercial. Mais assiste-t-on pour autant, les effets du Covid-19 aidant, à une démondialisation complète des économies ? Rien n’est moins sur.

 

Ce que l’on a l’habitude d’appeler la seconde mondialisation, celle qui a débuté dans les années 1950, pour faire la différence avec la première (1860-1910), connaît en réalité plusieurs phases distinctes. La première est celle de l’expansion des pays dits industrialisés du centre, qui ont tenté de libéraliser le commerce mondial par le désarmement tarifaire qu’autorisaient les accords du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), surtout pour les produits manufacturés. 

La seconde phase voit, dans la période des années 1990-2000, une mondialisation source de prospérité. Le monde capitaliste s’élargit dans trois directions fondamentales : celle de l’Europe centrale et orientale, dont les économies planifiées et fermées se sont effondrées pour entrer dans l’économie de marché, donnant un sens politique à l’achèvement du marché unique européen ; les accords de Marrakech de 1994 au niveau multilatéral consacrent la création de l’Organisation mondiale du commerce ; l’entrée de la Chine, de l’Inde et des autres pays dits émergents amplifie la dynamique de cette mondialisation.

Ainsi, les groupes industriels mettent en place une double logique taylorienne et cognitive de la division internationale du travail. A l’échelle mondiale, cela consacre le stade de l’hyper-mondialisation des chaînes de valeur. Les firmes fragmentent leurs processus de production dans le monde sous l’impulsion de deux facteurs : exploiter les différences de coûts de production comparatifs entre pays d’une part, utiliser la faiblesse des coûts de transaction d’autre part. Selon les secteurs et les choix stratégiques des entreprises, la délocalisation repose sur deux logiques différentes de division du travail. Pour coordonner les processus de production séparés, les coûts de transaction (transports, etc.) doivent être comparés aux gains de la fragmentation internationale (automobiles, meubles, machines-outils…), la dispersion géographique sera plus ou moins limitée.

 

Dans les secteurs dans lesquels la course à l’innovation technologique constitue le mode de concurrence dominant (industries pharmaceutique, informatique, électronique, aérospatiale…), les firmes ont combiné les deux logiques : le cœur des processus de production est découpé non plus en opérations définies, mais en blocs de savoirs homogènes (recherche et développement, marketing…) pour favoriser les innovations de produits au cœur de la concurrence entre les groupes mondiaux. Mais pour la production manufacturière au milieu de la chaîne de valeur, la fabrication de biens intermédiaires et les activités d’assemblage sont délocalisées dans les pays à bas salaires. D’où la dépendance, perçue au grand jour durant cette crise sanitaire, de l’industrie pharmaceutique à la Chine et à l’Inde pour la production des principes actifs. 

«Une mondialisation raisonnée» – (Olivier Duha)

«Une mondialisation raisonnée» – (Olivier Duha)

 

« La mondialisation est à l’homme du XXIsiècle ce que l’ecstasy est aux « techno-ravers ». Phénomène socio-dégénératif pour certains, catastrophe écologique pour d’autres, la mondialisation reste pour le plus grand nombre un puissant déclencheur de pulsions consuméristes quasi orgasmiques » (tribune dans l’Opinion d’Olivier Duha *)

 

Olivier Duha, co- fondateur de Webhelp et ancien président de CroissancePlus

 

Quand rien ne va plus, on vide son sac et on cherche des coupables. La crise que nous traversons n’a pas échappé à la règle, et au palmarès des grands fautifs, la mondialisation fait figure de champion. Déjà coupable de notre chômage de masse, de l’accroissement des inégalités, de l’affaiblissement des cultures locales ou du réchauffement climatique, voilà désormais que la mondialisation serait non seulement responsable de la circulation du virus, mais aussi de notre dépendance à des puissances étrangères pour des actifs soudainement considérés comme stratégiques.

Ce procès est un mauvais procès, dans lequel la mondialisation est en vérité victime de nombreux biais.

Il est essentiel de ne jamais perdre de vue que la mondialisation ne rend pas une nation compétitive par nature, c’est la compétitivité d’une nation qui lui permet de jouir du potentiel de la mondialisation

Des biais cognitifs, d’abord, qui convergent vers ce que Steven Pinker a qualifié de « progressophobie ». Notre esprit a, par exemple, naturellement tendance à se focaliser sur les coûts plutôt que les bénéfices, le mal y est toujours plus fort que le bien. Face aux problèmes – réels – que nous constatons, nous oublions ainsi les progrès que la mondialisation a permis au cours du XXesiècle : le taux de pauvreté extrême (moins de 1,90 dollar/jour) a chuté de 60 % à 10 % entre 1950 et 2015, l’espérance de vie a plus que doublé depuis 1900, passant de 32 à 72 ans. Famines et malnutritions, conflits et guerres, mortalité infantile, illettrisme, esclavages et servitudes, partout dans le monde ces maux sont en chute libre et, malgré ce que nous déversent les actualités quotidiennes, nous sommes les témoins de la plus vertigineuse amélioration de nos conditions de vie que le monde n’ait jamais connu.

Des biais culturels, ensuite : la critique de la mondialisation est un « privilège » des populations occidentales, qui n’ont pas éprouvé individuellement le progrès, à la différence de celles des pays en développement, qui en voient les effets de façon très concrète. Nous bénéficions du progrès sans l’avoir véritablement perçu alors que nous ressentons plus directement les coûts de la mondialisation.

Aspiration fondamentale. Imaginer un monde « démondialisé » n’a ni sens, ni avenir. Tout d’abord parce que la mondialisation répond à une aspiration fondamentale de l’être humain : l’échange, qui est l’expression de la liberté. Ensuite parce que, depuis Ricardo, on sait qu’elle est le moteur le plus efficace de la croissance et qu’il n’y a pas de progrès sans croissance. Enfin, parce que la mondialisation est à l’homme du XXIsiècle ce que l’ecstasy est aux « techno-ravers ».

Phénomène socio-dégénératif pour certains, catastrophe écologique pour d’autres, la mondialisation reste pour le plus grand nombre un puissant déclencheur de pulsions consuméristes quasi orgasmiques. Comme le note Sébastien Bohler (Le bug humain, Robert Laffont, 2019), la mondialisation est notre meilleure alliée tant elle a permis de démocratiser ce qui était pendant des milliers d’années réservé à une élite.

Dans ce contexte, le débat n’est pas « devons-nous acter de la fin de la mondialisation », mais « comment pouvons-nous rendre la mondialisation plus vertueuse » ?

Tout d’abord, il est essentiel de ne jamais perdre de vue que la mondialisation ne rend pas une nation compétitive par nature, c’est la compétitivité d’une nation qui lui permet de jouir du potentiel de la mondialisation.

L’enjeu est, à l’évidence, dans l’avènement d’une mondialisation « raisonnée », préservant le libre-échange tout en prenant mieux en compte des objectifs aujourd’hui bafoués par le court-termisme ou par l’égoïsme des Etats

Si le débat sur la souveraineté industrielle ouvert par la crise est légitime, nous devons surtout nous donner les moyens de faire partie de la compétition mondiale, pour bénéficier de l’effet multiplicateur d’un terrain de jeu planétaire. Cela passe par des réglementations stables et efficaces, co-construites avec les acteurs économiques, par l’investissement dans les infrastructures (télécoms, énergie, fret), par la formation, par la recherche, par des politiques européennes coordonnées, volontaristes et résolument tournées vers une mondialisation de conquêtes.

Libre échange. L’enjeu est aussi, à l’évidence, dans l’avènement d’une mondialisation « raisonnée », préservant le libre échange tout en prenant mieux en compte des objectifs aujourd’hui bafoués par le court-termisme ou par l’égoïsme des Etats : la protection de l’environnement, l’équité sociale ou encore la loyauté dans les relations commerciales. Les instruments – donner un prix au carbone, protéger les droits de propriété intellectuelle, appliquer des mesures anti-dumping social ou anti-subventions publiques – sont connus. C’est la volonté politique de les appliquer de façon cohérente au niveau mondial qui fait défaut. Il faut, pour cela, refonder le multilatéralisme, sortir du bourbier du « cycle de Doha », engagé par l’OMC depuis 2001 sans aucun résultat. Le défi est immense mais la gravité de la situation actuelle nous impose un grand remodelage de l’ordre mondial.

 

« Les dégâts de la mondialisation sous-estimés « 

« Les dégâts de la mondialisation sous-estimés « 

Pour l’économiste Pierre-Cyrille Hautcoeur, spécialiste de l’histoire monétaire et financière des XIXe et XXe siècles, estime que  la propagation du virus dans les pays pauvres, dépourvus de protection sociale et de systèmes de santé adaptés, pourrait provoquer des dégâts colossaux. Il critique les dégâts de la mondialisation ( interview dans la Tribune)

 

La comparaison de la crise actuelle avec celles de 1929 et de 2008 est-elle pertinente ?

PIERRE-CYRILLE HAUTCOEUR - Comme dans toute crise, il faut distinguer plusieurs temporalités. Dans le court terme, il existe des points communs entre les trois crises. Nous avons assisté à des phénomènes de blocage sur les marchés financiers, à un effondrement sur les différents places boursières, et à un report sur des valeurs considérées comme sûres. Ce sont des phénomènes observés en 1929 ou en 2008.

Avec le recul, nous commençons à comprendre assez bien ces enchaînements financiers de court terme. De ce fait, les réponses des banques centrales et des gouvernements sont rapides. Les bourses se sont stabilisées partout avec environ un tiers de pertes, même si la volatilité est encore élevée. Il peut néanmoins y avoir une rechute.

Sur le long terme, il existe de grandes différences en 1929 et 2008. La crise de 2008 n’a pas changé grand chose. L’économie a continué à fonctionner « normalement », les gouvernements n’ont pas changé de politique à l’exception de quelques régulations bancaires et financières. En 1929, la crise a totalement changé le fonctionnement des économies car beaucoup de gouvernements ont pris des mesures radicales. A ce stade, il est encore difficile de savoir si la crise actuelle est plus proche de celle de 2008 ou celle de 1929.

La grippe espagnole de 1918 a-t-elle paralysé l’économie mondiale ?

La grippe espagnole s’est développée à l’échelle de toute la planète et a fait de nombreux morts (50 à 100 millions à l’échelle de la planète, de l’ordre de 1% de la population dans les pays riches). C’est considérable. En revanche, elle a eu semble-t-il peu d’effets économiques. Comme elle est apparue à la fin de la première guerre mondiale, il est difficile de dissocier les deux. Mais des travaux académiques ont été menés sur des pays neutres comme la Suède, qui suggèrent qu’il y a eu peu d’effets économiques même si le bilan humain était désastreux. Cette grippe montre que si l’Etat ne fait rien, les morts s’accumulent mais l’économie fonctionne. Dans la crise actuelle, l’économie est bloquée pour sauver les gens.

Comment les médias de l’époque ont-ils traité la pandémie espagnole ?

La presse de l’époque en parle avec des termes extrêmement vagues. Les journaux ne veulent pas paniquer la population et affaiblir l’effort militaire au moment de la fin de la guerre. A l’époque, des efforts ont été réalisés en matière de santé publique mais cela n’a rien à voir avec la situation actuelle. Les gens ont continué à travailler et les soldats à se battre. Au sortir du conflit, la reprise économique a eu lieu sans que les économistes soient vraiment capables de discerner un effet négatif de la pandémie. C’est donc difficile d’en tirer un enseignement pour la crise actuelle.

Les conséquences de la pandémie actuelle dans les pays riches et les pays pauvres pourraient diverger

On peut sans doute déduire que dans les pays développés, les Etats peuvent sauver beaucoup de gens en bloquant l’économie pendant un certain temps, même si cette paralysie peut avoir des effets négatifs à court terme et à long terme, tandis que dans les pays pauvres, la situation pourrait être plus critique. Beaucoup d’Etats n’ont pas forcément les capacités médicales pour absorber ce choc. Les décès risquent d’y être beaucoup plus nombreux. La désorganisation de l’économie y sera sans doute importante si on tente d’appliquer un confinement presque impossible sans système développé de protection sociale, et des troubles sociaux importants peuvent en résulter. Dans les pays riches, on peut plutôt penser que ce genre de crise peut provoquer des changements plus qualitatifs sur l’organisation de l’économie, notamment si des changements politiques importants ont lieu du fait de l’expérience de la crise.

Certains observateurs parlent actuellement d’un début de démondialisation. Quel regard portez-vous sur ce concept ?

Cette crise sanitaire résulte directement de la mondialisation. C’est loin d’être nouveau. Les grandes pandémies comme la peste noire ou la grippe espagnole ont aussi été liées à ce phénomène. En revanche il n’y a pas forcément de recul de la mondialisation à cause des pandémies. La mondialisation repose avant tout sur des choix politiques. La mondialisation actuelle a fait l’objet de critiques sévères pour ses effets sur l’environnement, et pour les risques que des chaînes de production mondiales complexes font courir aux populations en cas de guerre, de choc climatique ou d’épidémie. Ces dangers ont été sous-estimés malgré les avis des spécialistes, que l’on appelle maintenant au secours. On peut espérer qu’à l’avenir des plans de protection contre les pandémies seront non seulement élaborés mais aussi mis en oeuvre, y compris des mesures de prévention coûteuses (stocks, relocalisation, etc.). Je pense que la pression politique devrait être assez forte pour mettre en place des plans d’autosuffisance pour certains produits comme les médicaments.

Certains parlent d’un recul de mondialisation. Qu’en pensez-vous ?

Je serais prudent pour dire que la mondialisation va spontanément décliner. Les pays restent malgré tout très interdépendants. Le coût d’une démondialisation brutale serait très élevé. En même temps, la pandémie peut accélérer des processus qui étaient désirés ou jugés souhaitables. Les citoyens vont faire l’expérience inédite de certaines situations que l’on considérait comme impossible, comme l’arrêt de la circulation dans Paris. C’était une décision inimaginable il y a peu. Cela peut permettre une prise de conscience d’un univers des possibles plus large que ce que l’on croyait. Ainsi, une majorité pourrait par exemple se dégager pour accélérer la reconversion de l’industrie automobile vers l’électrique. De manière générale, le défi environnemental, qui était déjà devant nous avant la crise, pourrait se voir mieux pris en compte grâce à l’expérience de la crise, qui montre que l’on peut agir quand on veut, contrairement au refrain « there is no alternative » scandé depuis des années par beaucoup.

Avez-vous des exemples de changements récents ?

Au delà de l’environnement, des actions jugées récemment impossibles ont lieu : beaucoup de banques, qui sont actuellement soutenues et sous pression des banques centrales, renoncent à payer des dividendes. Certains n’osaient pas le faire seules et le font quand elles se rendent compte non seulement de leur fragilité mais aussi que le stigmate pourrait être plus fort pour celles qui ne le feraient pas. De même, les pouvoirs publics peuvent prendre des mesures inédites et être tentés de les poursuivre. Mais cela peut aller dans plusieurs directions, avec des conséquences politiques très différentes : les crises sont des moments de bifurcation, d’accélération des changements, d’irréversibilités. Ainsi, un traçage des personnes imposé et contrôlé par l’Etat constituerait une mesure peut-être efficace mais aussi une menace extrêmement forte pour les libertés. Les gouvernements pourraient être tentés de généraliser ce type de solution, avec le risque, bien connu, que certaines exceptions deviennent la règle même une fois l’urgence passée. Or d’autres solutions existent, moins autoritaires et beaucoup plus décentralisées, par exemple en matière de traçage qui donnent d’abord l’information (y a-t-il des personnes atteintes du virus autour de moi ?) aux citoyens plutôt qu’aux autorités. Le choix entre ces solutions pourrait déboucher sur des débats très violents, car on peut y voir des choix de modèles de société (hiérarchique vs horizontale).

Les choix politiques faits autour de la réaction à l’épidémie peuvent aussi conduire à des divergences voire des conflits entre pays. A très court terme, on voit des pays se réserver leurs stocks de masques ou de médicaments, voire s’approprier ceux des autres, mais ce n’est pas le plus grave: ils peuvent diverger sur la réponse économique à la crise, en particulier sur le degré de prise en charge par les Etats des revenus perdus par les entreprises, les chômeurs ou les travailleurs à temps réduit. Même l’Europe n’est pas à l’abri. Ainsi la question de la mutualisation des dettes suscite de profondes divisions en Europe, qui sont renforcées par la crise dans la mesure où les pays du sud sont, pour l’instant, les plus touchés par la crise.

Le chef de l’Etat, Emmanuel Macron a déclaré que «le jour d’après, quand nous aurons gagné, ne sera pas un retour au jour d’avant». La pandémie pourrait-elle transformer le modèle économique actuel dominé par l’orthodoxie dans les pays développés ?

A ce stade, rien ne garantit que le modèle économique va être transformé. Des opportunités sont en train de s’ouvrir. Des transformations significatives peuvent avoir lieu s’il y a des forces politiques importantes. Certaines forces politiques pourraient se renforcer. Il y a actuellement des questions importantes sur la redistribution des revenus. Certains sujets ont frappé l’actualité. Les Parisiens aisés sont partis vivre dans leurs maisons de campagne. Ils y vivent de manière confortable et se promènent mais stigmatisent les habitants des grands ensembles de la banlieue parisienne qui sortent de chez eux. Ceux-ci sont choqués qu’on leur reproche de sortir quand ils vivent nombreux dans de petits logements, que la police les interpelle parfois brutalement, et de devoir aller travailler sans protection parce que de mauvais choix ont été faits par les dirigeants en matière de santé publique. On prend conscience peu à peu que les caissiers des supermarchés, les infirmiers et les aides-soignants, les policiers même sont recrutés dans cette population. Pour éviter d’accroître les colères et restaurer un sentiment de justice, les Etats vont devoir reconnaître leur place comme on l’a fait après les deux guerres mondiales, où les plus modestes avaient été beaucoup plus touchés que les autres et qui ont donné lieu à un fort accroissement de la protection sociale et à une forte augmentation de la progressivité des impôts.

Quels seraient les moyens à privilégier pour opérer un rééquilibrage ?

Aujourd’hui, la réaction politique à la crise doit sans doute passer par une redistribution des revenus. Il n’est probablement pas possible, comme le souhaitent certains, de différer la réflexion sur qui va payer pour cette crise. Il apparaît de plus en plus que ceux qui font les efforts face à la pandémie ne sont pas ceux qui ont bénéficié de la mondialisation, et qu’il va donc falloir que ses bénéficiaires assument politiquement et financièrement les conséquences de leurs choix. Tout va dépendre de l’ampleur et de la durée de la crise, et surtout de la perception que le public aura du lien entre les politiques antérieures, les réactions politiques à la crise et sa gravité.

Les idées keynésiennes sont-elles de retour ?

Il est difficile de voir vraiment un retour des idées keynésiennes à ce stade. Le keynésianisme peut se définir comme une politique de relance suite à un choc de demande. Or la crise actuelle est à la fois un choc d’offre et un choc de demande. Pour l’instant, la baisse des revenus des salariés est partielle en Europe. La question est de savoir s’il va falloir relancer l’activité à la fin du confinement. La plupart des mesures annoncées en Europe devrait permettre à une grande partie de la population de retrouver son travail et à la majorité des entreprises de surmonter cette crise. Si les entreprises ont eu des crédits pour régler leurs problèmes de trésorerie et que par ailleurs elles ont été soutenues pour assurer les salaires, il y a de fortes chances pour que beaucoup d’établissements supportent ce choc. A ce moment, il n’est pas sûr que l’économie aura besoin d’un plan de relance par la demande qui aille au delà de l’effort considérable de payer le chômage partiel. En revanche, dans le keynésianisme, il y avait aussi une dose de planification et d’orientation des investissements vers des activités jugées prioritaires. Cette dimension sera importante si l’on veut profiter de la crise pour changer la trajectoire de l’économie, notamment en matière environnementale.

En ce qui concerne l’impact macroéconomique, la durée du confinement va être déterminante. Les finances publiques seront-elles capables de tenir le choc si le confinement se prolonge ? Au delà des dépenses, la soutenabilité de la dette, par exemple en France, impose de se soucier de la question des recettes budgétaires, même si ce sujet divise davantage et si le gouvernement aura donc tendance à le reporter. L’une des pistes est de créer un impôt exceptionnel sur le capital. C’est un outil idéal du point de vue théorique, et qui a déjà été mis en place aux lendemains de guerres. Ces expériences ont été bien étudiées, et montrent notamment qu’il faut faire attention à ne pas imposer la vente soudaine et massive des actifs pour éviter un effondrement de leur prix, mais plutôt transférer de la propriété ou des droits sur la propriété. Cette solution, qui en principe a un effet négligeable sur l’activité, permet de rééquilibrer le bilan de l’Etat et donc d’éviter tout souci de soutenabilité de la dette que la crise va créer. Elle a aussi l’avantage qu’elle conduit à une redistribution « juste » dans la mesure où les détenteurs du capital, notamment financier, ont été depuis trente ans les principaux bénéficiaires de la mondialisation et ont pourtant vu leur fiscalité globalement réduite.

Les banques centrales sont-elles en mesure de répondre à la récession ?

Je suis inquiet de la confiance infinie accordée aux banques centrales. Nous sommes arrivés à un stade où elles sont censées tout faire. Elles ont effectivement une très grande puissance, qui peut d’ailleurs finir par poser des problèmes démocratiques. Elles ont un pouvoir en matière de stabilité financière mais aussi de redistribution. Si elles se mettent à acheter des actifs privés, cela signifie qu’elles peuvent distribuer de l’argent à des activités particulières par rapport à d’autres. C’est périlleux pour leur légitimité et donc pour la stabilité financière et monétaire à moyen terme.

Il est donc préférable de ne pas tout demander aux banques centrales. Ces institutions doivent se concentrer sur la stabilité monétaire et financière. Demander aux banques centrales de s’occuper de la relance, de la transformation de l’économie, de la transition écologique, peut accroître les risques. Il faut que d’autres institutions ayant des légitimités politiques plus fortes soient derrière. Aujourd’hui, les banques centrales agissent, elles ont pour l’instant réussi par une action rapide et concertée à éviter une déstabilisation financière mondiale. La Fed a créé des lignes de swap assurant la liquidité internationale. La Banque centrale européenne a également bien répondu. Tant mieux, mais ce n’est pas une raison pour leur mettre toutes les responsabilités sur les bras.

 

Cette crise peut-elle accélérer la transition écologique ?

Cette crise pourrait accélérer la transition écologique dans certains secteurs très polluants. La baisse de la demande et la multiplication des normes pour les navires de croisière par exemple pourraient favoriser cette transition. Le trafic aérien pourrait aussi sortir transformé. Certaines activités peuvent s’adapter et cela va infléchir la circulation internationale des personnes. En parallèle, il y a une demande importante pour de nouveaux outils. Dans les villes, les restrictions pour le trafic pourraient se prolonger. Beaucoup d’activités peuvent se faire sans circulation de véhicules polluants. Dans l’économie, les mesures de prudence pour assurer les ravitaillements pour une gamme de biens et de services devraient réduire les transports internationaux. Mais cela dépendra beaucoup à la fois des comportements des ménages et des décisions politiques qui seront prises, selon qu’elles privilégieront le « retour à la normale » ou profiteront de l’occasion pour transformer les circuits économiques par des incitations et des régulations nouvelles.

Aux Etats-Unis, Donald Trump profite de cette crise pour procéder à de nouvelles dérégulations en faveur des industries polluantes.

Chaque groupe d’intérêt veut profiter de la crise pour faire passer des nouvelles mesures. Les lobbies tirent dans toutes les directions. Les pétroliers vont chercher à polluer plus en utilisant le prétexte de l’urgence, la nécessité de produire et les risques de faillite. Aux Etats-Unis, un groupe d’économistes libéraux a publié un manifeste pour indiquer qu’il ne fallait pas aider les grandes entreprises, que les grands groupes pouvaient se restructurer s’ils déposaient leur bilan sans que cela arrête leur activité. Il faut donc distinguer les aides qui sont destinées à maintenir à court terme l’emploi et l’activité des aides destinées à sauver des entreprises qui auraient été mal gérées. Si le capitalisme veut garder sa légitimité, il faut que les actionnaires puissent continuer à dire qu’ils assument les risques pour lesquels ils sont rémunérés. En ce moment, cela veut dire assumer des pertes. Souvent, ils préféreraient, comme tout le monde, avoir à la fois le beurre et l’argent du beurre, et vont faire pression sur l’Etat pour les sauver. Leur capacité à obtenir des protections dépendra de la mobilisation du reste de la société, qui pourra y mettre des conditions. En Europe, on peut penser que la pression pro-environnementale est supérieure aux lobbies industriels, et cette opinion publique en faveur de l’environnement va être renforcée par la crise. C’est donc sans doute une occasion unique pour conditionner les aides d’Etat aux transformations environnementales dont nous avons besoin. Mais rien n’est acquis et seule la mobilisation politique déterminera quel chemin empruntera la sortie de crise et quel sera son impact durable.

 

Coronavirus : la réponse viendra de la mondialisation

Coronavirus : la réponse viendra de la mondialisation

Professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot, Gérald Bronner est membre de l’Académie nationale de médecine, de l’Académie des technologies et de l’Institut universitaire de France. Spécialiste des croyances sociales, il est l’auteur de Déchéance de rationalité (Grasset, 2019) et de La Démocratie des crédules (PUF, 2013). Il va à contre-courant des reprises nationalistes estiment que la réponse au Corona virus viendra de la mondialisation.(Interview du Monde)

Chaque politique y va de son explication de la crise. Etes-vous surpris ?

Cette crise est inédite. Lorsque des êtres sociaux sont confrontés à un phénomène incertain et dramatique, en haut de l’Etat comme en bas de l’échelle sociale, il y a un immense besoin de sens. C’est une tentation anthropologique, un réflexe herméneutique d’interprétation du réel. Comment admettre qu’un accident biologique malheureux est à l’origine d’une immense catastrophe ? Les récits rendent un service intellectuel que le réel ne rend pas. Historiquement, les épidémies ont été lues comme une punition divine. Avec le coronavirus, le monde politique et religieux devient l’auberge espagnole de l’opportunisme idéologique.

La crise révèle la dépendance de la France à l’égard d’autres pays, pour les tests ou les médicaments. C’est un fait, pas une herméneutique. Cela diffère du discours selon lequel la nature nous adresse un ultimatum. Mais il faut prendre garde à la démagogie tirée des faits. Penser les conditions de notre indépendance alimentaire, énergétique, sanitaire est raisonnable. Dire qu’il faut se recroqueviller sur la souveraineté nationale, à l’inverse, est caduc puisque les questions épidémiques, écologiques, migratoires, financières sont transnationales. Ce qui a manqué, au contraire, est la coordination mondiale. Avec plus de coordination, la Chine n’aurait pas menti sur la maladie et les Européens auraient été attentifs aux informations des scientifiques asiatiques. Pourquoi chaque pays a-t-il utilisé des stratégies différentes ? Veut-on d’un monde où les nations se battent pour acheter du matériel vital aux populations ? Où chaque pays se met à stocker 1 milliard de masques ? C’est la lutte de tous contre tous qui aboutira au désintérêt collectif. La seule conclusion est d’avancer dans la coopération internationale.

C’est une mythologie. L’idée que le virus s’est répandu à cause de la mondialisation est une erreur. Si nos corps voyagent, la probabilité de diffusion de l’épidémie dans un temps court augmente. Mais dans l’histoire de l’humanité, la peste noire ou la grippe espagnole ont ravagé des populations entières. La différence, c’est qu’elles se répandaient en plus de temps, et que nous n’avions pas les moyens technologiques pour y faire face. La réponse au Covid-19 viendra de la mondialisation. Par la technologie : la médecine, le vaccin, le numérique. La science ne progresse que grâce aux interactions mondiales. Les chefs de service de réanimation français examinent en temps réel les données des études chinoises. Si le virus s’est propagé, c’est parce qu’un marché ne respectait pas les règles sanitaires que la modernité a inventées et diffusées par les échanges mondiaux, pas parce qu’il a été créé volontairement en laboratoire !

 

Les rationalistes sont démunis, ils n’ont à proposer que la formule de Nietzsche : «Laissez venir à moi le hasard». Le besoin de sens reflète la fébrilité de l’esprit humain, qui peine à accepter le hasard malheureux. Voilà pourquoi le complotisme, qui offre un récit en concurrence sur le marché cognitif, séduit un quart des Français. Cela dépasse les thèses conspirationnistes. Après l’accident nucléaire de Fukushima, la peur a été telle que les gens l’ont associé à un grand nombre de victimes, alors qu’il n’y a pas eu de mort. Une confusion narrative brouille la mémoire, et pousse une lecture du monde qui se coule dans des sillons établis. Le grand récit disponible, aujourd’hui, c’est celui de la décroissance et de la collapsologie.

Comment, dans la confusion ambiante, savoir qui a raison ?

Gare aux rétro-prévisionnistes : le futur est facile à prédire quand il est passé ! On peut faire crédit au gouvernement de l’incertitude ; la pandémie a donné lieu à une infodémie, une arborescence de données concurrentes. Mais si on avait regardé l’information auprès des meilleurs chercheurs, dans la revue Science, tout était là. Il était possible de comprendre que la méthode coréenne fonctionnait, comme il est compréhensible qu’on ne l’ait pas fait… En face, les propositions de Marine Le Pen sont à déplier sur le long cours : si on avait pratiqué une économie étatisée, aurait-on un système de santé résilient ? Si chaque nation s’était recroquevillée sur elle-même, aurait-on ce niveau de technologie et de recherche ? Mieux vaut être humble dans la crise plutôt que de dire « j’avais raison ».

 

Coronavirus: le chemin de la mondialisation

Coronavirus: le chemin de   la  mondialisation 

Le trajet mondial de l’épidémie emprunte plusieurs formes de la globalisation contemporaine  notamment  économique et  touristique d’après  le politiste Romain Lecler. Tribune dans le monde (extrait)

Tribune.

 

« Si l’Organisation mondiale de la santé hésite encore à parler de pandémie pour qualifier l’épidémie du Covid-19, son caractère global ne fait aucun doute, ne serait-ce que parce que le virus a désormais touché quelque 100 000 personnes dans 90 pays à travers le monde. Mais cette épidémie est aussi globale au sens où elle met au jour toute une série de phénomènes associés depuis plus de trente ans à la mondialisation par les spécialistes des politiques mondiales. Ces phénomènes empruntent à différentes dimensions : touristique, économique, religieuse, sociologique, médiatique, etc. Ordinairement, ils paraissent disjoints parce qu’il est difficile, et parfois même impossible, de faire le lien entre eux. Cela permet souvent de remettre en question la réalité de la mondialisation, ou bien de mettre l’accent sur une seule de ses dimensions, à des fins politiques – par exemple, les migrations.

Or, la précision méticuleuse avec laquelle les spécialistes des épidémies enquêtent pour retrouver et identifier les patients zéro à l’origine des foyers de diffusion du virus révèle l’articulation entre ces différentes dimensions de la mondialisation contemporaine, que le virus a reliées tout au long de son itinéraire.

Tout commence ainsi dans une ville au cœur de ce que les économistes ont appelé les « chaînes de valeur globale » : Wuhan est un lieu-clé d’implantation de multinationales étrangères comme General Motors, Honda ou Renault. Dotée de gigantesques zones industrielles, elle a reçu plus de 20 milliards de dollars d’investissements étrangers ces dernières années. En Chine, elle ressemble au Chicago analysé par les premiers sociologues américains du début du XXe siècle : au cœur du pays, c’est un nœud ferroviaire et un lieu d’intenses circulations. Elle accueillait chaque année 1 milliard de passagers par train ou avion au début des années 2000, 4 milliards à la fin 2019. Quelque 3 500 passagers en décollaient chaque jour vers l’étranger.

La mise à l’arrêt des industries productives en Chine a donc littéralement cassé le premier maillon des chaînes de valeur globales et entraîné, à l’autre bout de la chaîne, le plongeon des marchés financiers dans les « villes globales » – Tokyo, Londres, New York –, que les économistes qualifient comme telles parce que c’est là que la production mondiale est coordonnée et financée.

L’épidémie a poursuivi son trajet à travers un second dispositif, celui des paquebots touristiques. Les affres du Diamond-Princess doivent être replacées dans un contexte d’explosion de ce type de tourisme : il y avait 10 millions de passagers sur les paquebots au début des années 2000, ils sont désormais 30 millions. Le tourisme est une dimension cruciale de la mondialisation contemporaine. Le nombre de passagers aériens a triplé en vingt ans : 1,5 milliard au début des années 2000, 4,5 milliards aujourd’hui. Le virus est arrivé en Europe par le tourisme et par avion, que ce soit en Haute-Savoie, en Italie du Nord ou dans l’Oise, à proximité de Roissy-Charles-de-Gaulle. »

 

L’un des chantres de l’ultralibéralisme , Nicolas Beytout de L’opinion, justifie la mondialisation

L’un des chantres de l’ultralibéralisme , Nicolas Beytout de L’opinion, justifie la mondialisation

L’intéressé soutient l’idée qu’on fait un mauvais procès à la mondialisation. Avec le même aveuglement, il affirme que cela ne changera strictement rien à cette mondialisation. On comprend évidemment que certains soient porteurs d’une vision libérale, voire ultralibérale ou au contraire socialisante. Par contre, quand ces doctrines se transforment en véritable religion et ses adeptes en croyants militants, cela offense à la fois la raison et le sens des réalités. En effet contrairement à ce qu’affirme l’intéressé, il y aura bien nécessairement une restructuration des processus de production et de distribution incluant compris une certaine relocalisation.

 

Interview dans l’Opinion ( journal dont Nicolas Beytout est le patron !)

 

La progression rapide de l’épidémie de coronavirus, depuis la Chine jusqu’en Amérique Latine, a ravivé les accusations qui pèsent sur la mondialisation.

Les deux piliers de la mondialisation sont la libre circulation des personnes et celle des biens. Autrement dit, tout ce qui favorise et accélère les échanges. La libre circulation des personnes est, bien sûr, à l’origine de l’expansion rapide de l’épidémie partout dans le monde.

D’où les mesures d’isolement et les restrictions de circulation ?

Ce qui fait de la circulation des personnes à la fois la cause et la victime de cette épidémie. Le tourisme, les déplacements professionnels, l’aérien, l’industrie des loisirs se sont développés à une vitesse vertigineuse depuis 20 ou 30 ans. Aujourd’hui, ils le payent cash avec le confinement, les contrôles aux frontières, l’effondrement du trafic aérien et les sanctions économiques qui sont brutales.

Et pour ce qui concerne la circulation des biens ?

Cet autre pilier de la mondialisation est lui aussi fragilisé. Il y a 15 ans, la Chine représentait 1% du commerce mondial. Aujourd’hui, c’est 35 %. Le monde entier a délocalisé une partie de sa production vers l’Asie où on a fait fabriquer des produits finis, où on a multiplié les sous-traitants, et les sous-traitants de sous-traitants. C’est une chaîne d’une incroyable complexité qui s’est mise en place. Qui est en partie bloquée par la crise sanitaire, et qui porte donc un coup à l’économie du reste du monde.

D’où les critiques sur la mondialisation qui nous fragilise en nous rendant dépendant de la Chine ?

Oui mais il faut faire le tri dans tout ça. Que la fabrication de médicaments soit dépendante à 80% de la Chine pour certains principes actifs, c’est effectivement un risque sanitaire et stratégique. Que cette industrie rejoigne les secteurs sensibles comme l’armement ou les télécoms, que l’on rapatrie en Europe une partie de cette production est sûrement souhaitable. Mais pour le reste, non, d’ailleurs beaucoup d’usines redémarrent déjà.

Donc pas de reflux général de la mondialisation après cette crise ?

Non, Nicolas Beytout considère que l’on peut accuser la mondialisation d’avoir permis une extension ultra-rapide de la maladie. Mais la grippe espagnole, il y a 100 ans, n’était pas un produit de la globalisation. C’est pourtant la pire épidémie connue à ce jour avec 250.000 morts en France, 50 à 100 millions dans le monde entier. Sans parler de la grande peste au XIVème siècle qui a fait 25 millions de morts en Europe, soit un tiers de la population française rayée de la carte.

La réalité, c’est qu’avec la globalisation, la quasi-immédiateté de l’épidémie s’accompagne d’une quasi-immédiateté de la réaction : vigilance, quarantaine, soins, tout est instantané à l’échelle mondiale.

La dernière épidémie de peste recensée par l’OMS date d’il y a deux ans seulement. Elle a fait 127 morts, à Madagascar mais elle a été bloquée. Les pandémies ont toujours existé. Simplement, aujourd’hui, si elles se répandent plus vite, on peut aussi mieux les combattre.

Mondialisation commerciale mais aussi culturelle (Ian Goldin, professeur à Oxford)

Mondialisation commerciale mais aussi culturelle (Ian Goldin, professeur à Oxford)

 

Ian Goldin, professeur à Oxford, souligne l’évolution des esprits sur la mondialisation au Forum de Davos, tout regrettant « le manque d’engagement concret à régler les problèmes ». (Tribune du Monde). Ian Goldin est professeur à Oxford et spécialiste de ces questions. Il redoute que la politique menée par l’administration Trump laisse « se développer les côtés les plus laids de la mondialisation ».

La mondialisation peut-elle être remise en cause par l’administration Trump et ses menaces de guerre commerciale ?

Non car la mondialisation est loin d’être un phénomène purement commercial. Elle repose aussi sur la diffusion des idées à travers la planète, et le développement accéléré de la technologie. Cela dit, les initiatives américaines peuvent faire beaucoup de mal. Aux Etats-Unis eux-mêmes d’abord, mais aussi à la coopération internationale. En « affamant » les institutions internationales, comme Donald Trump semble vouloir le faire, on risque de laisser se développer les côtés les plus laids de la mondialisation, que ce soit les inégalités ou la pollution. Et de vrais progrès, comme le recul de l’illettrisme à travers le monde, pourraient être interrompus.

Paradoxalement, ce repli américain va laisser plus de place à la Chine, que les Etats-Unis prétendent pourtant vouloir contrecarrer. Mais aussi à l’Europe, qui peut avoir là un vrai rôle à jouer. L’Europe semble parfois faible, mais sur certains aspects, elle est la région la plus importante du monde. C’est le cas, par exemple, pour sa politique de développement. Ou encore son système de régulation des données, le RGPD [règlement  général sur la protection des données] qui est le plus sophistiqué de la planète.

Cette question de la régulation des données a beaucoup animé les débats à Davos. Pensez-vous qu’on puisse établir une gouvernance mondiale des données ?

Vraisemblablement pas de sitôt. Et c’est l’un des aspects les plus épineux de la mondialisation qu’il va nous falloir régler. Tout ce processus va se heurter à d’importantes résistances de la part des entreprises et de certains Etats. Cette grande tension qui monte entre les Etats-Unis et la Chine est d’ailleurs largement liée au sujet des données. Plus une entreprise dispose de données, plus elle devient puissante et efficace. De par la nature de leur fonctionnement, la Chine et ses entreprises ont la possibilité de les collecter très rapidement, ce qui leur donne un grand avantage concurrentiel.

Que pensez-vous de tous les appels lancés à Davos en faveur d’une meilleure prise en compte des inégalités ? Se trouve-t-on à un tournant ?

Il semble y avoir une prise de conscience que les pratiques actuelles ne sont pas soutenables. La question est : tout cela va-t-il déboucher réellement sur quelque chose ? Ce qui est encourageant, c’est cette reconnaissance d’une nécessité de changement. Ce qui est dommage, c’est le manque d’engagement concret à régler les problèmes. Qui a-t-on vraiment entendu dire ici : je m’engage dans une stratégie d’investissement zéro carbone, ou encore je vais taxer davantage les plus riches pour plus de redistribution et de meilleurs services publics ? Il faut rendre les gouvernements et les entreprises responsables et comptables de leurs actes. La mondialisation va très vite. Il faut donc agir
plus vite encore pour pouvoir répondre aux défis.

 

 

Mondialisation « La Fin heureuse est terminée » ? (Geoffroy Roux de Bézieux)

Mondialisation « La Fin  heureuse est terminée » ? (Geoffroy Roux de Bézieux)

Le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux constate que la croissance ne génére pas une baisse significative du chômage, il en incombe la responsabilité au contexte international mais aussi aux postes non pourvus. Un dernier aspect  assez réducteur même si le phénomène existe. Cela dit cela concerne environ 300 000 postes non pourvus quand le nombre de chômeurs atteints 5.5 millions de personnes. (Interview JDD)

Quel regard portez-vous sur ce taux de chômage qui a cessé de baisser et les difficultés de recrutement qui s’accroissent? 
Cette situation est complètement paradoxale même si elle n’est pas nouvelle. Cet écart s’amplifie et nous avons une responsabilité collective. La France crée des emplois. Entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2017, près de 777.000 emplois ont été générés en partie grâce au crédit impôt compétitivité emploi et à l’action des entreprises. En 2017, le taux de croissance a atteint 2,3 %, ce que notre pays n’avait pas connu depuis la crise. Mais cette croissance ne se traduit pas par une baisse importante du chômage.

 

Allez-vous vous engager à créer un million d’emplois comme votre prédécesseur?
Il y en a déjà eu 770.000 ! Mais il faut être lucide, Le sujet est très complexe, multicausal et il n’y a malheureusement pas de formule magique. Je m’engage néanmoins à ce que le Medef de propositions que je porte réfléchisse à ce scandale français que sont les difficultés de recrutement dans une période de chômage de masse et fasse des suggestions pour trouver des solutions.

La situation internationale vous inquiète-t-elle?
La mondialisation heureuse est terminée. Il y a une très forte agressivité commerciale de certains pays et, face à cela, nous devons avoir une Europe combative au service des producteurs et pas seulement des consommateurs, et qui tombe l’habit de la naïveté. Le rétablissement des sanctions américaines face à l’Iran est un scandale absolu ! Ça n’est pas à Donald Trump de dire si les entreprises françaises peuvent commercer avec ce pays ou pas. Nous touchons là la limite de la démocratie et réalisons que la souveraineté économique de l’Europe n’existe pas. Il serait pourtant crucial pour notre avenir commun que celle-ci existe.

Sondage Mondialisation : les Français critiques

Sondage Mondialisation : les Français critiques

Globalement les Français sont critiques mais encore davantage les catégories peu formées et peu rémunérées. Un gros, il se confirme que certains profitent davantage du phénomène d’accroissement des échanges mondiaux et de l’internationalisation des processus de production. Une question qui renvoie évidemment à la nécessité de la formation initiale et de la formation permanente.  Un  sondage OpinionWay pour le Printemps de l’économie montre en effet que  6 personnes interrogées sur 10 ont une mauvaise opinion de ce phénomène et 14% en ont une très mauvaise opinion. . 47% des personnes questionnées jugent qu’elles a eu des effets négatifs contre 39% pensent qu’elle eu des effets positifs.  Plus de 55% des interrogés jugent que dans le domaine économique et environnemental, la globalisation a eu des effets négatifs. Les personnes interrogées critiquent fortement ces effets sur les salaires (65%), l’emploi (64%) et le pouvoir d’achat (58%). Sur la croissance, les avis sont plus partagés. 49% considèrent que la mondialisation a eu une influence négative, tandis qu’un tiers des personnes interrogées lui attribuent des effets positifs. Pour les trois quart des interrogés, la mondialisation devrait continuer de s’étendre et devrait toucher à terme tous les secteurs de l’économie. L’uniformisation est également une crainte exprimée par 54% des Français tant au niveau du mode de vie que des pratiques culturelles similaires qui pourraient aboutir à ce que toutes les sociétés se ressemblent. Seule une minorité de Français (34%) jugent que la mondialisation favorisera la paix dans le monde et que les inégalités de revenus diminueront sous son influence. Au final, les Français sont plutôt pessimistes sur leur avenir dans le contexte de la mondialisation. Ils s’inquiètent en particulier du futur des générations à venir. « L’avenir de la France (67%) et du monde (65%) représentent également des sources d’inquiétude fortes et à leur échelle personnelle, les Français reconnaissent également être pessimistes pour leur propre avenir (63%) ». Le niveau vie des interrogés semble également jouer un rôle primordial dans la perception de la mondialisation. Les catégories les plus défavorisées qui expriment le plus de critiques à l’égard de la mondialisation sont également celles qui se sentent le plus démunies pour l’avenir. Ainsi, 58% des interrogés issus des catégories populaires (contre 54% des personnes issues des catégories favorisées), 62% des personnes non diplômées (contre 46% des personnes ayant un diplôme du supérieur à bac+2) et 57% des personnes ayant un niveau de revenu inférieur à 2.000 euros par mois (contre 51% des personnes gagnant 3.500 euros par mois ou plus) déclarent être pessimistes sur ces perspectives d’avenir dans le cadre de la mondialisation.

(*) Cette étude a été réalisée auprès d’un échantillon de 1.002 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de catégorie d’agglomération et de région de résidence. Les interviews ont été réalisées par questionnaire autoadministré en ligne sur système CAWI (Computer Assisted Web Interview). Les interviews ont été réalisées du 14 au 16 février 2018.

Le G20 Finances pour une mondialisation plus « équitable »

Le G20 Finances pour une mondialisation plus « équitable »

 

Le G20 commence à prendre conscience du rapport méfiant qu’entretiennent nombre de citoyens vis-à-vis de la mondialisation ;  une découverte un peu tardive dans la mesure où l’incompréhension se traduit par des choix démocratiques qui privilégient le souverainisme, le nationalisme voire la haine. Sur ce terrain,  l’analyse ne peut être manichéenne : le refus total de toute mondialisation ou son acceptation. La mondialisation est un fait incontournable, elle découle de plusieurs phénomènes notamment de la complexification des processus de production mais aussi de l’aspiration à nombre de pays en développement d’accéder au progrès social. La question  n’est donc pas  pour contre la mondialisation mais quelle régulation mettre en œuvre pour mieux tenir compte des conditions de concurrence dans les domaines économiques, fiscaux, sociaux, environnementaux et de la santé. Bref comment faire en sorte pour progressivement harmoniser ces conditions et permettent aussi une répartition plus juste de la richesse produite. Ceci vaut dans les pays développés mais encore davantage dans les pays en développement ou des fortunes naissent en quelque années grâce aux relations avec des pouvoirs corrompus. Cette régulation reste à mettre en œuvre et même à concevoir. Faute de cela le risque est grand de voir se multiplier les replis nationalistes avec des menaces  de guerre qui y sont liées. Les principales puissances économiques se sont donc « entendues »  pour faire en sorte que la mondialisation soit plus « équitable » afin d’éviter des poussées protectionnistes, a assuré vendredi le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble à l’issue d’une réunion du G20 Finances à Washington. « Beaucoup de personnes ont l’impression de ne pas bénéficier des avantages de la croissance et de la mondialisation et il faut qu’on s’attaque à cela. Autrement, on verra plus de protectionnisme et de pays délaissant la mondialisation », a assuré le ministre dont le pays préside le G20 cette année.

Chine : 100 morts, le prix de la mondialisation

Chine : 100 morts, le prix de la mondialisation

 

Ce n’est sans doute pas un hasard si la Chine est devenue l’usine du monde. Il y a d’abord cet immense réservoir de main-d’œuvre à bon marché, ensuite des normes de sécurité approximatives et la corruption qui permet aux pays d’être l’un des plus compétitifs au monde ( il est vrai qu’il y a encore pire dans certains autres pays asiatiques). Par parenthèse les conditions générales de production des multinationales occidentales implantées en Chine sont à peine meilleures que celle des entreprises purement chinoises. C’est le prix à payer de la mondialisation. Et c’est précisément parce que ces conditions de production sont mauvaises qu’on peut produire à bas prix. C’est sur ce principe que repose essentiellement l’accélération des échanges internationaux. Bien sûr il y a des effets positifs sur le plan local puisse que l’économie se développe, et c’est tant mieux, pour autant certaines conditions de production notamment en matière sociale, en matière de sécurité ne saurait être tolérées. Après de nombreux incidents concernant toute la Chine, ce sont donc encore deux énormes explosions qui ont touché mercredi la zone industrielle de la ville portuaire de Tianjin, dans le nord-est de la Chine, ont fait 104 morts, selon un nouveau bilan publié par les médias officiels chinois samedi. Le président Xi Jinping, cité par l’agence de presse Chine nouvelle, a indiqué que des leçons seront tirées de cet incident meurtrier et a appelé à un renforcement des mesures de sécurité sur les lieux de travail. Alors que les causes de la catastrophe n’ont pas encore été précisément établies, les autorités chinoises ont ordonné samedi l’évacuation d’habitants de Tianjin hébergés dans une école proche du site des deux énormes explosions, un changement de direction du vent ayant ravivé les craintes de dispersion de particules toxiques.  La police chinoise a confirmé pour la première fois la présence de cyanure de sodium près de l’entrepôt où ont eu lieu les explosions. Les enquêteurs ont établi la présence de ce produit chimique dangereux, qui peut être mortel s’il est ingéré ou inhalé, « à l’est du site de l’explosion », sur une zone industrielle du port de Tianjin, a expliqué le site internet Beijing News.

 

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