Archive pour le Tag 'mondialisation'

Économie : Maintien du niveau de mondialisation

Économie : Maintien du niveau de mondialisation

 

 En dépit des risques géopolitiques , les échanges mondiaux affichent une relative bonne santé. Le signe sans doute que les économies sont encore relativement interdépendantes.

Les échanges mondiaux de marchandises devraient s’afficher en croissance de 2,6% en 2024 et 3,3% en 2025 en volume, pronostique le dernier rapport «Perspectives et statistiques du commerce mondial», de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

En 2023, même s’ils sont restés bien supérieurs aux niveaux d’avant la pandémie de Covid, les échanges internationaux de marchandises ont reculé de 1,2% en volume. En valeur, leur chute a atteint 5%, pour un total de 24.010 milliards de dollars (22.097 milliards d’euros). Cette baisse due notamment à la chute des prix des produits de base, tels que le pétrole et le gaz, a été en partie compensée par le bond de 9% du commerce des services (7540 milliards de dollars), portés par la reprise des voyages internationaux et l’essor des services numériques.

 

L’évolution de la mondialisation

 

Déjà ébranlée à la suite de la crise financière de 2007-2009, la mondialisation a depuis évolué au rythme des prises de conscience que les chocs, qui ont secoué l’économie mondiale depuis 2020, ont déclenché. À cela s’est ajoutée l’impérieuse nécessité de sauver le climat, pour conduire à une mondialisation où les forces de fragmentation deviennent tangibles. Alors que la mondialisation était déjà soumise à une défiance grandissante, la crise sanitaire va venir révéler à tous que les interdépendances nous rendent vulnérables. À partir de là, la question de la sécurité des approvisionnements va peu à peu l’emporter face aux forces, qui prévalaient jusque-là, d’une libéralisation toujours plus poussée des flux commerciaux. Ce sont d’abord les États qui vont s’en soucier pour les produits stratégiques. Et c’est la découverte pour eux que les chaînes de valeur mondiales sont terriblement opaques et qu’il va falloir les sécuriser quitte à faire revenir sur le sol national, ou en tout cas pas trop loin, la production de certains biens. Ce sont ensuite les entreprises qui, confrontées aux ruptures d’approvisionnement post-crise sanitaire, vont réaliser que la sécurité doit désormais entrer dans l’équation de leurs coûts. Car dans un monde moins fluide et moins sûr qu’auparavant le moindre coût pour elles n’est plus de rechercher les approvisionnements au plus faible coût car les pertes occasionnées par ces ruptures sont lourdes.

par 

Adjointe au directeur du CEPII, CEPII

Pour autant jusque-là, même si les préoccupations sur la sécurité économique montaient, la mondialisation n’était pas remise en cause par des prises de position radicales des États. Et puis, l’invasion de l’Ukraine par la Russie est venue raviver ces inquiétudes et à nouveau nous montrer, surtout à nous Européens, et en particulier à l’Allemagne, jusque-là très attachée au libre-échange, que les interdépendances nous fragilisent, avec les ruptures d’approvisionnement de gaz et la crise énergétique qui s’est ensuivie.

C’est aussi la révélation que le commerce n’empêche pas la guerre, et la crainte que cela se produise en Asie, si la Chine envahissait Taïwan avec des répercussions sur l’économie mondiale qui seraient d’une tout autre ampleur. Aux risques liés aux interdépendances s’ajoutent alors les risques géopolitiques.

Face à cela, ce sont les États-Unis qui vont être les premiers à réagir. En avril 2022, Janet Yellen, secrétaire d’État au Trésor, va populariser la recommandation, issue du rapport sur les chaînes de valeur mondiales remis à l’administration Biden en juin 2021, de renforcer les liens commerciaux avec les alliés, ceux qui partagent les mêmes valeurs. C’est la politique du friendshoring, qui anime, depuis lors, la stratégie américaine en matière de politique commerciale.

Et puis en août 2022 c’est l’Inflation Reduction Act (IRA), qui vient préciser comment les Américains entendent à la fois lutter contre le dérèglement climatique, et c’est leur grand retour dans ce domaine, mais aussi retrouver la confiance de la classe moyenne et leur puissance dans les industries d’avenir, les industries vertes. C’est aussi le CHIPS and Science Act, promulgué le même mois, qui vise à retrouver un leadership américain dans l’industrie des semi-conducteurs, ces éléments indispensables aux technologies du futur.

C’est enfin en avril 2023, le discours de Jake Sullivan, conseiller à la sécurité de Joe Biden, qui va présenter la cohérence d’ensemble de la démarche américaine : face à un monde qui a déçu, avec son lot d’emplois détruits, de pans de l’industrie qui ont disparu et de technologies d’avenir qui se sont développées en dehors des frontières, plus question, pour faire face aux défis à relever, de s’en remettre aux anciennes recettes.

C’est un « nouveau consensus de Washington » qui se dessine et qui se définit en opposition à l’ancien qui faisait de la libéralisation des forces du marché et du retrait des États sa principale mission. La politique industrielle, décriée pendant des décennies, est le pilier de ce nouveau consensus et la sécurité économique sa motivation. Plus question non plus de s’en remettre aux forces du marché et au libre-échange pour assurer l’avenir.

C’est l’esprit de l’IRA, qui s’appuie sur des mesures qui vont à l’encontre des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en octroyant des subventions assorties de clauses de contenu local. C’est aussi l’esprit des mesures prises pour « dérisquer » l’économie américaine de celle de la Chine, à savoir la « découpler » dans les technologies à double usage, celles qui pourraient être utilisées à des fins militaires (semi-conducteurs, informatique quantique et intelligence artificielle). Restrictions des exportations, contrôle des investissements sortants ont remplacé dans ces technologies la logique de la libéralisation et des avantages comparatifs.

Si l’Union européenne (UE), de par son ADN plus axé sur la promotion de l’ouverture, se montre moins agressive que les États-Unis, tant dans les discours que dans les mesures prises, elle n’est pas restée en marge de ce mouvement, cherchant elle aussi, dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, à se protéger des risques, à rester dans la course technologique et ne pas rater le train des industries de demain. Autonomie stratégique ouverte, European Chips Act, Pacte vert, Net Zero Industry Act, « dérisquage » et sécurité économique… font désormais partie du logiciel européen.

Quant à la Chine, alors qu’elle a bâti sa puissance sur son insertion internationale mais également sur une politique industrielle très active et qu’elle élabore depuis dix ans, avec son plan « Made in China 2025 », de quoi être moins dépendante de l’étranger, elle ne manque pas une occasion de dénoncer ce qu’elle qualifie de protectionnisme américain ou européen et se pose en apôtre de l’ouverture, comme lors du dernier forum des Nouvelles routes de la soie en octobre dernier.

Pourtant, dès 2020 elle adoptait une loi sur les contrôles à l’exportation pour cause de sécurité nationale, contrôles mobilisés en août 2023, avec la décision de soumettre les exportations de gallium et de germanium à un visa d’exportations au motif de préserver la sécurité et les intérêts nationaux.

On le voit, la mondialisation a depuis deux ans pris une tournure bien différente de celle qui prévalait jusque-là. Les considérations géopolitiques sont désormais particulièrement prégnantes et, avec elles, le risque qu’une logique de blocs se mettent en place est loin d’être négligeable. Toutefois, dans un contexte d’interdépendances aussi intenses que celles qui règnent aujourd’hui, les détricoter ne sera pas si facile.

La surestimation des bénéfices de la mondialisation

La surestimation des bénéfices de la mondialisation

Pour la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, « nous avons trop longtemps insisté sur les bénéfices de la mondialisation ». Dans un entretien au « Monde », la directrice générale du Fonds monétaire international s’inquiète du danger de fragmentation de l’économie mondiale et de la montée des risques géopolitiques.

Si l’inflation reflue enfin, la crise au Moyen-Orient et les risques géopolitiques pourraient de nouveau faire décoller les prix du pétrole, prévient Kristalina Georgieva. Présente à Paris du 9 au 11 novembre, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) s’alarme du risque de fragmentation du commerce mondial, susceptible, selon elle, d’augmenter la pauvreté et l’insécurité pour tous.

La tentation protectionniste monte sur tous les continents. La mondialisation basée sur le libre-échange est-elle morte ?
Pendant longtemps, nous avons trop insisté sur les bénéfices de la mondialisation. Ils ont été considérables : sur les trois dernières décennies, l’économie mondiale a triplé, en particulier au profit des économies en développement qui, elles, ont quadruplé, et il en a résulté une incroyable réduction de la pauvreté. Mais tout le monde n’en a pas profité. Trop longtemps, l’attention n’a pas suffisamment porté sur ceux dont les emplois et les moyens de subsistance se sont évaporés, parce que les mécanismes de compensation ont été insuffisants. Cela a créé un terrain fertile pour les mouvements altermondialistes et le populisme.

Pire, depuis la pandémie de Covid-19, nous assistons à des chocs exogènes en série qui entraînent des interruptions massives des chaînes d’approvisionnement. Cela peut pousser des entreprises à vouloir rapprocher une partie de leur production. Mais cela ne va pas sans poser de problème, car cela concentre les risques au même endroit en cas de nouveau choc.

Comment, alors, réinventer la mondialisation ?
Nous ne pouvons pas revenir au modèle passé, où trop de personnes ont perdu, et qui ne reconnaît pas suffisamment que la sécurité des approvisionnements est aussi une question de sécurité économique, et pas uniquement de sécurité nationale. Il convient de repenser la mondialisation autant que possible en collaboration avec nos partenaires.

La mutation de la mondialisation

La mutation de la mondialisation

La mondialisation a atteint un tournant critique où la flambée des flux de données et d’informations génère désormais plus de valeur économique que le commerce mondial des marchandises daprès uen étude de McKinsey rapportée par the digital Insurer

Dans le rapport «Mondialisation numérique: la nouvelle ère des flux mondiaux», James Manyika et Susan Lund de McKinsey évoquent les tendances des échanges transfrontaliers de biens, services, finances, personnes, données et informations. Selon le rapport, les flux de données transfrontières devraient être multipliés par neuf d’ici 2020. D’autres résultats clés sont les suivants:

• Les flux mondiaux de biens, de services, de finances, de personnes et de données ont contribué à au moins 10% du PIB mondial, ajoutant 7.8 billions de dollars en 2014 avec des flux de données représentant 2.8 billions de dollars
• D’ici 2020, près d’un milliard d’acheteurs dépenseront 1 billion de dollars dans le commerce transfrontalier. Il y a déjà 1 millions de petites et moyennes entreprises (PME) sur les réseaux sociaux; 50 millions de PME font du commerce sur le site e-commerce Alibaba et 10 millions sur Amazon
• D’ici 2025, l’impression 3D pourrait déplacer certains échanges de produits manufacturés
• D’ici 2019, les connexions machine à machine devraient représenter plus de 40% des appareils et des connexions mondiaux
• Singapour en tête des dernières Indice de connectivité McKinsey MGI, qui quantifie les entrées et sorties de biens, de services, de finances, de personnes et de données. Singapour est suivie des Pays-Bas, des États-Unis et de l’Allemagne. La Chine est passée du n ° 25 au n ° 7
• Par 2025, MGI estime que les entreprises basées sur les marchés émergents représenteront 45% du classement mondial Fortune 500, contre 26% aujourd’hui
Presque tous les secteurs verticaux connaissent une croissance numérique en termes de nouvelles idées, de talents et d’intrants, ce qui pourrait entraîner des perturbations massives dans toutes les chaînes de valeur.

Les entreprises doivent se poser quelques questions pour créer une situation gagnant-gagnant sur le marché numérique:
1. Votre empreinte et votre structure organisationnelle ont-elles un sens dans un monde plus numérique?
2. Devez-vous proposer une marque et une gamme de produits dans le monde entier ou personnaliser pour les marchés locaux?
3. Avez-vous les bons fournisseurs et canaux clients?
4. Avez-vous les bons atouts pour rivaliser numériquement et mondialement?
5. Êtes-vous prêt pour une nouvelle ère de concurrence mondiale accélérée numériquement?
6. Êtes-vous prêt à affronter de nouveaux risques?

Cette transition des entreprises traditionnelles vers NextGen créera de nouvelles opportunités en favorisant des emplacements riches en infrastructures, institutions et environnements commerciaux.
Avec la vigilance numérique croissante des acteurs du marché, les décideurs politiques seront confrontés aux défis suivants:
• Créer un environnement propice aux flux de données pouvant varier d’un pays à l’autre
• Éliminer les obstacles politiques et administratifs qui entravent les flux mondiaux
• Faire face à la dislocation en cas d’emploi et d’autres causes sociétales
• Investir dans le capital humain
• Construire l’infrastructure nécessaire et réduire la fracture numérique
• Créer un environnement commercial et institutionnel solide
• Protéger la confidentialité des données tout en maintenant un Internet ouvert
• Faire de la cybersécurité une priorité absolue
C’est aux décideurs politiques de saisir les avantages numériques tout en atténuant les risques. Pour les acteurs du marché, il s’agit de présenter la bonne aptitude et l’attitude nécessaires pour survivre et s’adapter à l’évolution du paysage numérique, en tirant le meilleur parti des opportunités disponibles.

La mondialisation à un tournant

La mondialisation à un tournant

La mondialisation a atteint un tournant critique où la flambée des flux de données et d’informations génère désormais plus de valeur économique que le commerce mondial des marchandises daprès uen étude de McKinsey rapportée par the digital Insurer

Dans le rapport «Mondialisation numérique: la nouvelle ère des flux mondiaux», James Manyika et Susan Lund de McKinsey évoquent les tendances des échanges transfrontaliers de biens, services, finances, personnes, données et informations. Selon le rapport, les flux de données transfrontières devraient être multipliés par neuf d’ici 2020. D’autres résultats clés sont les suivants:

• Les flux mondiaux de biens, de services, de finances, de personnes et de données ont contribué à au moins 10% du PIB mondial, ajoutant 7.8 billions de dollars en 2014 avec des flux de données représentant 2.8 billions de dollars
• D’ici 2020, près d’un milliard d’acheteurs dépenseront 1 billion de dollars dans le commerce transfrontalier. Il y a déjà 1 millions de petites et moyennes entreprises (PME) sur les réseaux sociaux; 50 millions de PME font du commerce sur le site e-commerce Alibaba et 10 millions sur Amazon
• D’ici 2025, l’impression 3D pourrait déplacer certains échanges de produits manufacturés
• D’ici 2019, les connexions machine à machine devraient représenter plus de 40% des appareils et des connexions mondiaux
• Singapour en tête des dernières Indice de connectivité McKinsey MGI, qui quantifie les entrées et sorties de biens, de services, de finances, de personnes et de données. Singapour est suivie des Pays-Bas, des États-Unis et de l’Allemagne. La Chine est passée du n ° 25 au n ° 7
• Par 2025, MGI estime que les entreprises basées sur les marchés émergents représenteront 45% du classement mondial Fortune 500, contre 26% aujourd’hui
Presque tous les secteurs verticaux connaissent une croissance numérique en termes de nouvelles idées, de talents et d’intrants, ce qui pourrait entraîner des perturbations massives dans toutes les chaînes de valeur.

Les entreprises doivent se poser quelques questions pour créer une situation gagnant-gagnant sur le marché numérique:
1. Votre empreinte et votre structure organisationnelle ont-elles un sens dans un monde plus numérique?
2. Devez-vous proposer une marque et une gamme de produits dans le monde entier ou personnaliser pour les marchés locaux?
3. Avez-vous les bons fournisseurs et canaux clients?
4. Avez-vous les bons atouts pour rivaliser numériquement et mondialement?
5. Êtes-vous prêt pour une nouvelle ère de concurrence mondiale accélérée numériquement?
6. Êtes-vous prêt à affronter de nouveaux risques?

Cette transition des entreprises traditionnelles vers NextGen créera de nouvelles opportunités en favorisant des emplacements riches en infrastructures, institutions et environnements commerciaux.
Avec la vigilance numérique croissante des acteurs du marché, les décideurs politiques seront confrontés aux défis suivants:
• Créer un environnement propice aux flux de données pouvant varier d’un pays à l’autre
• Éliminer les obstacles politiques et administratifs qui entravent les flux mondiaux
• Faire face à la dislocation en cas d’emploi et d’autres causes sociétales
• Investir dans le capital humain
• Construire l’infrastructure nécessaire et réduire la fracture numérique
• Créer un environnement commercial et institutionnel solide
• Protéger la confidentialité des données tout en maintenant un Internet ouvert
• Faire de la cybersécurité une priorité absolue
C’est aux décideurs politiques de saisir les avantages numériques tout en atténuant les risques. Pour les acteurs du marché, il s’agit de présenter la bonne aptitude et l’attitude nécessaires pour survivre et s’adapter à l’évolution du paysage numérique, en tirant le meilleur parti des opportunités disponibles.

L’éloge néolibéral de la mondialisation par Pascal Lamy

L’éloge néolibéral de la mondialisation par Pascal Lamy

 

On peut être évidemment plus ou moins un accord avec l’éloge de la mondialisation chère à Pascal Lamy qui a grandement facilité l’internationalisation de l’économie notamment lorsqu’il était directeur général de l’organisation mondiale du commerce ( aujourd’hui un peu mise entre parenthèses). Mais cette interview de Pascal Lamy mérite lecture dans la mesure où l’intéressé incarne le phénomène de globalisation connue jusque-là et qui d’après lui continuera mais avec des formes différentes.(dans la Tribune)

La vision d’un « socialiste » en fait très néolibérale, proche de celle de Macron qui fait du « business » la valeur centrale de la société en abordant de manière très anecdotique les questions sociales, environnementales et sociétales et de manière un peu légère les questions géopolitiques

Dans une longue interview accordée à La Tribune, Pascal Lamy, ancien commissaire européen pour le commerce de 1999 à 2004 et ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 2005 à 2013, analyse en profondeur les conséquences géoéconomiques et géopolitiques du choc provoqué par la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales qui l’ont accompagnée. Pour lui, le monde n’est pas entré dans une phase de démondialisation ou de mondialisation fragmentée. « Les facteurs de globalisation sont en effet supérieurs aux facteurs de fragmentation ». Et la Russie, du point de vue du commerce international et de la globalisation, reste un « épiphénomène ». Plus que la globalisation, la Russie ou la place de la Chine, les enjeux prioritaires de l’Europe sont doubles : accélérer l’intégration de l’Union européenne et faire en sorte que l’Afrique gagne absolument son combat contre la démographie dans les vingt ans qui viennent. A ce titre, « l’Afrique est le problème numéro 1 pour l’Europe », estime-t-il.

 

Pascal Lamy a été commissaire européen pour le commerce de 1999 à 2004 et directeur général de l’Organisation mondiale du commerce du 1ᵉʳ septembre 2005 au 31 août 2013. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Certains voient dans la guerre en Ukraine le début d’une « démondialisation », d’autres d’une « fragmentation de la mondialisation » avec l’émergence de blocs de pays constitués sur des considérations géopolitiques, échangeant peu ou pas du tout entre eux. Quelle est votre analyse ?

PASCAL LAMY- Après la chute du mur de Berlin en 1989 on a pu penser que la géoéconomie allait l’emporter sur  la géopolitique. Depuis la crise de 2008, nous assistons à une évolution inverse comme peuvent le laisser penser plusieurs événements comme l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine, le Brexit, la montée des populismes un peu partout dans le monde, la montée des tensions sino-américaines et in fine l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Avons-nous pour autant changé de paradigme au point d’affirmer que la géopolitique va dominer la géoéconomie au cours des prochaines décennies et fracturer ce monde? Je ne le crois pas. Si je reconnais qu’il y a des changements importants, je pense que les facteurs de globalisation restent, dans l’ensemble, supérieurs aux facteurs de fragmentation. Et ce, même si la tendance générale à la globalisation sera moins forte que par le passé  -c’est ce qu’on appelle la « slowbalisation »- et que la globalisation de demain aura des formes différentes de celle d’aujourd’hui. La réduction actuelle du ratio entre l’augmentation en volume du commerce international et la croissance, est un signe de ralentissement de la globalisation, pas de régression.

En quoi cette mondialisation sera-t-elle différente ?

Elle sera différente dans son développement et ses flux, lesquels ont toujours obéi aux progrès de la technologie et à la contraction du temps qu’elle permet. La technologie modifie la distance. Le temps de l’échange, qui l’a longtemps freiné, est en train de se contracter. Davantage d’ailleurs dans les services que dans les biens. La digitalisation, surtout quand on la couple à la servicification des économies, est aujourd’hui un puissant moteur d’échange international. Au cours des vingt ans qui viennent par exemple, 50 millions de médecins indiens vont entrer dans le marché global du télédiagnostic. La technologie et la servicification de l’économie continueront donc de pousser en faveur de la globalisation. En face, il y a aussi des facteurs de déglobalisation ou de réduction des interdépendances, à commencer par la rivalité sino-américaine, qui restera le fond de tableau de la géopolitique et de la géoéconomie mondiale des 50 ans qui viennent.

Janet Yellen, la secrétaire d’Etat américain au Trésor mais aussi Christine Lagarde, la patronne de la BCE, parlent de « friend-shoring », friend-sharing », et de friend-shopping », un système qui viserait à sécuriser les chaînes de production en les organisant entre pays « amis ».  Qu’en pensez-vous ?

La crise du Covid a fait apparaître la fragilité de certaines chaînes de production. On l’avait déjà vu d’ailleurs lors de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima en 2011 ou au moment d’inondations en Asie du sud-est à la fin des années 90, mais c’est la première fois qu’on observe ce phénomène de cette ampleur. Certes, il y a une partie de « reshoring », de « safe-shoring »,  un peu de « friend-shoring », versions plurielles de diverses relocalisations de la production. Mais il y a d’autres moyens de remédier à la fragilité des chaînes de production, à commencer par la diversification des approvisionnements, laquelle augmente d’ailleurs l’échange international. Si vous passez d’un fournisseur chinois, à trois fournisseurs, un chinois, un vietnamien et un bangladais, vous contribuez à la globalisation.

La modification des flux n’est-elle pas un facteur de mutation de la mondialisation ?

Certes, mais la géographie des flux a toujours changé. Quand le salaire minimum chinois augmente de 15% par an, ou si le prix du carbone passe à 100 euros, cela change la géographie des flux. Mais ce n’est pas de la déglobalisation. C’est une globalisation avec des reliefs différents. Cela dépend des secteurs, des changements des prix relatifs, des parcours de décarbonation des uns et des autres, des évolutions des réglementations

Faut-il néanmoins s’attendre à des relocalisations en Europe ?

Un peu. Pas beaucoup, parce que le coût est élevé pour les entreprises. Bien sûr qu’il y a des éléments de « reshoring » dans l’industrie. L’impression 3D, par exemple, va, dans certains secteurs, favoriser des relocalisations. Il y a également des métiers qui, au regard de l’augmentation des salaires en Chine et dans quelques années au Vietnam et au Bangladesh, préfèreront relocaliser. Mais ce n’est pas la tendance principale, ne serait-ce qu’en raison de la géographie des marchés en croissance la plus rapide, là où il faut être, et d’abord sur le pourtour du Pacifique. Quant aux éléments de « friend-shoring », il y en a. Mais cela reste marginal, car cela coûte cher. Les rabais amicaux sont rares.

La multiplication des sources d’approvisionnement ne coûte-t-elle pas cher également ?

Pas forcément. Si vous prenez les fournisseurs du sud est Asiatique, ils ont de la place pour rogner sur leurs marges d’exportateurs.

Les critères ESG se développent très fort en Europe. Ne peuvent-ils pas contribuer à relocaliser ?

Oui, cela va jouer, un temps. Mais les autres suivront, et tant mieux. Et l’amélioration de la qualité ESG des chaînes de valeur ne signifie pas toujours qu’elles vont raccourcir. C’est la globalisation qui va servir de vecteur à la normalisation de certaines chaînes de valeur sous la pression des syndicats ou des consommateurs. Cela passera par la vérification de ce qui se passe en amont du point de vue du respect des droits de l’Homme, des régimes sociaux, des contraintes environnementales, des normes sanitaires et phytosanitaires.

La guerre en Ukraine provoque une onde de choc sur l’économie mondiale, notamment en Europe. Quel est l’impact à court et long terme sur le commerce international de cette guerre et des sanctions qui l’accompagnent ?

La Russie, du point de vue du commerce international et de la globalisation, est un épiphénomène. Ce qui se passe ne chamboule pas la globalisation. L’Europe aura moins de gaz russe, mais on ira chercher du gaz américain ou qatari. Ce n’est pas une contribution à la déglobalisation. C’est juste un changement de la carte des flux. La Russie est un cas intéressant, car c’est l’économie la moins globalisée qui soit à l’exportation. Elle pratique ce que les économistes appellent le commerce « fatal ». C’est-à-dire du commerce de surplus. Qu’exportent les Russes ? Des énergies fossiles, des minerais, des combinaisons de deux, acier ou aluminium, de l’agriculture et des armes. Ce n’est donc pas une économie globalisée au sens où elle ne crée pas des interdépendances qui naissent d’une division intelligente du travail international, au sens de l’intérêt qu’ont les pays à échanger des produits qu’ils font mieux que les autres contre des produits qu’ils font moins bien. Un intérêt qui pousse d’ailleurs à la paix. Les Russes ne sont pas dans ce jeu-là. Ils exportent ce qu’ils produisent en trop et sont obligés d’exporter. Et l’Europe importe, pour un court moment encore, du gaz russe parce qu’elle en a besoin, que son transport par gazoduc est moins cher, et son empreinte carbone moins mauvaise que celle du GNL américain.

Qui de l’Europe ou de la Russie sera la plus impactée au cours des prochaines années ?

A court terme, l’Europe souffrira et devra faire preuve de solidarité. On est en train de découvrir que l’autonomie stratégique a un prix. Politiquement ce n’est pas un hasard si en Allemagne et en France, on ne dit mot sur les rationnements d’énergie qui vont arriver à l’hiver 2023/2024. A long terme, c’est évidemment la Russie, qui est en train d’être éviscérée de tout ce qui l’avait modernisée depuis 30 ans : des investissements étrangers, des transferts de technologie, du savoir-faire occidental, des cerveaux russes qui partent.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie reprend elle aussi l’idée de commercer avec des pays amis. Les dirigeants russes et chinois n’ont d’ailleurs de cesse d’étaler au grand jour leur amitié et de montrer leur volonté de coopérer étroitement à l’avenir. Ne va-t-on pas vers la constitution d’un bloc sino-chinois sachant que la Chine pourrait facilement remplacer les Européens en Russie ?

Je n’y crois pas beaucoup. Il y a un bloc chinois, américain, un bloc européen. Ce n’est pas nouveau. Je ne pense pas que la Chine aura comme politique d’aider sérieusement la Russie au risque de sanctions. L’alliance sino-russe est plutôt une alliance narrative anti occidentale qui trouve un écho important dans le monde. La Chine fera en sorte de profiter de l’évolution de la situation. Ils ont désormais une taille, une masse, un niveau de sophistication, y compris technologique, des réseaux qui en font un acteur incontournable.

Même chose pour l’Inde ?

Probablement, à leur manière, qui n’est pas la même que celle de la Chine avec laquelle ils ont des différends, y compris territoriaux. J’ai de bonnes raisons de penser qu’ils vont se distancier des Chinois, avec qui ils ont un problème de frontières. L’Inde peut rester intelligemment neutre. Sur le plan intérieur, Narendra Modi a pris un virage anti-musulmans et pro-Hindous, qui ne va pas forcément trouver un écho favorable en Asie du Sud Est. De même, je pense que même si la Chine est en train d’essayer d’intégrer la zone du sud-est asiatique sous son influence, les pays de l’Asean vont résister. On voit comment l’Asean se renforce, c’est le seul processus d’intégration régionale, avec l’Union Européenne, qui ait progressé en permanence depuis 50 ans, pour la simple raison qu’ils ne veulent pas mettre tous leurs œufs dans le panier chinois.

La Chine est-elle une menace ?

Je pense que la Chine est une menace dans certains domaines, mais aussi qu’une Chine autarcisée est plus menaçante qu’une Chine globalisée. Aux Etats-Unis, on pense l’inverse. Par ailleurs l’idée européenne, française et américaine, sous une forme différente, d’une politique indo pacifique plus musclée fait du sens.

Vous ne croyez pas une « fragmentation » de la mondialisation pour les produits manufacturés. Qu’en est-il pour l’économie digitalisée ?

Elle sera globalisée de manière différente que la « vieille » économie. Dans certains cas davantage : les business modèles sont les mêmes partout, les plateformes, les réseaux sociaux se ressemblent, prennent du pouvoir de marché partout, et posent les mêmes problèmes de concurrence et de contenus. Mais aussi moins dans d’autres car la matière première, la donnée, n’est pas idéologiquement neutre et obéit à des préférences collectives différentes en termes de protection, de circulation, de stockage, de sécurité, de contrôle politique. Des reliefs qui n’ont rien à voir avec le monde philosophiquement plat des chemises, des voitures, des smartphones. D’où des écosystèmes différents, des principes de régulation plus variés, et donc une certaine fragmentation.

En combien de blocs ?

A mon avis ce sera en trois : Etats-Unis, Europe, Chine. Qui devront aménager convergences ici et coexistence là pour garder les bénéfices de l’ouverture et des économies d’échelle tout en satisfaisant des nécessités de sécurité. Une globalisation avec des pare-feux, en quelque sorte.

La poussée du protectionnisme observée ces dernières années un peu partout dans le monde n’est-elle pas une menace pour la globalisation ?

Le passage du protectionnisme au précautionnisme reste la grande inconnue. Le protectionnisme consiste à protéger ses producteurs de la concurrence étrangère. Cela existe depuis 22 siècles et on sait, avec des quotas, des droits de douane, des subventions pourquoi et comment faire ou, de plus en plus, ne pas faire. Le précautionnisme consiste à protéger les populations de certains risques environnementaux, sanitaires, sécuritaires au moyen de normes, de régulations et de contrôles. C’est donc une tout autre approche parce que l’on crée des obstacles à l’échange international pour ceux qui veulent exporter sur plusieurs marchés qui ne viennent pas, comme dans le cas du protectionnisme, des mesures destinées à protéger les producteurs des pays importateurs, mais des différences de régulation entre les pays où l’on veut exporter. Par exemple, un exportateur rwandais de roses peut rencontrer de gros problèmes à exporter au Japon, aux Etats-Unis ou en Europe, non pas parce qu’il est confronté à des obstacles protectionnistes de la part de ces pays, mais parce que la régulation sur les pesticides est différente dans chacun de ces pays. Ce qui l’oblige à séparer trois champs pour cultiver ses roses de manière différente pour tenir compte des trois réglementations. Le précautionnisme, dont la montée est inéluctable, crée des frottements à l’échange international. Il est la manifestation de l’augmentation du prix du risque. C’est un dénivellement du champ concurrentiel. Si on regarde par exemple où l’on peut ouvrir davantage l’échange transatlantique, ce n’est pas dans les droits de douane, sauf de manière marginale dans l’agriculture, c’est dans le domaine réglementaire, les normes, les standards, les modes de certification. D’ailleurs, où constate-t-on la montée la plus rapide  de l’influence chinoise ? C’est dans les organismes de standardisation internationale.

Une éventuelle réélection de Donald Trump serait-il un coup frein à la globalisation ?

Non. Parce que l’expérience Trump a beaucoup vacciné. Un échec annoncé. Aujourd’hui avec l’inflation, les Américains se rendent compte qu’il faut retirer les droits de douane, lesquels ont fait augmenter les prix d’un certain nombre de biens de consommation de 30%. La leçon de Trump, c’est l’échec le plus complet du protectionnisme le plus brutal et le plus inculte, consistant à penser que les droits de douane sont payés par l’exportateur. Non, ils le sont par le consommateur. Les Républicains et Démocrates partagent le même point de vue. Certes, ils veulent découpler l’économie européenne de l’économie chinoise dans les secteurs de la Tech. Mais ça, ce n’est pas d’abord une affaire de politique commerciale mais plutôt de politique industrielle, de recherche, d’innovation de formation, de qualité des systèmes sociaux.

La transition écologique peut-elle influencer la carte de la globalisation ?

La transition écologique, en ce qu’elle modifie les prix relatifs, va bien sûr affecter la carte de la globalisation, mais ce sera toujours de la globalisation. S’il y a un facteur qui résume les évolutions, c’est le « repricing », la réévaluation du risque, et d’abord du risque le plus menaçant, le risque environnemental. Mais qui est perçu de manière très différente entre L’Europe et la Chine d’un côté et les Etats Unis de l’autre. D’où un autre risque de frottements.

Quand on sait qu’une grande partie des métaux stratégiques ou du raffinage sont en Chine ou en Russie, n’y a-t-il pas un risque sur la transition écologique des pays occidentaux ?

Il peut y avoir des raisons de la freiner à court terme, mais aussi de bonnes raisons de l’accélérer. On le voit bien avec l’impact de l’invasion de l’Ukraine sur le système énergétique européen. Une partie des pays se tournent vers le charbon tandis que d’autres veulent accélérer le développement des énergies renouvelables. L’un dans l’autre, le résultat va être une accélération de la décarbonation de l’énergie européenne. En matière agricole, cela est un peu différent. Des pressions s’exercent à Bruxelles pour alléger à moyen long terme les contraintes environnementales qui vont s’appliquer à notre système agroalimentaire auxquelles il serait infondé de céder, de mon point de vue. Je n’assimile pas, contrairement à d’autres opinions, la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire.

Quelle sera la place de l’Europe demain ?

Avant l’invasion de l’Ukraine, je pensais qu’elle était entrée dans une nouvelle phase d’intégration dynamique autour du « pacte vert », de l’autonomie stratégique, du rattrapage digital. Depuis, j’en suis moins sûr parce que cette guerre est arrivée trop tôt du point de vue de de l’Europe de la défense. Poutine nous a inévitablement jetés dans les bras américains de l’OTAN et les Américains ont jeté Poutine dans ceux des Chinois. Les dés roulent. Et je ne sais pas très bien de quel côté ils vont tomber.

Certains observateurs disent pourtant que la crise, dans la capacité qu’ont eu les pays membres à pratiquer des sanctions communes à l’égard de la Russie, a renforcé l’Europe.

Ce n’est pas faux, à court terme. Il y a eu trois grandes étapes d’intégration européenne ces derniers temps, qui ont toujours résulté de crises extérieures auxquelles l’Union européenne a réagi en faisant riper l’ancre allemande : En 2008, où nous n’avons pas tenu compte du traité de Maastricht, pendant la crise du Covid avec un endettement commun, et aujourd’hui avec les sanctions contre la Russie et la décision de financer l’envoi d’armes à l’Ukraine au niveau européen.

Pour autant, cinq mois après le début de la guerre, je crois qu’il serait prématuré de considérer que la guerre en Ukraine a renforcé l’Europe. Je suis mal à l’aise quand j’entends à Washington, Londres, Pékin, Moscou, présenter ce conflit comme une affaire entre l’Ouest et le reste du monde qui considère, lui, que cette guerre n’est pas son affaire. Ce n’est pas bon signe, y compris pour l’Europe, dont j’ai toujours pensé qu’elle devait avoir son individualité. On fait partie du monde libre et c’est très bien. Mais quand j’entends certains responsables britanniques affirmer que le G7 c’est l’OTAN de l’économie, je me souviens de Trump au G7 et je frémis pour l’union des européens.

Plus que l’Occident contre le reste du monde, n’est-ce pas davantage les démocraties contre les régimes autoritaires ?

Non. Pour moi, l’Inde est une démocratie acceptable et elle n’est pas de notre côté, tandis que Singapour, qui n’en est pas une, est avec nous.

Que doit donc faire l’Europe ?

Accélérer son intégration tous azimuts. En 2050, l’UE comportera 35 membres.

Même si la dernière grande phase d’élargissement de l’Europe aux pays de l’Est en 2004 n’a pas été une réussite.

Le désir à l’époque était tellement fort, c’était impossible de faire autrement. Cela a conduit à certains raccourcis dans notre pensée de l’Europe centrale et orientale dont, on est en train de payer le prix maintenant. Pour autant, je ne suis pas d’accord pour dire que l’élargissement était précipité. Ces pays sont entrés dans l’UE une quinzaine d’années après la chute du mur de Berlin en 1989. Je rappelle que l’Espagne et le Portugal ont attendu douze ans après la fin de la dictature. A cette aune, une adhésion de l’Ukraine en dix ans serait une performance !

Pour vous l’entrée de l’Ukraine dans l’UE est donc une certitude  ?

Une forte probabilité, quand elle sera reconstruite. On est en train d’organiser deux parcours parallèles qui sont le parcours d’ajustement de l’Ukraine aux normes européennes et le parcours de reconstruction de ce pays. Reste à trouver les 500 milliards nécessaires, une addition qui va sans doute augmenter dans les mois qui viennent. L’invasion russe a rendu inévitable l’accession de l’Ukraine à l’UE, mais pas forcément à l’OTAN dans le même temps.

J’ai bien connu l’Ukraine. J’ai travaillé pour l’aider à faire entrer dans l’OMC un pays gangréné par la corruption à l’époque. Je découvre aujourd’hui un pays différent, avec une armée qui a été formée pendant 10 ans par l’OTAN. Cela n’a pas échappé aux Russes. Le fait que l’UE ait commencé, récemment il est vrai, à réfléchir à son indépendance énergétique à l’égard de la Russie et que l’Ukraine se soit renforcée a pu jouer dans la décision de lancer l’invasion le 24 février dernier.

Quand on voit les différentes oppositions entre la Commission européenne et la Pologne et la Hongrie, ou encore les liens étroits de Varsovie avec Washington qui se traduit souvent par des contrats industriels passés aux entreprises américaines plutôt qu’européennes, notamment dans la défense, ces deux pays ne sont-ils pas opposés à l’intégration européenne ?

Ces deux pays ne sont pas du tout opposés à l’intégration européenne. Ils la souhaitent, mais à leur manière, avec une idéologie politique qui n’est pas en ligne avec les règles européennes et de manière plus prononcée en Hongrie qu’en Pologne. L’illibéralisme est allé plus loin en Hongrie. Donald Tusk a une chance de gagner les prochaines élections en Pologne. Et puis, Vladimir Poutine a fait de la Pologne une telle priorité géopolitique aujourd’hui qu’on ne peut plus raisonner tout à fait de la même manière. Les conséquences du choc de l’invasion de l’Ukraine obligent à réviser la carte géopolitique de l’Europe. Les pays d’Europe Centrale et Orientale vont peser davantage dans l’espace européen.

Beaucoup en Pologne pensent que les Etats-Unis les protégeront en cas d’attaque russe. Partagez-vous cette analyse ?

Probable, oui, et les européens aussi, s’ils parviennent à s’organiser pour cela.

Craignez-vous une accentuation de la fracture Nord-Sud ?

L’augmentation de la fracture Nord-Sud est un phénomène qui m’inquiète davantage que la déglobalisation. L’apartheid vaccinal COVID que nous avons laissé s’installer aura laissé des traces durables dans le monde en développement et notamment en Afrique. La COP de Glasgow a également endommagé les relations Nord-Sud puisque le Nord a demandé au Sud de sortir rapidement des énergies fossiles sans s’engager vraiment à soutenir les investissements nécessaires. Une bonne partie de ces frustrations nourrit la réaction, qui a pu nous étonner, de beaucoup de pays à l’invasion de l’Ukraine. Pour l’Europe, l’Afrique est le problème numéro 1. Je conçois que les Etats-Unis et la Chine sont des questions géopolitiques et géoéconomiques importantes pour l’Europe, mais la vérité, dans la vie de tous les jours, est que si l’Afrique ne gagne pas la course de l’économie contre la démographie dans les vingt ans à venir, nous aurons un gros problème.

Peut-on envisager un changement du système monétaire international ?

Je ne crois pas à une modification à court terme du système monétaire international. On peut mesurer les forces respectives des monnaies par la facturation, ou leur part dans les réserves des banques centrales, mais la mesure ultime, c’est le stock d’actifs disponibles pour les investisseurs. Et ce n’est pas demain la veille que les stocks en euros ou en yuans vont dépasser les stocks en dollars. Le vrai facteur limitant, il est là. Tant que les Chinois n’auront pas changé de position sur le fait qu’un change ouvert, c’est bon pour l’économie, cela ne changera pas. C’est d’ailleurs curieux qu’on puisse être membre du FMI et ne pas avoir un change ouvert. Mais c’est le cas.

Dans les pays occidentaux, en Europe et France notamment, il y a une certaine remise en cause de la mondialisation par une partie de la population, pensez-vous qu’elle peut encore de l’ampleur ?

J’ai toujours pensé et dit que la mondialisation est à la fois efficace et douloureuse je crois aujourd’hui que et que la démondialisation est inefficace et douloureuse. Il y a eu une période où les antimondialistes disaient que la globalisation serait nuisible pour les pays en développement. La réalité a démontré le contraire. L’impact pour les pays développés a été inégal, mais d’autant plus ressenti négativement que les systèmes sociaux ont moins bien pris en charge l’insécurité sociale des changements rapides dans l’emploi qui sont intervenus, et qui proviennent pour à 85% de la technologie, et à 15% de la globalisation. Et ces 15% ont mordu dans les pays où les systèmes sociaux étaient les plus médiocres comme aux Etats-Unis et en partie en Angleterre, qui après la crise de 2008 a subi un programme d’austérité nettement plus sévère que sur le continent. D’où le Brexit, ou l’élection de Trump. Il y a effectivement une partie de l’opinion occidentale qui considère que la globalisation est négative pour l’emploi, mais ce n’est pas le cas partout. Ce n’est pas le cas dans les petits pays, un peu en France, pas beaucoup en Allemagne, ni en Italie ni en Espagne.

Comment l’expliquez-vous en France ?

La France a toujours été une exception, un angle mort du commerce international. C’est l’une de nos constantes culturelles. Il y a eu seulement une brève période de vrai libéralisme économique et commercial en France, sous Napoléon III. Avant il y avait Colbert, après il y a eu Méline. L’une des raisons pour lesquelles les Anglais sont restés libres échangistes et les Français sont devenus protectionnistes, tient à la structure foncière. En Angleterre, de grands domaines agricoles ont été conservés. Quand le prix du blé s’est effondré sur le commerce transatlantique au 19ème siècle, l’État a refusé de mettre des droits de douane pour éviter de faire monter le prix du pain et protéger les pauvres. Cette décision allait à l’encontre des landlords. En France, parce que la révolution française avait morcelé les propriétés foncières, il fallait bien protéger les petits paysans et pour éviter qu’ils soient en difficulté, l’Etat a mis des droits de douane. Dans nos mentalités collectives, la terre fermée compte plus que la mer ouverte.

Les résultats du RN et de LFI montrent que le discours anti-mondialisation a une forte résonance en France

Si on regarde les sondages en France, l’opinion est à près de 60% en faveur de la globalisation. Mais chez LFI et RN, 80% sont contre. C’est très polarisé. De mon point de vue, les économies ouvertes se développent mieux que les économies fermées. Mais je n’ai jamais été un inconditionnel de l’ouverture des échanges. Il y a simplement beaucoup plus de cas où cela donne de bons résultats que l’inverse. Mais c’est l’un parmi beaucoup d’autres instruments de politiques publiques destinées à améliorer la croissance et la qualité de vie et à réduire les inégalités. Si l’on compare les réussites et les échecs des pays dans le monde depuis cinquante ans, l’ouverture des échanges compte, mais l’éducation, la formation, le niveau des connaissances, l’innovation, la cohésion sociale, viennent loin devant.

L’éloge de la mondialisation (par Pascal Lamy)

 

L’éloge de la mondialisation (par Pascal Lamy)

On peut être évidemment plus ou moins un accord avec l’éloge de la mondialisation chère à Pascal Lamy qui a grandement facilité l’internationalisation de l’économie notamment lorsqu’il était directeur général de l’organisation mondiale du commerce ( aujourd’hui un peu mise entre parenthèses). Mais cette interview de Pascal Lamy mérite lecture dans la mesure où l’intéressé incarne le phénomène de globalisation connue jusque-là et qui d’après lui continuera mais avec des formes différentes.(dans la Tribune)

La vision d’un « socialiste » en fait très néolibérale, proche de celle de Macron qui fait du « business » la valeur centrale de la société en abordant de manière très anecdotique les questions sociales, environnementales et sociétales et de manière un peu légère les questions géopolitiques

Dans une longue interview accordée à La Tribune, Pascal Lamy, ancien commissaire européen pour le commerce de 1999 à 2004 et ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 2005 à 2013, analyse en profondeur les conséquences géoéconomiques et géopolitiques du choc provoqué par la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales qui l’ont accompagnée. Pour lui, le monde n’est pas entré dans une phase de démondialisation ou de mondialisation fragmentée. « Les facteurs de globalisation sont en effet supérieurs aux facteurs de fragmentation ». Et la Russie, du point de vue du commerce international et de la globalisation, reste un « épiphénomène ». Plus que la globalisation, la Russie ou la place de la Chine, les enjeux prioritaires de l’Europe sont doubles : accélérer l’intégration de l’Union européenne et faire en sorte que l’Afrique gagne absolument son combat contre la démographie dans les vingt ans qui viennent. A ce titre, « l’Afrique est le problème numéro 1 pour l’Europe », estime-t-il.

 

Pascal Lamy a été commissaire européen pour le commerce de 1999 à 2004 et directeur général de l’Organisation mondiale du commerce du 1ᵉʳ septembre 2005 au 31 août 2013. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Certains voient dans la guerre en Ukraine le début d’une « démondialisation », d’autres d’une « fragmentation de la mondialisation » avec l’émergence de blocs de pays constitués sur des considérations géopolitiques, échangeant peu ou pas du tout entre eux. Quelle est votre analyse ?

PASCAL LAMY- Après la chute du mur de Berlin en 1989 on a pu penser que la géoéconomie allait l’emporter sur  la géopolitique. Depuis la crise de 2008, nous assistons à une évolution inverse comme peuvent le laisser penser plusieurs événements comme l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine, le Brexit, la montée des populismes un peu partout dans le monde, la montée des tensions sino-américaines et in fine l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Avons-nous pour autant changé de paradigme au point d’affirmer que la géopolitique va dominer la géoéconomie au cours des prochaines décennies et fracturer ce monde? Je ne le crois pas. Si je reconnais qu’il y a des changements importants, je pense que les facteurs de globalisation restent, dans l’ensemble, supérieurs aux facteurs de fragmentation. Et ce, même si la tendance générale à la globalisation sera moins forte que par le passé  -c’est ce qu’on appelle la « slowbalisation »- et que la globalisation de demain aura des formes différentes de celle d’aujourd’hui. La réduction actuelle du ratio entre l’augmentation en volume du commerce international et la croissance, est un signe de ralentissement de la globalisation, pas de régression.

En quoi cette mondialisation sera-t-elle différente ?

Elle sera différente dans son développement et ses flux, lesquels ont toujours obéi aux progrès de la technologie et à la contraction du temps qu’elle permet. La technologie modifie la distance. Le temps de l’échange, qui l’a longtemps freiné, est en train de se contracter. Davantage d’ailleurs dans les services que dans les biens. La digitalisation, surtout quand on la couple à la servicification des économies, est aujourd’hui un puissant moteur d’échange international. Au cours des vingt ans qui viennent par exemple, 50 millions de médecins indiens vont entrer dans le marché global du télédiagnostic. La technologie et la servicification de l’économie continueront donc de pousser en faveur de la globalisation. En face, il y a aussi des facteurs de déglobalisation ou de réduction des interdépendances, à commencer par la rivalité sino-américaine, qui restera le fond de tableau de la géopolitique et de la géoéconomie mondiale des 50 ans qui viennent.

Janet Yellen, la secrétaire d’Etat américain au Trésor mais aussi Christine Lagarde, la patronne de la BCE, parlent de « friend-shoring », friend-sharing », et de friend-shopping », un système qui viserait à sécuriser les chaînes de production en les organisant entre pays « amis ».  Qu’en pensez-vous ?

La crise du Covid a fait apparaître la fragilité de certaines chaînes de production. On l’avait déjà vu d’ailleurs lors de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima en 2011 ou au moment d’inondations en Asie du sud-est à la fin des années 90, mais c’est la première fois qu’on observe ce phénomène de cette ampleur. Certes, il y a une partie de « reshoring », de « safe-shoring »,  un peu de « friend-shoring », versions plurielles de diverses relocalisations de la production. Mais il y a d’autres moyens de remédier à la fragilité des chaînes de production, à commencer par la diversification des approvisionnements, laquelle augmente d’ailleurs l’échange international. Si vous passez d’un fournisseur chinois, à trois fournisseurs, un chinois, un vietnamien et un bangladais, vous contribuez à la globalisation.

La modification des flux n’est-elle pas un facteur de mutation de la mondialisation ?

Certes, mais la géographie des flux a toujours changé. Quand le salaire minimum chinois augmente de 15% par an, ou si le prix du carbone passe à 100 euros, cela change la géographie des flux. Mais ce n’est pas de la déglobalisation. C’est une globalisation avec des reliefs différents. Cela dépend des secteurs, des changements des prix relatifs, des parcours de décarbonation des uns et des autres, des évolutions des réglementations

Faut-il néanmoins s’attendre à des relocalisations en Europe ?

Un peu. Pas beaucoup, parce que le coût est élevé pour les entreprises. Bien sûr qu’il y a des éléments de « reshoring » dans l’industrie. L’impression 3D, par exemple, va, dans certains secteurs, favoriser des relocalisations. Il y a également des métiers qui, au regard de l’augmentation des salaires en Chine et dans quelques années au Vietnam et au Bangladesh, préfèreront relocaliser. Mais ce n’est pas la tendance principale, ne serait-ce qu’en raison de la géographie des marchés en croissance la plus rapide, là où il faut être, et d’abord sur le pourtour du Pacifique. Quant aux éléments de « friend-shoring », il y en a. Mais cela reste marginal, car cela coûte cher. Les rabais amicaux sont rares.

La multiplication des sources d’approvisionnement ne coûte-t-elle pas cher également ?

Pas forcément. Si vous prenez les fournisseurs du sud est Asiatique, ils ont de la place pour rogner sur leurs marges d’exportateurs.

Les critères ESG se développent très fort en Europe. Ne peuvent-ils pas contribuer à relocaliser ?

Oui, cela va jouer, un temps. Mais les autres suivront, et tant mieux. Et l’amélioration de la qualité ESG des chaînes de valeur ne signifie pas toujours qu’elles vont raccourcir. C’est la globalisation qui va servir de vecteur à la normalisation de certaines chaînes de valeur sous la pression des syndicats ou des consommateurs. Cela passera par la vérification de ce qui se passe en amont du point de vue du respect des droits de l’Homme, des régimes sociaux, des contraintes environnementales, des normes sanitaires et phytosanitaires.

La guerre en Ukraine provoque une onde de choc sur l’économie mondiale, notamment en Europe. Quel est l’impact à court et long terme sur le commerce international de cette guerre et des sanctions qui l’accompagnent ?

La Russie, du point de vue du commerce international et de la globalisation, est un épiphénomène. Ce qui se passe ne chamboule pas la globalisation. L’Europe aura moins de gaz russe, mais on ira chercher du gaz américain ou qatari. Ce n’est pas une contribution à la déglobalisation. C’est juste un changement de la carte des flux. La Russie est un cas intéressant, car c’est l’économie la moins globalisée qui soit à l’exportation. Elle pratique ce que les économistes appellent le commerce « fatal ». C’est-à-dire du commerce de surplus. Qu’exportent les Russes ? Des énergies fossiles, des minerais, des combinaisons de deux, acier ou aluminium, de l’agriculture et des armes. Ce n’est donc pas une économie globalisée au sens où elle ne crée pas des interdépendances qui naissent d’une division intelligente du travail international, au sens de l’intérêt qu’ont les pays à échanger des produits qu’ils font mieux que les autres contre des produits qu’ils font moins bien. Un intérêt qui pousse d’ailleurs à la paix. Les Russes ne sont pas dans ce jeu-là. Ils exportent ce qu’ils produisent en trop et sont obligés d’exporter. Et l’Europe importe, pour un court moment encore, du gaz russe parce qu’elle en a besoin, que son transport par gazoduc est moins cher, et son empreinte carbone moins mauvaise que celle du GNL américain.

Qui de l’Europe ou de la Russie sera la plus impactée au cours des prochaines années ?

A court terme, l’Europe souffrira et devra faire preuve de solidarité. On est en train de découvrir que l’autonomie stratégique a un prix. Politiquement ce n’est pas un hasard si en Allemagne et en France, on ne dit mot sur les rationnements d’énergie qui vont arriver à l’hiver 2023/2024. A long terme, c’est évidemment la Russie, qui est en train d’être éviscérée de tout ce qui l’avait modernisée depuis 30 ans : des investissements étrangers, des transferts de technologie, du savoir-faire occidental, des cerveaux russes qui partent.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie reprend elle aussi l’idée de commercer avec des pays amis. Les dirigeants russes et chinois n’ont d’ailleurs de cesse d’étaler au grand jour leur amitié et de montrer leur volonté de coopérer étroitement à l’avenir. Ne va-t-on pas vers la constitution d’un bloc sino-chinois sachant que la Chine pourrait facilement remplacer les Européens en Russie ?

Je n’y crois pas beaucoup. Il y a un bloc chinois, américain, un bloc européen. Ce n’est pas nouveau. Je ne pense pas que la Chine aura comme politique d’aider sérieusement la Russie au risque de sanctions. L’alliance sino-russe est plutôt une alliance narrative anti occidentale qui trouve un écho important dans le monde. La Chine fera en sorte de profiter de l’évolution de la situation. Ils ont désormais une taille, une masse, un niveau de sophistication, y compris technologique, des réseaux qui en font un acteur incontournable.

Même chose pour l’Inde ?

Probablement, à leur manière, qui n’est pas la même que celle de la Chine avec laquelle ils ont des différends, y compris territoriaux. J’ai de bonnes raisons de penser qu’ils vont se distancier des Chinois, avec qui ils ont un problème de frontières. L’Inde peut rester intelligemment neutre. Sur le plan intérieur, Narendra Modi a pris un virage anti-musulmans et pro-Hindous, qui ne va pas forcément trouver un écho favorable en Asie du Sud Est. De même, je pense que même si la Chine est en train d’essayer d’intégrer la zone du sud-est asiatique sous son influence, les pays de l’Asean vont résister. On voit comment l’Asean se renforce, c’est le seul processus d’intégration régionale, avec l’Union Européenne, qui ait progressé en permanence depuis 50 ans, pour la simple raison qu’ils ne veulent pas mettre tous leurs œufs dans le panier chinois.

La Chine est-elle une menace ?

Je pense que la Chine est une menace dans certains domaines, mais aussi qu’une Chine autarcisée est plus menaçante qu’une Chine globalisée. Aux Etats-Unis, on pense l’inverse. Par ailleurs l’idée européenne, française et américaine, sous une forme différente, d’une politique indo pacifique plus musclée fait du sens.

Vous ne croyez pas une « fragmentation » de la mondialisation pour les produits manufacturés. Qu’en est-il pour l’économie digitalisée ?

Elle sera globalisée de manière différente que la « vieille » économie. Dans certains cas davantage : les business modèles sont les mêmes partout, les plateformes, les réseaux sociaux se ressemblent, prennent du pouvoir de marché partout, et posent les mêmes problèmes de concurrence et de contenus. Mais aussi moins dans d’autres car la matière première, la donnée, n’est pas idéologiquement neutre et obéit à des préférences collectives différentes en termes de protection, de circulation, de stockage, de sécurité, de contrôle politique. Des reliefs qui n’ont rien à voir avec le monde philosophiquement plat des chemises, des voitures, des smartphones. D’où des écosystèmes différents, des principes de régulation plus variés, et donc une certaine fragmentation.

En combien de blocs ?

A mon avis ce sera en trois : Etats-Unis, Europe, Chine. Qui devront aménager convergences ici et coexistence là pour garder les bénéfices de l’ouverture et des économies d’échelle tout en satisfaisant des nécessités de sécurité. Une globalisation avec des pare-feux, en quelque sorte.

La poussée du protectionnisme observée ces dernières années un peu partout dans le monde n’est-elle pas une menace pour la globalisation ?

Le passage du protectionnisme au précautionnisme reste la grande inconnue. Le protectionnisme consiste à protéger ses producteurs de la concurrence étrangère. Cela existe depuis 22 siècles et on sait, avec des quotas, des droits de douane, des subventions pourquoi et comment faire ou, de plus en plus, ne pas faire. Le précautionnisme consiste à protéger les populations de certains risques environnementaux, sanitaires, sécuritaires au moyen de normes, de régulations et de contrôles. C’est donc une tout autre approche parce que l’on crée des obstacles à l’échange international pour ceux qui veulent exporter sur plusieurs marchés qui ne viennent pas, comme dans le cas du protectionnisme, des mesures destinées à protéger les producteurs des pays importateurs, mais des différences de régulation entre les pays où l’on veut exporter. Par exemple, un exportateur rwandais de roses peut rencontrer de gros problèmes à exporter au Japon, aux Etats-Unis ou en Europe, non pas parce qu’il est confronté à des obstacles protectionnistes de la part de ces pays, mais parce que la régulation sur les pesticides est différente dans chacun de ces pays. Ce qui l’oblige à séparer trois champs pour cultiver ses roses de manière différente pour tenir compte des trois réglementations. Le précautionnisme, dont la montée est inéluctable, crée des frottements à l’échange international. Il est la manifestation de l’augmentation du prix du risque. C’est un dénivellement du champ concurrentiel. Si on regarde par exemple où l’on peut ouvrir davantage l’échange transatlantique, ce n’est pas dans les droits de douane, sauf de manière marginale dans l’agriculture, c’est dans le domaine réglementaire, les normes, les standards, les modes de certification. D’ailleurs, où constate-t-on la montée la plus rapide  de l’influence chinoise ? C’est dans les organismes de standardisation internationale.

Une éventuelle réélection de Donald Trump serait-il un coup frein à la globalisation ?

Non. Parce que l’expérience Trump a beaucoup vacciné. Un échec annoncé. Aujourd’hui avec l’inflation, les Américains se rendent compte qu’il faut retirer les droits de douane, lesquels ont fait augmenter les prix d’un certain nombre de biens de consommation de 30%. La leçon de Trump, c’est l’échec le plus complet du protectionnisme le plus brutal et le plus inculte, consistant à penser que les droits de douane sont payés par l’exportateur. Non, ils le sont par le consommateur. Les Républicains et Démocrates partagent le même point de vue. Certes, ils veulent découpler l’économie européenne de l’économie chinoise dans les secteurs de la Tech. Mais ça, ce n’est pas d’abord une affaire de politique commerciale mais plutôt de politique industrielle, de recherche, d’innovation de formation, de qualité des systèmes sociaux.

La transition écologique peut-elle influencer la carte de la globalisation ?

La transition écologique, en ce qu’elle modifie les prix relatifs, va bien sûr affecter la carte de la globalisation, mais ce sera toujours de la globalisation. S’il y a un facteur qui résume les évolutions, c’est le « repricing », la réévaluation du risque, et d’abord du risque le plus menaçant, le risque environnemental. Mais qui est perçu de manière très différente entre L’Europe et la Chine d’un côté et les Etats Unis de l’autre. D’où un autre risque de frottements.

Quand on sait qu’une grande partie des métaux stratégiques ou du raffinage sont en Chine ou en Russie, n’y a-t-il pas un risque sur la transition écologique des pays occidentaux ?

Il peut y avoir des raisons de la freiner à court terme, mais aussi de bonnes raisons de l’accélérer. On le voit bien avec l’impact de l’invasion de l’Ukraine sur le système énergétique européen. Une partie des pays se tournent vers le charbon tandis que d’autres veulent accélérer le développement des énergies renouvelables. L’un dans l’autre, le résultat va être une accélération de la décarbonation de l’énergie européenne. En matière agricole, cela est un peu différent. Des pressions s’exercent à Bruxelles pour alléger à moyen long terme les contraintes environnementales qui vont s’appliquer à notre système agroalimentaire auxquelles il serait infondé de céder, de mon point de vue. Je n’assimile pas, contrairement à d’autres opinions, la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire.

Quelle sera la place de l’Europe demain ?

Avant l’invasion de l’Ukraine, je pensais qu’elle était entrée dans une nouvelle phase d’intégration dynamique autour du « pacte vert », de l’autonomie stratégique, du rattrapage digital. Depuis, j’en suis moins sûr parce que cette guerre est arrivée trop tôt du point de vue de de l’Europe de la défense. Poutine nous a inévitablement jetés dans les bras américains de l’OTAN et les Américains ont jeté Poutine dans ceux des Chinois. Les dés roulent. Et je ne sais pas très bien de quel côté ils vont tomber.

Certains observateurs disent pourtant que la crise, dans la capacité qu’ont eu les pays membres à pratiquer des sanctions communes à l’égard de la Russie, a renforcé l’Europe.

Ce n’est pas faux, à court terme. Il y a eu trois grandes étapes d’intégration européenne ces derniers temps, qui ont toujours résulté de crises extérieures auxquelles l’Union européenne a réagi en faisant riper l’ancre allemande : En 2008, où nous n’avons pas tenu compte du traité de Maastricht, pendant la crise du Covid avec un endettement commun, et aujourd’hui avec les sanctions contre la Russie et la décision de financer l’envoi d’armes à l’Ukraine au niveau européen.

Pour autant, cinq mois après le début de la guerre, je crois qu’il serait prématuré de considérer que la guerre en Ukraine a renforcé l’Europe. Je suis mal à l’aise quand j’entends à Washington, Londres, Pékin, Moscou, présenter ce conflit comme une affaire entre l’Ouest et le reste du monde qui considère, lui, que cette guerre n’est pas son affaire. Ce n’est pas bon signe, y compris pour l’Europe, dont j’ai toujours pensé qu’elle devait avoir son individualité. On fait partie du monde libre et c’est très bien. Mais quand j’entends certains responsables britanniques affirmer que le G7 c’est l’OTAN de l’économie, je me souviens de Trump au G7 et je frémis pour l’union des européens.

Plus que l’Occident contre le reste du monde, n’est-ce pas davantage les démocraties contre les régimes autoritaires ?

Non. Pour moi, l’Inde est une démocratie acceptable et elle n’est pas de notre côté, tandis que Singapour, qui n’en est pas une, est avec nous.

Que doit donc faire l’Europe ?

Accélérer son intégration tous azimuts. En 2050, l’UE comportera 35 membres.

Même si la dernière grande phase d’élargissement de l’Europe aux pays de l’Est en 2004 n’a pas été une réussite.

Le désir à l’époque était tellement fort, c’était impossible de faire autrement. Cela a conduit à certains raccourcis dans notre pensée de l’Europe centrale et orientale dont, on est en train de payer le prix maintenant. Pour autant, je ne suis pas d’accord pour dire que l’élargissement était précipité. Ces pays sont entrés dans l’UE une quinzaine d’années après la chute du mur de Berlin en 1989. Je rappelle que l’Espagne et le Portugal ont attendu douze ans après la fin de la dictature. A cette aune, une adhésion de l’Ukraine en dix ans serait une performance !

Pour vous l’entrée de l’Ukraine dans l’UE est donc une certitude  ?

Une forte probabilité, quand elle sera reconstruite. On est en train d’organiser deux parcours parallèles qui sont le parcours d’ajustement de l’Ukraine aux normes européennes et le parcours de reconstruction de ce pays. Reste à trouver les 500 milliards nécessaires, une addition qui va sans doute augmenter dans les mois qui viennent. L’invasion russe a rendu inévitable l’accession de l’Ukraine à l’UE, mais pas forcément à l’OTAN dans le même temps.

J’ai bien connu l’Ukraine. J’ai travaillé pour l’aider à faire entrer dans l’OMC un pays gangréné par la corruption à l’époque. Je découvre aujourd’hui un pays différent, avec une armée qui a été formée pendant 10 ans par l’OTAN. Cela n’a pas échappé aux Russes. Le fait que l’UE ait commencé, récemment il est vrai, à réfléchir à son indépendance énergétique à l’égard de la Russie et que l’Ukraine se soit renforcée a pu jouer dans la décision de lancer l’invasion le 24 février dernier.

Quand on voit les différentes oppositions entre la Commission européenne et la Pologne et la Hongrie, ou encore les liens étroits de Varsovie avec Washington qui se traduit souvent par des contrats industriels passés aux entreprises américaines plutôt qu’européennes, notamment dans la défense, ces deux pays ne sont-ils pas opposés à l’intégration européenne ?

Ces deux pays ne sont pas du tout opposés à l’intégration européenne. Ils la souhaitent, mais à leur manière, avec une idéologie politique qui n’est pas en ligne avec les règles européennes et de manière plus prononcée en Hongrie qu’en Pologne. L’illibéralisme est allé plus loin en Hongrie. Donald Tusk a une chance de gagner les prochaines élections en Pologne. Et puis, Vladimir Poutine a fait de la Pologne une telle priorité géopolitique aujourd’hui qu’on ne peut plus raisonner tout à fait de la même manière. Les conséquences du choc de l’invasion de l’Ukraine obligent à réviser la carte géopolitique de l’Europe. Les pays d’Europe Centrale et Orientale vont peser davantage dans l’espace européen.

Beaucoup en Pologne pensent que les Etats-Unis les protégeront en cas d’attaque russe. Partagez-vous cette analyse ?

Probable, oui, et les européens aussi, s’ils parviennent à s’organiser pour cela.

Craignez-vous une accentuation de la fracture Nord-Sud ?

L’augmentation de la fracture Nord-Sud est un phénomène qui m’inquiète davantage que la déglobalisation. L’apartheid vaccinal COVID que nous avons laissé s’installer aura laissé des traces durables dans le monde en développement et notamment en Afrique. La COP de Glasgow a également endommagé les relations Nord-Sud puisque le Nord a demandé au Sud de sortir rapidement des énergies fossiles sans s’engager vraiment à soutenir les investissements nécessaires. Une bonne partie de ces frustrations nourrit la réaction, qui a pu nous étonner, de beaucoup de pays à l’invasion de l’Ukraine. Pour l’Europe, l’Afrique est le problème numéro 1. Je conçois que les Etats-Unis et la Chine sont des questions géopolitiques et géoéconomiques importantes pour l’Europe, mais la vérité, dans la vie de tous les jours, est que si l’Afrique ne gagne pas la course de l’économie contre la démographie dans les vingt ans à venir, nous aurons un gros problème.

Peut-on envisager un changement du système monétaire international ?

Je ne crois pas à une modification à court terme du système monétaire international. On peut mesurer les forces respectives des monnaies par la facturation, ou leur part dans les réserves des banques centrales, mais la mesure ultime, c’est le stock d’actifs disponibles pour les investisseurs. Et ce n’est pas demain la veille que les stocks en euros ou en yuans vont dépasser les stocks en dollars. Le vrai facteur limitant, il est là. Tant que les Chinois n’auront pas changé de position sur le fait qu’un change ouvert, c’est bon pour l’économie, cela ne changera pas. C’est d’ailleurs curieux qu’on puisse être membre du FMI et ne pas avoir un change ouvert. Mais c’est le cas.

Dans les pays occidentaux, en Europe et France notamment, il y a une certaine remise en cause de la mondialisation par une partie de la population, pensez-vous qu’elle peut encore de l’ampleur ?

J’ai toujours pensé et dit que la mondialisation est à la fois efficace et douloureuse je crois aujourd’hui que et que la démondialisation est inefficace et douloureuse. Il y a eu une période où les antimondialistes disaient que la globalisation serait nuisible pour les pays en développement. La réalité a démontré le contraire. L’impact pour les pays développés a été inégal, mais d’autant plus ressenti négativement que les systèmes sociaux ont moins bien pris en charge l’insécurité sociale des changements rapides dans l’emploi qui sont intervenus, et qui proviennent pour à 85% de la technologie, et à 15% de la globalisation. Et ces 15% ont mordu dans les pays où les systèmes sociaux étaient les plus médiocres comme aux Etats-Unis et en partie en Angleterre, qui après la crise de 2008 a subi un programme d’austérité nettement plus sévère que sur le continent. D’où le Brexit, ou l’élection de Trump. Il y a effectivement une partie de l’opinion occidentale qui considère que la globalisation est négative pour l’emploi, mais ce n’est pas le cas partout. Ce n’est pas le cas dans les petits pays, un peu en France, pas beaucoup en Allemagne, ni en Italie ni en Espagne.

Comment l’expliquez-vous en France ?

La France a toujours été une exception, un angle mort du commerce international. C’est l’une de nos constantes culturelles. Il y a eu seulement une brève période de vrai libéralisme économique et commercial en France, sous Napoléon III. Avant il y avait Colbert, après il y a eu Méline. L’une des raisons pour lesquelles les Anglais sont restés libres échangistes et les Français sont devenus protectionnistes, tient à la structure foncière. En Angleterre, de grands domaines agricoles ont été conservés. Quand le prix du blé s’est effondré sur le commerce transatlantique au 19ème siècle, l’État a refusé de mettre des droits de douane pour éviter de faire monter le prix du pain et protéger les pauvres. Cette décision allait à l’encontre des landlords. En France, parce que la révolution française avait morcelé les propriétés foncières, il fallait bien protéger les petits paysans et pour éviter qu’ils soient en difficulté, l’Etat a mis des droits de douane. Dans nos mentalités collectives, la terre fermée compte plus que la mer ouverte.

Les résultats du RN et de LFI montrent que le discours anti-mondialisation a une forte résonance en France

Si on regarde les sondages en France, l’opinion est à près de 60% en faveur de la globalisation. Mais chez LFI et RN, 80% sont contre. C’est très polarisé. De mon point de vue, les économies ouvertes se développent mieux que les économies fermées. Mais je n’ai jamais été un inconditionnel de l’ouverture des échanges. Il y a simplement beaucoup plus de cas où cela donne de bons résultats que l’inverse. Mais c’est l’un parmi beaucoup d’autres instruments de politiques publiques destinées à améliorer la croissance et la qualité de vie et à réduire les inégalités. Si l’on compare les réussites et les échecs des pays dans le monde depuis cinquante ans, l’ouverture des échanges compte, mais l’éducation, la formation, le niveau des connaissances, l’innovation, la cohésion sociale, viennent loin devant.

Une autre mondialisation ?

Une autre mondialisation ? 

 La guerre en Ukraine et les élections nous poussent  à prendre le recul suffisant pour apprécier au mieux la transformation que nous sommes en train de vivre. (Papier de la Tribune, Extrait)

En effet, après le « business des bornes de recharge électriques »« le plan de transformation de la filière viti-vinicole pour s’adapter au changement climatique »« la bataille mondiale pour l’accès métaux critiques nécessaires à la transition écologique »« l’impact du e-commerce dans la transformation de nos villes et de nos sociétés », nous avons décidé de nous pencher sur l’évolution de la mondialisation qui se dessine depuis le début de la guerre en Ukraine, et plus précisément sur l’impact de ce conflit sur les filières industrielles, les territoires et la transition écologique.

Pourquoi un tel sujet ? Tout d’abord parce que les effets de la mondialisation impactent au quotidien nos vies et nos territoires et que toute évolution des forces qui l’animent a des conséquences structurelles extrêmement lourdes sur notre souveraineté, notre carte industrielle, l’emploi, le dynamisme de nos villes et de nos régions…, mais aussi sur notre pouvoir d’achat.

Ensuite parce que le sujet de la mondialisation est au cœur de l’actualité et de nos préoccupations en raison de l’impact de la guerre en Ukraine sur le commerce mondial : elle accélère en effet l’inflation, fait craindre une récession, menace la sécurité alimentaire d’un grand nombre de pays, mais aussi la transition énergétique quand la sortie de la dépendance au gaz russe pousse l’Europe à rouvrir des centrales à charbon pour compenser les tensions qui pèsent sur son système électrique. En espérant bien sûr que cette marche arrière ne soit que temporaire et soit suivie d’un coup d’accélérateur dans les énergies renouvelables.

Enfin,  parce qu’après trois décennies d’accélération de la globalisation au cours de laquelle la circulation des individus, des marchandises, des services et des capitaux s’est faite quasiment sans limite en raison d’une dérégulation et d’une révolution numérique toujours plus poussées, cette guerre ouvre une nouvelle page de la mondialisation que la bataille commerciale entre la Chine et les Etats-Unis à partir de 2019 et surtout la crise du Covid avaient commencé à dessiner. La pénurie de masques et de matériel médical puis les tensions sur les chaînes d’approvisionnement observées pendant la crise sanitaire ont, en effet, mis en évidence les dangers pour la souveraineté de nombreux pays occidentaux d’une dépendance massive à d’autres pays. Ce phénomène est aujourd’hui décuplé par l’onde de choc de la guerre en Ukraine sur la géoéconomie mondiale. Et pour cause, tous les industriels repensent leur chaîne de production et d’approvisionnement, en relocalisant, en doublant, voire triplant le nombre de fournisseurs et/ou en s’installant dans des pays amis et stables politiquement. Une rupture coûteuse qui ne sera pas sans conséquence sur les prix de vente et le pouvoir d’achat.

Ce mouvement tranche donc avec celui observé au cours des trente dernières années qui, justement, se caractérisait par l’éclatement des chaînes de production aux quatre coins du globe pour se rapprocher de nouveaux marchés prometteurs et profiter d’une main d’œuvre bon marché.

Surtout, ce mouvement de repli semble encourager une fragmentation de la mondialisation, organisée non plus comme un village-planétaire pour reprendre l’expression de Marshall McLuhan, mais sous forme de blocs de pays distincts, chacun constitués sur des considérations géopolitiques, échangeant peu ou pas du tout entre eux. Une sorte de mondialisation entre amis, comme l’expliquent la secrétaire d’Etat américaine au Trésor, Janet Yellen et Christine Lagarde, la patronne de la Banque centrale européenne (BCE) en vulgarisant les concepts de « friend-shoring », « friend sharing », « friend shopping ». Ce scénario est loin d’être acté et n’est pas partagé par tous. Tout comme ne l’est, d’ailleurs, l’appréciation de la situation actuelle, prélude, selon certains, à une « démondialisation », qui marquerait un recul des échanges mondiaux, quand d’autres prévoient plutôt, une « néomondialisation » ou une « remondialisation », un concept qui verrait la mondialisation continuer sur des principes différents, tandis que d’autres enfin estiment que les forces motrices de la globalisation sont toujours présentes et que la mondialisation continuera, mais de manière ralentie (« slowbalization »). En fait, tout dépendra beaucoup de l’issue de la guerre, de la place qu’occupera demain la Russie dans le concert des nations et de l’évolution du régime russe. Cela peut prendre des années.

 

Mondialisation : une nouvelle phase entre autarcie et échanges

Mondialisation : une  nouvelle phase entre autarcie et échanges

Le monde semble être entré, depuis deux ans, dans une ère de grande instabilité, avec des répercussions profondes sur les échanges internationaux. Est-ce la fin du modèle de mondialisation rationalisé sur lequel les sociétés modernes se sont construites ? Par Sébastien Lefebure, Directeur général Europe du Sud de Manhattan Associates ( la Tribune)

 

 

En mars dernier, le patron du plus grand gestionnaire d’actifs du monde – BlackRock – annonçait dans une lettre à ses actionnaires « la fin de la mondialisation que nous avons connue au cours des trois dernières décennies ». En cause, le conflit en Ukraine qui est brutalement venu bouleverser l’ordre mondial qui prédominait depuis les années 1990 et, avec lui, certains liens commerciaux qui existaient entre de nombreuses nations.

Cette annonce de Larry Fink intervenait deux ans, quasiment jour pour jour, après le début d’une autre crise majeure ayant mis le monde à rude épreuve, et ayant elle aussi remis profondément en question le modèle de mondialisation en place.

Le dénominateur commun ? La prise de conscience soudaine du risque inhérent à la dépendance. Dépendance énergétique, dépendance alimentaire, dépendance sanitaire, dépendance économique… Le monde expérimente à ses dépens les failles d’un système qui, bien que vertueux à de multiples égards, repose malgré tout sur un fragile équilibre.

Sécuriser est devenu le mot d’ordre, dans un environnement d’une immense complexité. Si certains plébiscitent, à juste titre, la nécessité de relocaliser et de privilégier les circuits courts, il ne s’agit pas pour autant de passer d’un extrême à l’autre. Le protectionnisme et l’autarcie ne sont probablement pas des réponses viables. C’est un nouvel équilibre qu’il faut mettre en place. Et c’est ce qui est en train de se passer.

En à peine deux ans, c’est-à-dire une milliseconde à l’échelle de l’histoire récente du commerce international, la plupart des entreprises se sont réorganisées pour sécuriser la production, les approvisionnements et, tant bien que mal, les coûts. Un véritable tour de force organisationnel et logistique dont les consommateurs ne mesurent toujours l’intensité.

Plus que la capacité à s’adapter, c’est peut-être la rapidité avec laquelle cette adaptation s’opère qui est une prouesse. Combien d’années, voire de décennies aurait-il fallu aux entreprises de la fin du siècle dernier pour réorganiser leur mode de fonctionnement dans un contexte de crise mondiale similaire ? Cela aurait-il simplement été possible sans les systèmes connectés et la numérisation des processus ?

En tout état de cause, il y a aura un avant et un après 2020. Cette décennie est celle de l’accélération d’un basculement que l’on croyait bien plus long à mettre en œuvre.

Ce serait une erreur de penser que les symptômes actuels (pénuries, inflation, …) sont de simples accidents conjoncturels. La mondialisation des Supply Chains et l’augmentation des risques (politiques, diplomatiques, technologiques, cyber, …) créent une complexité, une fragilité et une incertitude dont ils sont le résultat. Et face auxquelles il est devenu vital de s’adapter extrêmement vite.

La mondialisation rationalisée telle que nous la connaissons, avec des flux bien en place et massifiés, ne fait pas que trembler sur ses bases depuis deux ans. Les crises à répétition sont en train de faire voler ce modèle en éclats. Mais c’est un mal nécessaire dont il faut se saisir pour mettre en place le modèle de demain. Un modèle à la fois plus hybride, plus durable et plus protecteur.

Ce n’est pas la fin d’un modèle, c’est le début d’une nouvelle phase de son évolution.

Technologie et mondialisation

Technologie et mondialisation

Le chercheur associé à la Paris School of Economics s’est intéressé aux effets de de la mondialisation sur le marché du travail des pays avancés.

 

Clément Malgouyres est parmi les trois économistes, hors le lauréat Eric Monnet, qui ont été retenus par le jury associant les représentants du Cercle des économistes et du Monde, pour leurs travaux relevant de l’économie appliquée et permettant de promouvoir le débat public.

Comment vous est venu le goût pour l’économie ?

D’abord parce qu’elle était très présente dans mon enfance, avec mes parents agriculteurs dans l’Aveyron. Ils avaient un pied dans une version assez pure de l’économie de marché avec les foires agricoles et un autre dans les politiques publiques, notamment du fait de la politique agricole commune.

Durant mes études, j’ai été séduit par l’idée de pouvoir examiner empiriquement les grands phénomènes dont on parlait en cours d’économie mais sans trop les confronter aux données. C’est comme cela que je me suis intéressé aux effets de la mondialisation sur le marché du travail des pays avancés, en examinant empiriquement les conséquences sur les bassins d’emploi français de l’irruption de la Chine dans le commerce mondial entre 1995 et 2007.

Et qu’avez-vous trouvé ?

L’effet global sur l’emploi est modéré, mais il est très concentré sur certains secteurs, comme les fabricants de jouets ou d’électroménager, et par conséquent sur certaines zones géographiques. Au niveau local, les effets se diffusent au-delà du secteur manufacturier : la destruction locale de dix emplois dans le secteur manufacturier aboutit à la disparition de six emplois environ dans le secteur des services.

Enfin, on constate que, en dépit de ces difficultés, la mobilité reste faible. Les chocs économiques font peu bouger les gens. De ce fait, le taux d’emploi chute fortement dans ces régions. Ce constat de marchés qui réagissent très localement, en fonction de leur spécialisation, avec des travailleurs peu mobiles, est utile pour penser aux conséquences d’autres chocs à venir, comme la taxe carbone, ou des chocs technologiques.

 

Quels types de chocs technologiques avez-vous étudiés ?

Je me suis penché sur l’effet de la connexion haut débit sur la performance des entreprises. Nous avons constaté qu’en France les entreprises qui s’équipent en Internet à haut débit deviennent beaucoup plus actives que les autres en matière d’échanges. Elles importent beaucoup plus de produits, provenant d’un ensemble de pays plus diversifié. Les importations augmentent même plus rapidement que le reste des consommations intermédiaires. Le progrès technologique accélère la croissance des flux commerciaux. Cela montre que les nouvelles technologies et la mondialisation se sont renforcées mutuellement.

Mondialisation: Les limites des sanctions économiques

Mondialisation: Les limites des sanctions économiques

ANALYSE.

 

La logique suivie par les Occidentaux face au conflit russo-ukrainien ne garantit cependant pas tout : dans l’histoire, seul un tiers des sanctions décidées ont connu un succès total. Décryptage. Par Rodolphe Desbordes, SKEMA Business School et Frédéric Munier, SKEMA Business School.

 

 

Au moins 1 275 sanctions nouvelles, avec en particulier l’exclusion de la Russie du système financier international. Telle est la riposte de nombre de pays du globe à la reconnaissance par Vladimir Poutine des républiques séparatistes ukrainiennes, puis à l’invasion armée.

La crise actuelle s’avère un exemple frappant d’usage de ce que l’on appelle la « géoéconomie ». Elle peut être définie, dans le cadre de la politique étrangère, comme l’utilisation d’instruments économiques pour influencer les objectifs politiques d’un autre pays.

 

Déjà en 1989, dans un article prophétique, le spécialiste de la stratégie militaire américaine Edward Luttwak prophétisait sa généralisation. Selon lui, dans le double contexte de mondialisation et de fin de la guerre froide, les rapports de force allaient davantage reposer sur l’économie que sur les moyens militaires.

L’avènement de la « globalisation » avait, lui, été annoncé dès 1983 par Theodore Levitt, économiste à la Harvard Business School dont il fut rédacteur en chef de la revue 4 ans durant. Il pointait le fait que les marchés entraient dans une dynamique croissante d’interconnexion à l’échelle du monde. Le phénomène n’a pas faibli depuis : à en croire l’indice KOF créé par un institut économique suisse, l’intensité de la mondialisation des échanges commerciaux et financiers a doublé au cours des 50 dernières années.

Dans le même temps et dans le contexte de la fin de la guerre froide, nous avons assisté à une évolution spectaculaire des formes de la guerre. Tandis que les conflits entre plusieurs États se sont faits plus rares, les tensions et conflits au sein d’un seul ont plus que doublé.

 

En 2020, on ne relevait ainsi que trois conflits interétatiques dans le monde contre une cinquantaine de guerres civiles. Parmi elles, la Syrie, l’Éthiopie, la Birmanie ou encore le Mali. Dans tous ces pays, l’État est aux prises avec des composantes de la société civile qui s’opposent entre elles et/ou à lui. Il s’agit de l’un des marqueurs de notre époque : la guerre, longtemps expression de la (sur)puissance des États, est aujourd’hui le plus souvent le signe de son effondrement.Cette diminution du nombre de conflits interétatiques ne signifie pas pour autant que les États, notamment les plus riches et les plus puissants, aient renoncé à défendre ou à imposer leurs intérêts. Ils ont simplement tendance à recourir à d’autres outils de puissance, plus économiques que militaires.

Ce glissement de la géopolitique militaire à la géoéconomie découle en grande partie de l’interdépendance engendrée par la mondialisation économique. Certes, la géopolitique traditionnelle n’a pas disparu, mais son exercice repose sur les armes de notre temps : moins d’acier et plus de capitaux, moins d’obus et plus de sanctions. Comme l’affirme Joseph Nye, grand théoricien américain de la puissance souvent considéré comme l’homologue libéral du plus conservateur Samuel Huntington, avec la mondialisation, les acteurs politiques ont tendance à substituer à la menace de sanctions militaires celle de sanctions économiques.

La raison en est double : les rapports de force géoéconomiques ciblent les fondements mêmes de la mondialisation, c’est-à-dire la création de la valeur, sans détruire durablement le capital, les infrastructures, les villes, ou tuer directement des personnes, comme le fait la guerre classique.

Sous le coup de sanctions, le jeu à somme positive de la mondialisation libérale devient un jeu à somme nulle : tout le monde n’est pas gagnant lorsque la géoéconomie entre en jeu !

L’examen quantitatif et structurel de la nature des sanctions imposées par des États à d’autres montre à quel point la grammaire de la conflictualité a évolué. Non seulement le nombre de sanctions a plus que doublé depuis 1990, mais, surtout, leur nature s’est modifiée.

Les sanctions classiques, comme les embargos sur les armes ou sur le commerce, subsistent aujourd’hui. Celles qui ont toutefois connu le plus grand essor sont directement liées à l’essor de la mondialisation financière et de la mobilité des personnes. L’intégration financière, un meilleur traçage des paiements, l’extraterritorialité du droit américain associé à la prévalence de l’usage du dollar américain, et une volonté d’utiliser des sanctions ciblées ont contribué à cette diversification des instruments de la géoéconomie.

 

Le nouvel âge des sanctions concerne aussi leurs objectifs. Aujourd’hui, la majorité est l’initiative des États-Unis et de l’Union européenne, soit des pays qui disposent d’un fort pouvoir de marchandage économique. Ils ont souvent pour but de faire respecter leurs principes fondateurs à l’étranger tels que les droits de l’homme et la garantie de l’État de droit. En témoignent les données agrégées au sein de la Global Sanctions database.

 

Les sanctions n’atteignent cependant pas toujours leurs objectifs. En moyenne, on peut considérer qu’elles ne rencontrent un succès total que dans à peine plus d’un tiers des cas. Pour l’Ukraine, on peut alors craindre que la géoéconomie laisse la place à une géopolitique classique, notamment si la Russie parvient à renforcer ses échanges avec des partenaires économiques restés neutres, comme la Chine. Les alliés de Kiev s’orientent d’ailleurs déjà vers un soutien militaire à long terme, avec l’envoi d’armes lourdes.

 

Il semble important, enfin, de ne pas oublier que les sanctions économiques peuvent ne pas générer les objectifs escomptés tout en entraînant des conséquences terribles pour les populations les subissant. Les travaux de l’historien Nicholas Mulder sur la Première Guerre mondiale et les empires coloniaux, par exemple, sont là pour le rappeler.

_______

Par Rodolphe Desbordes, Professeur d’Economie, SKEMA Business School et Frédéric Munier, Professeur de géopolitique, SKEMA Business School.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Rodolphe Desbordes et Frédéric Munier

Mondialisation : problème ou solution ?

Mondialisation : problème  ou solution ?

Pourquoi la mondialisation devient un problème après avoir été la solution estime un papier du « Monde. » 

 

Définissant à l’origine en électronique le fait de séparer deux circuits électriques jusqu’ici connectés, le terme de « découplage » a pris des sens géopolitique et économique. Il a désigné, au gré des sautes d’humeur de l’Alliance atlantique, la possibilité d’une absence de réaction des Etats-Unis à une attaque russe sur l’Europe – par exemple pendant les présidences Nixon ou Trump –, une crainte qui n’est plus d’actualité à l’heure de la guerre en Ukraine. Il renvoie aussi, dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), à l’espoir d’une séparation entre croissance économique et croissance des émissions de CO2. Mais, aujourd’hui, le mot decoupling en anglais, et tuo gou en chinois, désigne la tendance à réduire voire supprimer les liens d’interdépendance économique qui unissent les Etats-Unis, et plus largement l’Occident, à la Chine : « Un scénario dans lequel les Etats-Unis et la Chine choisiraient des technologies et des normes commerciales divergentes, et s’appuieraient sur des chaînes d’approvisionnement indépendantes », explique Jeremy Ghez, professeur d’économie et d’affaires internationales à HEC, qui a coordonné sur le sujet une étude conjointe de HEC, de l’American Chamber of Commerce et du cabinet d’avocats DLA Piper (« Economic Decoupling. Our New Reality ? », décembre 2021).

Depuis que l’empire du Milieu est passé du statut d’atelier du monde et de gigantesque marché à celui de rival géostratégique, depuis aussi que la crise du Covid-19 a dessillé les yeux de l’opinion et des dirigeants occidentaux sur notre dépendance aux masques et médicaments made in China, le découplage est devenu une option stratégique, non seulement pour les gouvernements, mais aussi, bon gré mal gré, pour les entreprises.

A tout seigneur tout honneur, il faut bien reconnaître que l’ex-président américain Donald Trump est le premier à avoir réagi au « China shock », à savoir la perte de dizaines de milliers d’emplois industriels et de larges parts de marché pour les entreprises occidentales face à la concurrence chinoise (« The China Shock. Learning from Labor Market Adjustment to Large Changes in Trade », David Autor, David Dorn et Gordon Hanson, National Bureau of Economic Research, Working Paper n° 21906, 2016).

D’où l’escalade, à partir du printemps 2018, des tarifs douaniers appliqués aux importations chinoises, mais aussi l’interdiction de vente de composants technologiques à des entreprises chinoises (comme ZTE, en avril 2018), leur exclusion des marchés nationaux « stratégiques » comme les télécommunications (Huawei, décret présidentiel du 15 mai 2019), et même de la cotation new-yorkaise, faute de transparence sur les comptes ou à cause de la présence à leur tête de membres du Parti communiste (« Holding Foreign Companies Accountable Act », décembre 2020). La présidence Biden a maintenu ces mesures, y ajoutant une dimension idéologique d’hostilité ouverte à un régime « non démocratique ».

Recomposition de la mondialisation

Recomposition de la mondialisation

 

La guerre commerciale avec la Chine puis l’invasion de l’Ukraine incitent les entreprises à tenir compte du risque géopolitique pour relocaliser leur production et leur commerce, analyse le journaliste au « Monde » Arnaud Leparmentier dans sa chronique.

 

Chronique.

 

Ceux qui aiment le risque lorsqu’ils prennent l’avion peuvent prendre une correspondance serrée, sur une compagnie low cost, sans choisir leur siège, et ils s’en sortiront à bon prix. Mais qu’advienne un incident technique, une tempête de neige ou un surbooking, la bonne affaire se transforme vite en cauchemar, et l’intrépide voyageur se dit, penaud, qu’il aurait préféré un vol direct, sur une grande compagnie, pour prendre l’avion suivant et en payant sa place pour garantir son siège. C’est plus sûr, mais c’est plus cher.

Il en va de l’aviation comme de la mondialisation : tout était serré, au plus près, au plus économique, à condition que tout fonctionne. Mais que survienne une guerre commerciale avec la Chine, une pandémie telle que celle du Covid-19 ou un boycott inédit, comme celui consécutif à l’invasion russe de l’Ukraine, et plus rien ne fonctionne. On le voit dans les goulets d’étranglement, l’envolée des prix des matières premières, qui entravent la reprise économique, et les risques politiques inédits qui vont conduire à devoir s’assurer contre des risques jugés naguère inexistants.

Un des cas les plus emblématiques est sans doute la pression exercée sur Auchan pour qu’il se retire de Russie. Imaginait-on que le supermarché du coin, qui alimente les petites gens, soit menacé pour cause de conflit armé ? Dans ce contexte, rien n’est sûr, et chacun va vouloir se protéger, qu’il soit dans le camp du « bien » ou celui des « agresseurs ».

« L’invasion russe de l’Ukraine a mis fin à la mondialisation que nous avons connue au cours des trois dernières décennies, écrit à ses actionnaires Larry Fink, patron de BlackRock, premier gestionnaire d’actifs du monde. Les entreprises et les gouvernements du monde vont être incités à réanalyser leurs lieux de fabrication et d’assemblage », accélérant un phénomène initié par le Covid-19.

Pour l’instant, c’est le gaz russe qui attire l’attention, mais, selon Larry Fink, « les entreprises et les gouvernements examineront également plus largement leurs dépendances à l’égard d’autres nations ». Il prévoit des relocalisations à domicile ou dans des pays « amis », estimant que le Mexique, le Brésil, les Etats-Unis ou des centres de fabrication en Asie du Sud-Est pourraient en bénéficier. Mais tout cela à un prix : « Une réorientation à grande échelle des chaînes d’approvisionnement sera intrinsèquement inflationniste. »

Cette démondialisation, ou plutôt cette régionalisation, va conduire à deux blocs sans cesse plus séparés : celui de la Chine et celui des Etats-Unis. Et aussi à moins de concurrence, comme le déplore Adam Posen, président du Peterson Institute, think tank libéral basé à Washington : « Si les entreprises chinoises et américaines ne sont plus en concurrence, elles seront davantage susceptibles d’être inefficaces, et les consommateurs seront moins susceptibles d’obtenir autant de variété et de fiabilité qu’actuellement. Lorsque ce consommateur est le gouvernement, les entreprises nationales protégées seront encore plus susceptibles de se livrer au gaspillage et à la fraude, car il y aura moins de concurrence pour les marchés publics », met en garde M. Posen, qui voit déjà les entreprises se draper dans le nationalisme et la peur des menaces à la sécurité nationale.

De nouveaux enjeux de la mondialisation

 De nouveaux enjeux de la mondialisation 

Dans un monde toujours plus interdépendant, l’hégémonie comme la puissance militaire montrent toutes leurs limites, analyse le politiste dans un entretien au « Monde ». Il appelle à bâtir une sécurité globale pour faire face aux urgences climatiques et sanitaires. (extrait)

 

 

Un système d’alliance et de sécurité collective comme l’OTAN est-il encore viable avec une Amérique toujours plus centrée sur ses seuls intérêts ?

C’est l’idée même d’alliance qui est remise en cause dans la nouvelle réalité du monde, en tout cas dans sa facture classique, celle d’une coalition durable et structurée telle qu’issue du temps bipolaire. A cette époque, deux blocs se faisaient face, sans lien d’interdépendance et dans un affrontement qui était d’abord et avant tout potentiellement militaire. Chacun avait avantage à concéder à ces liens incontournables bien des efforts et des sacrifices.

Le paysage aujourd’hui est tout autre : la mondialisation crée des interdépendances, des enjeux globaux, place les relations économiques à un haut niveau de complexité. Inversement, elle rallume les nationalismes chez ceux qui craignent de ne plus contrôler ce nouveau paysage global. Elle conduit donc à des jeux diplomatiques plus opportunistes, libérés des contraintes d’une alliance lourde. Elle incite à des pratiques plus fluides, à flatter les opinions nationales, plus qu’à obéir à un ordre géopolitique préconstruit qui est partout mis en échec.

Ces changements sont amplement confirmés par l’affaire des sous-marins, même si d’aucuns ont peur de le voir : nous vivons l’affaiblissement du « campisme », c’est-à-dire de cette option stratégique qui amène un Etat à se penser prioritairement comme un élément, voire le conducteur, d’un camp organisé en alliances stables.

 

Révélatrice à cet égard est la discrète mutation déjà effectuée en ce sens par les diplomaties non occidentales, celle de la Russie, de la Chine et d’autres émergents. Elles ont évolué très vite vers ce que j’appellerais une « diplomatie attrape tout ». L’objectif n’est déjà plus pour elles de constituer une alliance structurée mais de chercher à conclure tous les accords conjoncturels profitables, au coup par coup, avec d’autres pays. Ainsi, la Russie, qui établit de bonnes relations avec Israël ou l’Arabie saoudite, alliés traditionnels de Washington. Ou la Chine, qui passe accord avec les talibans dans les domaines économique ou sécuritaire.

La désillusion de la mondialisation

La désillusion  de la mondialisation

 

 

 

D’après l’économiste Lionel Fontagné, la politique n’a pas su s’occuper efficacement des perdants de la globalisation, moins nombreux que les gagnants. Pour lui, la réponse se trouve, non dans le protectionnisme, mais dans la réglementation sociale et environnementale ainsi que dans la formation des exclus, note Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».

 

 

A peine le masque de la pandémie de Covid-19 est-il tombé que le monde renoue avec ses vieux démons. Ils hantent la campagne pour les élections régionales des 20 et 27 juin, et envahiront sûrement la prochaine, nationale. Notamment la peur de la mondialisation, qui s’ajoute à celle de la transition écologique. Car, non seulement la crise sanitaire n’a pas arrêté les changements du monde, mais elle les a accélérés.

 

 En témoigne l’annonce spectaculaire, mardi 15 juin, du cabinet d’audit et de conseil PwC, qui va embaucher 100 000 personnes supplémentaires dans le monde au cours des cinq ans à venir, pour aider les entreprises à affronter les transitions environnementale, sociale et de gouvernance qui se profilent.

Pour prendre la mesure des transformations en cours et de leurs causes, il faut lire le petit livre lumineux de l’économiste Lionel Fontagné, La Feuille de paye et le Caddie (Ed. Sciences Po, 112 pages, 9 euros). Grand spécialiste du commerce international, il y traque les sources de la « fatigue de la mondialisation », qui a saisi les peuples, en France, en Amérique, en Grande-Bretagne et ailleurs. Il y tente un bilan entre les bienfaits d’un gain de pouvoir d’achat (le « Caddie »), et les conséquences de la mondialisation sur la diminution de leur revenu (la « feuille de paye »).

Réponse : le déclin de l’emploi industriel est largement antérieur à l’arrivée de la Chine sur les marchés mondiaux. Le progrès technique a fait son œuvre avant et touché, non pas tant des secteurs particuliers que des tâches, celles codifiables et automatisables. Le déclin de la classe ouvrière a débuté au seuil des années 1980. Les délocalisations n’ont fait qu’accentuer le phénomène et la bascule des emplois.

Relativisons : entre 2001 et 2007, la mondialisation a fait perdre 88 000 emplois manufacturiers à la France, tandis que sur la seule année 2019, le pays a créé 230 000 emplois. Mais ce ne sont pas les mêmes. Ceux qui disparaissent sont concentrés et ceux qui apparaissent sont plus diffus, essentiellement dans les services. Le bilan favorable est terni par des poches de précarisation qui sautent aux yeux.
La politique n’a pas su s’occuper des perdants qui, au chômage en France ou avec des petits boulots aux Etats-Unis, n’ont plus les moyens de remplir leur chariot, même bon marché. La réponse est dans la réglementation sociale et environnementale et dans la formation des exclus, pas dans le protectionnisme à la sauce Trump, qui aurait coûté, selon M. Fontagné, 7 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros) par mois aux ménages et aux entreprises américains. On ne règle pas les problèmes en fermant la porte.

12



L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol