Climat : changer nos modèles sans casser la société
Face au changement climatique, le président de la Commission environnement du Parlement européen, Pascal canfin appelle à une transformation négociée de nos sociétés. (Interview dans le JDD, extrait)
Comment s’adapter?
Dans les négociations climat, l’adaptation a longtemps été le parent pauvre. On parle davantage des mesures liées à la réduction des émissions. Pourtant, à chaque fin d’été, après les feux, les tempêtes, les inondations, on se dit qu’il faut agir. Mais nous ne le faisons pas, car nous n’avons pas pris conscience qu’en réalité on vivait déjà dans un monde à + 1,5 degré. Il faut donc mettre en place des politiques d’adaptation plus systémiques et arrêter d’être aveugle sur l’impact climatique.
Lesquelles?
C’est par exemple ce qu’on a fait avec la loi climat européenne : à chaque fois que l’Europe finance un grand projet d’infrastructures (hôtel, centre commercial, route, voie ferrée, etc.), il devra faire l’objet d’un test climat qui va évaluer sa capacité de résilience au choc climatique. Car, pour l’instant, on continue de construire comme si le dérèglement climatique n’existait pas. Or on sait que certains équipements seront inutilisables si nous ne déployons pas maintenant des stratégies d’adaptation. Par exemple, en France, les ports du Havre et de Dunkerque, essentiels à notre économie, seront partiellement sous l’eau dans la deuxième moitié du siècle! L’agriculture doit aussi s’adapter. Il faut faire évoluer les pratiques. Il y a aujourd’hui un consensus sur l’utilité des solutions fondées sur la nature. Quand vous remettez de la diversité agricole dans les champs, vous êtes plus résilient ; quand vous investissez pour restaurer les coraux en outre-mer, vous protégez le littoral de la montée des eaux, etc. Ces solutions sont gagnant-gagnant. Mais aujourd’hui il y a tout un champ d’investissement très largement ignoré car il n’y a pas de modèle économique. Personne ne gagne de l’argent en investissant dans du corail et donc personne ne le fait. Il faut donc être créatif et inventer de nouveaux modèles économiques, car tout ne peut pas reposer sur l’argent public. Ceux-ci doivent rémunérer le fait d’investir dans l’adaptation au changement climatique.
Les rapports du Giec ne semblent pas suffire à déclencher ces politiques. Sont-ils vraiment utiles?
Sans les rapports du Giec, il n’y a pas d’action politique. Ils forgent le consensus scientifique et légitiment l’action politique. Ils sont le socle qui permet d’agir. Aujourd’hui, le problème n’est pas la prise de conscience. Même dans les pays émergents, même dans l’opinion publique chinoise, même dans l’Amérique de Trump, la très grande majorité est convaincue de l’existence et de l’importance du changement climatique. L’enjeu n’est plus l’alerte. Aujourd’hui, la question est : comment crée-t-on le chemin de transformation de nos économies et de nos sociétés qui permet de se saisir des rapports du Giec pour les transformer en changements sociaux, économiques et technologiques ? L’enjeu politique est de transformer nos modèles sans fracturer les sociétés, sinon on n’avance pas.
Justement, comment avancer malgré ces tensions?
Quand on parle de transition, on a tout de suite des résistances, soit des lobbies, soit de certains groupes sociaux pour lesquels le changement peut créer des injustices. Il faut consolider aujourd’hui une écologie de gouvernement, qui considère que l’urgence climatique n’est pas une formule et qui élabore des consensus sociaux. Sinon, dans dix ans, les rapports du Giec nous diront qu’on n’arrivera pas à limiter le réchauffement à + 2 degrés. Il faut négocier les transformations des territoires avec les territoires, les groupes sociaux, etc.
A-t-on le temps de négocier quand les objectifs climatiques doivent être atteints dès 2030?
C’est simple : si on ne négocie pas, ils ne seront pas atteints car on ne fera rien! L’idée selon laquelle la transformation pourrait s’imposer d’elle-même n’existe pas. C’est la recette de l’échec.
Quels sont les leviers?
Il y a trois éléments essentiels. D’abord, la technologie. C’est une bonne nouvelle, car aujourd’hui nous avons plus de 80% des technologies nécessaires pour réaliser la transition à grande échelle qui sont disponibles : les voitures électriques, les maisons zéro émission, les énergies renouvelables pas chères. Contrairement à il y a dix ans, nous maîtrisons aujourd’hui presque toutes les technologies nécessaires à un monde zéro carbone. Ensuite, les attentes sociétales. C’est la capacité des citoyens à soutenir cette transition sur le terrain. C’est par exemple ne pas se mobiliser contre des mesures qui consisteraient demain à faire en sorte que le propriétaire d’une maison ne puisse pas la vendre si l’isolation n’a pas été faite. Car, quand on passe du rapport du Giec à la réalité des politiques publiques concrètes à mettre en place pour changer le modèle, il y a des choses qui ne font pas plaisir. A ce titre, la mobilisation de la jeunesse est fondamentale car elle injecte de l’énergie. Enfin, le dernier élément, ce sont les règles du jeu, et donc les politiques publiques. Si les technologies sont prêtes, si les consommateurs sont prêts à y aller, et qu’il n’y a pas les bonnes règles du jeu, ça ne fonctionne pas. Ces trois éléments seront au cœur de la réussite ou de l’échec. C’est ce qu’on fait avec le Green Deal en Europe.
Comment?
On aligne pour la première fois les technologies des entreprises – et l’Europe est le leader mondial pour les technologies vertes – et les attentes sociétales. On change les règles du jeu politique, avec un prix du carbone, les limitations sur les voitures, etc. Dans les deux ans qui viennent, on va changer 54 lois en Europe.
Les plans de relance post-Covid sont-ils à la hauteur de l’urgence climatique?
Selon un classement de l’ONU, le plan de relance le plus vert au monde est celui de la Corée du Sud. Vient ensuite celui de l’Union européenne puis de quelques pays européens, dont la France et l’Espagne. En France, on a réussi à utiliser ce plan pour créer les conditions de l’accélération de la transition. Ce n’est pas vrai partout. Par exemple, le plan chinois n’est pas aligné sur les 2 degrés. Or on sait que c’est le premier émetteur au monde et qu’une grande partie de la lutte contre le changement climatique se joue en Chine.
On l’a vu avec la loi climat en France, les débats sont souvent caricaturaux. Comment en sortir?
On a réussi au niveau européen et c’est aujourd’hui le seul espace où on arrive à le faire. C’est lié au système politique de coalition, qui fait que la majorité est obligée de négocier. Les partis de gouvernement ne peuvent pas faire du sujet climat un sujet qui les clive. Ils le font donc avancer ensemble, d’autant que c’est une priorité européenne. Nous avons un vice-président du Green Deal dont l’autorité s’impose aux commissaires à l’Energie, à l’Agriculture, etc. C’est un exemple intéressant pour le prochain quinquennat en France car, aujourd’hui trop souvent encore, on peut avoir des tensions entre les différents périmètres ministériels. Car la transformation systémique dont nous avons besoin implique une réorganisation de la façon dont l’Etat fonctionne et dont le gouvernement est structuré. Il ne s’agit pas de dépolitiser l’écologie, mais de s’organiser différemment pour gagner la bataille.
Comment?
Pour créer ce consensus et sortir des débats stériles, il faut réussir à considérer que la bataille climatique n’appartient à personne. C’est une question fondamentale posée aux Verts. J’ai fait partie d’EELV car, il y a dix ans, c’était le seul parti politique qui prenait ce sujet au sérieux. Mais aujourd’hui la condition du succès de la bataille climatique, c’est précisément qu’elle n’appartienne plus à personne. L’écologie n’appartient à personne. La responsabilité appartient à tous les partis de gouvernement. Pour se donner la chance de réussir, chacun doit faire son aggiornamento : les Verts doivent arrêter de considérer qu’ils sont les seuls à pouvoir le faire car c’est la condition de l’échec, et une partie de la droite doit sortir de l’opposition stérile entre économie et écologie. Toutes les études montrent que la transition écologique crée des emplois. Le coût de l’inaction est infiniment plus élevé que le coût de l’action. On le voit aujourd’hui au Canada, en Californie, en Allemagne : la gestion des phénomènes climatiques extrêmes est très difficilement supportable pour les finances publiques.