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De l’économie de paix à l’économie militarisée ?

De l’économie de paix à l’économie militarisée ? 

 En France le déficit public atteint 5,5% en 2023, « Il va falloir faire des choix ». Ce choix doit-il être la réduction de la dépense de l’État ou créer une croissance forte sans inflation ? Une économie militarisée peut-elle sauver le soldat croissance ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.(dans la Tribune)

Économie de paix, dettes et déficits publics ! des trente glorieuses, on a retenu une expansion sans précédent dans une économie de paix du lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au choc pétrolier de 1973. Dans cette phase on a observé un développement massif des dépenses d’armement et de l’économie militarisée. Depuis les années 1970, la dette de la France se dégrade. Elle s’est aggravée avec la crise de 2008. Elle atteint un record avec la pandémie. La dette publique française a dépassé 100 milliards d’euros en 1981, 500 milliards en 1993, 1 000 milliards d’euros en 2003 puis 2 000 milliards en 2014. Cette dette est passée de 15% du PIB en 1974 à 110,6% du PIB fin 2023 (3 101,2 Md€). Il faut noter qu’entre 1959 et 1974, la France n’a connu que trois années de déficits publics qui n’ont jamais dépassé 1,4% du PIB. Peu de gens se rappellent l’inflation des années 70 et la chute des taux de croissance.

Bien que décrié par plusieurs économistes, le PIB est utilisé, car son analyse permet de suivre la croissance française depuis 1950. De 1960 à 1999, date de création de l’euro, on observe quatre décennies pour le taux de croissance annuel moyen de la France : 1960-1970 il était de 5,9% ; de 1979-1980 il passe à 4,1% ; entre 1980 et 1990, il atteint 2,4% ; entre 1990 et 2000, il se positionne à 2%. Les taux de croissance français sont de plus en plus faibles depuis les années 1960. Après le lancement de l’euro le premier janvier 1999, en moyenne, les taux stagnent à 1,5% par an. Deux années de récession sont à noter en 2009 (-2,2%) dues à la crise financière mondiale de 2008. En 2020 (-7,9%) ce taux est dû à l’année de pandémie mondiale. L’année 2023 se termine avec une croissance de 0,9%. Pourquoi la croissance de 1960 à 1970 était-elle quatre fois plus importante que la décennie 2010-2020 (1,4%) ?

À la Libération, le développement industriel a été fortement façonné par l’action des pouvoirs publics. Le développement des entreprises nationalisées et les aides au développement ont largement participé à la remise sur pied du système productif, donc au renforcement du processus de croissance. Il est largement admis que la période de reconstruction, qui s’est achevée au début des années 1950, a contribué à renforcer cette croissance, sous l’impulsion aussi de l’action de l’État. Il reste que le développement des systèmes d’armement pendant les « trente glorieuses » a joué un rôle déterminant dans les performances de croissance enregistrées au cours des années 1950 et 1960. En 1960, la France a consacré 5,4% de son PIB aux dépenses militaires (9% pour les États-Unis), en 1970 3,5% et en 2022 1,9% (3,5% pour les États-Unis) d’après les données de la Banque mondiale. Après la pandémie, et plus de deux ans après le début de la guerre à la porte de l’Europe, la France et l’Europe se réveillent et admettent qu’il faut se réarmer pour gagner la guerre en Ukraine. Les moyens consacrés à la défense doivent être augmentés pour sauvegarder les dividendes de la paix.

La Seconde Guerre mondiale a commencé le 1er septembre 1939 avec l’invasion allemande de la Pologne Les États-Unis ont évité d’entrer en guerre pendant deux ans jusqu’à ce que le Japon les attaque sur la base navale de Pearl Harbor, Hawaii, le 7 décembre 1941. Grâce à une augmentation des dépenses publiques et à des efforts de mobilisation industrielle, l’industrie de la défense a connu une augmentation sans précédent de la production pendant que les usines sont rapidement passées des produits civils à la production d’armements. Cette conversion a créé des emplois pour des millions d’Américains qui étaient auparavant au chômage en raison de la Grande Dépression. Cette guerre a suscité des investissements massifs dans des avancées technologiques, des innovations telles que les systèmes radar, le développement d’avions et la recherche nucléaire, etc. Les prix et les salaires clés ont été administrés, et non laissés aux marchés. La grande majorité des investissements ont été dirigés, financés et, dans la plupart des cas, détenus par le gouvernement fédéral. Les États-Unis n’ont pas connu les « trente paresseuses ». Aujourd’hui la croissance en Europe est en panne sèche et les États-Unis distancent de loin le vieux continent.

D’après le rapport de l’OCDE de février 2024 : « La croissance mondiale a bien résisté en 2023, et la baisse de l’inflation a été plus rapide que prévu. Les performances varient d’un pays à l’autre, et si une forte croissance a été observée aux États-Unis et dans de nombreuses économies de marché émergentes, la plupart des pays européens ont en revanche connu un ralentissement ».

Aux États-Unis, la croissance est restée solide en 2023 à 2,5%. C’est le fruit du grand plan d’investissement dans la transition énergétique (Inflation Reduction Act) qui a soutenu massivement l’industrie. L’OCDE a dégradé ses prévisions de croissance pour la zone euro. « Dans la zone euro, la croissance du PIB devrait s’établir à 0.6% en 2024 et 1.3% en 2025, car l’activité, freinée à court terme par le resserrement des conditions de crédit« .

Les premiers revers de Kiev deux ans après l’invasion menée par la Russie le 24 février 2022 et la peur de la Pologne et des pays baltes d’une attaque russe, vont-ils réveiller un autre « géant endormi » et propulser l’économie européenne en avant ?

L’Europe ne peut qu’aider les États membres à passer en économie militarisée. D’après la présidente de l’exécutif européen Ursula von der Leyen : « La menace d’une guerre n’est peut-être pas imminente, mais elle n’est pas impossible » les Européens doivent se « réveiller de toute urgence ». « Le véritable financement viendra des États membres« , a reconnu la vice-présidente de la Commission Margrethe Vestager. Thierry Breton, commissaire européen, a évoqué un budget de 100 milliards d’euros sur plusieurs années pour permettre aux Européens de développer une industrie de défense. L’Europe ne dispose pas pour l’instant des fondements politiques pour construire une défense européenne. Il faut une véritable union budgétaire. Face à cette situation, sans l’Otan l’Europe ne dispose aujourd’hui que d’une armée digne de ce nom : l’armée française.

Pour investir dans une économie militarisée, la France est à la recherche d’une croissance perdue

  • Faut-il réformer le système d’assurance chômage pour réduire la dépense de l’État ?

Avec une volonté de faire des économies, sans augmenter les impôts et donner des gages aux agences de notation, le gouvernement souhaite réformer le système d’assurance chômage pour faire rentrer de l’argent rapidement. « Les réformes structurelles contribuent à stimuler l’emploi, encouragent les créations d’entreprises et améliorent la productivité … Les réformes sur le marché du travail, telles que la baisse des charges patronales et la révision des allocations chômage, peuvent faciliter l’entrée dans les rangs de la main-d’œuvre active et la recherche d’emploi … Outre qu’elles alimentent la croissance économique, les réformes réduisent le poids de la dette publique sur le long terme. La mise en œuvre de réformes sera donc salutaire pour les États à court d’argent. Etc. » Fonds Monétaire International le 13 mars 2017.

  • Faut-il utiliser les « épargnes populaires » pour financer l’industrie d’armement ?

« Le livret A ne financera pas l’industrie militaire », tranche pour des raisons de procédure le Conseil constitutionnel. Le Sénat vote le 6 mars 2024 à une large majorité une nouvelle proposition de loi sur le financement des entreprises de l’industrie de défense française par les Livrets A et LDDS. Au 30 décembre 2023, l’encours total de ces deux Livrets s’élevait à 564,9 Md€. Les sommes déposées sont gérées à 60% par la Caisse des Dépôts CDC et 40% par les banques privées. La CDC finance des prêts à destination du logement social, des opérations d’urbanisme et investit dans des entreprises françaises. Les sommes restantes, gérées par les banques, servent à des prêts pour les TPE et les PME. Si la loi est votée par l’Assemblée nationale, environ 225 Md€ seraient mobilisables pour l’industrie de la défense. Les banques commerciales vont perdre une partie de leurs activités et de leurs revenus. Ce fléchage vers l’armement n’a pas les faveurs de Bercy, la ministre déléguée aux Entreprises, Olivia Grégoire, estimant que « l’instrument (n’était) pas le plus approprié ». Le gouvernement n’est pas non plus favorable à cette solution. Il souhaite lancer l’union des marchés des capitaux sur une base volontaire et créée des produits d’épargnes européens pour investir dans la défense, etc. Cette démarche verra peut-être le jour à l’horizon 2027-2029.

À Lire : l’union des marchés des capitaux et la création de produits d’épargne européens.

Pour une croissance auto-entretenue et vigilante.

Les banques excluent de plus en plus le financement de l’industrie de l’armement. Dans la situation actuelle, notre économie a besoin des investissements publics pour soutenir la croissance et éviter les dérapages des finances publiques. Le gouvernement préfère les dépenses d’armements aux investissements écologiques, numériques ou sociales. Les armements constituent un investissement improductif à court et long terme. Nécessaires pour la persuasion, pour aider l’Ukraine, etc., il faut être prêt pour une guerre de haute intensité, car le pire est suffisamment probable. Si les armes ne sont pas employées, la France aurait perdu la chance d’une croissance auto-entretenue par des investissements dans de nouvelles technologies écologiques, etc.

Lire aussi : Croissance forte sans inflation, un autre choix pour 2022.

Les « trente glorieuses », pas toujours si heureuses. Il faut rappeler que dans les « trente glorieuses » la France, bien armée, a enduré une guerre coloniale de 1945-1948 en Indochine, Les colonies africaines deviennent indépendantes : Maroc et Tunisie dès 1956, l’Afrique noire en 1960 et l’Algérie en 1962. Les années 1970 voient l’achèvement de ce processus (Djibouti, Comores).

Des nouveaux livrets réglementés pour stimuler la croissance et les budgets de la France

De 2024 à 2030, la France disposera d’un budget total de l’armée de 400 Md€. La France peut revenir rapidement à un budget comme en 1970 (3,5% du PIB) si la croissance est portée par la transition écologique, la santé, l’énergie, le numérique, etc., et non uniquement par une économie militarisée. En 2022 les Français ont mis de côté 159 milliards d’euros presque autant qu’en 2021 (161 milliards d’euros). L’État français devrait créer immédiatement des Livrets réglementés et spécialisés. Chaque citoyen doit décider de la destination de son argent. Avec des plafonds de versement, ces livrets seraient garantis et rémunérés. Les nouveaux contrats devraient présenter plusieurs atouts pour les consommateurs : flexibilité, frais de gestion nuls, pas de frais de transfert, avantages fiscaux, etc.




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