Véhicule autonome: priorité d’abord aux avancées militaires
Un article du Wall Street Journal éclaire la priorité de l’automatisation des armes de défense considérant que les applications civiles- comme la voiture autonome par exemple–suivront.
Commandée par l’armée canadienne, le Loyal Wingman de Boeing est l’un des plus récents avions autonomes.
Des avions sans pilote engagés dans des combats aériens aux énormes engins sous-marins de transport de troupes, le Pentagone s’efforce d’accroître l’utilisation des avancées technologiques en matière d’automation industrielle par l’armée américaine.
Selon des responsables actuels et anciens de la sécurité nationale et du secteur, les progrès de la robotisation dans la défense — dans les airs, au sol et sous les mers — dépassent ceux réalisés dans le domaine commercial civil, à un moment où les autorités cherchent à répondre aux avancées technologiques des adversaires des Etats-Unis. Ces progrès — illustrés par des postes de pilotage à la gestion essentiellement informatisée, des hélicoptères sans pilote et des ravitailleurs aériens automatisés — sont susceptibles de bénéficier aux futurs avions civils, aux systèmes de contrôle de pointe du trafic aérien et à une large gamme d’applications pour les drones.
Les programmes destinés à suppléer, et un jour remplacer, les opérateurs humains s’accélèrent dans toutes les branches des forces armées américaines.
Les détracteurs de ces évolutions s’inquiètent du fait que ces systèmes robotisés traduisent parfois le désir de leurs concepteurs d’incorporer de nouvelles fonctionnalités sans les avoir soumis à des tests approfondis. Ils évoquent des exemples de dysfonctionnements très médiatisés, ayant notamment touché des systèmes de communication radio victimes de bugs et des problèmes logiciels ayant privé des pilotes de chasse d’oxygène alors qu’ils étaient aux commandes de leur appareil.
Contrairement aux systèmes d’automatisation du secteur marchand, « il n’existe pas de régulateurs ou d’observateurs extérieurs pour contrôler les projets du Pentagone, explique Najmedin Meshkati, un expert en ergonomie qui enseigne à l’Université de Californie du Sud. Vous devez vraiment faire vos propres études avant d’intégrer de nouvelles applications, encore balbutiantes, à une technologie plus ancienne. »
Mais d’ores et déjà, les programmes destinés à suppléer, et un jour remplacer, les opérateurs humains s’accélèrent dans toutes les branches des forces armées américaines.
Aucun de ces systèmes de pointe ne devrait, toutefois, être utilisé dans l’immédiat dans les unités combattantes, et certains se heurtent à des obstacles budgétaires et technologiques. Cela étant, le projet de budget de la défense, d’un montant de 740 milliards de dollars, adopté par le Congrès en janvier, regorge de directives, de dérogations et d’autres dispositions visant à étendre l’automatisation et à promouvoir les opérations autonomes dans toutes les armes.
L’un des projets du Pentagone consiste à former une équipe composée d’un avion de chasse traditionnel et de sa version autonome — parfois appelée « ailier fidèle » — pour démontrer les avantages de telles associations dans des simulations de combats aériens. L’armée de l’air prévoit également que les ravitailleurs aériens de Boeing finiront par approvisionner en carburant des avions volant à des kilomètres d’altitude sans que les membres d’équipage ne guident le processus ou ne vérifient le raccordement.
Le corps des Marines travaille avec l’entreprise d’aéronautique Kaman pour développer des moyens d’utiliser des hélicoptères autonomes afin de ravitailler des avant-postes éloignés, une idée née au plus fort des combats en Afghanistan. Sikorsky, une filiale de Lockheed Martin, collabore, elle, avec l’organisme de recherche fondamentale du département de la Défense pour concevoir des systèmes de commandes avancées essentiels à la création de flottes d’hélicoptères autonomes destinés à accomplir toute une série de missions.
De son côté, l’armée de terre s’apprête à développer une version du véhicule de combat Bradley, un engin des années 1980 servant au transport de troupes au sol, qui pourrait fonctionner sans avoir d’opérateur humain à l’intérieur.
Quant aux amiraux de la marine, ils ont ébauché un programme sur vingt ans visant à créer une flotte potentiellement composée de plus de 120 navires qui pourraient fonctionner sans équipage à la fois sur terre et sur l’eau. Le Congrès a toutefois émis des doutes sur certains aspects précis du projet.
L’intelligence artificielle et la réalité virtuelle sont déjà sur le point de bouleverser la façon dont les pilotes sont préparés au combat
D’autres idées développées par la marine incluent de collaborer avec Boeing et le constructeur naval Huntington Ingalls Industries afin de lancer plusieurs grands véhicules sous-marins autonomes appelés Orcas. Ces engins seront chargés de transporter des cargaisons et des plongeurs, de recueillir des renseignements ou de localiser des mines. En janvier, le Congrès a alloué 125 millions de dollars pour les recherches sur les « opérations navales autonomes de longue durée », afin de concevoir des navires de surface, possiblement construits par Huntington Ingalls, qui seraient capables d’opérer en autonomie pendant plusieurs mois.
Les responsables militaires « mènent l’offensive en faveur de la robotisation dans le cadre d’une approche multidimensionnelle », note Tom McCarthy, un expert en automation et en robotique qui est vice-président du développement commercial chez Motiv Systems, le constructeur du bras de la dernière astromobile envoyée sur Mars (NDLR : le robot Perseverance). « Ils veulent des systèmes qui fonctionnent bien tous ensemble », ajoute-t-il.
Les constructeurs d’avions à usage commercial et leurs fournisseurs affirment également qu’ils cherchent à renforcer l’automatisation, notamment avec des avions comprenant un pilote dans le cockpit et un autre surveillant les systèmes depuis le sol. Plusieurs entreprises poursuivent des travaux de recherche de longue haleine concernant les grands avions-cargos qui survolent de vastes étendues d’eau, le cas échéant sans pilote à bord. La société européenne Airbus a fait un grand pas en avant, en effectuant plus de 500 vols d’essai l’été dernier pour faire la démonstration de ses capacités en matière de décollage et d’atterrissage de ses taxis volants autonomes.
Mais il est évident que les progrès sont plus rapides dans le domaine militaire. Et, alors que les régulateurs résistent habituellement aux changements rapides ou spectaculaires qui impliquent un partage de l’espace aérien entre avions militaires et civils, les dirigeants de l’armée — civils et en uniforme — de l’armée de l’air sont ceux qui mènent, toutes armes confondues, la plus grande campagne de promotion en faveur d’un recours plus large à l’automatisation.
« L’armée de l’air encourage l’automation comme elle ne l’a jamais fait au cours de la dernière décennie », estime Will Roper, qui a quitté le mois dernier son poste de responsable des acquisitions de cette branche des forces américaines.
Dans le cadre d’un vol de démonstration en décembre, l’armée de l’air a recouru à l’intelligence artificielle pour assurer la navigation à la place du pilote d’un avion de reconnaissance U-2. L’avion, qui avait un pilote à bord, utilisait également des capteurs pour détecter les systèmes de missile anti-aériens.
Dans le cadre d’un accord avec Boeing pour que le géant de l’aérospatiale assure le coût de l’amélioration du système d’affichage visuel sur son avion ravitailleur KC-46, l’armée de l’air a mis l’accent sur les correctifs destinés à préparer l’arrivée d’un éventuel fonctionnement autonome. En conséquence, « nous allons disposer dans les trois prochaines années des fonctionnalités que nous ne nous attendions pas à avoir » probablement avant des décennies, assure M. Roper.
Dans une série d’interviews menées peu avant sa démission pour faire place aux personnes nommées par l’administration Biden, M. Roper a détaillé d’autres voies empruntées par l’Armée de l’air pour poursuivre son automation. Une innovation de grande envergure, a-t-il dit, passerait par l’« association d’avions avec et sans pilote faisant équipe pour accomplir des missions qu’aucun des deux ne pourrait faire seul » aussi efficacement.
Le recours à l’intelligence artificielle dans des avions autonomes volant en formation avec des chasseurs pilotés par des humains, expliquait M. Roper, permet aux aviateurs « de se concentrer sur la tâche stratégique plus complexe qu’est le combat » au lieu d’analyser les données sur les menaces qui peuvent, elles, être compilées plus rapidement et aisément par des ordinateurs.
« Les pilotes vont faire beaucoup plus pour nous à l’avenir » pour affronter des adversaires plus redoutables, ajoutait-il, précisant que les avions autonomes « offrent un guide tactique radicalement différent pour la guerre aérienne ».
L’intelligence artificielle et la réalité virtuelle sont déjà sur le point de bouleverser la façon dont les pilotes sont préparés au combat. Steve Kwast, un général trois étoiles retraité de l’armée de l’air qui les a utilisées dans un projet test visant à réduire le coût et le temps de formation des pilotes, a déclaré que cette pratique allait s’étendre à l’ensemble de l’arme : « Il s’agit simplement de passer aux choses concrètes. »
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould)