Incivilités ou meurtres , ou le choix sémantique lamentable de Macron
Incivilité, le mot utilisé par Macron à propos des meurtres récents ( une policière écrasée, un chauffeur de bus battu à mort sans parler de la tentative de meurtre d’un pompier). Un vocable qui passe très mal au sein des forces de l’ordre après la mort de la gendarme tuée par un chauffard près d’Agen, le lynchage du chauffeur du Tram’bus de Bayonne, le pompier blessé par balle à Étampes ou encore la jeune femme démembrée après avoir été traînée sur 800 mètres par une voiture à Lyon.
Dans les rangs de la police, tout le monde est interloqué. «Le mot d’incivilité traduit une euphémisation du réel alors qu’un processus d’ensauvagement est en train de métastaser le pays, s’indigne Patrice Ribeiro, patron de Synergie officiers. Beaucoup ont été surpris, car, avec tous les communicants qui entourent le chef de l’État, on peine à croire que ce mot ait été prononcé par inadvertance. C’est incompréhensible, quand on constate que la moindre altercation finit au couteau et que les vidéos de violence saturent les réseaux sociaux.» Considérant que «le régalien a toujours été l’angle mort du macronisme», ce responsable syndical prévient: «Que le président de la République s’empare du sujet est une bonne chose, mais qu’il le fasse de manière moins décalée.»
«En parlant d’incivilités, Emmanuel Macron fait penser aux “sauvageons” de Chevènement quand celui-ci faisait allusion aux voyous des cités, tacle Frédéric Lagache, délégué général d’Alliance-police nationale (gardiens et gradés). Ce genre de propos fait craindre que nos responsables politiques ne soient plus dans la réalité, qu’ils deviennent “hors sol” en mettant au même niveau et en banalisant les infractions, les délits et les crimes. Quand on tue un gendarme ou un policier, c’est un acte criminel qui n’a rien à voir avec un tapage nocturne, ni un tag sur les murs. Au sommet de l’État, on ne fait plus le distinguo au moment même où il s’agit de sanctuariser le principe de la prison pour ceux qui ciblent l’uniforme. C’est aux criminels d’avoir peur, sinon, c’est l’impunité et on en arrive à massacrer des chauffeurs de bus et des jeunes femmes dans la rue…»
Les forces de l’ordre, où règne l’incompréhension après la remise en liberté d’au moins 7000 détenus depuis le confinement, craignent que la sémantique présidentielle envoie un bien mauvais message à des magistrats déjà taxés de «laxisme». «Nous sommes dans une période de flambée de violences où il est capital de bien nommer les choses, renchérit David Le Bars, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale. Les actes atroces que la France vient de connaître sont très mal vécus par la population qui ne trouve plus dans les responsables politiques des interlocuteurs qu’ils jugent à la hauteur. Une simple erreur de langage peut annuler le message fort de retour du régalien, qui vient d’intervenir avec la nomination de Gérald Darmanin, et de la remontée du ministère de l’Intérieur à la 7e place du gouvernement, à hauteur de la Justice.»
Lors de son entretien, Emmanuel Macron a promis d’être «intraitable» et affiché sa détermination en évoquant une «tolérance zéro». Las, ce discours de fermeté a trébuché sur l’emploi d’un mot fort maladroit que le chef de l’État pourrait, désormais, bannir de son vocabulaire.