«Merci Monsieur Trump!» – ( François de Closet)
Dans le journal l’Opinion François de Closet se félicite que Trump ait préféré aller au golf plutôt que de se préoccuper des élections américaines.
Cette élection américaine était riche en cauchemars. Le premier évidemment eut été une victoire écrasante de Donald Trump. Maintenant que la France entière connaît la barre des 270 grands électeurs qui ouvre les portes de la Maison Blanche, imaginez l’horreur si le Président sortant en avait rassemblé plus de 300. Il aurait fallu admettre que l’Amérique était définitivement trumpienne, admettre quatre années de plus avec un Trump libre de tout souci électoral. Oui, nous l’avons échappé belle et nous devons une fière chandelle à Joe Biden et Kamala Harris de nous avoir évité un tsunami populiste.
Mais nous aurions pu connaître un deuxième cauchemar : celui du Trump beau joueur. Pour que le cérémonial électoral aille à son terme, il nous faut le coup de téléphone par lequel le vaincu concède la victoire à son adversaire et forme des vœux pour le pays. Il ne s’agit pas d’une simple politesse, d’une bonne manière républicaine.
Une élection ne peut être démocratique que si le perdant reconnaît sa défaite et si, par contrecoup, le vainqueur reconnaît les droits de la minorité. Le vaincu ne fait pas acte d’allégeance au gagnant mais à la règle démocratique qui arbitre la lutte pour le pouvoir. Du même coup, il se met en position de l’emporter lors des prochaines échéances. C’est cela qui était en cause dans le coup de téléphone que Donald Trump n’a pas passé à Joe Biden.
Faiblesse. En allant jouer au Golf, l’atrabilaire Donald nous a donc évité le deuxième cauchemar, celui de son retour. Rien n’était plus facile que passer ce coup de téléphone, n’importe quel étudiant en science politique pouvait en donner le contenu. L’échec de Donald Trump est d’autant moins écrasant que les sondeurs lui avaient promis une cuisante défaite. Il ne s’est rien produit de tel. L’élection présidentielle est certes perdue mais les élections parlementaires seraient plutôt gagnées et cet échec peut être imputé à la crise sanitaire. Il était bien aisé de faire passer ce salut au vainqueur pour un acte de patriotisme valorisant et non pas pour un aveu de faiblesse débilitant.
Les 71 millions d’électeurs qui ont donné leurs voix à Trump peuvent se diviser en deux : les Tant mieux et les Tant pis
De tels propos dans la bouche de Donald Trump et dans un tel moment auraient constitué un événement, auraient, pour une part, changé son image. C’était le « Happy End » que le monde entier a attendu sans voir qu’il nous plongeait dans un second cauchemar, celui de la série « Donald à la Maison Blanche » partant pour une deuxième saison en 2024.
Très schématiquement, les 71 millions d’électeurs qui ont donné leurs voix à Trump peuvent se diviser en deux : les Tant mieux et les Tant pis. Les premiers sont des trumpistes purs et durs qui applaudissaient à chaque incongruité, à chaque mensonge de leur champion, qui se reconnaissaient dans ses mauvaises manières entre le cow-boy et le voyou. Le spectacle navrant du mauvais perdant qui conteste les règles avant même qu’on connaisse le résultat ne les gêne pas car ils apprécient la caricature plus que l’original.
Mais il y a aussi les trumpistes « tant Pis » ; électeurs républicains qui préféreraient un conservateur convenable et qui hésitent à voter pour ce malappris de Donald. Les uns et les autres constituent environ la moitié du corps électoral. Un peu plus, un peu moins selon les circonstances. Si Trump avait eu l’élégance d’organiser la passation de pouvoirs, tout l’électorat républicain, réel ou potentiel, aurait fait bloc derrière le vaincu. La victoire redevenait possible en 2024.
Cul-de-sac. Par bonheur cette stratégie relève du calcul, elle n’est donc pas dans le registre Trump. Lui agit et réagit dans l’instant. Persuadé d’avoir toujours raison, il se laisse porter par ses émotions, ses réactions. Force est de reconnaître qu’il a pu ainsi aller de l’avant, et remporter bien des succès. Cette confiance aveugle en sa bonne étoile, le conduit aujourd’hui dans un cul-de-sac dont il ne pourra sortir qu’à ses dépens.
Ses grotesques prestations, ses folles protestations, accompagnant l’annonce des résultats, pourront certes renforcer la foi des trumpistes du premier genre, mais ils lui feront perdre les trumpistes du deuxième genre, ceux sans lesquels il ne peut avoir de majorité. Grâce soit donc rendu à Donald Trump qui, en jetant bas le masque par temps d’épidémie, a transformé un au revoir lourd de menaces, en un adieu, chargé d’allégresse.
François de Closets est journaliste et essayiste. Dernier ouvrage paru : Les guerres d’Albert Einstein, tome II (Robinson Editions)