Le nucléaire meilleur ennemi des écolos (François de Closets )
Pour François de Closets : « Dans la mouvance verte, la lutte contre l’atome a pris une place aussi centrale que la lutte des classes dans la gauche radicale »Tribune dans l’Opinion.
Tribune
Dieu qu’il est difficile de renoncer à un ennemi ! La veille on le combat, on prétend l’éliminer et le lendemain, il devient un partenaire avec lequel il faut vivre et se battre. C’est ainsi que la gauche s’est déchirée entre la voie révolutionnaire et la voie réformiste. Le mouvement ouvrier s’est construit au XIXe siècle contre le capitalisme qu’il entendait vaincre et détruire. Au XXe siècle, cette rupture n’est plus d’actualité. Les socialistes allemands se rendent à l’évidence dès 1959 avec le programme de Bad Godesberg ; les socialistes français ne feront leur aggiornamento que dans les années 1980, en cultivant la nostalgie de l’anticapitalisme originel. Sans doute vivons-nous une histoire du même type avec l’écologisme désespérément accroché à son meilleur ennemi : le nucléaire.
A la fin des années 1960, la conscience écologique naissante eut du mal à s’affirmer face à la société industrielle. La nature, rebaptisée environnement, était certes une noble cause mais guère mobilisatrice. Contester le développement, n’était-ce pas contester le progrès ? Attitude éminemment réactionnaire. C’est alors que le nucléaire vint jouer le rôle de l’ennemi idéal, celui qu’on aime détester.
Son acte de naissance est impardonnable : Hiroshima ! Sous sa forme civile, il conserve cet aspect froid, surpuissant, inquiétant et même terrifiant. Pour qui rêve de réconcilier le monde moderne et la nature, il n’est rien de plus rebutant. Ecologisme, pacifisme, antimilitarisme et nucléophobie se marient tout naturellement. En Allemagne d’abord, en France ensuite. L’affirmation antinucléaire est le premier pas de l’engagement écologique.
Prise de conscience. A la fin des années 1970, j’avais envisagé d’opposer dans une même émission les pro et les antinucléaires. A chaque camp, j’avais fourni une équipe avec laquelle il pourrait réaliser un film montrant d’un côté ce que serait une France nucléarisée et, de l’autre, ce que serait une France dénucléarisée. Lors du visionnage, je découvris que les écologistes s’étaient contentés de faire un pamphlet antinucléaire. La haine de l’atome tenait lieu de programme. L’émission n’a évidemment jamais pu avoir lieu, mais cet échec est significatif. Dans la mouvance écologiste, la lutte contre l’atome avait pris une place aussi centrale que la lutte des classes dans la gauche radicale. Il était plus important de dénoncer la malfaisance de l’atome que de préparer le monde durable de demain.
La prise de conscience écologiste s’est construite sur l’abus des pesticides, l’explosion démographique et l’invasion industrielle. L’épuisement de la nature et surtout le dérèglement climatique s’y sont ajoutés dans les années 1980. Puis le réchauffement, suivi année après année par les savants, est devenu le pire danger. L’humanité joue son avenir sur sa capacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les défenseurs de l’environnement se sont découvert un nouvel ennemi : le carbone.
Les inconvénients de l’énergie nucléaire sont bien connus : risque d’accident, production de déchets. Le bon fonctionnement du parc français aurait pu réduire les préventions. D’autant que, face au réchauffement, le nucléaire présentait un avantage capital : celui d’offrir une énergie décarbonée. Ce moindre danger et ce nouvel avantage ne changèrent en rien l’idéologie nucléophobe des mouvements écologistes.
C’est alors que survinrent les deux catastrophes de Tchernobyl en 1986, et de Fukushima en 2011. La première pouvait être imputée à l’incurie du système soviétique, il était plus difficile d’évacuer la seconde. Le Japon était le pays le plus conscient du péril nucléaire comme des risques telluriques. En outre, il avait une parfaite maîtrise des technologies de pointe. Il devait donc dominer la sûreté nucléaire, c’est-à-dire rester, en toutes circonstances, maître de la situation.
Or il apparut clairement à Fukushima que les responsables étaient complètement dépassés et n’avaient aucun scénario de secours. Pour les écologistes, c’était la défaillance impardonnable qui confirmait la condamnation. La « sortie du nucléaire » était plus que jamais une évidence. Il ne fallait qu’en fixer la date.
«Des leaders écologistes, toujours plus nombreux, s’interrogent sur le bien-fondé de ce postulat. Ils préparent leur Bad Godesberg – l’heure de vérité où ils reconnaîtront que l’on devra vivre avec le nucléaire tout en développant au maximum des énergies renouvelables»
Mais l’évidence ne peut tenir lieu de raisonnement. Il faut revenir aux deux questions de base. Peut-on accepter le risque nucléaire après Fukushima ? Peut-on se passer tout à la fois de l’énergie nucléaire et des énergies fossiles ? A la première question, Angela Merkel a tout de suite répondu : « non ». La catastrophe japonaise a révélé une telle dangerosité que le nucléaire devait être purement et simplement éliminé. Cette réaction, tout le monde l’a éprouvée, il faut pourtant la dépasser.
Nouvelles exigences. Paradoxalement, l’atome n’est pas plus dangereux mais, au contraire, plus sûr après Fukushima. En effet, pour la sécurité nucléaire comme pour la sécurité aérienne, tout accident apporte des améliorations car il révèle des défaillances qui sont ensuite corrigées. De nouvelles exigences sont apparues. D’où la difficulté de construire l’EPR dont les normes de sécurité dépassent de loin celles des installations actuelles. La nouvelle génération des centrales nucléaires présentera donc un moindre risque que la génération actuelle.
Mais la question reste posée : peut-on s’en passer, alors que nous devons renoncer aux énergies fossiles ? Est-il possible de vivre sur le soleil, les chutes d’eau et le vent, avec un peu de biocarburant en prime ? L’humanité a vécu l’essentiel de son histoire en ne disposant d’énergie que celle du bois, elle peut donc se passer de la fission atomique comme de la combustion des carburants ! A condition de renoncer au monde industriel, de revenir à un mode de vie ancestrale plus ou moins améliorée par le progrès scientifique…
Dans aucun pays moderne, les populations ne veulent envisager un tel changement et les écologistes ne le proposent pas. Il s’agit donc d’assurer un mode de vie « moderne » avec l’électricité du soleil et du vent. En dépit de toutes les économies d’énergie, le pari parait difficile à tenir.
Entre bazar et nécessité. Pour le noyau dur de l’écologisme, la sortie du nucléaire ne se discute pas : c’est une affaire de principe. Les autres, ceux qui gardent le contact avec la réalité, reconnaissent que le double renoncement à l’énergie nucléaire et aux énergies fossiles est tout sauf évident. Comme tout ministre de l’Ecologie, Barbara Pompili est empêtrée entre les mythes écologiques et la réalité économique, entre le bazar et la nécessité. La militante écologique ne peut abandonner le principe antinucléaire, mais la ministre ne peut laisser le pays sans électricité.
Peut-on imaginer que les photopiles qui dorment la nuit et les pales des éoliennes qui ne tournent qu’au gré du vent pourront alimenter un réseau électrique qui, lui, doit en permanence répondre à la demande des usagers ? La question a été posée à l’Agence internationale de l’énergie et au gestionnaire de notre réseau électrique, RTE. Le rapport qu’ils viennent de remettre à la ministre, pour austère qu’il soit, est un modèle de technique diplomatique. Il dit les choses, à vous de conclure.
Très sagement, les techniciens préfèrent énoncer les problèmes qu’apporter les solutions et éludent la question du coût comme de l’acceptation sociale. Moyennant quoi, ils satisfont leur commanditaire en ne disant pas qu’une France décarbonée et dénucléarisée est impensable. Leur copie élimine le nucléaire, comme il se doit, ne fait qu’évoquer les centrales électriques « vertes » à pareille échelle, et les gigantesques aménagements du réseau électrique pour passer de l’intermittence de la production à la permanence de la consommation. La ministre pourra dire que techniquement, ce n’est pas impossible, et sembler en déduire que, politiquement, c’est possible. Et l’on continuera à repousser l’horizon d’une France dénucléarisée et décarbonée. Tout cela parce que nous avons l’obligation idéologique de sortir du nucléaire.
Des leaders écologistes, toujours plus nombreux, s’interrogent sur le bien-fondé de ce postulat. A l’étranger, mais aussi en France. Comme les communistes qui pratiquaient le réformisme en se référant à la révolution, ils préparent le Bad Godesberg des écolos – l’heure de vérité où ils reconnaîtront que l’on devra vivre avec le nucléaire tout en développant au maximum des énergies renouvelables. Cela ne se fera pas sans des protestations et des déchirements, car il est bien souvent plus difficile de rompre avec un ennemi qu’avec un ami.
Coût du service public : comment trouver un meilleur équilibre entre accessibilité, efficacité et coût
La question posée dans le cadre du grand débat était : « Comment faire évoluer le lien entre impôts, dépenses et services publics pour mieux répondre aux besoins des Français ? »
De fait, dans certaines parties du territoire, ce lien paraît de plus en plus ténu voire inexistant, en tout cas très de plus en plus éloigné. Dans nombre de villages, il y a déjà longtemps qu’il n’existe pratiquement plus de services publics et le dernier qui semblait devoir résister, à savoir la Poste, disparaît aussi. En cause évidemment, un aménagement du territoire qui privilégie l’hyper concentration autour de quelques centres et qui conduit le reste à la désertification. . La mode aujourd’hui est à la métropolisation, c’est à dire à la sururbanisation (qui constitue pourtant une aberration environnementale) tandis que certaines petites villes, des villages s’appauvrissent, des villes moyennes stagnent ou régressent. L’élément le plus significatif de cette désertification c’est la raréfaction de l’emploi. Du coup, les populations sont contraintes de rechercher des embauches de plus en plus loin de leur domicile (20, 30, 50 kms). Jusqu’au jour où elles décident de quitter leur zone d’habitat pour rejoindre des zones plus riches en emplois et en services. Pour preuve de cette désertification : la baisse dramatique de la valeur du patrimoine immobilier. Par manque de populations, les services rétrécissent comme peau de chagrin. Le cœur de la problématique de la désertification, c’est la disparition de l’emploi qui génère mécaniquement la fermeture des commerces et des services. La réactivation des villes moyennes, des zones rurales défavorisées passe d’abord par une analyse fine des réalités et de leur évolution sur longue période (emploi, PIB, population, services etc.) ; aussi par une prise en compte des typologies différenciées des zones dont l’approche globale masque les disparités. Au-delà, il convient d’agir sur les leviers susceptibles d’abord de fixer la population active existante et d’encourager la création d’emplois. Bien entendu une commune ne peut, à elle seule, inverser ces tendances lourdes même si elle peut intervenir utilement dans le champ actuel de sa responsabilité. Beaucoup de communes se préoccupent de leur développement pour autant l’environnement défavorable limite leur action (fiscalité, réglementation, transport, équipements et services). En fonction de certains scénarios économiques, sociaux et démographiques, en 2040-2050, certains villages se transformeront en zones pour retraités voire même disparaîtront (d’autant qu’à cette date un Français sur trois aura plus de 60 ans). L’activité économique interagit sur la qualité et le niveau des services et réciproquement. Si localement on se préoccupe légitimement des équipements et des services publics, par contre le soutien à l’emploi et à l’économie locale en particulier est plus déficient. Or en fonction du rythme de destruction des emplois locaux, ce devrait être aussi une priorité. Encore une fois compte tenu de la mode de la « métropolisation » ‘ pas spécifique à la France, il y a fort à parier qu’on pourra attendre encore longtemps des mesures significatives pour le développement rural des zones défavorisées. On ne saurait se limiter à quelques dispositions certes utiles mais très insuffisantes (couverture internet, bureau de poste, quelques services …peut-être). . Parallèlement on doit aussi s’interroger sur le concept même de service public, son coût, son fonctionnement et son financement ; en effet, si le rythme de suppression des services s’accélère, c’est notamment pour des raisons socio-économiques évoquées précédemment mais aussi à cause d’un coût que la collectivité a du mal à assumer. Ce coût explique largement que le pays détienne le double record du monde de prélèvement obligatoire et de dépenses publiques par rapport au PIB. Un record qui porte atteinte à la compétitivité donc aussi à l’emploi. Dans son acception un peu générale, la tendance est forte d’assimiler service public, secteur public voire statut des personnels. Trois notions pourtant à distinguer. La première découle du champ régalien de l’État (ou plus généralement des collectivités) lequel mériterait sans doute d’être mieux défini, sans doute plus restreint et en même temps mieux assumé. Certaines tâches doivent être toujours être assumés par l’État directement mais sans nécessairement gérer directement la logistique. La deuxième confusion concernant le service public vise le statut des personnels. Si on peut comprendre par exemple que les infirmières ou ASH soient fonctionnaires, c’est plus discutable pour les jardiniers, les menuisiers, et autres comptables. Le problème c’est qu’on résume souvent la problématique des conditions de travail par exemple du personnel des hôpitaux à celle des infirmières. La troisième dimension du service public est liée à la structure juridique qui l’effectue. Or rien n’indique que l’intérêt général doive être exclusivement assumé par le secteur public. De nombreuses fonctions d’intérêt général sont en effet exercées notamment par voie de délégation à des organisations parapubliques ou privées (santé, transport, formation etc.) Du coup, l’amalgame des trois définitions conduit souvent en fait à masquer une défense corporatiste et coûteuse du service public qui au total porte atteinte à la qualité, à l’accessibilité et à la compétitivité de ce service. Faute de cela non seulement tout service public disparaîtra des petites communes mais nombre de fonctions d’intérêt général vont aussi s’étioler dans les petites et moyennes villes (les hôpitaux par exemple). La problématique n’est pas simple, le service public pour certaines de ses activités constitue un atout indiscutable pour le progrès social mais aussi économique, il n’en demeure pas un boulet financier qui hypothèque son avenir. Avant d’envisager cette réforme du service public, il sera nécessaire au préalable de procéder à une évaluation qualitative et quantitative des contenus, du fonctionnement et du coût. L’évaluation qualitative est indispensable car ce n’est par la même chose par exemple en terme d’accessibilité d’avoir la possibilité d’obtenir un rendez vous au bout de 15 jours ou au bout de 5 mois chez un cardiologue ou un ophtalmologue. Autre exemple, Ce n’est pas non plu la même chose de disposer en permanence de la 4G en téléphonie mobile et de recevoir des SMS le lendemain de leur émission dans le zones blanches ou mal couvertes. Enfin, le traitement est différent quand il suffit de faire 500 m pour retirer 100 euros à la Poste ou faire 40 kms.