La question des déserts médicaux
Une proposition de loi contre les déserts médicaux, d’initiative transpartisane, arrive ce mardi à l’Assemblée. Frédéric Bizard, professeur d’économie à l’ESCP et président de l’Institut Santé, en décrypte les impasses dans la Tribune.
La lutte contre les déserts médicaux est une affaire très complexe qui exige du recul et une analyse sérieuse des déterminants pour espérer améliorer significativement la situation. A défaut, le débat public est truffé de raisonnements apparemment séduisants mais faux.
Une proposition de loi (PPL 682) dite transpartisane sera examinée en séance plénière à l’Assemblée nationale ce mardi 1er avril 2025. Elle a mobilisé contre elle l’intégralité des acteurs concernés, toutes générations confondues, démontrant l’absence de concertation et de prise en compte des attentes de ceux directement concernés par la loi.
On abordera cinq sophismes courants sur le sujet.
La démographie médicale : un indicateur fiable dans les mains de l’État
En moins de 15 ans, le nombre de médecins formés a brutalement chuté de 10 200 en 1979 à 3500 en 1993, par une politique du « stop and go » dévastatrice sur le long terme.
Cette expérience d’un État détenant seul la décision de la démographie médicale devrait inciter les Parlementaires à ne pas renouveler cette erreur.
C’est pourtant bien l’objet de la PPL 682, qui, à ce titre va à l’encontre de l’esprit de la loi de 2019 visant à partager la gestion de la démographie avec les acteurs du système.
L’histoire du numérus clausus nous a aussi appris qu’un outil aussi simpliste ne pouvait pas gérer une problématique aussi complexe, une deuxième leçon non retenue par les auteurs de la PPL 682.
D’apparence séduisante, l’adaptation de la démographie médicale et de l’ensemble des ressources aux besoins de santé exige une organisation spécifique et est d’une grande complexité. Elle n’en est pas moins indispensable.
Elle demeure un compromis social qui ne peut se trouver qu’avec la participation pleine et entière des acteurs, et non avec un État en position de deus ex machina. Elle doit être la responsabilité de l’ensemble des acteurs.
L’exercice libéral : un frein à la lutte contre les déserts médicaux
En ville, l’exercice libéral est resté ultra dominant et stable jusque des années 2000, illustrant un début de reflux de cet exercice au profit du salariat.
On notera que la période hégémonique de l’exercice libéral en ville a coïncidé avec une couverture médicale territoriale parmi les plus étendues de tous les pays développés, tandis que son déclin depuis 15 ans s’est accompagnée d’une désertification médicale accélérée.
Ainsi, la médecine libérale française, outre qu’elle représente l’ADN de la pratique médicale de notre pays, est une médecine universelle, de proximité et d’excellente qualité, remplissant par essence l’esprit de service public.
La liberté de choix, associée à une forte responsabilisation populationnelle et territoriale des professionnels, est la voie de la renaissance d’un modèle à la française. L’institut santé a conçu dans ce sens le service public territorial de santé.
Les médecins, une profession individualiste qui force l’État à réguler
Un point dur de la régulation de la santé est la création d’un indispensable consensus avec le corps médical (et tous les professionnels), qui doit être pleinement respecté, intégré et responsabilisé. La raison en est simple : son monopole d’exercice médical.
Face à cette réelle puissance du corps médical tout secteur confondu au XXème siècle, la plupart des législations de ce nouveau millénaire ont visé à renforcer la régulation de l’État sur les professionnels (médicaux et paramédicaux), notamment avec la création des agences régionales de santé.
Le système est passé d’un mandarinat médical à un mandarinat administratif.
L’hôpital, en relation directe avec l’État, en a été la première victime avec une démédicalisation du fonctionnement de l’institution, conduisant à sa profonde désorganisation jusque dans sa fonction vitale des urgences.
Le professionnel hautement qualifié est devenu un pion au service d’une administration sans vision et ignorante des questions médicales. Il reste la médecine libérale à passer sous le joug de l’État.
L’autorisation administrative d’installation des médecins, une solution simple et efficace
L’article 1 de la PPL veut « créer une autorisation d’installation des médecins, délivrée par l’ARS ».
L’administration a défini des territoires vie-santé, inconnus des médecins et des usagers, qui peuvent recouvrir plusieurs départements et plusieurs régions. L’outil sous-jacent à l’élaboration de la décision de l’autorisation est inopérant en l’état.
Ainsi, le législateur de la PPL 682 s’apprête à confier à l’administration une tâche qu’elle est incapable de remplir dans le contexte actuel. Le législateur de la PPL 682 s’est-il soucié de la bonne applicabilité de sa loi et des coûts administratifs conséquents qu’elle va générer ?
La lecture attentive de son contenu conduit à conclure qu’il ne s’en est pas préoccupé.
Des mesures techniques et conjoncturelles renforceront l’accès aux soins
Le cinquième sophisme consiste à tenter de convaincre l’usager électeur que l’addition de mesures isolées finira par régler la désertification médicale, sans avoir à repenser tout le système.
Le déclin de notre système de santé touche aujourd’hui tous les secteurs et toutes les activités de services, y compris les industries de santé et la recherche. C’est ce qu’on appelle une crise systémique.
La seule réponse adaptée à une crise systémique est une réforme systémique.
Sans réforme structurelle, ni l’accès aux soins ni le virage préventif, ni l’intégration massive des innovations technologiques ne pourront significativement progresser.
Il n’en demeure pas moins qu’un plan conjoncturel de court terme devrait accompagner le plan structurel, dont la mise en place prendra 12 à 18 mois.
Ce plan conjoncturel ne peut réussir que s’il est conçu avec les professionnels concernés et selon une vision objective de l’état actuel du système.
L’écueil du politique est de reporter le structurel à plus tard et de privilégier le conjoncturel.
En l’état actuel du système, il doit se convaincre de deux certitudes : le conjoncturel sans le structurel impacte trop peu et ne créé pas d’espoir, le structurel est plus urgent que le conjoncturel car plus long à se mettre en place.