Société – Médias Bolloré: réactionnaire, populiste et vulgaire
Comme en Afrique, Bolloré dirige ses entreprises à coups de pieds dans le cul . À chaque fois qu’il prend le contrôle d’une télé ou d’un journal, il vire sans autre forme procès ceux qui ne partagent pas son idéologie provinciale de droite. Pourtant, les lignes éditoriales ne font pas dans la dentelle n’hésitant pas à faire dans le vulgaire, le caricatural et même le ridicule comme sur Cnews par exemple où certaines tables rondes tournent au théâtre de clowns avec en plus souvent des intervenants d’une médiocrité assez pitoyable. Bref, comme C8, la télé des beaufs.
France Info fait un rappel de l’itinéraire de Bolloré.
Spécialisé à l’origine dans la papeterie, l’homme d’affaires a débuté la construction de son empire médiatique il y a près de dix ans, en 2014, en accédant à la présidence du conseil de surveillance du groupe Vivendi, et du même coup de sa filiale Canal+. Récemment, le milliardaire a étendu sa toile en lançant une OPA (offre publique d’achat) sur les médias du groupe Lagardère. Après la validation de l’opération par la Commission européenne, le patron ultra-conservateur est entré en conflit avec la rédaction du JDD.
Avec l’annonce de l’arrivée à la tête de l’hebdomadaire de Geoffroy Lejeune, venu du magazine d’extrême droite Valeurs actuelles, les salariés du JDD redoutent de voir se répéter une méthode déjà dénoncée ailleurs : valse des dirigeants et interventions sur la ligne éditoriale, au prix d’une hémorragie au sein des équipes de journalistes. Vincent Bolloré s’est toujours défendu d’utiliser les médias qu’il contrôle pour promouvoir ses opinions. Pourtant, l’entrepreneur a construit par la force un empire médiatique, n’hésitant pas à sanctionner les récalcitrants.
Le premier conflit marquant lié à Vincent Bolloré remonte à la mise au pas de Canal+, chaîne dont il prend le contrôle à partir de 2015. A l’automne de cette année-là, une enquête sur le Crédit mutuel est déprogrammée de la grille. « Nous savons tous que M. Bolloré peut être autoritaire, mais je ne comprends pas pourquoi il a pris la décision de censurer ce film », réagit à l’époque Nicolas Vescovacci, coauteur du documentaire. Michel Lucas, le patron de la banque, « a directement appelé Bolloré pour lui faire part de son mécontentement », raconte à Vice Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de l’émission « Spécial Investigation », qui devait diffuser le documentaire.
« La direction torpille ce film et le déprogramme dans notre dos. C’était épouvantable. On n’avait pas les infos, on passait pour des cons. »
Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de l’émission « Spécial Investigation » à Vice
Ces critiques ne passent pas. Quelques mois plus tard, l’émission d’enquêtes de Canal+ est supprimée de l’antenne, tout comme les journaux télévisés et le « Zapping », une pastille vieille de 27 ans qui s’en était prise, en images, à la nouvelle direction. Canal+ supprime la moitié de ses émissions en clair et assure vouloir « remettre de la valeur dans l’abonnement ». Les marionnettes satiriques « Les Guignols de l’info » seront également mises au placard, Vincent Bolloré leur reprochant un « abus de dérision ».
L’autoritarisme du nouveau propriétaire de la chaîne ne s’arrête pas là. En 2020, le renvoi de l’humoriste Sébastien Thoen du service des sports suscite une vague de soutien et le départ de quelque 25 salariés. Son tort ? Avoir participé à une parodie de « L’heure des Pros », l’émission de Pascal Praud sur CNews. Dans la foulée, le journaliste sportif Stéphane Guy sera licencié pour avoir délivré, lors d’un match de foot en direct, un message de soutien à Sébastien Thoen.
Trois journalistes pigistes de la rédaction des sports de la chaîne cryptée sont également licenciés pour avoir signé un texte de soutien à l’humoriste, révèle à l’époque le site Les Jours. La pétition se terminait par ces mots : « Nous revendiquons le droit d’exercer nos métiers sans craindre d’être licencié, écarté, inquiété si ce que nous disons, écrivons, déplaît à notre direction. »
Il s’agit de l’exemple qui hante aujourd’hui les salariés du JDD. En 2016, l’équipe de la chaîne d’information du groupe Canal+, i-Télé, entame un bras de fer avec la maison mère, demandant des garanties d’indépendance et protestant contre une réduction drastique des effectifs. L’arrivée à l’antenne de Jean-Marc Morandini, mis en examen pour « corruption de mineurs aggravée », met également le feu aux poudres.
Les salariés portent une grève très médiatique pendant 31 jours face à des dirigeants inflexibles. N’obtenant que de maigres concessions, épuisés par ce long conflit social, ils finissent par signer un protocole d’accord. « Ce n’est pas une victoire. Mais ce qu’il faut en retenir, c’est la densité du mouvement », explique alors Jean-Jérôme Bertolus, qui choisit de quitter la chaîne, comme une trentaine d’autres journalistes parmi les 120 que compte la chaîne à l’époque. « Il aurait fallu faire un mois de grève supplémentaire, explique l’un d’eux à Libération. Mais nous ne sommes pas armés pour ça. On n’est pas 300, on n’a pas 50 syndiqués dans la boîte et beaucoup de leaders sont déjà partis… »
La chaîne est rebaptisée CNews et prendra un virage très à droite dans les années suivantes. Elle a notamment été pointée du doigt lors de la dernière campagne présidentielle pour le temps d’antenne démesuré accordé à Eric Zemmour, au moment où le polémiste d’extrême droite, ex-éditorialiste vedette de la chaîne, préparait sa candidature.
Vincent Bolloré décide au printemps 2021 de rapprocher Europe 1 et sa chaîne CNews. Inquiets d’un changement de ligne éditoriale vers la droite, les salariés de la radio entament eux aussi une grève. Dans le même temps, Christine Berrou, une humoriste de la station, annonce sa démission, car la direction lui enjoint de retirer d’une chronique une blague sur Eric Zemmour. Elle raconte à Télérama que l’animateur de la matinale à laquelle se destinait sa chronique, l’a « mise en garde » de possibles répercussions, « en [lui] expliquant que la semaine dernière, un journaliste a été convoqué par la direction pour un lancement envoyant une petite pique à Eric Zemmour ».
Au fil des semaines, des dizaines de journalistes quittent la station, contraints ou de leur plein gré. Aujourd’hui, Europe 1 et CNews partagent plusieurs têtes d’affiche, comme Laurence Ferrari et Sonia Mabrouk. Pressentie par beaucoup pour la rentrée, une arrivée sur Europe 1 de Pascal Praud, pilier de CNews, marquerait une nouvelle étape de ce rapprochement redouté par les salariés de la radio.
Dans les magazines de Prisma Media, des conditions de travail dégradées
L’acquisition en mai 2021 du premier groupe de presse magazine en France, Prisma Media (Télé-Loisirs, Femme Actuelle, Capital…), provoque une vague de départs. Inquiets notamment d’une dégradation de leurs conditions de travail après le rachat de Vivendi, des journalistes font valoir leur clause de cession, qui permet en cas de changement d’actionnaire de partir en bénéficiant des indemnités de licenciement. En six mois, une soixantaine de salariés et pigistes quittent le groupe. Pas de quoi inquiéter l’industriel breton, qui estime alors que les journalistes fonctionnent « comme la mer » : quand une vague part, une autre revient.
A Paris Match, les changements n’ont pas tardé. L’année 2022 est marquée par le licenciement du rédacteur en chef politique et économie, Bruno Jeudy, après avoir, selon la rédaction, « critiqué » à plusieurs reprises « l’ingérence » de la direction dans les choix éditoriaux, dont la une du 7 juillet 2022 consacrée au cardinal Robert Sarah, figure de proue des conservateurs catholiques, auteur de propos comparant l’homosexualité et l’avortement au fanatisme islamique.
Une motion de censure est alors votée contre la direction et 25 journalistes quittent la rédaction. Emilie Blachère, grande reporter qui a travaillé près de 16 ans à Paris Match, fait jouer sa clause de conscience pour quitter l’hebdomadaire. La journaliste estime que la direction de Match a « notablement changé d’orientation » et que cela crée « une situation de nature à porter atteinte à son honneur et à sa réputation ». A titre d’exemple, elle souligne l’absence d’articles sur les protégés de Vincent Bolloré, comme Cyril Hanouna, star de la chaîne C8, pourtant au cœur de l’actualité.
L’arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête du Journal du Dimanche intervient après une série de remplacements à la tête du journal. L’ancien directeur de la rédaction de Valeurs actuelles doit succéder à Jérôme Béglé, nommé directeur général de la rédaction de Paris Match. Chroniqueur régulier sur CNews, Jérôme Béglé était arrivé début 2022 à la tête du JDD, provoquant déjà à l’époque la « vive préoccupation » de la rédaction à moins de 100 jours de la présidentielle.
Mais cette fois, le choix de Geoffroy Lejeune a « ulcéré » la rédaction de l’hebdomadaire, qui s’est mise en grève à la quasi-unanimité. « Sous la direction de Geoffroy Lejeune, Valeurs actuelles a propagé des attaques haineuses et de fausses informations », alerte un communiqué de la société des journalistes du JDD.
« Nous refusons que le ‘JDD’ emprunte cette voie. Le ‘JDD’ n’est pas un journal d’opinion. »
La SDJ du « Journal du Dimanche » dans un communiqué
Désormais, la rédaction du JDD a lancé un bras de fer avec la direction pour tenter de se faire entendre. « Ce n’est pas seulement la rédaction, mais tous les services du journal – fabrication, distribution, publicité… – qui s’inquiètent pour la pérennité même du titre », prévient encore la SDJ du journal.
Comment les médias déforment l’information
Comment les médias déforment l’information
par Éric Dacheux,Professeur en information et communication, Université Clermont Auvergne (UCA) dans the Conversation
La question se pose en particulier en France pour les grands médias qui appartiennent presque tous à des groupes financiers moins pour réaliser des profits que pour influencer l’information NDLR
Quand le média en ligne The Conversation publie un article sur le revenu d’existence par création monétaire, il met en relation des chercheurs d’une université de province et des lecteurs de toute la francophonie. The Conversation établit une communication entre deux êtres qui ne sont pas dans le même espace. C’est ce que l’on appelle une médiation. Mais la médiation n’est pas neutre, elle est toujours active. Quand on fait appel à un médiateur pour régler un problème entre voisins, on espère que celui-ci va déployer une activité diplomatique suffisante pour permettre le rétablissement de bonnes relations.
Dans nos sociétés démocratiques, il existe une médiation singulière, celle des médias de masse : presse, radio, télévision. Ces médias de masse relaient l’information entre les journalistes et les citoyens, ils renvoient à la société une représentation d’elle-même.
Cette représentation n’est pas objective, elle est construite selon des règles qui ont été étudiées par les sciences de l’information et de la communication. Parmi toutes les notions explicatives, en voici trois.
La première notion est celle de médium. Marshall McLuhan, philosophe canadien, a écrit un livre intitulé « Pour comprendre les médias » paru dans les années 1960. Dans ce livre, il affirme que « le message c’est le médium ». Cette affirmation signifie que le sens profond n’est pas à rechercher dans les mots, les images ou les sons transmis par les médias de masse, mais dans leur nature technique. Pour lui, les moyens de communication déterminent la société et la font évoluer. Nous étions, toujours selon ce penseur, dans les débuts de l’humanité, dans une civilisation dominée par la communication orale. Nous sommes, dit-il, grâce à l’imprimerie, rentrés, à la Renaissance, dans une civilisation de l’écrit qui au XXe siècle à laissé la place à une nouvelle civilisation, celle de l’audiovisuelle.
Cette idée que les médias déterminent le monde est au cœur de ce que certains nomment aujourd’hui la révolution Internet. Or, cette idée est fausse. Elle ne repose sur aucune enquête de terrain. Elle ne rend pas compte de la complexité des relations entre la technique, l’économie, le politique et les croyances. Elle nie la réalité historique de la coexistence des différents médiums (la télévision n’a pas tué le livre et n’a pas été tuée par Internet). Elle confond le monde et l’Occident. Elle oublie le rôle des conflits dans l’histoire humaine, etc.
Pourtant, cette théorie a eu le mérite de pousser à s’interroger sur un fait que l’on négligeait jusqu’alors : le médium n’est pas neutre. Le médium ne transmet pas le sens, il participe, de manière souvent invisible, à la compréhension de la signification. Envoyé un « Je t’aime » ou un « je te quitte » par SMS, le dire en vidéo ou l’exprimer en face à face ne sera pas compris avec la même sensibilité, n’aura pas la même force, ne provoquera pas le même effet.
Le médium n’est pas un support qui inscrit, sans la changer, la signification dans sa matérialité (du papier, un écran, du son), ce n’est pas davantage un moyen de communication qui fabrique, à lui tout seul, du sens, c’est une médiation matérielle qui transforme la signification.
Pour bien comprendre un message médiatique, il faut donc comprendre la nature de cette médiation singulière. Or, la plupart du temps, nous n’avons pas conscience de l’importance du médium dans la signification.
La seconde notion importante pour comprendre une communication médiatique est celle de cadrage. Dans le domaine des médias de masse, parler de « cadrage », c’est s’intéresser à la façon dont les médias représentent un sujet précis, en attirant l’attention sur tels points qu’ils jugent pertinents au détriment de tels autres que le destinataire pourrait pourtant juger tout aussi pertinents. Les médias ne se contentent pas d’attirer l’attention sur telle question plutôt que telle autre, ils proposent une définition particulière d’un problème qui est déjà une interprétation, une orientation de la réponse. Parler de l’accueil des migrants comme un problème politique, comme une nécessité morale ou comme un danger terroriste, c’est déjà orienter la compréhension de l’actualité.
Dans ces opérations de cadrage, le titre et les illustrations sont des éléments clefs qui vont orienter la compréhension du message, même si celui-ci est plus nuancé, plus rationnel que le titre ou l’illustration choisie. Ce cadrage obéit à des logiques professionnelles (le spectaculaire plutôt que l’ordinaire), des logiques éditoriales – la suppression de l’impôt sur la fortune ne sera pas cadrée de la même façon dans L’Humanité que dans Le Figaro, puisque leur lectorat est idéologiquement opposé –, des logiques économiques (ne pas trop déplaire à un annonceur qui est sur la sellette), etc.
Ce cadrage obéit aussi à des logiques culturelles comme l’a montré Tourya Guaaybess, chercheure en communication internationnalement reconnue, dans un livre sur le cadrage médiatique des révolutions arabes. En Ukraine, par exemple, ces révolutions étaient lues par certains médias conservateurs comme des épisodes violents de foules en colère et menaçantes pour l’ordre public, alors que d’autres médias, plus progressistes, y voyaient, à l’image de la révolution orange, un peuple en train de se libérer de la tyrannie.
Loin de ces deux manières de cadrer la réalité révolutionnaire, les médias français insistaient plutôt sur le rôle des nouvelles technologies et faisaient référence au « printemps des peuples de 1848 ».
Dans ces conditions, comprendre pleinement un message médiatique demande de connaître le média qui a construit ce message afin de pouvoir décrypter le cadrage qu’il a mis en œuvre. Cela demande aussi de s’exposer à des médias non nationaux pour déconstruire le cadrage culturel de ce message. Autant de conditions qui ne sont que rarement remplies.
La troisième et dernière notion qui permet d’expliquer la difficulté de comprendre une communication médiatique est celle d’énonciateur. Les sciences du langage distinguent ce qui relève de la langue (code structuré par un ensemble de règles obligatoires comme l’accord du sujet et du verbe, par exemple) et l’énonciation qui est le style expressif utilisé par un locuteur.
L’énonciation met en œuvre au moins trois instances, un énonciateur (celui qui s’exprime, ici, le journaliste), un destinataire (l’auditeur, le lecteur, le téléspectateur), un énoncé (le message médiatique). Or, pour comprendre correctement un énoncé, il est souvent nécessaire d’identifier l’énonciateur. Par exemple, la phrase entendue à la radio « Les Belges n’ont pas d’humour » ne sera pas comprise de la même façon si elle est énoncée par l’animatrice belge de l’émission humoristique « Par Jupiter » sur France Inter que par un sondeur invité à commenter le rapport à l’humour de plusieurs habitants de l’Europe.
Or, le problème est qu’identifier un énonciateur dans les médias de masse n’est pas chose aisée. En effet, ce n’est pas forcément celui qui parle qui est le véritable énonciateur. Par exemple, le présentateur du journal de TF1 peut lire un texte sur le prompteur qui est une dépêche d’agence, une information rédigée par le rédacteur en chef ou une citation d’un homme politique. Dans ce dernier cas, est-ce vraiment l’homme politique qui a tenu ce propos ? Un adversaire qui déforme sciemment son propos, un conseil en communication de l’homme politique ?
Ce qui est compliqué lorsqu’on s’efforce de comprendre un message d’un média bien déterminé devient, de nos jours, encore plus complexe puisque les nouvelles sont agrégées automatiquement, déformées et reformées par des centaines de personnes sur les réseaux sociaux, si bien que l’on ne sait plus qui est l’énonciateur du message. On ne peut plus alors le comprendre dans son intégralité, le soumettre au jugement critique de son libre arbitre. Quand l’énonciateur s’efface, la compréhension recule et la désinformation avance.