Méconnaissance en économie: une menace pour la démocratie ?
Par Pierre-Pascal Boulanger, Président-fondateur du Printemps de l’économie
dans la Tribune
Un article intéressant qui brasse beaucoup de sujets mais finalement le thème posé est insuffisamment traité. Une étude du groupe Allianz avait démontré par exemple en matière de connaissances économiques que la France se situait à dernière position de 19 pays européens sondés NDLR
En 2020, le thème du Printemps de l’économie était « Guerre(s) et Paix : le grand basculement du monde ». Que nous eussions préféré avoir tort ! Car hélas, la guerre est là, à nos portes. Un type de guerre classique, de tranchées, longue et cruelle, et qu’on croyait définitivement révolue. Quant aux guerres commerciales, technologiques, cyber, sociales etc., elles s’intensifient jour après jour. Chine et Etats-Unis rivalisent dans la course au leadership mondial, et l’Europe « bisounours » comme disait à l’époque Hubert Védrine semble enfin se réveiller. Saura-t-elle agir à la hauteur des défis géopolitiques, mais également climatiques ou de souveraineté ? C’est pour cette raison qu’en 2021 le thème de la 9e édition du Printemps de l’économie fut « Bifurcations : l’heure des choix ». Nos sociétés pourraient-elles s’adapter ? Et si le capitalisme, cette fois-ci, n’arrivait pas à muter ? Faudrait-il changer de modèle ? Le questionnement autour des bifurcations devait être pertinent, repris l’année suivante aux Journées de l’économie de Lyon, ou au sommet de l’économie de Challenges.
Parmi les bifurcations possibles, celle de la sobriété nous est vite apparue évidente. Mais force est de constater que la sobriété version gouvernementale n’est pas un choix par philosophie. Ce n’est en aucun cas, pour l’instant du moins, une bifurcation. C’est un choix contraint par les événements, la guerre en Ukraine et la rareté de l’énergie qui en a résulté. Notre logiciel, celui de notre système, semble donc être resté intact : nous nous contentons d’un mode particulier de gestion de la rareté. Là encore, nous ne nous étions pas trompés en choisissant dès mars 2022 comme thème de notre 10e édition « Sobriété : l’essence de demain ? » Et ce, bien avant qu’elle ne fasse son apparition dans le langage officiel et ne se traduise par quelques mesures dont seul l’avenir nous dira si elles auront été à la hauteur des enjeux.
Alors quoi de plus logique pour notre 11e édition que le thème « Action ! L’heure de l’engagement » ! Il nous semble que nombre de choix n’ont pas encore été clairement faits, que les actions enclenchées – car on ne peut pas dire qu’il n’y en a pas – ne sont pas à la hauteur, que le moment de la décision publique a été reporté alors qu’il existe pourtant de très nombreuses initiatives locales ainsi qu’un consensus sur le diagnostic des dérèglements climatiques et autres dossiers chauds du moment. Et, à défaut, nul ne peut nier un certain nombre d’urgences : santé, vieillesse et dépendance, inégalités, justice sociale dans la répartition des efforts, montée du protectionnisme, contestation du multilatéralisme, désir de souveraineté et… péril démocratique.
Eux, que l’on dit souvent trop hâtivement nuls en économie, sont bien conscients de tout. Nos sondages 2021 et 2022 le prouvaient déjà. Ils adressaient alors une forte demande d’action à nos gouvernants nationaux et supranationaux. Le sondage OpinionWay pour le Printemps de l’économie et OMNES Education réalisé en mars 2023 le confirme à nouveau : les Français restent toujours très conscients des enjeux.
Sondés en plein mouvement social et avant l’adoption au forcing du projet de loi sur la réforme des retraites, on aurait pu s’attendre à ce que, fortement mobilisés ou soutenant massivement l’action collective, ils collent à l’actu et placent comme domaine d’engagement le plus important pour eux la préservation des acquis sociaux en première, voire seconde position. Or, il n’en est rien ! Important pour 22% d’entre eux, il n’arrive qu’en sixième position sur douze. Ils sont deux fois plus (40 %) à placer la préservation du système de santé français dans le trio de tête de leurs préoccupations : en premier pour les plus de 50 ans, ce qui se comprend, mais, ô surprise, en deuxième pour les 25-49 ans et troisième position pour les moins de 25 ans, à quasi-égalité avec une meilleure répartition des richesses !
Après la santé, les Français sont autant à citer la lutte contre le changement climatique (39%), et 25% à choisir la préservation de la paix, puis les questions de souveraineté. Bref, loin de ce qu’on appelle les fondamentaux en économie, mais proches d’autres fondamentaux, ce qui menacent la vie, le climat, la guerre.
Au vu de « leurs » urgences, on comprend mieux : la colère contre la réforme des retraites n’est sans doute pas liée qu’à son seul contenu. Elle est amplifiée par le fait qu’aux yeux des Français, l’action de l’Etat aurait dû se concentrer sur des enjeux bien plus importants. 81% d’entre eux jugent prioritaire de s’engager pour préserver le système de santé français, 73% pour la réduction de notre dépendance énergétique, 70% pour la Paix, loin devant toute autre préoccupation. Olivier Passet a donc raison : il existe un vrai conflit de priorités entre les Français et le gouvernement. Peut-être cette réforme des retraites aurait-elle pu passer dans un autre contexte et avec une autre… méthode. Mais là, ici et maintenant ? Nenni…
La colère – inquiétante dans la mesure où on ne sait pas comment elle va s’exprimer dans les années qui viennent -, cette colère qui s’est épanchée dans la rue va bien au-delà de ce que les Français ont scandé. Elle révèle un ras-le-bol que les « vraies » urgences ne soient pas traitées en priorité, peut-être même un dernier avertissement avant les élections européennes. Sera-t-il entendu ?
On soupçonnerait presque Emmanuel Macron d’avoir réussi à se procurer les résultats de notre sondage bien avant sa publication, sans que nous le sachions. Pour faire « oublier » le dossier retraites, pour tenter de tourner la page, il veut lancer soudainement de nouveaux chantiers… Tiens ? Mais sur quoi donc ? Devinez… Bizarre… Vrai tournant ou coup de communication ? Nul ne le sait encore. Espérons simplement qu’il ne s’agira pas d’une opération « Playboy ».
Nous, pendant ce temps, nous continuons à nourrir le débat, un débat pluraliste, fidèles à la promesse que j’avais faite à Michel Rocard de créer le Printemps de l’économie autour de sa et ma conviction : la méconnaissance en économie est une menace pour la démocratie. Menace d’autant plus inquiétante quand la démocratie devient sourde. 19% des Français pensent qu’il est trop tard pour l’action climatique, et 16% pour sauver la démocratie ! Ça, c’était les 15 et 16 mars derniers. Combien seraient-ils à le penser s’ils étaient sondés aujourd’hui, après l’utilisation du 49.3 ?