La Chine contre les stars masculines efféminées !
(Un article du Wall Street Journal.(
La Chine mène notamment une campagne de répression contre les icônes de la culture pop.
Sous l’impulsion du président Xi Jinping, le Parti communiste chinois (PCC) avait déjà entrepris de reprendre vigoureusement en mains le contrôle de l’économie, en s’attaquant à certaines des plus grandes entreprises privées du pays. Son objectif est de faire disparaître ce qu’il considère comme les excès capitalistes de l’ère précédente.
Le parti, qui célèbre cette année le centenaire de sa fondation, manifeste désormais de plus en plus clairement sa volonté de s’immiscer dans la vie privée des citoyens chinois et ceci dans des proportions jamais vues depuis des décennies.
Cette semaine, les responsables du PCC ont dévoilé de nouvelles restrictions draconiennes concernant le temps que les jeunes Chinois pourront passer sur les jeux en ligne. Ces règles s’inscrivent dans le cadre d’une campagne de répression dirigée contre les icônes de la culture pop et interviennent après des mesures visant à restreindre fortement le recours au soutien scolaire en dehors des établissements d’enseignement.
Prises dans leur ensemble, ces mesures représentent un changement profond du contrat social en vigueur sous les deux prédécesseurs de M. Xi. Durant cette période, le PCC avait élargi les libertés individuelles en échange de l’acceptation de sa mainmise sur le champ politique.
Le PCC affirme que son objectif est désormais de façonner plus étroitement la nouvelle génération de Chinois.
Le gouvernement a récemment mis l’accent sur les jeunes, dont le parti craint qu’ils ne soient contaminés par une culture toxique empoisonnant leur esprit, les isolant du reste de la société et détournant les jeunes garçons de leur masculinité
Lundi, l’agence de presse étatique Xinhua a décrit les nouvelles règles relatives aux jeux en ligne comme une initiative visant à « protéger la santé physique et mentale des mineurs » — cette décision intervient quelques semaines après qu’un autre média financé par l’Etat a qualifié les jeux vidéo d’« opium pour l’esprit ».
Les autorités réglementaires chinoises ont déclaré qu’à partir de maintenant elles allaient interdire aux mineurs (la majorité est fixée à 18 ans) de jouer à des jeux vidéo en ligne du lundi au jeudi, et limiter cette pratique à une heure les trois autres soirs de la semaine ainsi que les jours fériés.
Les dirigeants du Parti communiste se sont également attaqués à d’autres phénomènes qu’ils jugent néfastes pour les jeunes. Parmi eux, les organismes d’enseignement privés qui ont accentué la pression dans le monde scolaire et l’industrie de la culture pop qui, selon Pékin, a favorisé une culture malsaine du vedettariat, en particulier en faisant émerger ce que les médias d’Etat qualifient de stars masculines efféminées.
Lundi, Xinhua a publié une série de questions-réponses exposant le fondement de la décision du gouvernement en matière de jeux vidéo, avec un vocabulaire qui rappelle le concept russe d’« Homo sovieticus », utilisé au XXe siècle.
« Les jeunes représentent l’avenir de la mère patrie », peut-on lire dans les questions-réponses, qui ajoutent que préserver la santé des jeunes Chinois « passe par l’éducation d’une nouvelle génération d’hommes en vue de la régénération de la nation. »
Le gouvernement a récemment mis l’accent sur les jeunes, dont le parti craint qu’ils ne soient contaminés par une culture toxique empoisonnant leur esprit, les isolant du reste de la société et détournant les jeunes garçons de leur masculinité.
M. Xi a donné le signal de cette nouvelle orientation lors des réunions annuelles des instances législatives chinoises en mars, au cours desquelles il a invité les délégués à se méfier de la dépendance aux jeux sur le Web et d’« autres aspects douteux et dangereux d’Internet » qui pourraient avoir une mauvaise influence sur les jeunes Chinois.
Le puissant régulateur de l’Internet du pays, l’Administration chinoise du cyberespace, a donné le coup d’envoi de cette campagne en juin en annonçant son intention de mettre un frein au culte des célébrités en ligne.
Vendredi, elle a interdit le référencement des célébrités par leur nom sur les plateformes de réseaux sociaux, précisant que seuls leurs chansons et leurs films pouvaient être listés, sans mention de leur auteur.
Le régulateur invite les Chinois à se concentrer davantage sur les performances que sur leurs interprètes, indique le règlement.
Pour aider leurs stars préférées à grimper dans les classements sur la plateforme Weibo, l’équivalent chinois de Twitter, ou sur l’application de vidéos courtes Douyin, exploitée par la start-up ByteDance basée à Pékin, des groupes de fans se livrent souvent à des batailles acharnées en postant, likant et commentant des contenus liés à leurs idoles préférées. Les autorités ont déclaré que cette compétition débouchait souvent sur du trollage en ligne et sur des achats excessifs de biens de consommation promus par des célébrités.
L’interdiction du référencement des stars porte un coup au secteur du divertissement, qui a développé un modèle économique reposant principalement sur la constitution des plus grandes bases de fans possible — plus le nombre de followers augmente, plus la visibilité est importante pour conclure d’éventuels partenariats avec des marques.
Les autorités chinoises s’attaquent également à l’influence des célébrités masculines qui adoptent un style non sexué, estimant qu’elles empêchent les jeunes Chinois d’être suffisamment virils.
La semaine dernière, le Guangming Daily, un journal détenu par l’Etat, a publié un reportage dénonçant ce qu’il a qualifié de propagation de la culture pop du « niangpao » (efféminé).
« La nouvelle ère a besoin d’une esthétique saine », peut-on lire dans l’article, en faisant référence aux années Xi. Le texte ajoute qu’une culture sociale saine est cruciale « dans la période décisive de la formation des valeurs des adolescents ».
Les mesures destinées à modeler la vie des jeunes Chinois ne se limitent pas au divertissement. En juillet, les autorités ont imposé des restrictions strictes au lucratif secteur de l’enseignement privé du pays, qui prospérait grâce aux demandes de parents espérant donner un avantage à leurs enfants scolarisés dans les établissements ultra-compétitifs du pays
A peu près au même moment, un groupe incluant des célébrités et des responsables de l’industrie cinématographique chinoise s’est réuni à Pékin pour annoncer le lancement d’une initiative visant à s’éloigner de la culture « efféminée » et à créer « des œuvres de qualité imprégnées des valeurs de courage, de moralité et de convivialité ».
Ces saillies contre des célébrités insuffisamment viriles font suite à un communiqué du ministère chinois de l’Education, publié à la fin de l’année dernière, qui mettait en garde contre le fait que les jeunes Chinois étaient devenus trop « efféminés » et invitait les écoles à promouvoir des sports comme le football afin de « cultiver la masculinité des élèves ».
Les mesures destinées à modeler la vie des jeunes Chinois ne se limitent pas au divertissement. En juillet, les autorités ont imposé des restrictions strictes au lucratif secteur de l’enseignement privé du pays, qui prospérait grâce aux demandes de parents espérant donner un avantage à leurs enfants scolarisés dans les établissements ultra-compétitifs du pays.
Ces mesures visaient en partie à garantir l’égalité aux familles moins fortunées qui ne pouvaient pas se permettre d’offrir des cours de soutien le week-end et après l’école. Mais elles avaient également pour but de former des enfants plus équilibrés — ou, comme l’a déclaré M. Xi, « des bâtisseurs et des continuateurs du socialisme ayant reçu une éducation complète en matière de moralité, de connaissances, de sports, d’art et de travail ».
Les questions-réponses publiées lundi par Xinhua sur les restrictions relatives aux jeux vidéo invitent le grand public à « mieux guider les mineurs pour qu’ils pratiquent activement de l’exercice physique et participent à la vie communautaire et à des activités récréatives variées, stimulantes, saines et bénéfiques ».
Ces récentes mesures font partie d’un « projet global de transformation sociale » qui répond à la soif de l’opinion en matière d’orientation morale, estime Zhan Jiang, professeur de journalisme à la retraite de l’Université des langues étrangères de Pékin. « De telles actions peuvent gagner le cœur du public », assure-t-il.
Il est peu probable qu’elles rencontrent une grande résistance de la part des entreprises qui ont le plus profité du système antérieur. Mardi, l’équipe en charge d’Honor of Kings, le jeu de rôle à succès sur smartphone, qui appartient à Tencent, a annoncé qu’elle appliquerait les nouvelles restrictions. Mais elle est allée encore plus loin en indiquant qu’elle allait provisoirement cesser d’autoriser les joueurs à accéder au jeu hors ligne.
Lors d’une conférence téléphonique sur les résultats trimestriels mardi, William Ding, directeur général de la société Internet et de jeux NetEase, a déclaré que la nouvelle réglementation constituait une évolution positive pour la santé et les études des enfants, et a prédit qu’elle aurait un faible impact financier puisque moins de 1 % des revenus de la société proviennent de joueurs de moins de 18 ans.
« Nous approuvons et soutenons vigoureusement cette décision, et nous l’appliquerons à la lettre, a précisé M. Ding. Nous espérons également que l’ensemble du secteur l’appliquera sérieusement, ce qui permettra aux mineurs chinois de grandir dans un environnement plus sain. »
Stephanie Yang a contribué à cet article
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould)