Marylise Léon, CFDT : Pas de vraie normalisation des relations avec le gouvernement
La nouvelle responsable de la CFDT, Marylise Léon se montre très prudente sur la volonté de dialogue du gouvernement. Pourtant la première organisation syndicale de France axe toute sa stratégie sur la nécessité d’obtenir des résultats et non de pratiquer l’agitation stérile. Le problème évidemment ce qu’il faut être deux pour dialoguer ou même trois avec le patronat.
Interview de Marylise Léon dans les Échos
« On ne peut pas parler de normalisation, nous renouons le dialogue avec le gouvernement ». Sur l’assurance-chômage, la secrétaire générale de la CFDT se félicite de l’accord, dans une interview aux « Echos », tout en précisant que l’accord négocié avec le patronat « ne vaut pas validation des réformes » de l’Unédic décidées en 2019 et 2021 par le gouvernement. La syndicaliste revient aussi sur l’engagement de sa centrale dans une « transition écologique juste ».
Vous avez conclu avec le patronat un accord pour la prochaine convention d’assurance-chômage qui entérine des plus pour les chômeurs mais aussi des baisses de droits. Etait-ce le prix à payer pour rester à bord de l’Unédic ?
La décision finale appartient au bureau national de la CFDT, sachant que la délégation a rendu un avis favorable. L’accord est équilibré financièrement entre dépenses et recettes, c’est-à-dire qu’il y a autant pour les nouveaux droits des chômeurs que de baisses et de pertes de recettes liées à la baisse de la cotisation chômage employeur.
Le passage de six à cinq du nombre de mois pour être couverts pour les primo-entrants et les saisonniers ou l’amélioration du calcul de l’allocation journalière sont des avancées très importantes pour les personnes qui en ont le plus besoin. C’était une des priorités de la négociation sur laquelle nous disposions de très peu de marges de manoeuvre étant donné le cadre imposé par le gouvernement.
Mission accomplie de mon point de vue, qui peut nous mettre en position de force pour la suite, notamment la refonte de la gouvernance de l’Unédic.
Signer l’accord, n’est-ce pas avaliser les deux réformes engagées par le gouvernement depuis qu’il a pris la main sur l’assurance-chômage…
L’accord ne vaut pas validation des réformes de l’assurance-chômage du gouvernement que l’on a combattues jusqu’au Conseil d’Etat. Après, je suis pragmatique : la situation actuelle, c’est ce cadre de négociation, je fais avec. Ma boussole ce sont les droits des demandeurs d’emploi. Avec cet accord, la situation de plus de 200.000 d’entre eux va s’améliorer.
Vous évoquez la refonte de la gouvernance de l’Unédic que souhaite aussi le patronat, mais c’est un peu l’Arlésienne…
Il y a un vrai sujet sur la gouvernance depuis la loi de 2018 qui a institué une lettre de cadrage. Le gouvernement en a profité pour imposer au forceps deux réformes. Ça ne peut pas continuer comme cela !
Le gouvernement doit décider s’il agrée ou non l’accord. Etes-vous optimiste ?
Je suis optimiste car on a fait notre part en respectant le cadre fixé. Je comprends que certaines dispositions nécessitent une vérification juridique, notamment le renvoi des mesures concernant les seniors après la prochaine négociation sur leur maintien dans l’emploi.
Mais il s’agira d’abord d’un feu vert politique. Cet agrément vaudra confiance du gouvernement dans le dialogue social et dans la façon dont on a mené la négociation. Ce sera un marqueur important pour la suite.
L’exécutif veut s’assurer que l’assurance-chômage prendra bien compte le relèvement de 62 à 64 ans de l’âge de départ à la retraite (pour les durées d’indemnisation notamment, NDLR) si la prochaine négociation sur l’emploi des seniors échoue…
C’est pour cela qu’on a mis un filet de sécurité. On a exigé ce déport car nous refusons d’acter des conséquences de la réforme des retraites dans la convention d’assurance-chômage sans que les entreprises ne changent leurs pratiques pour maintenir les seniors en emploi.
Comme nous ne savons absolument pas ce que le patronat est prêt à mettre sur la table, il est hors de question de signer un chèque en blanc. Si la négociation échoue, alors l’adaptation de la convention Unédic est renvoyée à une négociation tripartite, gouvernement, patronat et syndicats.
La CFE-CGC et la CGT ne signeront pas l’accord. Après celui, unanime sur l’Agirc-Arrco, est-ce une rupture dans l’intersyndicale ?
Au début de l’année, nous avons mené tous ensemble la mobilisation contre la réforme des retraites, l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur a été signé par quatre confédérations et celui sur le dialogue social et la transition écologique par trois…
La démarche intersyndicale ne signifie pas qu’on est devenu une seule organisation. Chacun défend sa vision du syndicalisme et prend ses positions au regard aussi de son organisation.
J’assume totalement le syndicalisme de négociation de la CFDT qui débouche sur des mesures concrètes pour les salariés. Si l’intersyndicale tient, c’est parce que l’on est suffisamment mature pour confronter nos désaccords. Nous continuons et continuerons d’échanger sans pour autant organiser une conférence de presse et prendre une position commune à chaque fois.
Qu’attendez-vous du document d’orientation que le gouvernement va envoyer aux partenaires sociaux sur l’emploi des seniors ?
Le document d’orientation devrait être suffisamment large pour nous permettre de négocier. Il y a un sujet senior bien entendu au regard des enjeux liés au décalage de l’âge de départ à la retraite. Mais, de mon point de vue, la négociation doit être plus globale sur le travail, avec la question des parcours professionnels, des reconversions, la pénibilité ou du compte épargne temps universel.
C’est exactement le message que la CFDT portait dans les cortèges en début d’année et c’était l’un des objets des réunions à Matignon le 12 juillet. Les travailleurs veulent que l’on parle enfin du travail et des évolutions de carrière pour refaire fonctionner l’ascenseur social dans l’entreprise ou de l’administration ! Le gouvernement nous a dit qu’il était prêt à jouer le jeu.
Où en sont vos relations avec lui, justement ? Y a-t-il une forme de normalisation ?
Je ne sais pas si l’on peut parler de normalisation. Nous renouons le dialogue. Il y a eu la conférence sociale qui a posé des principes, sur l’amélioration de la situation des travailleurs pauvres ou la réduction de l’écart salarial femme-homme, des demandes fortes de la CFDT. Elle a constitué un moment utile mais insuffisant.
Mais ce n’est pas anormal que cela demande un peu de temps pour se concrétiser. Nous sommes dans la phase des travaux pratiques et l’agrément de l’accord assurance-chômage constituera un premier acte effectif.
Sur les retraites complémentaires, le gouvernement souhaite un engagement formel de financement des minima de pension. Qu’allez-vous faire ?
Les partenaires sociaux vont se réunir dès le 28 novembre pour lancer le groupe de travail sur les dispositifs de solidarité, conformément à l’accord. Nous avions dit au gouvernement que nous allions ouvrir rapidement ce chantier, nous prenons date, nous ne jouons pas la montre. Mais je ne peux pas vous dire quand ces travaux aboutiront, et sur quoi ils aboutiront.
Certains au sein de l’exécutif menacent toujours de ponctionner l’Agirc-Arrco dans le budget de la Sécurité sociale, faute de chiffre et de date pour cette contribution…
S’il y a des désaccords au sein de l’exécutif, c’est à eux de les régler. J’ai bien compris que certains voulaient un chiffre et une date tout de suite, mais ce n’est pas possible et le gouvernement, la Première ministre en tête, s’est engagé à ne pas faire de ponction et à laisser du temps au dialogue social. Un tel geste serait totalement inacceptable.
Que proposez-vous pour lutter contre le phénomène de trappe à pauvreté pour les bas salaires, mis en lumière lors de la conférence sociale ?
D’abord je me félicite que le gouvernement reconnaisse qu’il y a un sujet concernant les travailleurs pauvres, ce qui ouvre la voie notamment à des évolutions sur les temps partiels subis.
Après, la question qui est posée au travers de la complémentarité entre prime d’activité et salaire, c’est qui paie le travail ? Des secteurs entiers fonctionnent aujourd’hui grâce à un modèle économique basé sur les exonérations de charges au SMIC et la prime d’activité. C’est un vrai problème. Or sur ce sujet, les intentions du gouvernement ne sont pas claires du tout.
Que pensez-vous de la nomination de l’économiste Gilbert Cette à la présidence du Conseil d’orientation des retraites ?
Pas de commentaire.
Après avoir signé l’accord sur la transition écologique, vous lancez un « manifeste » sur le sujet…
Le sujet est à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Bureau national qui va effectivement examiner ce jeudi un « manifeste pour une transition écologique juste ». C’est le fruit d’un travail engagé depuis une dizaine d’années par la CFDT. Le texte reprend les grands positionnements de la CFDT et nos revendications qui lient enjeux environnementaux et justice sociale.
Les salariés sont parmi les premiers exposés, on l’a vu cet été avec la canicule. Cela va modifier, voire empêcher certains travailleurs de faire leur travail. Il faut s’emparer de la question. Ses conséquences ne peuvent se résumer à un tableau Excel avec des plus et des moins sur les emplois. Et puis il s’agit aussi permettre aux salariés d’être des acteurs de la transformation écologique juste.
Notre objectif est d’accélérer la prise en charge de toutes ces questions au sein de notre organisation.
Vous dites que le sujet n’est pas nouveau pour la CFDT, mais concrètement qu’en est-il ?
On a déjà pas mal de nos structures qui ont travaillé sur cet enjeu. Je pense par exemple à notre équipe syndicale chez Eram qui a travaillé sur un plan de déplacement avec la direction de l’entreprise et qui a obtenu la création d’une commission environnement.
En Nouvelle-Aquitaine on a travaillé avec le conseil régional sur une écoconditionnalité des aides publiques.
Tout récemment les collègues des entreprises de la branche du médicament ont signé avec le patronat un accord de branche s’appuyant sur l’accord interprofessionnel sur le dialogue social et la transition écologique. Ils vont maintenant travailler à le décliner dans les entreprises. La fédération Conseil culture communication a construit un réseau d’adhérents appelés « sentinelles vertes » dans les entreprises…
C’est plus compliqué dans les activités industrielles, non ?
Justement parce que c’est complexe, il faut prendre le problème à bras-le-corps, avec un caractère d’urgence puisqu’on doit faire en dix ans ce qui devait en prendre trente. On ne doit pas être tétanisés par cette urgence.
Il y a quelques jours, j’ai échangé toute une matinée avec une centaine de militants de raffineries de TotalEnergies et de sa filiale Argedis. Ils sont tout à fait conscients de la nécessité de décarboner et de la nécessité d’anticiper pour s’y préparer. Mais ils veulent y être associés.
La CGT vient de perdre la première place chez EDF. Ce n’est pas la CFDT qui en a tiré bénéfice, mais la CFE-CGC. A l’image de ce qui s’est passé au niveau national où certes vous avez conforté votre première place, mais du fait de la poursuite de la baisse cégétiste et pas de votre développement. Cela vous inquiète-t-il ?
Cela ne m’inquiète pas car il y a une forte cohésion interne de la maison CFDT. Cette première place est la reconnaissance de notre marque de fabrique : la place faite à la négociation, le choix assumé de la nuance, plutôt que le bruit et la fureur qu’on peut entendre autour de nous.
Monoprix, Nespresso, Dassault, Chantiers de l’Atlantique… je pourrais vous citer de très nombreuses entreprises où on cartonne. On a cependant un manque clair de visibilité chez les cadres alors que nous y devançons de 6 points la CFE-CGC sur lequel il faut que l’on travaille.
Mais depuis le début de l’année, on a gagné 75.000 nouveaux adhérents dont 20 % ont moins de 35 ans et 70 % travaillent dans le privé. Et une fois déduits les départs, le solde devrait être clairement positif.