Quelle réforme du marché de l’électricité ?
Le texte adopté par le Conseil de l’Union européenne le 17 octobre sur la réforme du marché de l’électricité privilégie les contrats de long terme pour accompagner la transition énergétique. Ces contrats doivent permettre de rassurer les investisseurs tout en préservant l’efficacité du marché de gros. Par Stefan Ambec, Claude Crampes et Jean Tirole, Toulouse School of Economics.
Stefan Ambec, Claude Crampes et Jean Tirole
Notons qu’après de longs mois de négociations, l’Etat et EDF sont parvenus à un accord garantissant le prix de l’électricité nucléaire moyen « autour de 70 euros » le mégawattheure, a annoncé, mardi 14 novembre, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire. Un accord déjà contesté par le grand patronat qui s’attend déjà à des hausses et critique la complexité du système.NDLR
L’accord sur la réforme du marché de l’électricité conclu le 17 octobre par les ministres européens de l’Énergie met un terme à une consultation publique lancée par les États membres de l’UE, et motivée par la crise de l’énergie de 2022. Cet accord vise à organiser les échanges entre producteurs d’électricité, fournisseurs sur le marché de détail et industriels. Il doit répondre à deux défis. Le premier est de promouvoir les investissements en équipements de production d’électricité décarbonée. Les besoins sont immenses et il faut que le système de rémunération rassure les investisseurs quant à la rentabilité financière des nouvelles centrales éoliennes, solaires ou nucléaires.
Le second défi est de faire en sorte que les équipements installés soient utilisés efficacement. Côté offre, les sources de production d’électricité les moins coûteuses doivent être appelées en priorité. Côté demande, les usages les plus productifs doivent l’emporter. Le marché de gros et un dispatching selon l’« ordre de mérite » répondent au second défi. Ils créent un signal prix pertinent de rareté de la ressource qui conduit à cette efficacité allocative. Le principe en a été réaffirmé dans le compromis signé le 17 octobre.
L’accord favorise la signature de deux types de contrats de long terme : les Accords d’Achat d’Électricité (AAE et PPA en anglais pour Purchasing Power Agreements) et les contrats d’écart compensatoire bidirectionnels (en anglais, CfD, pour Contracts for Difference). Les AAE sont des contrats de gré à gré entre un producteur et un industriel ou un fournisseur d’électricité sur le marché de détail. Les acheteurs et vendeurs d’électricité s’entendent à l’avance sur le prix et la quantité à livrer. On parle alors d’un contrat physique. Les échanges se font hors marché de gros.
Au contraire, avec les CfD l’électricité est mise sur le marché par les producteurs et donc rémunérée au prix du marché, mais ce prix est complété par un transfert payé ou reçu par l’autre partie au contrat. Ce sont donc des contrats financiers, mais dont l’exécution est conditionnée par une livraison physique. La rémunération du producteur est fixée à l’avance par un prix de référence appelé « prix d’exercice ». Dans la forme la plus courante du CfD bidirectionnel, c’est l’État qui compense le producteur pour le manque à gagner lorsque le prix de marché est inférieur au prix d’exercice. Inversement, le producteur reverse la différence lorsque le prix de marché est supérieur au prix d’exercice.
Les CfD ont l’avantage de réduire le risque auquel font face les investisseurs sans remettre en cause l’existence du marché de gros. Néanmoins, la rémunération du producteur étant garantie à un niveau fixé par l’État, rien n’indique que l’efficacité allocative du marché sera préservée. Certaines centrales pourraient être appelées à produire alors qu’elles ne sont pas les moins coûteuses. En effet, supposons qu’un producteur d’électricité signe un CfD dont le prix d’exercice est de 60 euros par MWh. Si le prix de marché est de 40 euros le MWh, l’État versera la différence de 20 euros par MWh. S’il grimpe à 80 euros, le producteur devra reverser 20 euros par MWh.
Par conséquent, le producteur gagne 60 euros par MWh indépendamment des prix sur le marché de gros. Il a donc intérêt à produire à partir du moment où le prix d’exercice excède son coût de production. Et donc à enchérir le prix le plus bas possible pour être sûr d’être appelé dans le dispatching qui est construit en empilant les offres de production par ordre d’enchères croissantes. Inversement, si son coût de production est supérieur aux prix d’exercice, il perdrait pour chaque MWh produit. Il va donc enchérir un montant suffisamment élevé pour ne pas être appelé.
Ce faisant, le résultat des enchères sur le marché de gros ne reflètera pas les coûts de production et donc ne permettra pas un dispatching efficace. Ainsi, si le prix de marché est de 40 euros par MWh quand le prix d’exercice du CfD est de 60 euros par MWh, une centrale dont le coût de production est de 50 euros par MWh qui a à enchéri en dessous de 40 euros sera appelée dans l’ordre de mérite et empochera une marge de 60-50 = 10 euros par MWh. Symétriquement, si ses coûts sont de 70 euros par MWh, elle va éviter de produire pour ne pas faire de perte même si le prix de marché monte à 80 euros par MWh. En assurant complètement le producteur contre les variations de prix, un CfD bidirectionnel fonctionne comme les tarifs d’achat garantis des énergies renouvelables qui ont contribué à l’occurrence d’épisodes de prix nuls, voire négatifs.
Il faut donc bien réfléchir à la conception des CfD. Il s’agit d’apporter des garanties sur la rémunération future qui encourageront les investissements (nouvelles capacités de production et maintenance de l’existant) tout en préservant les propriétés de dispatching efficace du marché de gros. Comme le stipule le texte de l’accord :
« La conception de ces contrats compensatoires bidirectionnels devrait préserver les incitations des unités de génération à fonctionner et à participer efficacement aux marchés de l’électricité, en particulier à ajuster leur production pour refléter les circonstances du marché. »
Il ne faut pas seulement obliger les producteurs à enchérir sur le marché de gros mais également faire en sorte qu’une partie de leur rémunération ne dépende pas que de leur position sur ce marché.
Plusieurs options sont ouvertes dont il reste à évaluer les avantages et les inconvénients respectifs. Par exemple, pour que les contrats soient purement financiers, les CfD peuvent s’appliquer à un volume spécifié à l’avance (calculé sur la base de la capacité de production ou une fraction suffisamment élevée de cette capacité) plutôt qu’aux volumes effectivement vendus. Il faut éviter les comportements opportunistes qui biaiseraient le dispatching au détriment de l’intérêt collectif.
La réforme du marché de l’électricité, dont le but initial était de répondre à la crise énergétique, va déterminer dans quelle mesure l’objectif de neutralité carbone en 2050 pourra être atteint et à quel coût. Comme nous l’expliquons plus longuement dans une note téléchargeable ici, les contrats à long terme peuvent faire partie de la solution, à condition qu’ils soient bien conçus, et que le marché de gros soit préservé. Le marché de détail doit aussi être repensé pour s’adapter aux nouveaux usages (autoconsommation, mobilité électrique, stockage de l’énergie …). L’accord du 17 octobre est étrangement silencieux sur le sujet. Il se contente de préconiser qu’en cas de nouvelle envolée durable des prix telle que celle qu’on a connue en 2022, les États puissent adopter facilement, dans le cadre d’un mécanisme de crise, des mesures de type « bouclier tarifaire ».
La lutte contre le réchauffement climatique, les tensions géopolitiques, l’acceptabilité sociale des moyens de production, et l’incertitude technologique créent des risques macroéconomiques importants. In fine quelqu’un doit supporter ces risques, ce que beaucoup feignent d’ignorer. Pour mieux partager ces risques macroéconomiques, les contrats à long terme sont l’instrument idoine. L’État peut régir et réguler ce marché assurantiel, mais il ne doit pas en rigidifier toutes les modalités, par exemple en mettant toute la production d’électricité sous CfD à prix unique, ce qui pourrait tuer ce marché et empêcher que soit atteint le partage des risques optimal.
Social France travail : Une nouvelle usine à gaz
Social France travail : Une nouvelle usine à gaz
Les institutions qui traitent du chômage subissent réforme sur réforme sans pour autant obtenir davantage de résultats. Ainsi on avait supprimé l’ANPE et l’ASSEDIC pour les regrouper au sein de pôle emploi qui n’a pas non plus atteint ses objectifs. Et du coup maintenant pour masquer l’échec on va créer une nouvelle cathédrale intitulée France travail qui aurait pour objectif le plein-emploi. Le problème c’est qu’on n’a jamais été capable de savoir si ces organismes traitaient prioritairement l’emploi ou la question du chômage. Dernière interrogation : comment des fonctionnaires pourraient être compétents pour orienter des demandeurs d’emploi sur le marché du travail du privé ?
A priori on pourrait penser que c’est la même problématique seulement il y a une grande différence entre la dynamique consistant à rechercher toutes les conditions de l’insertion ou de la réinsertion dans le travail et la question de l’indemnisation financière du chômage. Finalement en mélangeant les deux on traite mal les deux questions. On n’en reviendrait au traitement séparé avec comme précédemment l’ASSEDIC d’un côté et l’ANPE de l’autre.
En outre surtout le nouvel objectif du plein-emploi va se heurter à la dégradation notable de la conjoncture économique dans tous les pays et pour plusieurs années. En France comme ailleurs on s’oriente doucement vers la stagnation ce qui mécaniquement fait augmenter le chômage et ce sera pire en 2024 puisque c’est l’économie mondiale qui va nettement ralentir en particulier en Chine moteur de l’économie internationale.
L’objectif de cette mutation : mieux coordonner les innombrables acteurs de la formation, de l’emploi et de l’insertion, comme les missions locales, les maisons de l’emploi, l’Apec pour les cadres, etc., et impulser une nouvelle dynamique.
France Travail comporte une nouveauté de taille : tous les demandeurs devront s’inscrire, y compris les plus éloignés du marché de l’emploi, comme les 1,8 million de bénéficiaires du RSA. Sachant que moins d’un allocataire sur deux est comptabilisé à Pôle emploi, près de 1 million de personnes pourraient donc venir grossir les registres administratifs des demandeurs d’emploi.
Les partenaires sociaux, eux, sont remontés. Sur fond de réforme de l’assurance chômage, les syndicats dénoncent une énième stigmatisation des plus précaires.
Le patronat, lui, s’inquiète d’une nouvelle usine à gaz. Patrick Martin, le président du Medef, craint que les entreprises ne passent à la caisse alors que le budget 2024 prévoit déjà un crédit de 350 millions d’euros supplémentaires pour le nouvel opérateur. Sur trois ans, ce sera plus de 1 milliard et demi. Sans compter que l’État accompagnera aussi les autres partenaires de l’emploi, comme les collectivités à hauteur de près de 4 milliards d’euros, les quatre prochaines années. Le patronat table plutôt sur une dizaine de milliards d’euros pour créer France Travail. « France Travail, c’est avant tout un pari, mais pas une recette magique », résume Franck Morel, ancien conseiller social d’Édouard Philippe à Matignon.