Afrique Niger: Des manifestants manipulés
La chercheuse Lova Rinel, spécialiste des relations entre la France et l’Afrique, analyse les raisons du putsch et les manifestations d’hostilité vis-à-vis de de la France dans le Figaro.
Selon le Canard Enchaîné, Emmanuel Macron s’en serait pris au patron de la Direction générale du renseignement extérieur (DGSE), en plein conseil de Défense, lui reprochant de ne pas avoir vu venir le coup d’État au Niger. Cet événement était-il prévisible? Pourquoi?
Lova RINEL. – En réalité, d’après l’article du Canard Enchaîné, c’est qu’il y a une erreur sur le rôle de nos services de renseignements. le président Emmanuel Macron a raison de se mettre en colère car, dans les faits, le coup d’État n’a pas été renseigné. La Direction du renseignement militaire (DRM) a aussi son rôle car elle a pour mission la surveillance des forces armées, elle n’a pas averti la présidence de ce putsch. C’est un échec des renseignements français dans leur ensemble.
Néanmoins, compte tenu des informations qui remontent aujourd’hui, jeter la pierre sur les services semble aisé. La nature de ce putsch est différente des coups d’État politiques «habituels». Ce putsch n’est pas un putsch politique mais un putsch de «promotion».
Enfin, on peut s’interroger sur le dispositif militaire d’urgence par la France au Niger, d’autant que cette zone a été considérée comme depuis le coup d’État au Mali. Il est étonnant que l’État-major des armées n’ait rien prévu dans une telle situation.
Peut-on pour autant comparer la situation au Niger à celle du pays voisin le Mali, victime d’un coup d’État en 2021?
Non. Assimi Goita (NDLR, le président intérimaire du Mali) est davantage soutenu par le peuple et ce, même après deux ans au pouvoir; la junte reste populaire. Certes, il y a des mécontentements mais la junte reste légitime, ce qui n’est pas le cas du Général Tiani Abdouramane au Niger. Il est non seulement contesté au sein de l’armée nigérienne mais en plus, il n’est pas soutenu par le peuple. Le bilan du président Mohamed Bazoum. Son bilan est plutôt positif. Le pays n’a connu aucun jour de grève, les efforts pour la scolarisation ont été palpables et la sécurité du pays a été reconnue.
Au Niger, la junte n’a pas fait un coup d’État par idéologie politique, mais pour des « raisons personnelles », bien qu’elle prétend le contraire.
Au Niger, la junte n’a pas fait un coup d’État par idéologie politique, mais pour des «raisons personnelles», bien qu’elle prétende le contraire en invoquant des supposées «raisons coloniales».
Pour ces différentes raisons, le cas du Mali et celui du Niger ne se ressemblent pas. Les confondre est un objectif pour les putschistes du Niger afin de légitimer leur posture. Pour le Mali, où le mouvement panafricaniste anti-France est en marche, appuyer le général Tiani entre dans le cadre de la propagande du régime. Assimi Goita n’a d’ailleurs rien de commun avec le général Tiani, qui correspond davantage à ce que le régime malien actuel dénonce. Mais à ce stade, l’enjeu est ailleurs pour Assimi Goita, qui veut avant tout communiquer sur la détestation de la France. Il en va, pour lui, de sa crédibilité existentielle.
Après le renversement du président nigérien Mohamed Bazoum, des centaines de partisans des militaires qui ont pris de force le pouvoir se sont rassemblés dans la capitale nigérienne, munie de pancartes anti-françaises et de drapeaux russes. Le sentiment anti-français s’est-il accéléré dans ce pays ces dernières années? A-t-on sous-estimé ces dernières années le soft power russe dans la région?
Ce qu’on a d’abord raté, c’est la crise économique liée au Covid sur le continent africain. Cela a été désastreux pour des populations qui se sont appauvries du jour au lendemain. La situation économique est le point central des contestations anti-France que nous voyons. Ensuite, les Africains qui ont connu dans leur histoire la colonisation ont des comptes à régler avec la France et cela n’a pas été fait. On assiste à un rejet de ce que l’on appelle la Françafrique, mais de manière plus populiste qu’intellectuelle. J’entends par là que le discours anti-français précède le discours panafricain, contrairement à la période des indépendances, marquée par un discours fort d’une union africaine qui avait pour corolaire le dégagisme de la puissance coloniale, en l’occurrence la France.
Les Français découvrent qu’une partie des Africains sont aussi comme eux: ils cèdent aux sirènes du populisme en pleine crise. Il serait faux de dire que tous les Français détestent les Africains et vice versa. Une partie de la population pense que la France est responsable de sa misère.
La France ne dépend pas du Niger, même pas sur l’uranium, il est le troisième fournisseur, que la France achète à un prix supérieur au marché, une faveur que l’on fait au Niger tout comme les prêts qu’on lui concède où la France perd de l’argent.
La France paye ses errances politiques depuis 60 ans, le conservatisme idéologique des administrateurs sur ces sujets et surtout l’éloignement de l’État français avec le terrain et les populations africaines. On assiste à la fin de la Françafrique, tant mieux, et rien n’aurait pu l’en empêcher, pas même Emmanuel Macron. C’est le sens de l’histoire. En n’intervenant pas au Niger, la France, la France pourrait améliorer par la suite sa relation avec le Niger. La rupture devait se faire, elle est douloureuse mais pas si handicapante, au contraire. Il fallait couper cette relation malsaine.
La France ne dépend pas du Niger, y compris en ce qui concerne l’uranium. Le Niger est le troisième fournisseur en uranium, que la France lui achète à un prix supérieur au marché. C’est une faveur que l’on fait à ce pays tout comme les prêts qu’on lui concède et qui font perdre de l’argent à la France. Ce n’est pas le cas des prêts accordés au Brésil par exemple. Enfin, il faut rappeler que la France via l’Agence française de développement (AFD) alloue environ 800 millions d’euros et l’aide internationale représente 55% du budget de l’État du Niger.
Ne surestime-t-on pas parfois l’influence de la Russie dans la région?
Pour la Russie c’est plus subtil, il y a depuis le 24 juin dernier une réelle dualité entre Wagner, d’Evguei Prigogine et la Russie de Vladimir Poutine. D’ailleurs, il faut noter que la Russie a condamné le putsch -on peut le comprendre compte tenu de ce qu’a lui-même vécu Vladimir Poutine- tandis que le patron de Wagner s’est exprimé pour soutenir les putschistes. Les drapeaux russes dans cette affaire nigérienne ont été distribués de façon totalement opportuniste, à la dernière minute, par les hommes de Wagner sur place. Il n’y a aucun lien avec le déroulé du coup d’État. Il convient d’être prudent et je suis totalement en désaccord avec l’analyse portée par quelques collègues qui affirment que c’est la résultante du groupe paramilitaire. Ce serait leur donner plus de force qu’ils n’en ont pas réellement et cela participe à leur propre promotion.
Pour autant, la Russie influe-t-elle de la même manière au Niger qu’au Mali ou ailleurs?
Non avant le coup d’État, la présence de Wagner au Niger avait été localisée comme étant «en repérage» certainement à la recherche du maillon faible pour une prochaine présence. Au Mali c’est totalement différent, les éléments de Wagner ne se cachent pas, au contraire et ils y sont comme chez eux. Il faut rappeler qu’avant le putsch, le président Bazoum était l’allié stratégique de la France. Ce qu’il faut donc comprendre, c’est que du côté de l’État, la Russie n’avait aucune prise. Néanmoins sur les réseaux sociaux et à la radio -via des messages de propagande- Wagner était en première ligne, contrairement au pouvoir russe.