Le photoreporter Patrick Robert analyse dans le Figaro les manifestations devant l’ambassade de France à Niamey qui d(après lui sont téléguidées par les putchistes et la Russie.
Après le renversement du président nigérien Mohamed Bazoum, plusieurs centaines de Nigériens s’en sont pris à l’ambassade de France à Niamey. Pourquoi la France est-elle visée?
Patrick ROBERT. – Ces manifestations ne sont pas spontanées, elles sont téléguidées par les putschistes qui instrumentalisent facilement la rue, mais aussi des parties d’oppositions, souvent sur des bases de rivalités ethniques, en espérant tirer profit du changement de régime, là où le système démocratique ne leur donne aucune chance d’être élu.
Comment expliquer autrement que des drapeaux russes soient distribués, ainsi que des calicots écrit à l’avance ? Qui a pu influencer cette pancarte brandie devant l’ambassade assiégée; «France=Nazi»? Pas un Africain. Ceux qui commanditent ces manifestations profitent de la faiblesse traditionnelle de la réponse française et de la culpabilité coloniale qui hante nos médias et notre classe politique. Pendant toute la guerre froide, des conseillers soviétiques ou d’Europe de l’Est (Allemagne de l’Est, Bulgarie, Pologne…) faisaient de même pour stimuler le dénigrement de l’occident.
Ils ont repris leurs vieilles méthodes de propagande pour distiller les mensonges les plus éhontés. On en a la preuve chaque jour avec la guerre en Ukraine. Il n’y a qu’à lire les communiqués de presse de l’ambassade russe en France pour constater que le mensonge et la torsion du réel font partie de leur système de communication. On retrouve la même mécanique dans tous les pays de la région ayant récemment basculé dans des putschs militaires. La France gêne parce qu’elle est légaliste et loyale. Parce qu’elle est encore influente aussi dans les instances internationales.
Dans un communiqué, l’Élysée a indiqué que la France répliquera «de manière immédiate et intraitable » en cas d’attaque contre ses ressortissants. Comment la France peut-elle réagir?
Par la fermeté, pour une fois. Il faut se défendre lorsqu’on est injustement mis en cause. Elle ne peut pas servir de bouc émissaire à des manœuvres qui l’utilise à des fins de basses politiques.
Il est édifiant que la raison évoquée par le général putschiste Abdourahamane Tiani soit «la dégradation sécuritaire» face au djihadisme (raison invoquée aussi par les autres putschistes de la région). Mais que ces militaires de hauts rangs n’ont-ils pas pris toute leur part dans cette lutte!
La mission de l’armée française était de protéger l’état de droit menacé par les djihadistes en donnant du temps aux armées nationales pour se former, se structurer et s’équiper afin de faire face.
On ne les a pas vus briller beaucoup sur les fronts. Il y a un malentendu: l’armée française n’a pas été engagée au Sahel pour faire la guerre à la place des pays touchés pas le terrorisme. (Il lui aurait fallu occuper tout le territoire avec au moins trente mille hommes. Il n’en est pas question). Ils ne peuvent donc pas lui reprocher la persistance du problème! Sa mission était de protéger l’état de droit menacé par les djihadistes en donnant du temps aux armées nationales pour se former, se structurer et s’équiper afin de faire face.
Si sa mission a été prolongée plus que prévu, c’est que la tâche est considérable (on partait de très peu) et coûte une fortune à la communauté internationale qui la soutient. C’est aussi qu’une fois structurée et équipées ces armées se sont montrées plus intéressées à commettre des coups d’État en bombant le torse qu’à affronter les djihadistes, ruinant l’investissement consenti et contraignant à prolonger le mandat des intervenants étrangers.
On peut toujours céder à la facilité de se trouver responsable de tous, et il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent pas, mais s’il y a un échec flagrant dans la formation de ces armées, c’est bien de ne pas avoir enseigné que le rôle d’un militaire n’est pas de gouverner son pays et qu’il n’en a ni la compétence ni la légitimité, là où un mécanisme électoral est en place. Que l’honneur d’un militaire est d’obéir au pouvoir politique. D’une certaine façon, il aurait été implicitement inclus dans la mission des forces étrangères engagées au Niger avec un mandat international de restaurer le pouvoir politique légal. Mais le coût politique aurait été trop élevé.
Quels sont les intérêts de la France au Niger?
Contrairement aux idées reçues, ils ne sont pas économiques. Le Niger est un des pays les plus pauvres du continent, avec une démographie déraisonnable (les femmes nigériennes sont parmi les plus fécondes du continent avec une polygamie qui ne tient pas compte des ressources des foyers). L’uranium nigérian ne représente que 10 à 15% des besoins français. Il y a de l’uranium partout dans le monde, au même prix. Ce n’est pas un métal rare. La totalité des échanges économiques avec l’Afrique francophone ne représentent que 0,6% des échanges commerciaux de la France. Nous avons plus d’échanges économiques avec le reste de l’Afrique qu’avec l’Afrique francophone.
La France est attachée aux pays avec qui nous avons des relations historiques souvent liées au passé colonial. C’est une question d’intérêts diplomatiques dans une logique de «cercle d’influence» et, oui, d’attachement sentimental avec des peuples que nous connaissons bien. C’est peut-être désuet de le formuler aujourd’hui, mais cela a à voir avec une forme de loyauté et de fidélité, sans exclure la culpabilité et le regret pour les excès de l’époque coloniale.
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Nos adversaires ne comprennent pas cela, mais c’est dans la culture française. Les politiques africaines de la France depuis les indépendances portent toutes sur l’attachement à la stabilité politique, et à la recherche de la prospérité de ces pays, non pas pour nous enrichir sur leurs dos, mais en espérant que leurs prospérités enfin acquises puissent aboutir sur des échanges à bénéfices réciproques.
Les Français qui sont installés en Afrique ont de petites entreprises qui payent leurs impôts sur place et qui apportent leur investissement et leurs savoir-faire pour créer de la richesse dans le pays. (…) Où est donc le pillage qu’on nous reproche en permanence?
La moindre des choses, c’est que l’investissement à long terme de notre argent public ne serve pas en priorité à subventionner les entreprises de nos concurrents. Mis à part l’uranium au Niger et le pétrole ailleurs, Il n’y a pas d’entreprises françaises qui exploitent des minerais en Afrique (or, diamants, cuivre, minerais rares). Les Français sont absents des récentes découvertes d’or ou de pétrole au Tchad, au Niger, ou au Mali. Les grandes entreprises françaises qui investissent en Afrique sont surtout dans les services (téléphonie, électricité, banques, infrastructures, gestion portuaire, etc.).
Les Français qui sont installés en Afrique ont de petites entreprises qui payent leurs impôts sur place et qui apportent leur investissement et leurs savoir-faire pour créer de la richesse dans le pays. Leur apport à l’économie française est dérisoire. Où est donc le pillage qu’on nous reproche en permanence? Une très grande partie des Français résidants au Niger sont des coopérants techniques, des acteurs humanitaires et des membres d’ONG. Pillage?
Samedi, le ministère des Affaires étrangères a annoncé la suspension immédiate des «actions d’aide au développement et d’appui budgétaire au Niger». Quelles peuvent en être les conséquences?
Ces suspensions sont bien la moindre des choses. On ne va pas sponsoriser le désordre institutionnel avec l’argent public des contribuables, après avoir investi pendant des années pour la démocratisation de tous ces pays. Mais en nous retirant, nous risquons de les pousser dans les bras des Russes et des Chinois qui, eux, font leurs bonnes affaires avec une prime à la corruption et au pillage (par la dette, pour les Chinois). Mais s’il y a un constat d’échec à faire, c’est que tous ces pays admettent avoir toujours besoin d’un tuteur étranger pour les accompagner, soixante ans après les indépendances.
S’ils chassent la France, jugée trop exigeante, c’est pour faire venir la Chine ou la Russie, bien moins regardantes sur les règles de droit. Ils accompagnent cette démarche d’un discours pontifiant sur «les partenariats gagnants-gagnants», sur la souveraineté nationale (faux nez qui permet toutes les dérives en s’affranchissant des règles internationales), sur la nécessité de diversification des échanges, qui permet de nourrir la corruption en créant une concurrence des commissions occultes.
Ce n’est pas au nom de la défense de la souveraineté ou d’une attitude contestable d’aucune manière que le sentiment anti-français se développe, c’est paradoxalement la perte de son autorité qu’on reproche à la France.
Patrick Robert
C’est assez pathétique de voir ces chefs d’États aller à la gamelle à Saint Pétersbourg faire allégeance devant un Poutine radieux qualifié de «bienfaiteur de l’humanité». Il aura créé de toute pièce la pénurie sur les céréales en bloquant les exportations ukrainiennes, et propose gratuitement le grain volé dans les entrepôts des ports conquis dans la mer d’Azov! Gagnant-gagnant disent-ils? Mais sur le dos de l’Ukraine agressée et martyrisée! Où est la dignité de ces Africains-là?
Observez-vous une différence dans la façon dont se manifeste le sentiment anti-français au Niger ces derniers jours par rapport aux autres pays de la zone?
La similitude des méthodes d’action et des arguments justifiant ce dernier coup d’État avec ceux les autres pays voisins (Mali, Guinée, Burkina Faso) indique clairement que l’origine est la même.
On renverse le chef d’État élu avec des prétextes présentés comme vertueux, puis on organise des manifestations prétendument spontanées contre un bouc émissaire qui ne se défendra pas (la France) dans le but de justifier la popularité des putschistes qui se présentent abusivement comme portés par la volonté du peuple. Immédiatement, on muselle la presse pour rester maître du récit. Alors on peut mentir sans être contredit. La puissance des réseaux sociaux, là aussi, contribue à mobiliser des militants avides de certitudes et d’idées simples.
Les influences étrangères ne sont pas les seules raisons du sentiment anti-français qui vient de nombreuses frustrations cumulées, mais elles les amplifient et les instrumentalisent avec des outils de propagande et d’influences décomplexées qui s’affranchissent de la réalité des faits. Le conseiller d’un président africain me confiait qu’un diplomate chinois parle de nous en nous désignant comme «les blancs», cherchant à nous déconsidérer et conseillant de nous tenir à distance, cherchant la connivence racialiste avec son interlocuteur. Tout est permis pour eux.
Qu’on ne s’y trompe pas: ce n’est pas au nom de la défense de la souveraineté ou d’une attitude contestable d’aucune manière que le sentiment anti-français se développe, c’est paradoxalement la perte de son autorité qu’on reproche à la France. Son effacement. Sans oser bien sûr le formuler. Se greffent dessus une frustration migratoire et un certain nombre de fantasmes (le soi-disant pillage, le prétendu soutient aux régimes en place, la persistance de la pauvreté, etc.) entretenus par une propagande grossière et caricaturale qui porte dans les esprits.
La diplomatie française ne peut plus faire l’économie d’une active campagne d’explication et de contre-propagande c’est-à-dire d’information- partout où elle est mise en cause.