Dans une tribune au « Monde », l’épidémiologiste Marcel Goldberg répond à une autre tribune publiée dans notre journal qui critiquait des travaux auxquels il a pris part sur le Covid long. Il estime que les règles habituelles du débat scientifique argumenté ne sont pas respectées.
Tribune.
Dans une tribune publiée dans Le Monde du 23 novembre dernier, intitulée « Le Covid long est-il vraiment une maladie imaginaire ? », un groupe composé majoritairement de médecins universitaires met gravement en cause un article publié dans la revue JAMA Internal Medicine qui suggère que les symptômes physiques persistants après une infection par le SARS-CoV-2 pourraient être associés davantage à la conviction d’avoir eu un épisode de Covid-19 qu’à une infection par le coronavirus. Selon les auteurs de cette tribune, l’article « accumule les erreurs méthodologiques », « n’apporte aucune information utilisable sur le Covid long » et empile les « ignorances ».
Je suis moi-même un des coauteurs de l’article incriminé, mais ce n’est pas en tant que tel que j’écris aujourd’hui. Je le fais car je suis profondément choqué par la façon dont ces collègues ont jugé bon de faire connaître leurs critiques concernant notre travail. Je ne conteste évidemment pas le fait d’émettre des critiques, même très sévères, sur une recherche. La controverse fait en effet partie inhérente de la démarche scientifique. Elle est source de progrès et d’amélioration des connaissances, nul n’étant à l’abri d’erreurs dans la conduite d’une recherche, et la critique constructive, basée sur des arguments scientifiques, permet souvent de faire avancer les connaissances.
Mais il existe dans le monde de la recherche des règles quant à la façon de débattre. Lorsqu’un scientifique formule des critiques sur un article publié, la manière qui fait habituellement consensus est l’envoi d’une « lettre à l’éditeur » de la revue dans laquelle est paru l’article controversé. La revue publie cette critique si elle la juge scientifiquement argumentée et publie la réponse des auteurs de l’article. Ainsi, les lecteurs de la revue peuvent juger de façon transparente des arguments scientifiques exposés par les uns et les autres. J’ajoute que cette procédure est parfois aussi une opportunité pour les auteurs de l’article initial de fournir des données complémentaires qui n’ont pas pu être exposées dans un premier temps en raison des contraintes d’espace imposées par les revues scientifiques.
Ce n’est pas la voie qu’ont choisie les auteurs de cette tribune du Monde qui, contrairement aux règles universellement adoptées par la communauté scientifique, ont préféré utiliser le canal d’un journal destiné au grand public, alors qu’ils sont eux-mêmes des scientifiques inévitablement au fait de ces règles. Je dois dire qu’en plus de quarante ans de recherche, portant sur des sujets parfois très sensibles sur le plan sociétal (amiante, champs électromagnétiques, téléphones portables, notamment), je n’avais encore jamais été confronté de la part de collègues du monde académique à une remise en cause publique des résultats des travaux auxquels j’ai été associé en dehors de toutes les règles de la discussion scientifique.