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La lucidité d ‘ Alain Touraine sur mai 68 et la situation politique

La lucidité d ‘ Alain Touraine sur mai 68 et la gauche

par
Michel Wieviorka
Sociologue, membre Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS), Auteurs historiques The Conversation France

Alain Touraine est décédé dans la nuit de jeudi 8 à vendredi 9 juin 2023. En 2018, il s’entretenait avec Michel Wieviorka pour The Conversation France en amont de la célébration des 50 ans de Mai 68 à la Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme.

Michel Wieviorka : cinquante ans après Mai 68 et avec le recul du temps, maintenez-vous vos analyses de l’époque, telles qu’elles apparaissent notamment dans votre livre Le communisme utopique ? Et que reste-t-il de Mai 68 aujourd’hui

Alain Touraine : Cinquante ans après, on a tout le dossier en main et on ne peut pas penser qu’il va se passer des choses qui nous amèneraient à réviser nos opinions.

À l’époque, après les barricades du Quartier Latin, rue Gay-Lussac par exemple, l’impact de la jeunesse est resté considérable. Et le jugement porté par les notables, y compris par les intellectuels, est demeuré dominé par les mêmes incompréhensions.

Cinquante ans après, je peux vous dire que j’ai le sentiment d’être considéré par certains comme un type dangereux et pas sérieux à cause de mes analyses de l’époque sur le mouvement étudiant.

J’ajoute, ce qui d’ailleurs est moins inquiétant, que l’impact politique de Mai 68 est resté nul. Son influence intellectuelle a été négative ; en revanche, en matière sociale et culturelle elle a été et demeure extrêmement importante.

Il me semble que cinquante-quatre ans après, j’aurais probablement le même jugement sur Berkeley, qui fut en fait le point de départ, en 1964, de ce dont nous parlons. J’ai écrit un livre sur les mouvements étudiants dans les universités américaines, et je note que leur impact a été encore beaucoup plus fort par la suite à cause du festival de Woodstock en 1969, et de la contre-culture des années 1960.

Il y a eu aussi un 68 américain important, en particulier à l’université de Cornell et surtout à celle de Columbia, où notre ami Immanuel Wallerstein a joué un rôle considérable, ce qui l’a même obligé à s’exiler à Toronto, au Canada.

Ayant été professeur à Berkeley après cette période, j’ai constaté qu’au sein du groupe des sociologues, la moitié des professeurs étaient partis vers le département de sciences politiques. Mais aussi que l’effet proprement politique a été nul, comme en France. Le Parti démocrate américain n’a pas été plus affecté par tout ce qui se passait que le Parti socialiste français

Je ne me prononce pas sur le côté allemand car j’ai peu suivi l’opinion de ce pays. Mais je note qu’en Allemagne, le souvenir de ce mouvement a rapidement été écrasé par l’image de la bande à Baader et du terrorisme – un phénomène qui a néanmoins eu un équivalent américain avec les weathermen et aussi en France, et plus encore en Italie.

Toujours est-il que ces mouvements étudiants ont formé un phénomène qui mérite d’être jugé par son écho mondial, qui fut énorme. Et pas seulement en Allemagne, en Italie, en France, et même au Mexique, que je laisserai pourtant de côté ici, car ce qui s’y est passé est pour l’essentiel très différent.

Plus tard, j’ai écrit Un nouveau paradigme, où j’explique que les mouvements dits sociaux se sont déplacés du social vers le culturel. C’est un phénomène majeur qui a été largement confirmé plus récemment. Je pense au Printemps arabe, ou encore aux étudiants chiliens de 2011. C’était déjà vrai en 1968, en France, et en 1964 à Berkeley.

Si l’on veut introduire une perspective historique, il faut dire de l’histoire du monde occidental qu’elle a connu le siècle du politique, qui fut celui des révolutions : 1688-1789 ; puis le siècle du mouvement proprement social, le mouvement ouvrier, au XIXe siècle ; puis le siècle du culturel, qui d’une certaine manière commença un peu avant la Première Guerre mondiale, avec Dada et le surréalisme, se poursuivit avec l’aspect intellectuel du mouvement soviétique, puis prend son réel essor avec les mouvements étudiants.

Ces mouvements étudiants ont véritablement marqué l’entrée du monde dans une ère dominée par des enjeux qu’on peut appeler culturels.


M. W : Vous avez dit que l’impact de 68 avait été positif dans l’opinion, vous citez le cœur de Paris. Mais il y a aussi des gens qui ont vécu Mai 68 de loin, comme quelque chose de terrible.

A. T. : C’est vrai, mais à cela, je réponds tout de suite en disant que l’interprétation insurrectionnelle ou révolutionnaire de Mai 68 ne tient pas debout.

Pour des raisons qui ne sont pas forcément positives, car c’est un mouvement qui n’a jamais eu aucune unité. S’il y a un contresens majeur sur 68, commis souvent par les soixante-huitards eux-mêmes, c’est cette idée de l’unité de 68. Pour quiconque a un minimum d’information, le plus important fut l’incompréhension et l’hostilité fondamentale entre la CGT et le mouvement étudiant.

Une image est restée gravée dans mon esprit. Le dimanche de la grande manifestation « millionnaire » – un million de participants – le 13 mai, qui a traversé Paris, en remontant vers le Luxembourg, d’un côté la CGT disait : « Les autocars sont par là » et de l’autre côté Cohn-Bendit et d’autres disaient : « sit-in au Luxembourg, par-là » en montrant la direction opposée. C’était la séparation, l’hostilité, les étudiants communistes ne bougeant pas, avec aussi des pénétrations mutuelles des étudiants et des gauchistes.

Pour parler en termes plus concrets encore de ce « mouvement de mai », il faut voir ce qu’il y avait dans ce qu’on appelait l’extrême gauche : certes, les communistes, mais aussi les groupuscules gauchistes, et Nanterre. Ces trois courants étaient hostiles les uns aux autres.

Dans une sorte d’éclatement de l’univers trotskiste de cette époque-là, un certain nombre d’intellectuels de haut niveau ont parlé de façon prudente, modérée, je pense, à ceux qui ont écrit La brèche : Morin, Castoriadis et Lefort (1968), dont le livre fut assez différent du mien.

Du côté communiste, c’était de l’hostilité franche.

Tout cela n’a eu aucune unité. De plus, les trois nuits des barricades ont eu des personnalités complètement différentes, elles n’ont pas été structurées, organisées de façon unifiée, pas même celle qui a été la plus forte, c’est-à-dire la deuxième, pendant laquelle il y a même eu un moment d’inquiétude quand les manifestants se sont déplacés rive droite et près de la Bourse. Mais il n’y a jamais eu un ensemble d’acteurs ou un organisme central jouant le rôle d’unification.

Un monde de représentations, d’images et d’imaginaires
M. W. : Il n’y a pas eu d’impact politique, à vous suivre, tout simplement parce que ce n’était pas un mouvement politique ?

A. T. : En 68, il n’y a pas eu de processus politique, on était dans un monde de représentations, d’images, d’imaginaires. D’où l’extrême importance des expressions graphiques, notamment à Nanterre, dans le grand couloir de la faculté. Soixante-huit n’a jamais été un mouvement politique, en tant que mouvement. À la fin, certains ont tenté d’organiser une action politique dans le stade de Charléty. Pierre Mendès-France en fut la personnalité principale ; mais avec une certaine maladresse et cette tentative n’aboutit à rien. On passe en quarante-huit heures de Charléty à la manifestation gaulliste des Champs-Élysées.

Le mouvement n’acquit pas l’ombre d’une représentation politique. Comme à Berlin, comme aux États-Unis.

Toute idée d’une forte extrême gauche, d’un danger révolutionnaire, doit être écartée. Ce qui le prouve, c’est qu’à Paris, il n’y a pas eu de morts. S’il y eut à Lyon un commissaire de police tué, cette ville ne fut pas le centre du mouvement.

Un personnage mérite d’être remarqué dans cette période : le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, qui s’est révélé être un homme extraordinaire. Son intelligence, sa compréhension de la situation ont permis qu’il ne se produise rien de dramatique.

Et la période qui suivra, qu’on a appelée les « années de plomb » en Italie, en Allemagne, et aussi en France, celle du terrorisme d’extrême gauche, correspond à la décomposition du mouvement.

Autrement dit, Mai 68 ne fut pas un mouvement politique ; il fait partie des mouvements culturels les plus importants, ceux qui nous montrent que l’imaginaire, l’art, les représentations sont aussi importants que les actes proprement politiques.

L’unité était dans l’imaginaire et dans la culture, pas dans un projet politique […]

M. W. : Vous écartez l’idée d’un impact politique, vous insistez sur la subjectivité des acteurs : cela a-t-il laissé une trace ?

A.T. : Ceux qui disent : « Mais cela n’a rien donné » commettent un contresens majeur dont je pense qu’il est devenu indéfendable. Parmi les thèmes qui sont entrés de manière différente dans les pays qui ont été marqués par 68, il y en a deux qui se sont durablement imposés : premièrement, les problèmes de la personnalité, de la sexualité et, deuxièmement, les problèmes ex-coloniaux, postcoloniaux, mondiaux. L’impact principal du mouvement ne fut pas un renouveau du mouvement ouvrier, car on peut dire que ce mouvement était affaibli depuis 1947, depuis la rupture entre les socialistes et les communistes […]

La disparition du politique
M. W. : Diriez-vous que les années qui suivent 68 sont des années de congélation, de disparition ?

A.T. : Je vais le dire plus brutalement.

Je pense que les années qui suivent, pas immédiatement car on reste dans les Trente Glorieuses, dans la reconstruction de l’Europe entière, mais un peu après, peuvent être tenues en France pour un double échec de l’entrée dans l’avenir. Échec sur la droite et échec sur la gauche. Giscard a fait des efforts plus importants qu’on ne le reconnaît aujourd’hui. Cela a échoué pour des raisons assez fortement liées à son tempérament, à son allure, il y a eu un rejet de la personnalité de Giscard. C’était le faux aristocrate qui n’arrive pas à devenir populaire.

Dans le cas de Mitterrand, c’est une tentative de reconstitution du Front populaire alors que dès 1968 on voit que cela n’est plus possible et que l’Europe est coupée en deux depuis 1947. En 1981, il y a un contresens. Ce contresens réussit à François Mitterrand, mais sa seconde mandature, après le départ de Michel Rocard, se termine dans l’affairisme, ce qui est le pire qu’on puisse imaginer après 68 […]

M. W. : Si on prend l’époque actuelle, on peut avoir le sentiment, à vous suivre, que le politique et le social disparaissent de notre horizon et que le culturel le remplit.

A. T. : En termes beaucoup plus violents, je dirai que nous venons de vivre deux années, 2016 et 2017, où le politique a disparu. Il n’y a plus de politique. La désindustrialisation a mis en danger la démocratie aux États-Unis et en Angleterre, et le Front national a représenté une forte menace en France. Il n’y a eu ni débat ni idées en France. Il n’y a plus de politique nulle part, ni en Espagne, ni en Italie, ni en Allemagne, ni en Amérique du Sud. Il n’y a plus de politico-social. Et, en France, Emmanuel Macron a fait triompher une gestion avant tout politique et institutionnelle, non sociale.

C’est le culturel, l’imaginaire, qui remplit notre existence. Mais aussi l’écologie, qui est spectaculairement non politique et non sociale. Dont la force vient des travaux scientifiques, et dont la faiblesse vient malheureusement des partis écologistes.

*L’intégralité de cet entretien est à retrouver dans le nouveau numéro de la revue Socio, paru le 13 mars 2018. Son lancement officiel a eu lieu le 21 mars à la bibliothèque-laboratoire de la FMSH, à Paris, en présence d’Alain Geismar, Edgar Morin, Alain Touraine, Omar Guendel, de Daniel Cohn-Bendit et Michel Wieviorka.

Un parfum de mai 68 ?

Un parfum de mai 68
par
Erik Neveu
Sociologue, Université de Rennes 1 – Université de Rennes dans The Conversation

Les dernières manifestations et grèves dénonçant le projet de réforme des retraites du gouvernement ont donné lieu à d’importantes mobilisations : si les formes ont été relativement convenues et attendues, encadrées par une intersyndicale redynamisée, on a vu aussi apparaître de nombreuses références à Mai 68 dans les cortèges.

Un phénomène qui peut surprendre tant la référence à 68 et plus encore aux « soixante-huitards » a souvent été objet d’ironie voire de lassitude dans les décennies passées. Une illustration de cette sensibilité critique se trouve dans les travaux du sociologue Jean-Pierre Le Goff. Souvent sollicité par les médias à ce propos, il évoque un « héritage impossible ».

Son analyse repose sur deux critiques centrales. D’un côté ce qu’on peut appeler « le 68 politique » avec la floraison des groupes gauchistes, qui n’aurait produit que dogmatisme, psalmodies sectaires et propositions politiques aussi radicales qu’inquiétantes. Certes, un mot d’ordre comme « dictature du prolétariat » sonne vétuste ou alarmant. Et la célébration d’une classe ouvrière qui n’aurait guère changé depuis les « Trente glorieuses » – telle qu’elle a existé et pesé avant la désindustrialisation de la France semble bien décalée par rapport à la nouvelle génération de travailleurs précaires ou uberisés.

Allant plus loin, Le Goff prend aussi pour cible ce qu’on peut nommer le « gauchisme culturel ». Ce dernier prône et met en pratique une remise en cause des mœurs et rapports hiérarchiques traditionnels, qui a pu participer de ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello ont nommé « la critique artiste ». Il s’agit moins de cibler le capitalisme comme exploiteur que comme aliénant, anesthésiant toute force créative par son obsession de la rationalité et des hiérarchies.

Toujours selon Le Goff, l’esprit de Mai 68 aurait instillé le chaos dans les couples et les familles, disqualifié tout rapport d’autorité, et promu une culture narcissique de l’épanouissement individuel sapant la possibilité même de faire société. Soit, une vaste anomie sociale. Le terme désigne une situation dans laquelle les individus sont déboussolés faute de règles claires sur ce qui est propre à un statut, un rôle social, sur ce qu’on peut raisonnablement attendre de l’existence.

Or, si les thèses de Le Goff apparaissent comme une ponctuation de trente ans de lectures critiques de Mai 68 elles s’inscrivent aussi dans une vision mémorielle dominante de Mai 68. Cette dernière se concentre principalement sur le Mai parisien, la composante étudiante-gauchiste du mouvement et sa dimension idéologique, en occultant la mémoire ouvrière et populaire, celle des huit millions de grévistes.

On peut ajouter qu’à partir des années 1990 a émergé dans les médias, par le biais des récits de fiction et des discours politiques une figure très négative du « soixante-huitard ».

Ce dernier aurait vite jeté par-dessus bord ses proclamations radicales, fait carrière avec cynisme sans hésiter à piétiner ses concurrents, fort bien réussi dans les univers de la presse, de l’université, de la culture, de la publicité. Daniel Cohn-Bendit, Romain Goupil ou hier André Glucksmann ont été pointé du doigt comme illustrations de telles évolutions. Car le « soixante-huitard » serait aussi un incurable donneur de leçons, s’autorisant de ses reniements pour prêcher aux nouvelles générations la vanité des révolutions et les vertus d’une posture libérale-libertaire.

On retrouvait une part de ces thématiques dans les discours de Nicolas Sarkozy ainsi que dans de nombreux articles de presse.

Le quarantième anniversaire de Mai a vu s’opérer un virage. Il repose largement sur l’investissement des historiens, sociologues et politistes longtemps restés à distance d’un objet trop brûlant.

Le travail sur archives, les collectes de récits de vie, l’enquête systématique, ont permis de questionner des pans entiers de la mémoire officielle. Ces chercheurs ont ainsi revalorisé l’époque comme celle d’une séquence d’insubordination ouvrière et de conflits du travail.

Ils ont montré qu’à mesure qu’on s’éloignait des dirigeants, spécialement de ceux consacrés par les médias, le recrutement des groupes gauchistes était largement populaire et petit-bourgeois, non élitiste. Ils ont plus encore permis de constater – à partir du suivi d’effectifs qui chiffrent désormais par milliers de militants – que ni gauchistes, ni féministes de ces années n’avaient abandonné toute forme d’engagement ou abdiqués du désir de changer la vie.

La plupart ont au contraire massivement poursuivi des activités militantes dans le syndicalisme, les causes écologiques, la solidarité avec les migrants, l’économie sociale et solidaire, les structures d’éducation populaire, les mouvements comme ATTAC… Ce faisant ces « soixante-huitards » ont côtoyé d’autres générations plus jeunes et sans se borner au rôle d’ancien combattant radoteur, mais en jouant au contraire un rôle de passeurs de savoirs.

De manière contre-intuitive ces travaux ont aussi montré que, si ceux qui avaient acquis des diplômes universitaires ont profité des dynamiques de mobilité sociale ascendante, les militants des années 68 n’avaient pas connu de réussites sociales remarquables. Au contraire, à qualification égales, de par leurs engagements, beaucoup ont exprimé leur répugnance à exercer des fonctions d’autorité quitte à entraver les carrières qu’ils avaient pu envisager.

Que tant de pancartes en manifestations reprennent des slogans phares de 68 peut traduire un sens de la formule. Il est aussi possible d’y voir l’expression d’une réhabilitation. Cette dernière questionne aussi la manière dont une mémoire officielle « prend » ou non, quand elle circule via des supports (essais, magazines d’information, journaux) dont on oublie trop souvent que leur lecture est socialement clivante car faible en milieux populaires.

Il faut donc penser à d’autres vecteurs de circulation d’une autre mémoire, celle des millions d’anonymes qui ont participé à la mobilisation de 68 : propos et souvenirs « privés » ou semi-publics tenus lors de fêtes de famille, de pots de départ en retraite, de réunions syndicales ou associatives.

Il faut regarder les manuels d’histoire du secondaire rédigés par des auteurs soucieux de faits et non d’audacieuses interprétations, aller du coté des cultures alternatives (romans noirs, rock). Si l’on prend la peine de consulter les sondages faits tant en 2008 qu’en 2018, on verra que l’image de Mai comme moment d’émancipation sociale et de libération des mœurs est très majoritairement positive, et ce d’abord dans les milieux populaires.

Pour rester en partie éclairants, slogans, livres et théories d’il y a un demi-siècle ne donnent pas les clés du présent. Mieux vaut raisonner en termes de résurgences et renouveaux. On peut faire l’hypothèse d’une résurgence de la « vocation d’hétérodoxie » soixante-huitarde, théorisée par Boris Gobille, et qui questionnait toutes les formes instituées de la division sociale du travail et du pouvoir.

On le voit aujourd’hui sur les rapports hommes femmes, la critique de la suffisance des « experts », la revendication de la reconnaissance de celles et ceux des « première et seconde lignes », le refus d’inégalités sans précédent de richesses.

Le renouveau lui s’exprime à travers le sentiment diffus que des formes de conflictualité plus généralisées, plus intenses seraient le seul moyen de vaincre. Comme le soulignait sur ce site Romain Huet, se font jour doutes ou lassitudes quant aux formes routinisées de la protestation.

Autre parfum des années 68 que le constat persistant d’une « société bloquée » que proposait alors feu le sociologue Michel Crozier. Si on peut ne partager ni tout le diagnostic, ni les préconisations de cet auteur, il n’était pas sans lucidité sur l’extraordinaire incapacité des élites sociales françaises à écouter, dialoguer, envisager d’autres savoirs.

Vouloir en finir énergiquement avec ce blocage n’est ni romantisme de la révolution, ni vain radicalisme, mais conscience de plus en plus partagée de ce que le système politique français semble être devenu l’un des plus centralisés, hermétique aux tentatives de contre-pouvoirs institutionnels (référendums, syndicats). Il est donc aussi le plus propre à stimuler les désirs d’insurrection et la possibilité de violences.

Crise sociale: « Un risque de mai 68″ ?

Crise sociale: « Un risque de mai 68″ ?

Les retours à la référence de Mai 68 dans les manifestations invitent à réfléchir à la manière dont la mémoire d’un événement varie. Par Erik Neveu, Université de Rennes 1 – Université de Rennes dans the conversation


Les dernières manifestations et grèves dénonçant le projet de réforme des retraites du gouvernement ont donné lieu à d’importantes mobilisations : si les formes ont été relativement convenues et attendues, encadrées par une intersyndicale redynamisée, on a vu aussi apparaître de nombreuses références à Mai 68 dans les cortèges.

Un phénomène qui peut surprendre tant la référence à 68 et plus encore aux « soixante-huitards » a souvent été objet d’ironie voire de lassitude dans les décennies passées. Une illustration de cette sensibilité critique se trouve dans les travaux du sociologue Jean-Pierre Le Goff. Souvent sollicité par les médias à ce propos, il évoque un « héritage impossible ».

Son analyse repose sur deux critiques centrales. D’un côté ce qu’on peut appeler « le 68 politique » avec la floraison des groupes gauchistes, qui n’aurait produit que dogmatisme, psalmodies sectaires et propositions politiques aussi radicales qu’inquiétantes. Certes, un mot d’ordre comme « dictature du prolétariat » sonne vétuste ou alarmant. Et la célébration d’une classe ouvrière qui n’aurait guère changé depuis les « Trente glorieuses » – telle qu’elle a existé et pesé avant la désindustrialisation de la France semble bien décalée par rapport à la nouvelle génération de travailleurs précaires ou uberisés.

Allant plus loin, Le Goff prend aussi pour cible ce qu’on peut nommer le « gauchisme culturel ». Ce dernier prône et met en pratique une remise en cause des mœurs et rapports hiérarchiques traditionnels, qui a pu participer de ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello ont nommé « la critique artiste ». Il s’agit moins de cibler le capitalisme comme exploiteur que comme aliénant, anesthésiant toute force créative par son obsession de la rationalité et des hiérarchies.

Toujours selon Le Goff, l’esprit de Mai 68 aurait instillé le chaos dans les couples et les familles, disqualifié tout rapport d’autorité, et promu une culture narcissique de l’épanouissement individuel sapant la possibilité même de faire société. Soit, une vaste anomie sociale. Le terme désigne une situation dans laquelle les individus sont déboussolés faute de règles claires sur ce qui est propre à un statut, un rôle social, sur ce qu’on peut raisonnablement attendre de l’existence.

Or, si les thèses de Le Goff apparaissent comme une ponctuation de trente ans de lectures critiques de Mai 68 elles s’inscrivent aussi dans une vision mémorielle dominante de Mai 68. Cette dernière se concentre principalement sur le Mai parisien, la composante étudiante-gauchiste du mouvement et sa dimension idéologique, en occultant la mémoire ouvrière et populaire, celle des huit millions de grévistes.

On peut ajouter qu’à partir des années 1990 a émergé dans les médias, par le biais des récits de fiction et des discours politiques une figure très négative du « soixante-huitard ».
Ce dernier aurait vite jeté par-dessus bord ses proclamations radicales, fait carrière avec cynisme sans hésiter à piétiner ses concurrents, fort bien réussi dans les univers de la presse, de l’université, de la culture, de la publicité. Daniel Cohn-Bendit, Romain Goupil ou hier André Glucksmann ont été pointé du doigt comme illustrations de telles évolutions. Car le « soixante-huitard » serait aussi un incurable donneur de leçons, s’autorisant de ses reniements pour prêcher aux nouvelles générations la vanité des révolutions et les vertus d’une posture libérale-libertaire.

On retrouvait une part de ces thématiques dans les discours de Nicolas Sarkozy ainsi que dans de nombreux articles de presse.
En témoigne le livre Maos (2006) de Morgan Sportes dans lequel d’anciens maoïstes devenus sommités du tout Paris culturel crachent leur mépris des classes populaires. Dans un autre registre, l’ancien leader de la « gauche prolétarienne » Serge July, devenu rédac-chef de Libération a lui fait office de punching-ball pour bien des critiques.

Le quarantième anniversaire de Mai a vu s’opérer un virage. Il repose largement sur l’investissement des historiens, sociologues et politistes longtemps restés à distance d’un objet trop brûlant.

Le travail sur archives, les collectes de récits de vie, l’enquête systématique, ont permis de questionner des pans entiers de la mémoire officielle. Ces chercheurs ont ainsi revalorisé l’époque comme celle d’une séquence d’insubordination ouvrière et de conflits du travail.
Ils ont montré qu’à mesure qu’on s’éloignait des dirigeants, spécialement de ceux consacrés par les médias, le recrutement des groupes gauchistes était largement populaire et petit-bourgeois, non élitiste. Ils ont plus encore permis de constater – à partir du suivi d’effectifs qui chiffrent désormais par milliers de militants – que ni gauchistes, ni féministes de ces années n’avaient abandonné toute forme d’engagement ou abdiqués du désir de changer la vie.

La plupart ont au contraire massivement poursuivi des activités militantes dans le syndicalisme, les causes écologiques, la solidarité avec les migrants, l’économie sociale et solidaire, les structures d’éducation populaire, les mouvements comme ATTAC… Ce faisant ces « soixante-huitards » ont côtoyé d’autres générations plus jeunes et sans se borner au rôle d’ancien combattant radoteur, mais en jouant au contraire un rôle de passeurs de savoirs.

De manière contre-intuitive ces travaux ont aussi montré que, si ceux qui avaient acquis des diplômes universitaires ont profité des dynamiques de mobilité sociale ascendante, les militants des années 68 n’avaient pas connu de réussites sociales remarquables. Au contraire, à qualification égales, de par leurs engagements, beaucoup ont exprimé leur répugnance à exercer des fonctions d’autorité quitte à entraver les carrières qu’ils avaient pu envisager.

Que tant de pancartes en manifestations reprennent des slogans phares de 68 peut traduire un sens de la formule. Il est aussi possible d’y voir l’expression d’une réhabilitation. Cette dernière questionne aussi la manière dont une mémoire officielle « prend » ou non, quand elle circule via des supports (essais, magazines d’information, journaux) dont on oublie trop souvent que leur lecture est socialement clivante car faible en milieux populaires.

Il faut donc penser à d’autres vecteurs de circulation d’une autre mémoire, celle des millions d’anonymes qui ont participé à la mobilisation de 68 : propos et souvenirs « privés » ou semi-publics tenus lors de fêtes de famille, de pots de départ en retraite, de réunions syndicales ou associatives.
Il faut regarder les manuels d’histoire du secondaire rédigés par des auteurs soucieux de faits et non d’audacieuses interprétations, aller du coté des cultures alternatives (romans noirs, rock). Si l’on prend la peine de consulter les sondages faits tant en 2008 qu’en 2018, on verra que l’image de Mai comme moment d’émancipation sociale et de libération des mœurs est très majoritairement positive, et ce d’abord dans les milieux populaires.

Pour rester en partie éclairants, slogans, livres et théories d’il y a un demi-siècle ne donnent pas les clés du présent. Mieux vaut raisonner en termes de résurgences et renouveaux. On peut faire l’hypothèse d’une résurgence de la « vocation d’hétérodoxie » soixante-huitarde, théorisée par Boris Gobille, et qui questionnait toutes les formes instituées de la division sociale du travail et du pouvoir.
On le voit aujourd’hui sur les rapports hommes femmes, la critique de la suffisance des « experts », la revendication de la reconnaissance de celles et ceux des « première et seconde lignes », le refus d’inégalités sans précédent de richesses.

Le renouveau lui s’exprime à travers le sentiment diffus que des formes de conflictualité plus généralisées, plus intenses seraient le seul moyen de vaincre. Comme le soulignait sur ce site Romain Huet, se font jour doutes ou lassitudes quant aux formes routinisées de la protestation.
Autre parfum des années 68 que le constat persistant d’une « société bloquée » que proposait alors feu le sociologue Michel Crozier. Si on peut ne partager ni tout le diagnostic, ni les préconisations de cet auteur, il n’était pas sans lucidité sur l’extraordinaire incapacité des élites sociales françaises à écouter, dialoguer, envisager d’autres savoirs.

Vouloir en finir énergiquement avec ce blocage n’est ni romantisme de la révolution, ni vain radicalisme, mais conscience de plus en plus partagée de ce que le système politique français semble être devenu l’un des plus centralisés, hermétique aux tentatives de contre-pouvoirs institutionnels (référendums, syndicats). Il est donc aussi le plus propre à stimuler les désirs d’insurrection et la possibilité de violences.
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Par Erik Neveu, Sociologue, Université de Rennes 1 – Université de Rennes
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Social : pas mai 68 mais un climat pourri pendant des mois

Social : pas mai 68 mais un climat pourri pendant des mois

 

L’histoire ne ressert jamais les mêmes plats y compris en matière sociale. Du coup,  la perspective d’un nouveau 68 est sans doute à exclure car le contexte a beaucoup changé notamment les aspirations. Mai 68 se situait dans un contexte économique relativement favorable, en 2008 le chômage est encore massif et la France sort tout juste de la crise. Le risque dans la période actuelle c’est de voir se multiplier pendant des mois des conflits dans des secteurs ou catégories tendues. Il y a évidemment les étudiants  avec le dispositif de sélection qui ne dit pas son nom, 20 à 30% des étudiants ne pourront pas entrer dans en université et mais on a n’ a rien prévu comme autre filière de substitution (la filière apprentissage bac+ par exemple).  Le secteur le plus fragilisé est sans doute celui des hôpitaux qui ne cesse d’accumuler les réformes en vain, ; les Ephads posent  le problème du rapport à la vieillesse (pas seulement les Ehpad, le maintien à domicile aussi). Certaines catégories ne vont pas manifester dans la rue mais fabriquer des opposants au gouvernemenet c’est le cas des retraités et des résidents de la France profonde où emplois et services publics fuient vers les grandes métropoles. Dans les prisons, la justice, l’agriculture rien n’est réglé. Des reformes, oui mais homéopathiques. D’une  façon générale,  il faut aussi s’attendre à une  montée de revendications concernant le pouvoir achat bloqué depuis des années su l’on tient compte du cout réel de la vie (et non de l’indice obsolète de l’INSEE),  Exemple qui prend en compte la baisse des prix dans l’habillement mais par le fait que les Français réduisent leurs achats dans ce domaine. (À l’inverse des services dont les prix explosent). Sans doute n’y-a-t-il aucune  similitude entre 68 et la période d’agitation sociale actuelle. La grande question est cependant celle de la faisabilité d’une grande coagulation, souhaitée notamment par l’extrême gauche. Certains pensent que cette convergence des luttes est possible quand d’autres considèrent que cette hypothèse est peu vraisemblable. Mais on peut aussi se demander s’il est davantage  souhaitable de connaitre une généralisation de grèves éparses mais nombreuses dans de nombreux secteurs tendus pendant des mois et des mois. Bref, une autre chienlit sociale qui pourrait d’abord ternir sérieusement une mage de la France qui venait tout juste de se rénover un peu. Les dommages pour l’économie, la croissance, l’emploi et les grands équilibres seraient désastreux. Surtout cela affecterait le moral des investisseurs, des acteurs économiques, des consommateurs dans la capacité de la France à se réformer. Il serait peut- être urgent que le gouvernemenet boucle très rapidement les conflits sociaux pour retrouver uen peu de sérénité économique, sociale et économique. Car le crédit politique risque de sortir très affecté d’une série de grèves qui durerait des mois. En dessous d’une certain seul de popularité, qu’il le veuille ou non,  le pouvoir sera paralysé. De ce point de vue la chute de popularité de Macron et de son gouvernemenet est inquiétante.

 

Mai 68:  » plus de liberté, plus de communauté » (Edgar Morin )

Mai 68:  » plus de liberté, plus de communauté » (Edgar Morin )

 

Aujourd’hui il est de bon ton d’ignorer le phénomène de mai 68 voire de le condamner. Une attitude un peu réactionnaire et sans doute due à la peur du mouvement gauchiste car nombre d’évolutions sociétales (davantage que de changements économiques et sociaux)   de cette époque ont été intégrées. Edgard Morin revient sur évolutions dans une interview de la Tribune

Aujourd’hui, en 2018, parler de Mai 68 c’est évoquer des temps fort éloignés. Ce qui reste pour vous de plus vivant est de quelle nature : n’est-ce pas le côté imaginaire, culturel, le côté subjectivité du mouvement ?

Edgar Morin : Ce qui reste vivant, ce sont d’abord des souvenirs très forts. Des présences dans cette Sorbonne occupée, transformée. La première semaine de Mai 68fut pour moi admirable. La tétanisation de l’État faisait que tout le monde se parlait dans la rue. Les cabinets de psychanalystes se vidaient brusquement, tous les gens qui souffraient de maux d’estomac allaient mieux, etc. Dès que tout est redevenu normal, tout cela est revenu.

Cette première semaine, c’est un peu comme dans mon adolescence en juin 1936, où tout le monde se parlait. J’ai des souvenirs merveilleux de cette Sorbonne en fête, de la réalisation d’un événement impossible. Des souvenirs de cette guerre civile sans mort, sauf à Flins (une manifestation d’étudiants venus soutenir les grévistes de l’usine Renault au cours de laquelle un adolescent de 17 ans est mort, noyé), de ce jeu sérieux où l’on jouait à la révolution mais sans risquer les morts en dépit de la violence des affrontements. Donc pas d’amertume [...]

Au début, c’est un mouvement étudiant, un mouvement de la jeunesse, ce n’est pas un mouvement ouvrier. Ensuite seulement, et plutôt à contrecœur, cela devient une mobilisation syndicale. Aviez-vous des discussions sur le prolétariat, la classe ouvrière, le mouvement ouvrier ?

E. M. : J’ai montré dans mes articles qu’à la différence d’autres pays où le mouvement est resté strictement étudiant, il a débordé sur une partie de la jeunesse ouvrière et lycéenne. Surtout, la durée et l’intensité du mouvement ont fini par déclencher les syndicats au début réticents et qui se sont finalement rués dans cette brèche pour arracher au gouvernement des concessions fondamentales. Une fois obtenues ces concessions, ils ont apaisé les choses. Ce qui m’a frappé aussi, c’était la volonté de Georges Pompidou de calmer le jeu en négociant et en accordant des concessions.

Il y a eu des défilés imposants, j’ai assisté à l’un d’eux rue Beaubourg en compagnie de Paul Thorez, le fils cadet des époux Thorez. Ce mouvement démontrait finalement le vide de cette civilisation qui se voulait triomphante, qui croyait aller vers une harmonie. Le Raymond Aron de l’époque, celui qui s’est trompé, voyait dans la société industrielle l’atténuation fondamentale de tous les grands problèmes, alors qu’avant même la crise économique de 1973, Mai 68 a révélé une crise spirituelle profonde de la jeunesse.

Les aspirations profondes de cette adolescence par rapport à ce monde d’adultes, c’était : plus d’autonomie, plus de liberté, plus de communauté. Les trotskistes et les maoïstes ont dit : « Nous pouvons réaliser ces aspirations. » Il y a eu un transfert de foi, au début c’était la révolte, le communisme libertaire, puis le mouvement a été capté par le trotskisme et le maoïsme sur la promesse de réaliser les aspirations juvéniles par la révolution [...]

Et ensuite ?

E. M. : Toute une série de tendances néolibertaires découlent de 68. Le féminisme n’était pas présent en Mai 68, mais il est sorti de là, le mouvement des homosexuels également. Roland Barthes était un homosexuel honteux avant 68, il est devenu un homosexuel assumé. Il y a eu des changements de mœurs bien que rien ne changeât dans la société. J’ai conduit avec Nicole Lapierre et quelques autres une enquête, publiée dans un livre qui s’appelait bêtement La Femme majeure : nouvelle féminité, nouveau féminisme. L’étude était intéressante. Avant Mai 68, la presse féminine disait : « Faites de la bonne cuisine à votre mari, soyez belle », etc. À partir de cette époque, la problématisation remplace l’euphorisation. Cette presse commence à parler des difficultés de la vie : le vieillissement, le mari qui a une maîtresse, les enfants qui s’en vont. Cette problématisation commence à gagner de nombreux secteurs de la société. [...]

L’image que vous proposez, finalement, est celle d’un mouvement qui a eu une courte préhistoire, Berkeley. Est arrivé 68, le souffle du moment fondateur qu’on trouve encore en 1978, et ensuite tout cela s’en va ou apparaît ailleurs.

E. M. : Il y a eu par la suite des grandes grèves, comme en 1995, des révoltes étudiantes, notamment contre la loi Devaquet (en 1986). Mais aucune n’a eu le caractère symbolique et mythologique de Mai 68. Il existe une tradition de révoltes étudiantes, mais jamais rien de comparable à 68.

L’événement pour moi s’est rétréci en 1988, c’est alors la fin du communisme, la Guerre froide se termine. Le Mai 68français m’apparaît comme un moment symbolique de crise de civilisation où jaillissent des aspirations profondes, quasi anthropologiques (plus d’autonomie, plus de communauté) qui sont retombées et renaîtront sous d’autres formes. Je maintiens que beaucoup de choses ont changé sans que rien ne change. Surtout sur le plan des mœurs, des sentiments, des idées. Et je rappelle que la classe adolescente s’était déjà formée avant Mai 68 et en a permis l’impulsion [...]

 En 2018, on est dans la commémoration, les cinquante ans, avec des tonnes de publications sur 68. Faut-il commémorer ? Parler de 68 comme d’un moment purement historique ? Ne faut-il pas redonner du sens à cette flamme ?

EM : Soixante-huit a incarné des aspirations très profondes qui étaient portées surtout par la jeunesse étudiante. Des aspirations que ressentent les jeunes et qu’ils oublient quand ils sont domestiqués dans la vie qui les intègre dans le monde. Des aspirations à plus de liberté, d’autonomie, et à de la fraternité, de la communauté. Totalement libertaire, mais toujours avec l’idée fraternelle omniprésente. Ils ont combiné cette double aspiration anthropologique qui a jailli à différents moments de l’histoire humaine. Je crois que l’importance historique de Mai 68est grande car elle a révélé cette aspiration ; et on a vu avec quelle facilité cette aspiration s’est fait domestiquer. C’est ce qui s’est passé aussi avec le communisme. Mai 68 est de l’ordre d’un renouveau de cette aspiration humaine qui revient de temps en temps et reviendra encore sous d’autres formes.

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Par Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation




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