Le développement des mafias dans le monde
Un hors-série du « Monde » explore toute la plasticité des organisations criminelles, qui savent saisir les opportunités délictueuses pour se développer partout dans le monde.
Il n’est pas aisé de mettre des visages sur une criminalité invisible. De mettre en mots le monde du silence et de l’omerta. De comprendre, aussi, les paradoxes de sociétés criminelles puisant leur force de structures familiales claniques autant que d’une formidable adaptabilité entrepreneuriale. La complexité des mafias, prospérant dans les « zones grises » de l’économie et de la politique, ne peut faire oublier leur emprise concrète, les conséquences visibles, parfois dramatiques, de leurs activités sur la vie des citoyens.
Le déferlement de la cocaïne en Europe est orchestré par ces groupes arrimés aux cartels sud-américains. Le traitement de déchets illégaux, empoisonnant des cours d’eau, tuant la terre à petit feu, est aussi l’une des spécialités du crime organisé. Face à la crise sanitaire, le commerce de masques et de médicaments contrefaits, le détournement d’aides publiques ou l’émission de prêts usuriers ont renforcé la puissance des mafias.
Ainsi, chaque nouvelle possibilité financière devient pour ces groupes transnationaux une occasion de développement. Chiffrer leur poids économique est un défi à la mesure de leur capacité à dissimuler les profits de leurs activités illicites. En 2009, l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) estimait à 870 milliards de dollars (plus de 825 milliards d’euros) les profits du crime organisé à l’échelle mondiale. Selon les autorités italiennes, la seule ’Ndrangheta – la Mafia calabraise – gagnerait 50 milliards d’euros en une année.
Incarnées par leur ancrage territorial et leur cohérence familiale, les mafias se sont adaptées aux évolutions de l’économie de marché et des technologies. Les enquêtes, comme les rares procès d’ampleur, mettent en scène des sociétés offshore et des transactions en cryptomonnaies ; des « cols blancs » et des « boss » délocalisés dans des territoires au régime fiscal avantageux et à la coopération judiciaire limitée.
Proposer une plongée au sein de la criminalité organisée implique de se défaire des si puissantes références culturelles associées à la mythologie mafieuse. De laisser de côté les films américains dépeignant le New York des mobsters (mafieux) originaires de Sicile pour accepter des scénarios plus austères, des histoires de misère sociale, des mécanismes d’ingénierie financière abscons, des partenariats a priori contre nature entre groupes concurrents poursuivant le même dessein : maximiser les profits.
Le panorama de cette criminalité mondialisée, sophistiquée, amorale et violente, à la fois enracinée dans un fief historique et projetée dans les lieux-clés des échanges internationaux, présenté dans ce hors-série, nous amène à parcourir l’univers hétéroclite des mafias contemporaines de l’Italie au Mexique. La riposte des Etats, qui semble avoir souvent « un temps de retard » sur la formidable plasticité des mafias, est ensuite passée au crible. Avant de trouver auprès des œuvres et des chefs-d’œuvre inspirés par le crime des visages et des mots permettant de donner vie à ce milieu si complexe. Un monde où, parfois, mythes et réalités s’entremêlent.