Iran : la corruption généralisée de la mafia au pouvoir (Hamid Enayat)
La prise de contrôle de l’économie par la mafia au pouvoir a provoqué son effondrement complet. Estime Hamid Enayat, analyste et écrivain iranien dans une chronique à la Tribune.
Les chiffres n’ont plus la capacité d’exprimer des détournements astronomiques. Des sommes capables d’affecter gravement le budget et les conditions économiques d’un pays ou qui pourraient assurer le financement de centaines voire de milliers d’écoles et d’universités.
La corruption étendue dans les organes gouvernementaux, les banques, le secteur privé, les entreprises publiques, semi-gouvernementales et affiliées, et des dizaines d’autres cas s’est tellement répandue la dernière décennie qu’elle a envahi toute l’économie iranienne : corruption en pétrochimie de 6,656 milliards de dollars en 2019 ; corruption de plus de 694 million dollars en 2011 ; corruption de la Fondation des Martyrs avec au total plus de 2 milliards de dollars en 2013 ; détournement de fonds d’environ 2,5 milliards de dollars au ministère du Pétrole en 2017 ; corruption de plus de 4,15 milliards de dollars en 2013, abus de pouvoir avec détournement de 750 millions de dollars en 2012, disparition de plates-formes pétrolières pour un montant de 124 millions de dollars en 2015, et ce n’est que la pointe de l’iceberg rendue publique.
95 milliards de dollars : le chiffre a de quoi donner le tournis mais, selon l’agence Reuters, l’ayatollah iranien Ali Khamenei règne bien sur un vaste empire économique représentant une somme aussi impressionnante. Cela équivaut à environ 71 milliards d’euros, soit davantage que la valeur actuelle des revenus pétroliers annuels de l’Iran.
Dans l’Iran actuel, la corruption et le pouvoir sont si étroitement liés qu’ils ne forment plus qu’un seul corps. De nombreuses personnes corrompues commettent des détournements de fonds en utilisant leur influence et leurs relations dans les organisations et les ministères. Mehdi Jahanguiri, le frère du premier vice-président, en est un exemple. En réponse à l’arrestation de son frère, le premier vice-président Ishaq Jahangiri a parlé de « corruption organisée » dans le pays.
Auparavant, le 16 juillet 2019, le frère du président Hassan Rohani, Hussein Fereydoun, avait été convoqué par la justice pour un délit financier. Le tribunal avait fixé une caution d’un montant très élevé. Le règlement de cette caution astronomique par le ministre de la Santé de l’époque avait fait la une des journaux.
Farshad Momeni, proche du régime iranien et professeur d’économie à l’Université Allameh Tabataba’i, a déclaré dans une cérémonie de la Journée des étudiants : « L’économie de l’Iran est de plus en plus est dominée par la mafia depuis la fin de la guerre Iran-Irak. » Soulignant que tous les gouvernements des 30 dernières années avaient développé ces relations mafieuses, il a noté que les classes défavorisées et les producteurs étaient les premières victimes de cette politique. Ce sont les sanctions et le Covid 19 qui ont mis à nu la mainmise de la mafia sur l’économie.
Hussein Raghfar, un économiste proche du pouvoir, cible lui aussi cette dérive : « Le principal problème de l’économie est le mensonge manié pour détourner l’opinion publique des réalités amères que le régime a apportées à la population. » Les États-Unis sont toujours cités comme la principale cause des problèmes du pays, alors que ces problèmes sont l’œuvre du pouvoir et n’ont rien à voir avec les sanctions.
Certes, ces dernières affectent l’économie quand elles détruisent la capacité de production nationale. Mais la capacité de production en Iran s’est détériorée à partir du neuvième gouvernement rendant le pays de plus en plus dépendant des importations, qui sont passées en valeur de 16 milliards de dollars en 1984 à 90 milliards de dollars en 1990. C’est de cette manière que les ressources de production ont été détruites jour après jour.
Un membre de la commission de la Santé du Majlis (parlement) a tweeté : L’augmentation des prix des matières premières n’a rien à voir avec les sanctions et le taux des devises. On a entendu dire qu’une cargaison de 81.000 tonnes de maïs a été dédouanée sans l’autorisation du ministère de l’Agriculture, et on ne sait pas à qui est allé le profit de la vente de ce maïs sur le marché noir, qui se monte à plus de 1.600 milliards de tomans.
En 1997 et 1998, selon la Banque centrale, 180 milliards de dollars ont été sortis du pays, mais on ne sait pas à quoi l’argent de ces exportations a été utilisé. Selon certaines études, cette somme aurait permis de fournir des biens et produits de base pendant trois ans à hauteur de 35 milliards de dollars.
Yahya al-Ishaq, un ancien ministre du Commerce qui a lui-même été impliqué dans la corruption institutionnalisée, décrit ainsi l’économie mafieuse : « Dans l’ombre de l’insouciance des responsables dans la guerre économique et avec le manque de courage de fonctionnaires pour prendre des décisions dans des circonstances particulières, on voit apparaitre des Arsène Lupin qui pillent tous les biens du pays sans le moindre souci. » (Agence Fars, 7 décembre 2020)
Les organisations internationales estiment qu’il y a environ 10.000 personnes en Iran qui détiennent et gèrent exclusivement des ressources financières, bancaires, pétrolières et autres. Étonnamment, le secrétaire général de la Société des comptables certifiés d’Iran a abordé les mêmes chiffres d’une autre manière : « Environ 12.000 personnes physiques et morales dans les 13.000 unités économiques du pays ont consommé près de 110 milliards de devises. Elles n’ont fourni de bilan financier vérifié à aucune institution et n’ont pas été contrôlées ni tenues responsables. » (Bazar, 6 décembre 2020)
Au moins 60 % de l’économie iranienne est entre les mains du corps des pasdarans. En détruisant la plupart des productions de produits de base, les pasdarans importent des richesses astronomiques à partir de produits de base de Chine et d’ailleurs et les stocke. Or tous les ports et quais sont entre leurs mains. Ce qu’on appelle la mafia du pouvoir n’est rien d’autre que le corps des pasdarans ou les sociétés géantes affiliées au guide suprême et aux cercles les plus proches du pouvoir, qui sont exonérées de tout audit et de toute taxe.
Plus de 150 milliards de dollars d’argent iranien bloqués ont été débloqués après l’accord nucléaire en 2015, et le régime iranien a vendu au moins deux millions de barils de pétrole par jour jusqu’au retrait américain du JCPOA et la mise en place des sanctions. Cependant, les soulèvements de 2017 et 2019 déclenchés par la pauvreté, l’inflation et le chômage ont secoué toutes les villes d’Iran et ébranlé le pouvoir.
Il est très clair que l’embargo pétrolier vise à exercer une pression sur l’économie iranienne. Mais la cause de la pauvreté de plus de 70% des Iraniens dans l’un des pays les plus riches, ce ne sont pas les sanctions mais la destruction des ressources, la corruption systématique et le pillage opérés par le corps des pasdarans.
Leurs actions destructrices, la répression et les meurtres auxquels ils se livrent ne se limitent pas à l’Iran. C’est pourquoi, la commission des Affaires étrangères de la Chambre des Communes britannique a exhorté dans son dernier rapport le gouvernement du Royaume Uni à inscrire le corps des pasdarans du régime iranien dans la liste des entités terroristes.
Comment lutter contre la mafia de l’État islamiste (Franco Roberti)
Comment lutter contre la mafia de l’État islamiste (Franco Roberti)
Franco Roberti, procureur national de la Direction antimafia et antiterrorisme à Rome répond aux questions du JDD.
La Direction antimafia s’occupe depuis cette année d’antiterrorisme. L’État islamique est-il mafieux?
Oui. L’organisation terroriste État islamique a un profil mafieux élevé : pensons seulement au racket que ses hommes exercent dans les territoires qu’ils contrôlent. Sans parler de la contrebande et du trafic de drogue. Le terrorisme est un phénomène de criminalité transnationale qui a beaucoup d’affinités avec la criminalité mafieuse. Avant même l’État islamique, on savait qu’une bonne partie du financement du terrorisme dérivait du pétrole, du trafic de drogue, d’armes et de migrants, de la contrebande de marchandises ou de la traite d’êtres humains. Le blanchiment d’argent alimente également leurs caisses. Une fois cette nouvelle compétence en matière de lutte contre le terrorisme confiée par le législateur, nous avons constitué une section antiterrorisme, en vue d’une coopération internationale et d’échange d’informations, essentiels sur le sujet.
En parlant d’échange d’informations, justement, Salah Abdeslam, principal suspect des attentats de Paris en novembre, est passé par Bari cet été…
Nous avons en effet pu établir ce passage grâce à des informations financières. Il a utilisé des cartes de crédit qui ont été enregistrées entre juillet et août, bien avant les attentats de Paris. Je ne sais pas s’il a été contrôlé en Italie. Il l’a été en France, mais il n’y avait aucune charge contre lui. Il n’était pas connu pour être un islamiste radical. L’Italie a toujours été un pays de transit. Nous sommes habitués à lutter contre des individus qui offrent un support logistique aux entreprises terroristes. C’était déjà le cas lorsque nous avions affaire aux groupes salafistes ou au GIA algérien. Aujourd’hui, la situation a changé avec Internet. Nous devons enquêter sur le Web pour vérifier les traces du financement du terrorisme. Tout cela n’exclut pas que nous devons aussi prévenir des attentats dans notre pays. Pour l’instant, nous y sommes parvenus, grâce aux expulsions ou aux mesures préventives.
La Direction antimafia est impliquée dans la lutte contre le trafic de migrants. Ce trafic serait-il une ressource possible pour l’État islamique?
Nous n’avons pas de preuves formelles que l’État islamique se finance également avec le trafic de migrants. Mais la logique nous conduit à le penser. Le groupe contrôle des pans de territoires de deux pays de provenance des migrants, l’Irak et la Syrie, ainsi que des régions d’un pays de transit et d’embarquement comme la Libye. Il est impensable qu’une organisation de type terroristo-mafieux qui contrôle ces territoires et les activités qui s’y déroulent ne tire pas profit de ces activités. En imposant par exemple des pots-de-vin ou des pourcentages sur les profits illicites.