Macron désormais très seul
Après la chute de Barnier et la nomination de Bayrou, le président de la république se trouve encore plus isolé d’après le directeur de Taddeo, Julien Vaulpré dans » La Tribune ».
par Julien Vaulpré, Emmanuel Marcon a estimé, à tort, que Michel Barnier allait pouvoir se maintenir au pouvoir grâce au front républicain. Il en paye aujourd’hui les conséquences. Rencontre avec le directeur de Taddeo.
JULIEN VAULPRÉ — Le gouvernement Barnier était, dès sa conception, trop paradoxal pour durer. Après le ratage de la dissolution, le président a feint de croire qu’il avait encore la main en désignant un Premier ministre de son choix, ou en tout cas qui lui convenait, alors qu’en réalité celui-ci devait être le résultat du Parlement. Emmanuel Marcon a estimé, à tort, que Michel Barnier allait pouvoir se maintenir au pouvoir grâce au front républicain et en comptant sur la crainte de l’opposition d’apparaître irresponsable. L’attelage s’est fracassé sur le budget. Avec François Bayrou, l’équation est strictement identique. Le choisir, c’est croire à l’expérience acquise dans les contre-allées du pouvoir (en quarante ans de vie politique, il n’a été ministre que quatre ans). Le leader du MoDem connaît avant tout les jeux électoraux plus que le fonctionnement de l’État.
De quels points d’appui François Bayrou dispose-t-il néanmoins ?
Le RN a pour seule stratégie d’attendre que les institutions lui tombent dans la main.
Deuxième point d’appui : son enracinement dans les territoires, à Pau, en prônant un programme décentralisateur, une sorte de « majorité des territoires » pour contourner le Parlement, avec les élections municipales de 2026 dans le viseur. En quelques heures, cet avantage semble s’être transformé en boulet, avec son déplacement en Falcon pour siéger au conseil municipal de Pau, alors qu’à l’autre bout du monde un territoire français n’avait jamais connu un tel drame. Troisième point : il souhaite mettre en avant une longue expérience et s’appuyer sur elle afin d’incarner une figure d’autorité morale et républicaine lui permettant de rudoyer le président et d’occuper son terrain avec une image paternaliste.
Son duo avec Emmanuel Macron peut-il fonctionner ?
François Bayrou n’a qu’un moyen d’y parvenir : réussir le tour de force d’un vote de confiance au Parlement. Alors, il pourra créer un rapport de force face au président. Si ce n’est pas le cas, les deux têtes sont condamnées à s’affaiblir mutuellement. La condition du succès, ce serait au contraire de trouver un modus vivendi, un partage clair des tâches, un récit complémentaire susceptible de rassurer les Français et capable d’enrayer la spirale d’instabilité. Pendant ce temps, la situation du pays se dégrade vite, très vite. Les Français s’inquiètent, leur désintérêt pour la politique s’accroît et leur moral plonge. Les dirigeants étrangers nous jugent sévèrement, les marchés nous sanctionnent et les dirigeants économiques risquent de commencer à regarder ailleurs.
Dans quelle mesure Emmanuel Macron est-il affaibli ?
Désormais, le président est seul face aux Français. Sans parti, sans affidés, sans son socle idéologique hormis « le pragmatisme » brandi à tout va, il n’a plus aucun amortisseur. Certes, les fins de second mandat sont souvent crépusculaires, cruelles et se gèrent avec des solutions d’attente et de succession. Mais dans le contexte actuel, c’est très différent. Le président a pris une initiative – la dissolution - incompréhensible et désastreuse, donc la pression sur lui est remarquablement forte, et la petite musique des appels à sa démission, pour transformer la crise politique en crise de régime, va s’amplifier.
A-t-il des atouts pour s’en sortir ?
Le président n’est pas dépourvu de moyens d’action : dissolution, nomination, référendum. Le plus difficile, c’est de prendre un nouveau risque – ce qui est audacieux – et de se réinventer – cela semble difficilement plausible. Jusqu’à aujourd’hui, aucun président n’y est parvenu, enfermé dans la fonction, trop soucieux de son statut, de la perception de son bilan, du fantasme de la trace laissée dans l’Histoire. Emmanuel Macron, par sa jeunesse, par son audace, pourra peut-être trouver les ressources d’un second souffle. Les Français demandent pour y croire un acte de contrition, un changement de cap et une autre pratique des institutions. Est-ce possible ?
Le macronisme n’est-il qu’une parenthèse ? Va-t-on assister à un retour du clivage droite-gauche ?
Aujourd’hui, tout le paradoxe, c’est que d’un côté le paysage politique français confirme le discours macroniste, avec trois blocs incompatibles, mais que de l’autre cette analyse est parfaitement invalidée en réduisant le centre à une minorité impuissante. Le bloc macroniste demeure un matériau très friable avec des courants antagonistes et des projets présidentiels concurrents. Mais c’est encore là que se fait la politique de la France. C’est là aussi que la mobilité est la plus grande, à l’avantage autant qu’au détriment du centre, d’ailleurs.
Réveil de la social-démocratie ? Amarrage des Républicains au macronisme ? Quel est pour vous le mouvement le plus structurant de cette année ?
Dans une année globalement déstructurante, c’est le Nouveau Front populaire qui a créé la surprise en bricolant une union électorale inespérée dans des délais très brefs, contrecarrant une partie du calcul présidentiel, fondé sur l’effet de sidération puis de mobilisation. Le bloc de gauche qui en résulte est à la fois rééquilibré avec un PS plus fort et plus explosif, tout l’effort portant sur le contrôle étroit de la fraction socialiste, grâce à la discipline du scrutin majoritaire.
Où en est le RN ?
Le bloc autour du RN est le plus compact, c’est du granit. Il a pour seule stratégie d’attendre que les institutions tombent dans sa main. C’est une stratégie gagnante depuis un moment déjà, mais dangereuse, aussi, dans un temps de surenchère populiste mondiale où la dédiabolisation du RN laisse un flanc droit de plus en plus dégarni et susceptible d’être contourné par un personnage trumpien. Tenir un ordre de bataille large sans dégarnir aucun de ses flancs : voilà un défi majeur pour Marine Le Pen, surtout fragilisée par une potentielle inéligibilité.
Quel est, pour vous, le principal point de clivage structurant le paysage politique ?
Les études d’opinion invitent à se méfier des lectures trop binaires, nationalistes contre progressistes, bas contre haut, ruralité contre métropoles, diplômés contre non-diplômés. La réalité politique et sociale nouvelle de la France, c’est justement mille clivages – sociaux, culturels, générationnels, territoriaux – qui, mis en résonance les uns avec les autres, créent de l’éruptivité et de l’imprévisibilité. Chaque crise des vingt dernières années a laissé sa plaie dans la société : subprimes, crise migratoire, Gilets jaunes, Covid, banlieues. Le seul point commun, c’est le sentiment général d’une perte de contrôle au moment précis où le monde suscite le plus grand désarroi. Avec la dette, l’inflation, et plus encore les défis générationnels devant nous que sont le climat, l’IA, la rivalité sino-américaine, nous avons l’impression d’être spectateurs de notre propre effondrement.