Pour une réforme du lycée qui ne soit pas étriquée
François Portzer, Ancien président national du SNALC milite pour une réforme qui tienne compte des différentes aptitudes
.
Tribune
Abonné au Monde, ancien syndicaliste enseignant (président national du SNALC de 2011 à 2018), j’enseigne en classe de première et de terminale l’histoire-géographie et la spécialité HGGSP (histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques) au lycée Rabelais de Saint-Brieuc. Au vu de l’actualité, je me permets donc de vous faire part du ressenti d’un prof de terrain à propos de la réforme du lycée actuellement en cours.
Cette dernière avait pour but à mes yeux de remettre en cause le poids écrasant de la filière S (60 % de la filière générale), filière attrape-tout privilégiée par les bons élèves et les enfants des classes aisées parce qu’elle ne fermait aucune porte, au détriment des autres filières aux débouchés plus aléatoires. Elle devait dès lors permettre, par le jeu des nouvelles spécialités, l’expression d’aptitudes plus diverses et d’en finir avec la prééminence systématique des mathématiques comme instrument de sélection scolaire et sociale.
Dès le début, comme toutes les réformes du lycée avant elle, elle a dû faire face à l’opposition farouche de la quasi-totalité des organisations syndicales, à commencer par l’organisation majoritaire, le SNES, ce qui a notamment abouti en 2020 dans de nombreux établissements à un boycott sans précédent des « E3C », premières épreuves communes en histoire-géographie et en langues comptant pour le nouveau bac. Bien sûr, la pandémie n’a rien arrangé et a contribué également à perturber grandement le bon déroulement de la réforme.
Dans ce contexte houleux, on ne peut d’abord nier que toutes les disciplines ne sont pas logées à la même enseigne et que, n’en déplaise à beaucoup, la réforme a été bénéfique pour les historiens-géographes : ils ont conservé trois heures en première et terminale avec des programmes qui peuvent à mon sens être sans problème traités dans l’année. Et surtout, ils se sont investis dans la nouvelle spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques, dont les programmes sont passionnants : jamais auparavant il n’avait été en effet possible d’aborder dans le secondaire la révolution portugaise de 1974, la Turquie d’Atatürk, la guerre de Sept Ans, le génocide des Tutsis ou le patrimoine du Mali !
Les élèves ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : ils sont nombreux à choisir cette nouvelle spécialité où la grande majorité réussit et où des horaires conséquents (quatre heures hebdomadaires en première et six heures en terminale) permettent sans problème de finir les programmes en apportant aux élèves une ouverture intellectuelle sans équivalent dans le secondaire jusque-là. Il faudra bien sûr que l’enseignement supérieur prenne la mesure de cette évolution majeure en ouvrant par exemple largement les portes des classes préparatoires aux grandes écoles littéraires et des Instituts d’études politique aux meilleurs élèves qui ont fait le choix de cette spécialité.
En revanche, il ne faut pas se cacher que d’autres disciplines sont moins bien loties par cette réforme : c’est notamment le cas des mathématiques, qui, on le sait, succédèrent après la Seconde guerre mondiale au latin et au grec comme instrument de reproduction sociale des classes aisées. Si elles demeurent toujours l’outil indispensable pour entrer dans la plupart des grandes écoles – ce qui explique qu’à l’instar de l’ancienne filière S, elles demeurent le choix privilégié des mâles CSP + soucieux de préserver leur rang social -, le niveau de la nouvelle spécialité mathématique est beaucoup plus relevé que celui de la défunte première S, ce qui entraîne de nombreux abandons en fin de première ou le recours massif à des cours particuliers pour les plus fortunés…
Ce changement de statut des mathématiques, matérialisé par l’absence d’heures dans le tronc commun, est très mal vécu par les collègues scientifiques qui ont ainsi perdu un peu de leur prééminence au sein des lycées et surtout de nombreuses heures mettant certains postes en péril. On le voit, la réforme du lycée, qui vise à promouvoir des parcours d’excellence plus diversifiés, impacte les intérêts disciplinaires ce qui explique en grande partie le mécontentement de nombreux collègues sur le terrain.
D’autres facteurs entretiennent ce mécontement : l’incapacité de certaines régions, à commencer par la Bretagne, à fournir aux lycéens des manuels tenant compte des nouveaux programmes, le fait que les E3C obligent les collègues concernés à traiter scrupuleusement le programme et à former rapidement les élèves de première aux exercices spécifiques de la discipline (la composition et l’analyse de document en histoire-géographie, par exemple) ou encore l’incapacité du corps d’inspection, à quelques semaines de l’examen, à donner des consignes claires pour le grand oral…
Pour conclure, malgré toutes ces difficultés inhérentes à la mise en place de toute nouvelle réforme, je suis persuadé en tant qu’historien-géographe que la nouvelle spécialité HGGSP constitue pour de nombreux lycéens une opportunité intellectuelle sans précédent qui doit contribuer à la promotion sociale des plus défavorisés et à la remise en cause des mathématiques comme outil exclusif de reproduction de la bourgeoisie.