Lutter contre l’inflation liée à la question climatique
Si la flambée des prix à laquelle la France est confrontée a des origines conjoncturelles, comme la guerre en Ukraine, il existe aussi des facteurs inflationnistes structurels. Ceux-ci sont notamment liés au changement climatique. Dans ce contexte, il est urgent de penser les politiques de soutien et de redistribution envers les secteurs économiques et les populations les plus exposées. Par Julien Pillot et Philippe Naccache, enseignants-chercheurs à l’Inseec Grande Ecole.
Après la vague de chaleur des jours derniers, la production de blé est attendue en baisse dans l’Hexagone. Le réchauffement climatique impacte les coûts et les volumes de production, ce qui se traduit par une hausse structurelle des prix.
L’inflation, +5,8% sur un an selon les estimations de l’INSEE du 30 juin, atteint des niveaux que la France n’a plus connus depuis 1985. La trajectoire des prix des biens de première nécessité, tels que l’énergie (+33% sur un an) ou l’alimentaire (5,7%), inquiète particulièrement. Bien naturellement, cette flambée a des origines conjoncturelles, au premier rang desquelles figure la guerre en Ukraine et ses conséquences en matière d’acheminement de produits énergétiques et agricoles, mais aussi de spéculation sur le cours des matières premières. Pour autant, occulter les facteurs inflationnistes structurels, parmi lesquels la raréfaction de ressources critiques, l’essoufflement de la désinflation compétitive, et un contexte international sur-liquide hérité de plusieurs années de politiques de soutien à l’économie, aurait tout d’un déni coupable.
Plus méconnus, les liens structurels entre le changement climatique et l’inflation doivent également être regardés en face. De nombreuses études scientifiques ont, par exemple, mis en exergue l’impact de la hausse des températures sur les rendements agricoles, sur la productivité du travail, et même sur la production industrielle, à plus forte raison dans les secteurs météo-sensibles. Ainsi, le réchauffement climatique impacte les coûts et les volumes de production ce qui se traduit, à demande constante, par une hausse structurelle des prix. Ce qui ne fera, d’ailleurs, que renchérir les travaux publics nécessaires à la transition écologique, mais aussi un puissant moteur de croissance.
Il faut également souligner que les politiques volontaristes en faveur de la transition écologique et énergétique, exercent une double pression sur les prix. D’une part, l’introduction d’une taxe carbone devant inciter les industriels à réduire leurs émissions, s’apparente à un coût pour les entreprises, mais aussi pour les finances publiques si cela devait se traduire – pendant un certain temps – par un déficit de compétitivité, d’attractivité ou de croissance. D’autre part, les investissements dans les énergies renouvelables produiront leurs effets sur la croissance – par la réduction du coût marginal – sur le long terme, quand les pressions sur les coûts se font sentir dès à présent, notamment du fait des conflits d’usage des métaux critiques nécessaires tant à la transition énergétique qu’à l’industrie, numérique et électro-mobilité en tête.
Ainsi, une partie de l’inflation d’aujourd’hui et de demain est et sera poussée par nos impératifs climatiques. Cette inflation, choisie plutôt que subie, n’est pas une ennemie : elle génère un signal-prix qui révèle la vraie nature de nos déséquilibres, et nous oblige (enfin!) à réorienter nos politiques et comportements. Mentionnons, par exemple, le fléchage des investissements vers les activités et technologies les moins émettrices de CO2, la révision des chaines de valeur internationales, les relocalisations, voire la déconsommation de produits hautement carbonés.
Le spectre de nouveaux mouvements sociaux
Mais si cette inflation va nous amener à corriger certains excès de la mondialisation, il n’en demeure pas moins que la dégradation de l’environnement et la raréfaction des ressources nécessaires à la production d’énergie, nous expose sur le court et moyen terme à une lame inflationniste de fond, qui sera plus durement ressentie par les classes populaires, de France comme d’ailleurs. Aux mouvements sociaux dans les économies développées répondraient des crises alimentaires dans nombre de régions largement dépendantes de l’agriculture. Alors que plane toujours le spectre des « gilets jaunes », il est urgent de penser les politiques de soutien et de redistribution envers les secteurs économiques et les populations les plus exposées, sous peine d’accentuer – jusqu’au point de rupture – une fracture sociale qui rendrait inapplicables les initiatives en faveur de la transition. Obérant, par là-même, notre avenir commun.
Comment lutter contre l’intox ?
Comment lutter contre l’intox ?
L’enchevêtrement des récits scientifiques, médiatiques et politiques, accéléré par la pandémie, conduit à une confusion entre autorité et popularité. Dans cette cacophonie, il y a urgence à mettre en place une éducation aux médias, estime le professeur en sciences de l’information et de la communication Laurent Petit dans une tribune au « Monde ».
Tribune.
Porter à la connaissance d’un public élargi des faits qui n’auraient naguère circulé qu’entre spécialistes n’est pas un phénomène nouveau. Que l’on songe à l’étude du professeur Gilles-Eric Séralini parue en 2012 sur la toxicité à long terme d’un herbicide très connu et d’un maïs génétiquement modifié sur des rats de laboratoire. Ou à l’affaire du traitement par l’hydroxychloroquine proposé par le professeur Raoult. Et dernièrement, à la controverse sur l’islamo-gauchisme.
Cette circulation entre les sphères scientifique, médiatique et politique, que la pandémie semble avoir accélérée, n’est pas un problème en soi, à ceci près que la réponse à la question « qui dit vrai ? » n’a pas le même sens dans ces différentes sphères.
Si nous ne sommes pas entrés collectivement dans une « ère de post-vérité » comme on l’entend trop souvent, nous sommes assurément dans une époque de « mal-information » qui résulte, plus que de son abondance en tant que telle, d’un enchevêtrement des récits répondant à des régimes de vérité différents.
A la question « Y a-t-il des vérités établies ? », Nathalie, professeure de philosophie dans le film L’Avenir (2016), de Mia Hansen-Løve, interprétée par Isabelle Huppert, répond à ses étudiants qu’il en existe évidemment et qu’elles le sont par le temps. La dimension temporelle est essentielle certes, mais il manque dans ce dialogue les réponses à au moins deux questions : « par qui ? » et « comment ? ».
Pas de vérité éternelle
Introduire de la contingence dans l’établissement des vérités ne revient pas à les relativiser irrévocablement mais à affirmer qu’est vrai ce qui est considéré comme tel par une majorité d’acteurs d’une sphère donnée.
Cette assertion est valable y compris dans la sphère scientifique dans laquelle il n’y a pas de vérité éternelle mais établie sur un temps long par les pairs et selon des méthodes propres à chaque discipline. Tous les scientifiques le savent parfaitement, mais le « grand public » le découvre avec effarement.
A tout mettre sur le même plan, l’enchevêtrement des récits qui en résulte aboutit le plus souvent à une cacophonie, dont l’échappatoire peut sembler résider dans la recherche d’un indice de popularité, comme nous ont habitué à le faire les géants du Web – Google en premier lieu – pour qui un clic équivaut à un vote.
Dans ce régime où l’autorité et la popularité se confondent, un récit est plus vrai qu’un autre s’il est plus populaire qu’un autre. Quand on ne sait plus où est la vérité, alors pourquoi ne pas choisir le récit le plus facile à comprendre, le plus facile à répandre, le plus conforme à ses préjugés, celui qui demande le moins d’efforts, qui ne nécessite pas de remise en cause de ses schémas préconçus, quand il n’alimente pas une tentation nihiliste, voire complotiste ?