Une autre conception de l’urbanisme ?
Martin Vanier est géographe, professeur à l’Ecole d’urbanisme de Paris et consultant pour le cabinet Acadie imagine ce que devraient être les métropoles : des grappes de villes reliées entre elles à l’échelon régional.(interview l’Opinion). Un interview intéressante mais qui ne pose propose pas cependant une révolution de l’aménagement du territoire mais seulement une autre façon de métropoliser.
La crise sanitaire que nous traversons montre à quel point les grandes villes par leur densité de population sont inadaptées à un confinement de la population. Sont-elles un problème ou la solution dans la gestion de l’après ?
Si l’on considère que la gestion de l’après, c’est encore le traitement de la crise, et qu’il faut continuer à limiter la circulation du virus, c’est évidemment plus facile à réaliser dans un territoire de faible densité où la distanciation physique est déjà là. Le café du coin dans le chef-lieu du canton active moins les circulations que la brasserie parisienne. Le problème central, c’est la densité habitante. En France, la moyenne est de 117 habitants au km2, mais elle n’existe concrètement nulle part. La densité réelle va des 40 000 habitants au km2 de la moitié nord du 11e arrondissement de Paris au moins de 10 habitants au km2 de certains cantons des Alpes-du-sud. Même entre les grandes villes, les différences sont importantes. La moyenne de la densité à Paris, 20 000 habitants par km2, c’est deux à quatre fois la densité dans les autres métropoles.
Les grandes villes ont-elles un argument à faire valoir dans la sortie du confinement ?
En pleine crise, nous avons tous envie de nous protéger à la campagne. Une fois ce moment passé, nous aurons besoin de sociétés urbaines. Ce qui nous a sauvés de la pandémie, c’est la recherche scientifique, les structures hospitalières, des réseaux professionnels de solidarité de tous ordres. Les villes en sont dépositaires et savent aussi répondre quasi militairement à ces moments de crise. Le paradoxe, c’est qu’on les fuit dans ces mêmes périodes. Ceci dit, les métropoles sont les solutions aux problèmes à condition qu’elles ne fonctionnent pas toutes seules sur elles-mêmes. Elles ne vivent pas en extraterritorialité, elles sont liées à l’ensemble du territoire : être métropolitain, ce n’est pas être citadin, c’est habiter un système de divers territoires, au fil de sa trajectoire de vie, un peu partout en France.
« Nous pouvons vivre dans une économie mondialisée et nous recentrer sur des grappes de villes qui fonctionnent dans une relative proximité »
La sortie du confinement s’accompagnera d’une limitation des déplacements. La façon de vivre que vous décrivez sera mise entre parenthèses. Faut-il s’attendre à des grandes villes repliées sur elles-mêmes ?
Le Premier ministre a limité les déplacements dans un rayon de 100 kilomètres autour du domicile. C’est plutôt judicieux. C’est le système de territoires dont je parle. Avant la crise, les circulations à grande distance s’intensifiaient dans ce qu’on a pu appeler « la métropole France », grâce au TGV. Nous pourrions revenir à un système plus régionalisé. Ce n’est pas la fin du monde. Nous pouvons vivre dans une économie mondialisée et nous recentrer sur des grappes de villes qui fonctionnent dans une relative proximité.
Dans vos travaux, vous considérez la métropolisation comme la forme locale de la mondialisation. Si l’on considère qu’il faut limiter la mondialisation à la lumière de cette crise, faut-il également réduire la métropolisation ?
La crise que nous traversons passe pour une remise en cause des deux. Mais il ne faut renoncer ni à l’une ni à l’autre, et continuer l’histoire plurimillénaire qui est la leur. L’information scientifique, l’élaboration d’un vaccin, la solidarité, la lutte contre le dérèglement climatique sont des enjeux globaux. Ceci dit, inutile de produire des biens périssables à l’échelle intercontinentale. On peut le faire dans un rayon inférieur à mille kilomètres. C’est déjà beaucoup. De la même façon, l’avenir n’est pas de démétropoliser mais de métropoliser autrement. Les très grandes métropoles comme la région parisienne avec ses sept millions d’habitants agglomérés sont clairement répulsives. Mais les métropoles pourraient être des réseaux de nœuds urbains plus modestes, comme en Italie ou en Allemagne, des grappes de villes de 50 000 à 500 000 habitants. On est bien à l’échelle des 100 kilomètres définis par Edouard Philippe. On observe cela depuis longtemps dans l’ouest de la France, du Havre à Nantes, de Rennes aux abords de la région parisienne avec des agglomérations intermédiaires comme Angers ou Le Mans, à condition qu’elles fonctionnent davantage ensemble. Cette crise nous invite à inventer un système métropolitain plus léger et plus maillé. Toulouse par exemple manque encore de relais. La métropole ne peut s’appuyer que sur des petites villes ou des « petites moyennes » : Albi, Auch, Montauban… Si l’on veut éviter qu’elle devienne un jour une métropole de 1,5 million d’habitants, il lui faut accepter des réels relais métropolitains dans un rayon de 100 kilomètres.
Le concept de résilience urbaine se répand dans les grandes villes à la faveur de cette crise. Que dit-il de la situation de nos pôles urbains ?
C’est sans doute le concept clé des réflexions urbanistiques des prochaines années. Il interroge notre vulnérabilité, notre capacité à créer des systèmes immunitaires capables de résister à un choc et pose des questions très intéressantes. Il s’agit de nos capacités à affronter non pas l’incertain mais l’imprévisible. Personne ne peut prétendre répondre par une réponse toute prête. Cela interpelle le mode de fonctionnement des transports, des espaces publics, des systèmes de santé, etc.
La résilience incite-t-elle forcément les villes à devenir décroissante ?
Pas nécessairement. D’ailleurs, celui qui viendra parler de décroissance alors que l’on entre dans la récession la plus effroyable de notre histoire n’aura pas beaucoup de succès. Je préfère parler de post-croissance et de notre capacité à nous développer autrement que dans une course à l’accumulation. Continuons à faire circuler des avions mais pas forcément plus gros ou pour aller plus vite.
Vous avez mené beaucoup de travaux de prospective territoriale dans votre carrière. Aviez-vous imaginé un scénario semblable à celui que nous vivons aujourd’hui ?
Jamais. On pensait les grandes pandémies derrière nous. La leçon, c’est que l’anticipation ce n’est pas la prophétie, mais c’est la capacité d’adaptation, la souplesse collective, la vitesse de bifurcation. Il faut travailler cela particulièrement dans les grandes villes qui sont truffées de réseaux très vulnérables. Voilà ce qu’est l’urbanisme résilient.