Popularité: Pour Macron, la reconquête pourrait être longue, très longue
Analyste politique et spécialiste des sondages, Gérard Le Gall, ancien conseiller auprès du Premier ministre Lionel Jospin, fut le seul à prévoir le risque d’une élimination de ce dernier au premier tour de la présidentielle, le 21 avril 2002. Vingt et un ans plus tard, un an après la réélection d’Emmanuel Macron à l’Élysée il revient dans le JDD sur la situation politique.
Fort de vos analyses, et notamment de celles des derniers sondages parus en vue de 2027 et avantageux pour l’extrême droite, considérez-vous que Marine Le Pen peut gagner ?
Même avec l’expérience acquise après trois tentatives, chacune marquant une sensible progression (2012, 2017 et 2022) et une nationalisation électorale, je ne pense pas qu’elle puisse l’emporter en 2027. Toutefois, après 2022, elle est entrée de plain-pied, pour la première fois, dans le champ du possible. Mais il y a loin entre le champ du possible et la certitude de victoire. Mon hypothèse stratégique, qui va guider la lecture du quinquennat, est à ce jour qu’elle atteindra le second tour, mais sans l’emporter. Une remarque néanmoins : si Jean-Luc Mélenchon, excellent candidat mais insuffisamment rassembleur, est au second tour, alors les pesanteurs peuvent jouer pour la candidate du RN.
Qu’est-ce qui est rédhibitoire au RN ?
Il me semble que, malgré des progrès d’image et des tests d’aptitude, la société française ne me paraît pas prête à ce qui s’apparenterait à une forme d’aventure. Principalement en raison des risques accrus, pour la France, en matière de crédibilité économique, des positions du RN sur l’Europe et les grandes questions internationales, et des risques accru, au regard d’un maintien de l’ordre public déjà bien fragile.
. Aujourd’hui, plus de vingt ans plus tard, le pronostic d’une Le Pen au second tour, voire élue, relève presque de l’évidence…
Oui, à l’écoute des médias, il apparaît que l’affaire est déjà jouée ! Je respecte les données sondagières. Je les ai toujours lues avec distanciation, et parfois à l’aune de certains questionnements, avec esprit critique. Les récentes enquêtes que vous évoquez ont été réalisées dans un contexte très particulier, marqué par un net fléchissement du Président, des zizanies multiples au sein de la Nupes, un désarroi de LR et, en contrepoint, une unité sans faille du RN derrière sa cheffe. Quant aux sondages actuels de second tour, pardonnez-moi, mais je n’y accorde pas le moindre crédit.
Emmanuel Macron semble tout de même au fond du trou en popularité…
Depuis 1958, tous les Présidents ont connu des situations difficiles, et parfois une forte altération de leur image. À ce stade, Emmanuel Macron ne connaît pas les niveaux les plus bas de son premier quinquennat, ni de ses deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande. La moyenne de tous les baromètres publiés est de l’ordre de cinq points supérieurs à ses plus bas niveaux, fin 2018, au plus fort de la crise des Gilets jaunes. La relecture des sondages postérieurs aux grands mouvements sociaux – la grève des mineurs de 1963 sous de Gaulle, le mouvement social de 1995 sous Chirac et Juppé, celui de 2010 sous Sarkozy ou encore les Gilets jaunes – montre à chaque fois de forts reflux, puis des phénomènes de rémanence.
Peut-il rebondir ?
Le règlement de la question des retraites n’induira pas un retour de l’opinion à la situation antérieure. Il n’y a pas de fatalité. Mais la reconquête peut être longue. Au Président de trouver le bon rythme, les bons comportements et les bonnes décisions pour amorcer un processus vertueux.
Le macronisme peut-il survivre à Emmanuel Macron ? L’année 2027 sera-t-elle la fin d’une parenthèse ?
Je me méfie des mots en « isme ». Le gaullisme s’arrête le 27 avril 1969, avec le référendum ; le pompidolisme le 2 avril 1974, avec la mort du Président ; le giscardisme, le 10 mai 1981, et ainsi de suite… Si la majorité présidentielle est capable en vue de 2027 de s’unir derrière un candidat, seule condition pour être au second tour, et si ce dernier l’emporte, alors ce serait interprété comme un succès pour Emmanuel Macron, et une forme de survivance.
Le PS peut-il renaître de ses cendres ?
La situation actuelle et son effacement de l’histoire, au regard d’un passé pas si lointain, invite à s’interroger afin de savoir s’il est, comme jadis les radicaux puis le PCF, sur la pente d’un déclin historique, ou au contraire d’une longue phase conjoncturelle atone. Pour l’heure, son dernier congrès a illustré sa division en deux blocs antagonistes, selon que l’on incline vers la Nupes ou vers son émancipation. De récentes initiatives autour de Bernard Cazeneuve pourraient encore exacerber les tensions. Outre l’absence de leadership et d’identité politique affirmée, l’obstacle majeur pour le PS réside dans le fait qu’il a perdu le leadership de la gauche. Et que désormais, le centre de gravité idéologique de celle-ci apparaît depuis 2017 à la gauche de la gauche, chez LFI, le PCF et EELV.
En quoi la Nupes ressemble-t-elle à la gauche plurielle de 1997 ?
La gauche plurielle fut, contrairement à la Nupes, une construction patiente, entre le PCF, le PS et les Verts, pour l’élaboration d’un programme de gouvernement. À l’époque, cette stratégie a permis de l’emporter à l’issue d’une campagne derrière un leader incontesté, Lionel Jospin. La Nupes, partant d’un niveau bas, a gagné beaucoup de sièges, mais est restée très loin de la victoire. En 1997, on ne retrouvait pas de tentation de radicalité, ni de communication fracassante, mais un souci de respect des équilibres entre partenaires politiques. Cependant, malgré une bonne gouvernance et un bon bilan, la gauche plurielle a explosé à travers des candidatures très plurielles, in fine suicidaires, sans respect durant la campagne du travail réalisé en commun pendant cinq ans.
Le 21 avril est-il à vos yeux un accident de l’histoire, ou annonçait-il une évolution politique majeure ?
Oui, ce fut un accident de l’histoire. Il n’a pas été anticipé, et donc pas susceptible d’être régulé. L’événement a montré la puissance de la capacité du rebond du FN, trois ans après un lourd échec aux européennes de 1999. Seul Nicolas Sarkozy parviendra en 2007 à le faire fortement reculer. Quelques années plus tard, le FN, puis le RN, ont repris l’irrésistible marche ascendante. Vingt ans plus tard, un autre accident historique s’est produit à propos des législatives. Pour ma part, j’avais prévenu un ancien conseiller à l’Élysée, fin février 2022, pour lui dire que ces législatives seraient très difficiles. Le petit miracle de productivité électorale de 2017, l’effet de souffle, l’abstentionnisme différentiel pour les concurrents, ne se reproduirait pas cette fois. Il ne pouvait pas avoir une majorité absolue. C’était tout simplement impossible.