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Action publique et logique financière

Action publique et logique financière

Le dernier remaniement ministériel du 20 juillet 2023 a donné lieu à son lot traditionnel de discours de passation de pouvoir, dont ceux, à Bercy, de Gabriel Attal, en partance pour l’Éducation nationale, et de son successeur Thomas Cazenave à la fonction de ministre délégué chargé des comptes publics. Ce passage de relais s’est voulu inscrit dans la continuité. Le nouveau ministre a ainsi déclaré vouloir poursuivre le travail de désendettement de son prédécesseur . Jusqu’à présent, la transformation de l’action publique en France a surtout été guidée par les principes d’un New Public Management dont on peut douter de son caractère novateur (déployé au milieu des années 1980 dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande). Fondé sur les pratiques du secteur privé (notamment des industries automobile comme General Motors et chimique comme Dupont de Nemours), il promeut davantage de discipline dans l’utilisation des ressources financières, une intensification de la concurrence public/privé et public/public, la fragmentation des structures publiques en unités évaluables ainsi qu’une grande attention portée à la définition d’objectifs et aux résultats; Pour mettre en application ces principes, l’État français a notamment déployé des dispositifs de contrôle de gestion dans l’ensemble de la fonction publique (hôpitaux, lycées, universités, collectivités territoriales, ministères de la Défense, de la Justice, de l’Intérieur, de la Culture, etc.) : découpage de l’ensemble de l’administration en centres de responsabilité, mise en place de nombreux systèmes de calcul des coûts, création d’un nombre incommensurable d’indicateurs, développement de systèmes de reporting et quasi-généralisation du « benchmarking » (comparaison des différents acteurs).

PAR
Marc Bollecker
Professeur des universités en sciences de gestion, Université de Haute-Alsace (UHA)

Angèle Renaud
Professeure des universités, Directrice du CREGO, IAE Dijon – Université de Bourgogne
DANS tHE cONVESRSATION

L’orientation financière donnée à ces dispositifs a incité les décideurs publics français à voir la transformation de l’action publique davantage sous l’angle des économies budgétaires que sous celui de l’efficacité du service public. Si le redressement des finances publiques et le retour du déficit sous la barre des 3 % restent les priorités de Bercy, il faut espérer que les dispositifs employés pour transformer l’action publique ne détournent pas davantage les décideurs publics de leurs missions et priorités originelles : être au service du patient, de l’élève, de l’étudiant, du citoyen…

En effet, l’action publique guidée par l’intérêt général et le bien commun différencient fondamentalement les organisations publiques de celles du privé.

Un collectif de 21 praticiens de structures publiques et d’universitaires français, belges et canadiens s’est penché sur cette question dans un ouvrage paru en 2023 : « Repenser le management des organisations publiques sous le prisme du contrôle de gestion » (Éditions Vuibert). Il ressort de ces fructueuses réflexions et nombreux points de vue que, si les décideurs publics continuent à mobiliser des dispositifs de contrôle, les réduire à leur seule dimension financière (efficience et économie du New Public Management) constitue un écueil majeur à éviter.

La conception la plus répandue du contrôle de gestion dans le monde (y compris dans le secteur marchand) s’inscrit en effet dans une visée plus ambitieuse : assurer que les ressources sont allouées et utilisées avec efficacité et efficience pour la réalisation des objectifs organisationnels. Il s’agit donc de l’utilisation de ces dispositifs de contrôle par les décideurs publics en priorité pour les guider dans la réalisation de leur mission originelle : servir l’intérêt général dans le respect des biens communs.

Dans cette perspective, le contrôle de gestion devrait favoriser une lecture « hybride » de l’action collective s’il ne s’enferme pas dans une logique financière. Il est porteur d’une diversité de logiques qui font la performance publique.

En particulier, ce contrôle de gestion « hybride » peut déployer des objectifs multidimensionnels hiérarchisés et non seulement budgétaires ; adapter des instruments de gestion issus du secteur privé aux singularités de chacune des organisations publiques qui les utilisent ; de mobiliser ces dispositifs non seulement à des fins de vérification de la mise en œuvre des politiques publiques mais aussi de changement de long terme en encourageant les initiatives individuelles des agents.

Par exemple, une ville de l’ouest de la France de 140 000 habitants, associée à une communauté d’agglomération de 30 communes, s’est engagée dans la révision de ses politiques publiques. Pour définir les grandes orientations, la ville s’est appuyée conjointement sur un contrôle de gestion à orientation diagnostique et un contrôle de gestion à orientation interactive formalisé par le spécialiste américain en sciences du management Robert Simons en 1994. Le premier visait la formalisation de contrats d’objectifs multidimensionnels entre la direction générale et les différents services, ainsi que l’animation du suivi des actions proposées et retenues par les élus. Le second était focalisé sur des réunions de dialogue de gestion regroupant les cadres et les employés pour décider des améliorations à apporter aux grandes orientations.

Ces logiques hybrides visent à limiter le risque de myopie des décideurs publics, c’est-à-dire celui d’une focalisation excessive sur des questions budgétaires.

Penser le contrôle de gestion publique sous l’angle de l’hybridité constitue donc bien le corollaire de la recherche de l’intérêt général qui s’inscrit, par définition, dans une vision multidimensionnelle de l’action publique. Penser le contrôle de gestion publique suppose d’impliquer les acteurs – élus, agents, usagers – dans un dialogue constructif qui vise à traiter les divergences inhérentes à cette vision, c’est-à-dire de s’appuyer sur les fondements de la démocratie.

Thibault Lieurade

Politique-«La logique structurale de la démocratie contemporaine, c’est la démagogie»

Politique-«La logique structurale de la démocratie contemporaine, c’est la démagogie»

Par Vincent lamkin, associé-fondateur de Comfluence, président d’Opinion Valley

dans l’Opinion

La critique des élites au nom du peuple est une vieille antienne, mais ses meilleurs serviteurs ne sont pas forcément ses avocats zélés. Car l’idéal démocratique n’a de portée que si gouvernants et gouvernés s’élèvent ensemble : c’est cette exigence qui permet l’équivalence des rôles, la circulation des individus dans le système social et une élévation mutuelle dans la relation au monde
Les élites – voilà un sujet qui coagule à lui seul le mauvais sang que se font nos vieilles démocraties. Le mot est censé convoquer « les meilleurs d’entre nous », inspirer le respect. Mais jetez-le en pâture, il tourne à l’humeur, au vinaigre, à l’insulte.

Serions-nous à un tournant historique – de ceux où les sociétés purgent les sommets pour y mettre de nouvelles têtes ? En France, à chaque nouveau coup de sonde, les baromètres confortent la défiance de l’opinion publique française envers ses élites dirigeantes.

De par le monde, on s’étonne – ou on ne s’étonne plus – de voir sacrés par le suffrage ces leaders inattendus, qu’on rassemble dans l’internationale du populisme… Plus pragmatiques qu’idéologues aux yeux de leurs électeurs, cassant volontiers les codes du jeu politique, ils ont pour point commun de construire leur légitimité sur un mépris certain des élites, qui le leur rendent bien.
En France, l’élection d’Emmanuel Macron a été la victoire – dans un exceptionnel concours de circonstances – d’une certaine idée de l’élitisme qui aura surtout contribué à faire monter les extrêmes et à exacerber les radicalités. Jamais Président sous la Ve République n’a concentré sur sa personne une impopularité si intensément haineuse. Le chef de l’Etat, qui aime à ouvrir Versailles pour recevoir ses hôtes de marque, s’est trouvé symboliquement rattrapé par ce haut lieu de mémoire. L’accusation pouvant se résumer ainsi : Marie-Antoinette était étrangère à son pays, Emmanuel Macron est étranger à la société.

La critique des élites au nom du peuple est une vieille antienne, mais ses meilleurs serviteurs ne sont pas forcément ses avocats zélés. Car l’idéal démocratique n’a de portée que si gouvernants et gouvernés s’élèvent ensemble : c’est cette exigence qui permet l’équivalence des rôles, la circulation des individus dans le système social et une élévation mutuelle dans la relation au monde.

La logique structurale de la démocratie consumériste contemporaine, ce par quoi elle tient désormais, c’est la démagogie. En quoi consiste-t-elle ? A demander toujours moins à des individus qui en demandent toujours plus
Or, nous vivons depuis plusieurs décennies une perversion lente du pacte démocratique et républicain ; affrontant un appauvrissement sans précédent de nos échanges symboliques. La logique structurale de la démocratie consumériste contemporaine, ce par quoi elle tient désormais, c’est la démagogie. En quoi consiste-t-elle ? A demander toujours moins à des individus qui en demandent toujours plus.

Ce n’est pas le courage des élites politiques – on le cherche – qui explique leur impopularité ou celle de leurs réformes, mais la toile de fond qui préfigure leur montée en scène. La démagogie des promesses politiques, la festivité sans contenu des grandes victoires électorales, les concessions faites aux logiques communautaristes, la société de l’information spectacle : voilà qui prépare le terrain à une ingouvernabilité croissante des démocraties.

Sensationnalisme. Dans le champ médiatique triomphe le sensationnalisme. Nous saute aux yeux la jouissance morbide des chaines d’information quand elles savent qu’un fait divers d’ampleur leur fera trois ou quatre jours. Affligeant, dans le champ du divertissement, ce voyeurisme stérile et racoleur de la téléréalité, qui finit par produire de nouvelles icônes sociales dont il serait bien difficile de dire à quelle élite elles appartiennent, et qui constituent pourtant une forme de référence pour nombre de jeunes gens qui y puisent peut-être des modèles d’inspiration et de réussite.

Dans le champ culturel et éducatif, c’est le triomphe du relativisme absolu. Le règne du « tout se vaut » qui permet de ne se fâcher avec personne, de bannir toute forme d’autorité morale et de se draper dans les meilleures intentions du monde en mettant tout et n’importe quoi sur un pied d’égalité.

Julien Benda avait dénoncé, dans la première moitié du vingtième siècle, la trahison des clercs, déplorant notamment le fourvoiement des intellectuels dans le champ des idéologies politiques. Il faut sans doute admettre que nous avons amorcé dans les dernières décennies du XXe siècle une autre trahison, celle des élites, sous l’effet d’un consumérisme généralisé de la relation.

La relation entre élites et gouvernés est doublement viciée. D’un côté, corrélativement à leur affaiblissement statutaire, les premières n’ont cessé de revoir à la baisse leurs exigences et de trahir leur intégrité intellectuelle pour préserver leurs prébendes… La conquête se fait quête ! De l’autre, des individus flattés dans leurs pulsions et légitimés dans leurs désirs par la société de consommation, enclins à revoir à la hausse (c’est-à-dire à la baisse) leurs attentes. En tirant le peuple vers le bas, les élites ne cessent d’abaisser leur propre niveau d’expression et les ambitions collectives qu’elles portent.

Comme l’écrivit l’écrivain Nicolás Gómez Dávila, non sans ironie, « on est venu à bout des analphabètes, pour multiplier les illettrés ». Le pire est que cette approche ne créé pas de la satisfaction durable, mais de la frustration à répétition. L’enfant roi a son corollaire : un citoyen gâté, nourri au ressentiment.

Vincent Lamkin est associé-fondateur de Comfluence, président d’Opinion Valley.

Société-Enseignants : une baisse de niveau logique

Société-Enseignants : une baisse de niveau logique

Les jurys d’académie constate avec tristesse la baisse de niveau des candidats. On ne devrait guère être surpris pourtant car cette baisse de niveau est consubstantielle à la délivrance de diplômes dévalorisés.

Tout commence évidemment à l’école primaire, se poursuit en secondaire avec le collège unique, continue avecun Bac dans le taux de réussite atteint plus de 91 %.( Pour mémoire dans les années 55-60 le taux de réussite tournait autour de 5 %). Beaucoup de ces diplômés se retrouvent dans l’enseignement supérieur où on distribue trop souvent les récompenses comme des poignées de mains jusqu’au bac plus 5.

Il suffit par exemple de voir le thème très ésotérique des thèses soutenues qui sont davantage une vérification de l’adhésion aux thèses gauchistes à la mode qu’à une évaluation des connaissances.Un seul exemple, celui de Sandrine Rousseau promue docteur en économie; elle a en effet un doctorat en sciences économiques avec les félicitations du jury, pour une thèse intitulée « Économie et environnement, une analyse régulationniste (!)de la rente environnementale », qui aborde les rapports sociaux à l’environnement et leur impact sur les processus d’accumulation. Bref il s’agit davantage de solliciter la sensibilité aux problématiques de gauche que de prouver des connaissances.

Malheureusement ces diplômes dévalorisés ne peuvent déboucher sur des emplois dans le privé. Et beaucoup se rabattent dans l’éducation nationale.

Partout en France, les jurys d’académie pointent donc des faiblesses criantes des futurs professeurs des écoles en maîtrise de la langue française.
Des étudiants de niveau bac+5 qui ne connaissent pas le mot «chancelant», qui confondent déterminants et pronoms et dont les références littéraires sont pauvres, supplantées par les séries et dessins animés.

Alors que les inscriptions aux concours enseignants 2023 viennent de se clôturer – avec une prolongation de 15 jours pour tenter de grossir les rangs des candidats -, les rapports de jury des épreuves 2022 viennent cruellement éclairer le niveau des futurs professeurs des écoles.

Publiés par les académies avant que ne débute la future session, pour aiguiller les candidats, ils pointent, partout en France, d’importantes lacunes en maîtrise de la langue française. «Les qualités rédactionnelles demeurent essentielles pour ce concours visant à recruter de futurs experts qui ont en charge l’apprentissage de la langue aux plus jeunes de nos élèves, rappelle le rapport de jury de l’académie d’Aix-Marseille.

Enseignants : une baisse de niveau logique

Enseignants : une baisse de niveau logique

Les jurys d’académie constate avec tristesse la baisse de niveau des candidats. On ne devrait guère être surpris pourtant car cette baisse de niveau est consubstantielle à la délivrance de diplômes dévalorisés.

Tout commence évidemment à l’école primaire, se poursuit en secondaire avec le collège unique, continue un Bac dans le taux de réussite atteint plus de 91 %.( Pour mémoire dans les années 55-60 le taux de réussite tournait autour de 5 %). Beaucoup de ces diplômés se retrouvent dans l’enseignement supérieur où on distribue trop souvent les récompenses comme des poignées de mains jusqu’au bac plus 5.

Il suffit par exemple de voir le thème très ésotérique des thèses soutenues qui sont davantage une vérification de l’adhésion aux thèses gauchistes à la mode qu’à une évaluation des connaissances.Un seul exemple, celui de Sandrine Rousseau promue docteur en économie; elle a en effet un doctorat en sciences économiques avec les félicitations du jury, pour une thèse intitulée « Économie et environnement, une analyse régulationniste de la rente environnementale », qui aborde les rapports sociaux à l’environnement et leur impact sur les processus d’accumulation. Bref il s’agit davantage de solliciter la sensibilité aux problématiques de gauche que de prouver des connaissances.

Malheureusement ces diplômes dévalorisés ne peuvent déboucher sur des emplois dans le privé. Et beaucoup se rabattent dans l’éducation nationale.

Partout en France, les jurys d’académie pointent donc des faiblesses criantes des futurs professeurs des écoles en maîtrise de la langue française.
Des étudiants de niveau bac+5 qui ne connaissent pas le mot «chancelant», qui confondent déterminants et pronoms et dont les références littéraires sont pauvres, supplantées par les séries et dessins animés.

Alors que les inscriptions aux concours enseignants 2023 viennent de se clôturer – avec une prolongation de 15 jours pour tenter de grossir les rangs des candidats -, les rapports de jury des épreuves 2022 viennent cruellement éclairer le niveau des futurs professeurs des écoles.

Publiés par les académies avant que ne débute la future session, pour aiguiller les candidats, ils pointent, partout en France, d’importantes lacunes en maîtrise de la langue française. «Les qualités rédactionnelles demeurent essentielles pour ce concours visant à recruter de futurs experts qui ont en charge l’apprentissage de la langue aux plus jeunes de nos élèves, rappelle le rapport de jury de l’académie d’Aix-Marseille.

Royaume-Uni: La logique du déclin après le Brexit

Royaume-Uni: La logique du déclin après le Brexit

En faisant souffler un vent de libéralisme teinté de populisme et de conservatisme obtus sur un Royaume-Uni fragilisé, le gouvernement de Liz Truss conduit le pays dans une impasse, estime dans sa chronique Stéphane Lauer, éditorialiste au « Monde ». Le panthéon des plus grandes erreurs de politique économique vient de s’enrichir d’un nouveau cas d’école. En décidant de faire souffler un vent de libéralisme teinté de populisme et de conservatisme obtus sur un Royaume-Uni fragilisé par son isolement post-Brexit, une économie minée par l’inflation et une crise énergétique sans précédent, la première ministre britannique, Liz Truss, et son chancelier de l’Echiquier, Kwasi Kwarteng, plongent leur pays dans une grave crise financière.

Pour doper la croissance, Liz Truss, à peine nommée, lance, le 23 septembre, un gigantesque plan de réduction d’impôts, jamais vu depuis 1972, qui n’est pas financé, avec pour corollaire un programme de soutien aux ménages britanniques pour payer leurs factures de gaz et d’électricité. Un cocktail détonnant qui menace la soutenabilité de la dette britannique. La réaction des marchés financiers ne s’est pas fait attendre en propulsant la livre à ses plus bas historiques et les rendements des obligations d’Etat à des sommets. Le 3 octobre, Kwasi Kwarteng annonce revenir sur sa baisse d’impôt sur le revenu pour les plus riches. Le gouvernement avait modestement qualifié son initiative de « mini-budget », il doit désormais en gérer les « maxi-effets ».

« C’est la caractéristique des situations où la crédibilité est perdue », résume Larry Summers, ex-secrétaire au Trésor sous Bill Clinton entre 1999 et 2001, qui a qualifié les annonces du gouvernement britannique de « totalement irresponsables ». « Cela se produit le plus souvent dans les pays en développement, mais cela s’est déjà produit avec François Mitterrand avant qu’il ne fasse volte-face [en 1983], avec l’administration Carter avant Volker [nommé président de la Fed en 1979], et avec Oskar Lafontaine en Allemagne [en 1999] ».

Liz Truss devient donc la première femme à intégrer ce club sélect des dirigeants, qui, par dogmatisme, ont choisi de faire cavalier seul, à rebours de l’environnement économique. « C’est un gouvernement qui donne l’impression d’être très loin des réalités avec des références idéologiques qui, dans le contexte actuel, sont vouées à l’échec », estime l’économiste Véronique Riches-Flores, présidente de RF Research.

La première ministre a voulu appliquer une énième version de la « théorie du ruissellement » consistant à baisser les impôts des plus aisés pour doper la croissance. Les investisseurs ont douté, tandis que le Fonds monétaire international a pris ses distances avec « des plans fiscaux massifs et non ciblés » et s’est inquiété de mesures qui « vont probablement accroître les inégalités ».

PS: Un effondrement historiquement logique

PS: Un effondrement historiquement logique

Le premier tour de l’élection présidentielle 2022 marque l’effondrement de l’une des plus vieilles organisations partisanes de France. Par Mathieu Fulla, Sciences Po.

Un article intéressant mais qui fait l’impasse sur le fait que la chute du parti socialiste a démarré avec François Mitterrand quand il a peu après son élection tourné le dos aux valeurs et aux propositions socialistes. Sans parler de la détestation des élites du parti pour les couches moyennes et sociales qu’ils étaient supposés représenter. Pour preuve, le parti a été entièrement phagocyté par les technocrates et autres professionnels de la politique

Le score de 1,72 % de suffrages exprimés en faveur d’Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste, lors du premier tour de l’élection présidentielle 2022, marque sans ambiguïté l’effondrement de l’une des plus vieilles organisations partisanes de France, héritière de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) fondée en 1905 sous l’impulsion de Jean Jaurès et de Jules Guesde. [Refondé en 1969], le Parti socialiste a pris son essor à la suite du congrès d’Épinay de 1971 qui installe François Mitterrand à sa tête.

Si son histoire a connu de nombreux rebondissements, la fin du quinquennat de François Hollande (2012-2017) ouvre des failles profondes qui ne sont toujours pas refermées.

Les fractures du quinquennat Hollande

L’élection présidentielle de 2017 met en lumière l’affaiblissement du PS dont témoigne le score déjà historiquement faible réalisé par son candidat Benoît Hamon. La majorité des cadres du parti, de même que ses élites gouvernementales, se rallient à la candidature d’Emmanuel Macron. Au niveau de l’électorat, la logique de « vote utile » joue à plein. Les électeurs reportent massivement leurs voix vers l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande mais aussi, pour une part significative, vers Jean-Luc Mélenchon, qui attire alors 16 % des électeurs ayant voté François Hollande au premier tour en 2012.

Ces résultats soulignent l’accentuation des divisions internes de la famille socialiste sous le quinquennat Hollande. Celles-ci commencent à poindre après le « choc » du 21 avril 2002 et, plus encore, du référendum de 2005 pour une Constitution européenne, où le camp du « non » compte de chauds partisans comme Laurent Fabius ou Henri Emmanuelli. Le discours du Bourget prononcé par le candidat Hollande en janvier 2012, cristallise un malentendu entre ce dernier et son électorat.

Exaspérés par la politique sécuritaire, le climat de tensions et les affaires de la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012), la plupart des électeurs socialistes ne veulent pas voir (ou prendre au sérieux) la modération du programme économique et social de François Hollande. Sa charge contre la finance, qu’il désigne comme son ennemi principal, et son engagement pour un contrôle plus important des produits financiers toxiques relèvent davantage de considérations tactiques que d’une conviction de fond. Les fondements de son programme économique portent sur la compétitivité des PME et le retour à l’équilibre des finances publiques dès la fin du quinquennat. Le président assume d’ailleurs rapidement cette approche « social-libérale » et annonce, en novembre 2012, la mise en place du CICE, un crédit d’impôt sur les bénéfices des entreprises à hauteur de 20 milliards d’euros par an.

L’approfondissement de cette orientation économique avec la nomination de Manuel Valls à Matignon en mars 2014 conduit quelques mois plus tard à la démission du ministre de l’Économie d’alors, Arnaud Montebourg, ainsi qu’à celle de Benoît Hamon, éphémère ministre de l’Éducation nationale. Peu après, une partie du groupe parlementaire socialiste affirme à son tour publiquement son opposition à la voie « social-libérale », personnifiée par le Premier ministre et son nouveau ministre de l’Économie, Emmanuel Macron. Ces députés « frondeurs » s’opposent au gouvernement jusqu’à la fin du quinquennat, traduisant la faiblesse du leadership du président sur le parti dont il avait longtemps été le premier secrétaire.

Si la politique économique de François Hollande fut bien éloignée du discours du Bourget, il est important de noter la continuité de ses positions sur le sujet. Proche de Jacques Delors dans les années 1980, il propose alors de répondre aux défis de la mondialisation et de l’approfondissement de la construction européenne par une politique fondée sur la compétitivité des entreprises et une flexibilité accrue du marché du travail qui serait contrebalancées par la défense de l’État social, une protection plus individualisée des travailleurs et le développement de la formation continue. Sous son quinquennat néanmoins, ses choix politiques sur des sujets économiques, sociaux mais aussi régaliens déstabilise et clive sa famille politique, au premier chef la proposition de déchéance de nationalité à la suite des attentats du Bataclan en 2015 puis la loi travail dite loi El Khomri l’année suivante, qui accroît la flexibilité du marché du travail.

Des élites socialistes de plus en plus déconnectées de leur électorat

Comment comprendre ces propositions en décalage avec l’idéologie de la gauche traditionnelle ? Les mutations sociologiques de l’électorat socialiste apportent quelques éléments d’explications. Ce dernier en effet a profondément évolué au cours des dernières décennies.

En 1981, 72 % des ouvriers et 62 % des employés ont voté pour François Mitterrand au second tour : des chiffres que la gauche n’a jamais retrouvés depuis.

En devenant un parti de gouvernement, les socialistes ont mis en œuvre, surtout après 1984 et la nomination à Matignon de Laurent Fabius, une politique économique privilégiant la modernisation industrielle, la libéralisation financière, et l’approfondissement de la construction européenne tout en s’efforçant de défendre l’État social dans un contexte de chômage de masse touchant l’ensemble des sociétés occidentales. Ces choix des socialistes au pouvoir, pas complètement assumés et expliqués, contribuent à éloigner le PS des classes populaires.

À partir des années 1990, ces électeurs se réfugient dans l’abstention. Une part significative rallie le Front national de Jean-Marie Le Pen tandis qu’une petite minorité opte pour des partis de gauche plus radicaux. Surtout, la gauche n’attire plus les nouvelles générations d’ouvriers et d’employés qui, après 1995, votent majoritairement et sans discontinuer pour la droite et l’extrême droite.

Ce divorce avec les couches les plus populaires de l’électorat s’accompagne d’une autre rupture, plus progressive et silencieuse, avec les personnels de l’État, longtemps bastion privilégié du socialisme français. Depuis les années 2000, les enseignants ont par exemple cessé de voter en masse pour le PS, à l’exception notable de l’élection présidentielle de 2012) lui reprochant des prises de positions trop favorables à l’égard de la mondialisation libérale et des politiques éducatives ne répondant pas à leurs attentes.

En dehors de quelques mesures phares impulsées sous les gouvernements de Michel Rocard et Lionel Jospin – [Revenu minimum d'insertion], semaine des 35hcouverture maladie universelle - le parti assume en effet une politique de l’offre tournée vers la compétitivité des entreprises et la primauté d’une régulation de l’activité économique par des mécanismes de marché dont la puissance publique doit toutefois corriger les excès par des politiques sociales ciblées.

Ces orientations politiques creusent les divisions de la gauche et affaiblissent le PS. Si ce dernier s’est appuyé sur des organisations telles que le Parti communiste ou les Verts pour nouer des alliances ponctuelles au gré des scrutins européens ou locaux, il ne parvient plus à créer une dynamique, comme ce fut par exemple le cas dans les années 1970.

À partir de 2017, le rejet assumé du clivage gauche-droite par Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, rejoignant sur ce point la position des leaders du FN qui, dès la fin des années 1990, lui substituent l’opposition entre « mondialistes » et « nationaux », porte un coup dur au PS désormais perçu comme l’une des principales incarnations du « vieux monde » politique.

La faiblesse des réseaux socialistes

L’enracinement sociétal de la SFIO puis du PS qui, contrairement aux social-démocraties d’Europe du Nord, furent toujours des partis d’élus et non de masse, est resté faible à l’exception de rares fédérations emblématiques comme celle du Nord. Dans les années 1970 cependant, le décollage du PS s’explique par une capacité de mobilisation au-delà de ses traditionnelles mairies. Le parti trouve des relais dans des syndicats ouvriers (la CFDT) et étudiants (l’UNEF) mais aussi dans les milieux associatifs et coopérateurs. Il est ainsi courant que les militants PS soient également encartés à la CFDT et exercent des fonctions associatives, par exemple dans les fédérations de parents d’élèves. L’influence du PS sur ces réseaux a disparu depuis longtemps et l’épisode de la Loi Travail a achevé de déstabiliser la CFDT, historiquement ouverte à un dialogue (qui ne fut jamais simple) avec le socialisme de gouvernement.

Plus largement, dans la perspective d’une recomposition et d’une réinvention du PS, l’affaiblissement des corps intermédiaires, qui s’est accéléré sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, le prive d’un levier de sortie de crise.

Un autre facteur, plus souterrain, peut également être mobilisé pour comprendre la déconnexion croissante entre les élites socialistes et la société. Il réside dans la relation que cette organisation entretient avec l’État depuis les années 1980. Des politistes ont mis en lumière un phénomène de « cartellisation ». En devenant un parti de gouvernement, le PS a accru sa dépendance vis-à-vis de l’État non seulement pour ses finances, de plus en plus dépendantes de l’argent public, mais aussi pour son expertise avec la pénétration massive de hauts fonctionnaires au sommet de l’appareil. Cette mue du PS en une « agence semi-publique centralisée » l’a considérablement éloigné des militants et de la société.

Facteurs de court, moyen et long terme se conjuguent donc pour expliquer le score dérisoire de la candidate socialiste au premier tour de l’élection présidentielle. Depuis 2017, le PS est bien en voie de « pasokisation », vocable passé dans le langage des sciences sociales en référence au Parti socialiste grec (PASOK) qui disparaît presque complètement du paysage politique à la suite de la terrible crise économique et sociale ayant frappé le pays à la fin des années 2000. Pasokisation n’est cependant pas synonyme de disparition.

Comme l’ont montré de nombreux travaux, « les partis meurent longtemps » et disposent d’une forte capacité de résilience dont témoigne le regain électoral timide mais réel de certains partis sociaux-démocrates européens. Le PASOK lui-même pourrait offrir un bon exemple de sortie de crise au PS : après une décennie compliquée, cette organisation retrouve des couleurs grâce à la réactivation de réseaux d’élus et de syndicalistes locaux ainsi qu’à l’émergence d’un nouveau leader.

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Par Mathieu Fulla, Agrégé et docteur en histoire, membre permanent du Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP), Sciences Po.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Économie : changer de logique

Économie : changer de logique

Pour répondre à l’urgence écologique, Eloi Laurent appelle à se détacher de la pensée dominante centrée sur la croissance.(Le Monde)

« Le sommeil de la raison engendre des monstres. » Dans l’épigraphe de son ouvrage La Raison économique et ses monstres (Les liens qui libèrent), l’économiste Eloi Laurent convoque l’artiste espagnol Francisco de Goya (1746-1828), citant le nom de l’une de ses gravures. Une manière de nous inviter à nous interroger sur la notion de léthargie, celle dans laquelle serait plongé le débat économique contemporain. Celle, aussi, dont pourrait être victime le lecteur lui-même, face à une « pensée dominante » centrée sur la croissance.

A-t-on encore prise sur les choix économiques ? L’auteur, qui enseigne notamment à Sciences Po et à l’université de Stanford (Californie), répond par l’affirmative dans un essai bref et au rythme enlevé, qui représente le troisième volume de ses « Mythologies économiques ». Ces choix ne sont pas, selon lui, « des vérités scientifiques qui s’imposeraient à nous comme les lois de la physique ou de la biologie ». A la résignation qui a pu gagner certains cercles, il oppose la capacité d’action et la possibilité de changer de cap. Il l’assure : « L’économie, c’est nous. »

Ce changement est une urgence, à ses yeux, tant « nos systèmes économiques aggravent les chocs écologiques d’une main et affaiblissent les institutions qui pourraient nous en protéger de l’autre ». Pour l’engager, une étape préalable s’impose : déconstruire le récit actuel, fait de « mythologies » et d’« apparences » dont il convient de se « désintoxiquer ».

L’économie prend au fil des pages la forme d’un « monstre mythologique », d’une « chimère à trois têtes »« La première, la tête de chèvre, ânonne sans fin le présent : nous devons réformer pour performer », explique Eloi Laurent. C’est la vision du néolibéralisme. Une vision mise à mal selon lui par l’épidémie de Covid-19, qui a consacré « le triomphe de l’Etat-providence ».

L’auteur souligne que, conséquence de la crise sanitaire, « ce sont des indicateurs de santé-environnement qui doivent désormais gouverner l’économie ».

La deuxième tête du « monstre » prend l’apparence d’un serpent. Elle « ressasse le passé et crache son venin nostalgique : nous devons nous venger de notre déclin ». Derrière elle se cache la social-xénophobie, une idéologie qui estime que « la submersion prochaine du modèle social [justifierait] de le défendre contre les profiteurs étrangers ». L’auteur démonte cette théorie, soulignant notamment l’attachement des Français à la solidarité sociale.

La troisième tête qui émerge de l’essai d’Eloi Laurent est celle d’un lion. Il « brûle l’avenir de son souffle ardent : nous devons consommer, en nous consumant ». Telle est la description de l’écolo-scepticisme. La transition écologique s’annonce « horriblement coûteuse » ? L’auteur assure que « c’est la non-transition écologique qui est hors de prix ».

La Russie dans une logique de guerre totale

Directeur de l’IFRI (Institut français des relations internationales), l’historien Thomas Gomart, auteur notamment de Guerres invisibles (Tallandier, « Texto », 2021), analyse la stratégie de Vladimir Poutine et ses répercussions sur les équilibres mondiaux.

L’invasion de l’Ukraine est-elle une « guerre totale » différente des autres conflits qui ont secoué l’est de l’Europe depuis la fin de la guerre froide ?

Sur le plan strictement militaire, elle vise à créer le « choc et l’effroi ». C’est un tournant en raison de l’ampleur des moyens militaires et de la conduite politique de la guerre. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, puissance nucléaire et spatiale de tout premier plan, la Russie agresse l’Ukraine dans sa totalité, huit ans après avoir annexé la Crimée et déstabilisé le Donbass.

Depuis 2014, la Russie conduit principalement des guerres invisibles, c’est-à-dire sous le niveau de la guerre, par des moyens indirects. Ce qui la caractérise désormais, c’est la combinaison entre l’hybridité – cyber à haute dose, désinformation, opérations spéciales, coercition militaire, tout en jouant la diplomatie – et l’invasion mécanisée à grande échelle de son voisin. Vladimir Poutine menace « de conséquences comme il n’en a jamais vu dans son histoire » tout pays qui se mettrait en travers de sa route. Ce faisant, le président russe délivre un message nucléaire explicite, mais attire aussi notre attention vers l’espace ou la haute mer.

Evidemment. Tout d’abord pour les Ukrainiens, qui jouent la survie de leur Etat, et leur indépendance. Ensuite, cette guerre a déjà de multiples effets, notamment de modifier la grammaire nucléaire. Pour la France, l’arme nucléaire est fondamentalement une arme de non-emploi. Or, les doctrines nucléaires d’autres pays, comme la Russie, évoluent depuis plusieurs années en envisageant des formes de bataille nucléaire, c’est-à-dire d’éventuels usages tactiques de l’arme. Cela doit aussi nous conduire à penser latéralement, c’est-à-dire envisager « ces choses que personne n’a jamais connues » évoquées par Vladimir Poutine.

En novembre 2021, la Russie a, par un tir de missile, détruit en orbite l’un de ses vieux satellites pour montrer qu’elle était prête désormais à la guerre dans ou via l’espace exo-atmosphérique. Ainsi, montre-t-elle son refus de voir son territoire scanné en permanence par les Occidentaux. Quelles seraient les conséquences de la destruction d’un nombre X de satellites qui nous rendrait aveugles et sourds ? Quelles seraient les conséquences de la coupure de, par exemple, 20 % des câbles sous-marins par où transitent les données ? On ne le sait pas.

Politique : Macron drogué à la logique financière des banques

Politique : Macron drogué à la logique financière des banques

 

Audrey Tonnelier du Monde développe l’idée que Macron est davantage convaincu de l’efficacité de l’allègement de la fiscalité sur le capital que par des politiques industrielles impulsées par l’État. Finalement Macron reste imprégné de la philosophie des banques (d’affaires) . NDLR 

 

Chronique.  

Officiellement, il n’est pas encore dans la course. Même si, comme il l’a confié aux lecteurs du Parisien, le 4 janvier, « il n’y a pas de faux suspense » : « J’ai envie. » Emmanuel Macron se retrouve, à moins de trois mois du scrutin, dernier candidat non déclaré à la présidence de la République. Il n’a pas encore de programme détaillé, contrairement à la plupart de ses concurrents.

Dans le domaine économique, comme ailleurs (sécurité, Europe), le chef de l’Etat s’en tient à sa méthode : évoquer quelques sujets – refonte des droits de succession, revenu universel d’activité – et défendre son bilan. Même chose pour son ministre de l’économie, Bruno Le Maire, qui a longuement détaillé, lors de ses vœux à la presse, ses ambitions de baisses d’impôt supplémentaires pour les entreprises et d’allègement de cotisations sur les hauts salaires. Mais rien qui ne ressemble, pour le moment, à des propositions en bonne et due forme.

Il faut dire que, en cinq ans et deux crises majeures, celles des « gilets jaunes » et de l’interminable pandémie de Covid-19, le débat s’est déplacé. En 2017, côté économie, la campagne était focalisée sur l’inversion de la courbe du chômage, à laquelle François Hollande avait malencontreusement lié sa candidature. La réduction de la dette à droite – François Fillon avait dû se défendre de prôner « du sang et des larmes » – ou la sortie de l’euro (La France insoumise, Rassemblement national) occupaient aussi les débats. En ce début 2022, on parle davantage inflation et pouvoir d’achat, relocalisations, assouplissement des règles budgétaires et investissements.

Pour le chef de l’Etat, un fil rouge demeure toutefois : celui des entreprises et de l’emploi. Une « politique de l’offre » qu’Emmanuel Macron a toujours prônée – privilégier l’investissement de long terme et le soutien aux entreprises en espérant in fine créer de la croissance et des emplois – et qu’il a encore vantée en début de semaine face aux patrons étrangers, dans le cadre de l’opération de séduction annuelle Choose France.

Pour l’exécutif, la chose est entendue : c’est la politique de l’offre et son corollaire, la baisse de la fiscalité sur le capital et la suppression de l’ISF, qui ont permis de relancer la machine économique tricolore, notamment en dopant son attractivité. Qu’importe que la dynamique ait été enclenchée dès la fin du quinquennat Hollande, avec la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et que les rapports successifs d’économistes peinent à mettre en lumière une relation quantifiable entre la vigueur retrouvée de l’économie et telle ou telle mesure du gouvernement. Les symboles sont aussi importants en économie qu’en politique, et les signaux envoyés aux investisseurs et aux grands patrons depuis cinq ans ont, assurément, joué en faveur de la France. Mais cela méritait-il les sommes dépensées ? Impossible à dire précisément.

 

Politique économique : Macron drogué à la logique financière des banques

Politique économique : Macron drogué à la logique financière des banques

 

Audrey Tonnelier du Monde développe l’idée que Macron est davantage convaincu de l’efficacité de l’allègement de la fiscalité sur le capital que par des politiques industrielles impulsées par l’État. Finalement Macron reste imprégné de la philosophie des banques (d’affaires) . NDLR 

 

Chronique.  

Officiellement, il n’est pas encore dans la course. Même si, comme il l’a confié aux lecteurs du Parisien, le 4 janvier, « il n’y a pas de faux suspense » : « J’ai envie. » Emmanuel Macron se retrouve, à moins de trois mois du scrutin, dernier candidat non déclaré à la présidence de la République. Il n’a pas encore de programme détaillé, contrairement à la plupart de ses concurrents.

Dans le domaine économique, comme ailleurs (sécurité, Europe), le chef de l’Etat s’en tient à sa méthode : évoquer quelques sujets – refonte des droits de succession, revenu universel d’activité – et défendre son bilan. Même chose pour son ministre de l’économie, Bruno Le Maire, qui a longuement détaillé, lors de ses vœux à la presse, ses ambitions de baisses d’impôt supplémentaires pour les entreprises et d’allègement de cotisations sur les hauts salaires. Mais rien qui ne ressemble, pour le moment, à des propositions en bonne et due forme.

Il faut dire que, en cinq ans et deux crises majeures, celles des « gilets jaunes » et de l’interminable pandémie de Covid-19, le débat s’est déplacé. En 2017, côté économie, la campagne était focalisée sur l’inversion de la courbe du chômage, à laquelle François Hollande avait malencontreusement lié sa candidature. La réduction de la dette à droite – François Fillon avait dû se défendre de prôner « du sang et des larmes » – ou la sortie de l’euro (La France insoumise, Rassemblement national) occupaient aussi les débats. En ce début 2022, on parle davantage inflation et pouvoir d’achat, relocalisations, assouplissement des règles budgétaires et investissements.

Pour le chef de l’Etat, un fil rouge demeure toutefois : celui des entreprises et de l’emploi. Une « politique de l’offre » qu’Emmanuel Macron a toujours prônée – privilégier l’investissement de long terme et le soutien aux entreprises en espérant in fine créer de la croissance et des emplois – et qu’il a encore vantée en début de semaine face aux patrons étrangers, dans le cadre de l’opération de séduction annuelle Choose France.

Pour l’exécutif, la chose est entendue : c’est la politique de l’offre et son corollaire, la baisse de la fiscalité sur le capital et la suppression de l’ISF, qui ont permis de relancer la machine économique tricolore, notamment en dopant son attractivité. Qu’importe que la dynamique ait été enclenchée dès la fin du quinquennat Hollande, avec la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et que les rapports successifs d’économistes peinent à mettre en lumière une relation quantifiable entre la vigueur retrouvée de l’économie et telle ou telle mesure du gouvernement. Les symboles sont aussi importants en économie qu’en politique, et les signaux envoyés aux investisseurs et aux grands patrons depuis cinq ans ont, assurément, joué en faveur de la France. Mais cela méritait-il les sommes dépensées ? Impossible à dire précisément.

 

Macron drogué à la logique financière des banques

Macron drogué à la logique financière des banques

 

Audrey Tonnelier du Monde développe l’idée que Macron est davantage convaincu de l’efficacité de l’allègement de la fiscalité sur le capital que par des politiques industrielles impulsées par l’État. Finalement Macron reste imprégné de la philosophie des banques (d’affaires) . NDLR 

 

Chronique.  

Officiellement, il n’est pas encore dans la course. Même si, comme il l’a confié aux lecteurs du Parisien, le 4 janvier, « il n’y a pas de faux suspense » : « J’ai envie. » Emmanuel Macron se retrouve, à moins de trois mois du scrutin, dernier candidat non déclaré à la présidence de la République. Il n’a pas encore de programme détaillé, contrairement à la plupart de ses concurrents.

Dans le domaine économique, comme ailleurs (sécurité, Europe), le chef de l’Etat s’en tient à sa méthode : évoquer quelques sujets – refonte des droits de succession, revenu universel d’activité – et défendre son bilan. Même chose pour son ministre de l’économie, Bruno Le Maire, qui a longuement détaillé, lors de ses vœux à la presse, ses ambitions de baisses d’impôt supplémentaires pour les entreprises et d’allègement de cotisations sur les hauts salaires. Mais rien qui ne ressemble, pour le moment, à des propositions en bonne et due forme.

Il faut dire que, en cinq ans et deux crises majeures, celles des « gilets jaunes » et de l’interminable pandémie de Covid-19, le débat s’est déplacé. En 2017, côté économie, la campagne était focalisée sur l’inversion de la courbe du chômage, à laquelle François Hollande avait malencontreusement lié sa candidature. La réduction de la dette à droite – François Fillon avait dû se défendre de prôner « du sang et des larmes » – ou la sortie de l’euro (La France insoumise, Rassemblement national) occupaient aussi les débats. En ce début 2022, on parle davantage inflation et pouvoir d’achat, relocalisations, assouplissement des règles budgétaires et investissements.

Pour le chef de l’Etat, un fil rouge demeure toutefois : celui des entreprises et de l’emploi. Une « politique de l’offre » qu’Emmanuel Macron a toujours prônée – privilégier l’investissement de long terme et le soutien aux entreprises en espérant in fine créer de la croissance et des emplois – et qu’il a encore vantée en début de semaine face aux patrons étrangers, dans le cadre de l’opération de séduction annuelle Choose France.

Pour l’exécutif, la chose est entendue : c’est la politique de l’offre et son corollaire, la baisse de la fiscalité sur le capital et la suppression de l’ISF, qui ont permis de relancer la machine économique tricolore, notamment en dopant son attractivité. Qu’importe que la dynamique ait été enclenchée dès la fin du quinquennat Hollande, avec la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et que les rapports successifs d’économistes peinent à mettre en lumière une relation quantifiable entre la vigueur retrouvée de l’économie et telle ou telle mesure du gouvernement. Les symboles sont aussi importants en économie qu’en politique, et les signaux envoyés aux investisseurs et aux grands patrons depuis cinq ans ont, assurément, joué en faveur de la France. Mais cela méritait-il les sommes dépensées ? Impossible à dire précisément.

 

Hausse des prix de l’électricité : dans la logique du marché

Hausse des prix de l’électricité : dans la logique du marché

 

L’économiste Anna Créti estime, dans une tribune au « Monde », que l’augmentation des tarifs de l’électricité reflète l’évolution des fondamentaux de l’offre et de la demande en Europe.

 

Tribune. 

 

Les hausses à répétition du prix de l’électricité ont créé une sorte de mystère autour du « marché européen de l’énergie ». Pourquoi un marché ouvert à la concurrence ne permet-il pas de générer des prix modérés ? Face à l’augmentation de la facture, on découvre des logiques complexes et contre-intuitives. Car l’électricité n’est pas un bien standard, en dépit de son omniprésence dans notre quotidien.

En 1996, la directive 92/CE commence le long chemin de l’ouverture à la concurrence du secteur électrique, dont l’objectif est de « garantir un marché performant offrant un accès équitable et un niveau élevé de protection des consommateurs, ainsi que des niveaux appropriés de capacité d’interconnexion et de production ». Le consommateur doit pouvoir choisir librement son fournisseur d’électricité, et les fournisseurs doivent pouvoir bénéficier d’un accès libre aux réseaux de transport et de distribution d’électricité. Les activités de production et de fourniture d’électricité doivent ainsi passer dans le domaine concurrentiel, en abandonnant les monopoles nationaux. Les activités de transport (longue distance) et de distribution (réseau local) d’électricité restent régulées. Un objectif parallèle de cette réforme est d’assurer la sécurité d’approvisionnement, c’est-à-dire de garantir que tout consommateur européen bénéficie d’une fourniture d’électricité sans black-out. Mais les textes ne mentionnent jamais un objectif de baisse de prix…

Le chemin vers la concurrence est progressif, accompagné par différentes directives et réglementations. Et il est semé d’embûches : il faut organiser un marché pour un bien qui n’est pas stockable, dont on a besoin en temps réel, qui doit traverser les frontières alors que les réseaux électriques étaient historiquement construits selon une logique nationale. Ces choix avaient privilégié des technologies très capitalistiques mais différentes : le nucléaire en France, le charbon en Allemagne, le gaz en Espagne et en Italie, l’hydroélectrique en Suède par exemple.

Dans ce parcours d’obstacles, les années 2000 ajoutent l’impératif de la décarbonation, en déclinant progressivement des objectifs de plus en plus ambitieux d’intégration des énergies renouvelables à la production d’électricité, et en imposant aux producteurs un surcoût sur leurs émissions, dans le cadre du marché européen des permis carbone.

L’architecture des marchés électriques est complexe parce qu’elle imbrique ainsi différents objectifs (libre choix des consommateurs, concurrence, sécurité de l’offre, décarbonation). Et le prix de l’électricité est censé être la pierre angulaire de cette architecture.

Covid-19 : la logique actionnariale emporté chez Sanofi

Covid-19 : la logique actionnariale emporté chez Sanofi

Chez les fabricants de médicaments, la logique actionnariale l’a emporté sur la logique de santé publique, estime la chercheuse Nathalie Coutinet dans un entretien au « Monde ».

Entretien. Nathalie Coutinet est maîtresse de conférences en économie au Centre d’économie de l’université Paris-Nord, spécialiste de l’économie de la santé, de la protection sociale et de l’industrie du médicament.

Le groupe Sanofi, leader de l’industrie pharmaceutique française, est aujourd’hui critiqué pour son retard dans la course au vaccin contre le Covid-19. Est-ce un échec de la recherche et développement (R&D) et de l’industrie « à la française » ?

Je ne crois pas qu’on puisse véritablement parler d’échec. Sanofi a fait le choix d’utiliser les technologies classiques de développement d’un vaccin – comme celui contre la grippe – plutôt que l’ARN messager. Le délai classique dans ce domaine est de cinq à dix ans (un vaccin en deux ans serait déjà exceptionnel).

La surprise scientifique est venue de la performance de l’ARN messager, pourtant étudié et mis au point depuis longtemps. Sanofi est d’ailleurs partenaire, depuis 2018, d’une biotech américaine, Translate Bio, experte de l’ARN messager, tout comme Pfizer l’est de BioNTech. Ce qu’on ne sait pas, c’est pourquoi Sanofi n’a pas activé ce partenariat dans sa quête d’un vaccin.


Le fait que l’américain Pfizer ait découvert un vaccin avant le français Sanofi n’est pas une surprise : depuis vingt ans, la R&D du médicament migre vers les Etats-Unis. Les dépenses annuelles de R&D des firmes pharmaceutiques américaines ont augmenté de 7,4 % entre 2003 et 2007, puis de 8,9 % entre 2013 et 2017, alors qu’elles ont augmenté pour les firmes européennes de 5,8 % et de 3 % respectivement sur les mêmes périodes.

La Biomedical Advanced Research and Development Authority américaine a mis, en toute transparence, 10 milliards de dollars (8,3 milliards d’euros) sur la table pour inciter les industriels à trouver un vaccin anti-Covid-19 – dont 2,7 milliards de dollars pour Sanofi GSK. L’Union européenne et la France sont bien en dessous, mais on ne sait pas vraiment de combien, faute de transparence sur le sujet…

Pourquoi la R&D s’est-elle déplacée vers les Etats-Unis ?

Parce que le modèle économique de l’industrie pharmaceutique s’est transformé, passant d’un objectif de santé publique – mettre au point des médicaments soignant le plus grand nombre possible de maladies et de gens – à un objectif financier – servir le plus gros dividende possible à ses actionnaires.


A l’origine, Sanofi est le résultat d’un montage industriel des années 1990, construit par l’Etat et les grands actionnaires de l’époque (L’Oréal et Total) selon la logique du « champion national ». Auparavant, la pharmacie était une activité des grands groupes chimiques – en France, mais aussi ailleurs en Europe.

L’ individualisme : logique conformiste qui traduit aussi un vide existentiel (Thierry Aimar)

L’ individualisme : logique conformiste qui traduit aussi un vide existentiel (Thierry Aimar)

Dans la Tribune, Thierry Aimar, maître de conférences en sciences économiques à l’université de Lorraine, enseignant à Sciences Po analyse la logique de l’individualisme.

 

 

Il est devenu à la mode de critiquer l’individualisme qui caractériserait nos sociétés contemporaines ; de dénoncer le repli sur soi généralisé et l’abandon de toute identité commune ; d’y voir la source de la défiance, de « l’ensauvagement » et de la violence qui se répandent un peu partout. Mais n’est-on pas victime d’une hallucination? N’assiste-on pas au contraire au triomphe de la pensée collective? Ces « individus » soi-disant atomisés passent leur temps à participer à des « réseaux sociaux »  (Facebook, Twitter, Instagram, TikTok …) dont ils sont chaque jour plus dépendants psychologiquement. Ils se pâment devant les tendances du jour, « likent » ce que les autres « likent », lynchent ce que la meute digitale désigne à leur vindicte. Loin d’être des électrons libres, ils ne pensent et s’activent qu’en groupe, prisonniers de champs numériques les reliant les uns aux autres.

Beaucoup voudraient relier individualisme et matérialisme. Mais derrière le goût des marques, de la mode, les signes extérieurs de richesse, ne cherche-t-on pas à témoigner d’une appartenance à une caste, celle des privilégiés ? Le fameux consumérisme associé à « l’individualisme possessif »  (terme inventé par le philosophe canadien CB Macpherson  pour désigner l’accumulation sans fin de biens matériels) n’est-il pas la manifestation la plus claire de l’instinct grégaire d’être reconnu par un groupe? Derrière l’ostentation, le démonstratif, le bling-bling, le spectacle de son intimité, n’est-ce pas le regard des autres que l’on essaie d’attirer vers soi ? Par la recherche de statuts, ne désire-t-on pas se catégoriser socialement ? Ne cherche-t-on pas à faire partie d’une communauté ?

De fait, ces prétendus « individus » n’ont d’autre rêve que de ressembler à d’autres, de gagner la considération de « pairs » ou de ceux dont ils aimeraient devenir les « pairs ». Ils obéissent tels des automates à cet âpre désir de conformisme dont l’économie comportementale a largement confirmé la force d’attraction. Gouvernés par le besoin de faire partie d’un collectif, ils perçoivent et définissent leur identité, leur sentiment d’exister, à travers un groupe d’appartenance.

Même la soi-disant originalité est prisonnière de ces références collectives. Vouloir être « original » signifie toujours se définir par rapport à autrui. Sous cet angle, les prétendus rebelles cherchent bien moins à exprimer leur individualité que leur volonté de changer de communauté. Ils ne rejettent pas l’idée même de  norme, mais en choisissent une autre. Ainsi, le tatouage, souvent présenté comme le symbole d’une montée en puissance de « l’individualisme », ne correspond pas à un désir de singularité, mais celui de faire partie d’un groupe de référence, celui des jeunes, des branchés, des borderlines, ou que sais-je encore,  en opposition à d’autres identités collectives concurrentes. Plus ce groupe s’élargit, plus la volonté d’en faire partie se renforce. Nombre de ces « marginaux » ne sont que des imitateurs, animés par le désir d’être reconnus par des référents, et redoutant par-dessus tout d’être considérés comme ringards (anormaux par rapport au groupe de référence) s’ils n’adoptent pas ses pratiques.

De fait, notre société n’est pas composée d’individus, mais de tribus multiples et croisées qui prennent de plus en plus le pas sur la singularité de leurs membres. Il ne s’agit plus d’être soi, mais de ressembler à d’autres, d’où leur volonté de refléter des valeurs de groupes et de toujours adopter l’opinion commune. Tels des moutons de Panurge, ces suiveurs repèrent les goûts dominants du moment (ce qu’on appelait auparavant l’air du temps) pour s’y conformer intérieurement et extérieurement ; ils apprécient des biens non pas à cause du plaisir intrinsèque à les consommer, mais parce que les autres les apprécient. Les enfants n’ont plus l’ambition d’embrasser des carrières aux destins individuels qui les révèlent à eux-mêmes. Ils rêvent d’être des Youtubers, ces influenceurs dont la profession est de modeler les goûts de masses. Bien mieux que les figures politiques auxquels étaient traditionnellement réservées ce rôle, ces nouvelles stars du Net ou de la télé-réalité incarnent désormais les valeurs collectives et la réussite sociale.

On doit évidemment s’interroger sur ce qui se cache derrière cette recherche généralisée d’identité collective. Il est à craindre qu’elle ne dissimule tout simplement un profond vide existentiel, un échec à découvrir et cultiver sa propre personnalité. Nous sommes confrontés à un déficit de culture au sens subjectiviste du terme, c’est-à-dire d’une capacité de tirer un revenu psychologique de soi-même. Le subjectivisme implique singularité, développement de soi, volonté et capacité de défricher son territoire intérieur, de découvrir sa carte personnelle. Il est par nature étranger à la notion de mimétisme, du besoin de l’assentiment d’autrui pour se sentir exister. Mais des normes collectives de pensée et bonheur définies par un environnement communautaire représentent des écrans qui empêchent naturellement chaque membre de ces tribus de connaître la réalité de leur propre univers intérieur et de « jouir loyalement de soi-même » (pour reprendre l’expression de Montaigne). Faute d’accéder à leur propre environnement subjectif, ces soi-disant individus tentent alors désespérément de se créer une identité par le regard d’autrui. Ils ne se sentent exister que si d’autres reconnaissent leur existence; ils ne se sentent satisfaits que si les autres pensent qu’ils le sont. Dans ce cercle vicieux de la dépendance psychologique, chacun se voit obligé de se fondre toujours plus dans le communautaire pour échapper au silence intérieur auquel ils sont condamnés.

L’individualisme sans subjectivisme est une enveloppe ouverte qui ne peut renfermer que des lettres collectives; une simple coquille vide remplie de toutes les mythologies du jour. Ce qu’on devrait donc reprocher à notre société n’est pas de produire trop « d’individus », mais de détruire leur subjectivité. Ignorants d’eux-mêmes, devenus incapables de se découvrir et de se développer intérieurement, ils sont condamnés à un mal-être permanent qu’ils essaient d’alléger en tirant des traites sur un avenir fantasmé. Leur vie ressemble à un métro : le vrai bonheur, c’est toujours la station d’après.

Surmonter la contradiction entre logique de groupe et logique républicaine

Surmonter la contradiction entre logique de groupe et logique républicaine

Pour sortir du conflit qui les oppose, le camp antiraciste doit accepter qu’il agit au nom de valeurs universelles et le camp républicain reconnaître l’existence d’appartenances culturelles vitales pour la construction de l’individu, estime Aymeric Patricot, essayiste et romancier, dans une tribune au « Monde ».

Tribune. Deux camps s’affrontent aujourd’hui sur le thème des discriminations : certains dénoncent la persistance de dérives au sein du monde occidental, allant parfois jusqu’à pointer du doigt l’existence d’un système raciste ; d’autres, qui se réclament du républicanisme, persistent à considérer qu’il ne faut pas « racialiser les rapports sociaux » et qu’il existe des valeurs universelles.

Le problème est que ces républicains doivent se sentir bien seuls en ce moment. La lame de fond de l’affaire Floyd, réveillant un antiracisme légitime, n’est pas seule en cause : elle ne fait que mettre un point d’orgue à l’incroyable pression contre l’idée même de droits individuels. Ces derniers fondent la notion de mérite, mais on les accuse de masquer des phénomènes délétères plus profonds.

La première de ces pressions, celle qu’on dénonce le plus volontiers, est exercée par la culture (musique, cinéma…), dont le tropisme est flagrant : les plates-formes sont américaines, la force des images est américaine. Or, cette culture est marquée par la question raciale. C’est de cette culture qu’émanent les slogans nous familiarisant avec l’idée que les logiques de groupes sont décisives. En somme, l’actualité force le peuple français à ouvrir les yeux sur les réalités raciales, lui dont le surmoi républicain exige pourtant qu’il reste « color blind ».

La deuxième pression se fait plus discrète, mais pas moins efficace : elle vient du monde économique dont la grande éthique, outre l’écologie, se rapporte à la fameuse diversité, dont la logique vient concurrencer celle du mérite. Qu’on ne s’y trompe pas : les entreprises ne peuvent pas être foncièrement morales. Si elles singent les principes du moment, c’est avant tout parce qu’il leur est nécessaire de s’adapter au contexte. On sait que le libéralisme s’accommode très bien des valeurs multiculturelles et transnationales.

La troisième, c’est le monde politique, tout d’abord en France, en partie désireux de s’inscrire dans la tendance de l’époque. Soulignons que la fracture ne partage pas la droite et la gauche, mais traverse chacun des partis, de même qu’elle recoupe souvent un fossé générationnel, comme en témoigne la récente anicroche entre Marion Maréchal et Marine Le Pen.

 

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