L’intox ou « Sharp power » et désinformation : arme destruction des démocraties
Par Véronique Chabourine, membre du bureau de l’association pour une Renaissance européenne Paris, déléguée chargée de la communication. dans la Tribune.
En 2021, l’institut pour la diplomatie culturelle publie un rapport intitulé Sharp power and Democratic Resilience selon lequel de nombreux pays et en particulier les régimes autoritaires utilisent le Sharp power pour influencer les démocraties libérales. Paradoxalement, ces régimes autoritaires cultivent souvent assez bien leur soft power, comme l’exprime l’exemple de la Chine. Le sharp power est le résultat de l’interaction de multiples facteurs économiques, technologiques, politiques et sociaux.
La législation et la régulation ne suffisent pas. En avril dernier était présentée en conseil des ministres la loi de programmation militaire qui prévoit d’augmenter entre 2024 et 2030 de 4 milliards le budget cyber. Au même moment, Thierry Breton, annonçait le projet Cyber shield, qui est une infrastructure à la fois civile et militaire pensée pour mieux détecter les cyberattaques en amont. Depuis 2009, les États-Unis ont une structure similaire ; le commandement de la défense (USCYBERCOM) et la Cybersecurity Infrastructure Security Agency (CISA).
La mise en application des régulations est difficile car l’espace numérique ne connaît pas de frontière. La législation est différente pour chaque pays et la régulation peut être perçue comme une atteinte à la liberté d’expression. Le pouvoir arbitraire des entreprises technologiques est confronté sur des marchés étrangers à des régimes autoritaires et à des choix entre opportunités économiques et pressions politiques – comme l’exemple de Midjourney censurant la création d’image du président chinois ou l’exemple depuis le 27 octobre 2022 du rachat de Twitter par Elon Musk qui a permis à beaucoup de comptes de désinformation de réintégrer la plateforme et bénéficier de la certification payante de X, contrairement à certains comptes de fact checking qui eux, l’ont perdu en ne souscrivant pas à l’abonnement. Une question demeure : faut-il laisser le rôle de censeur à des entreprises privées ?
La cyber sécurité et la désinformation nécessitent une approche multifacette ; comme les exemples de l’Estonie, la Finlande et Singapour qui ont mis en place des mesures de sécurité techniques, juridiques et éducatives ainsi que des programmes de sensibilisation et de coopération internationale le démontrent.
L’éducation et la sensibilisation sont des piliers de la lutte contre la désinformation et de la protection de nos démocraties libérales. En France, les programmes d’éducation au média et à l’information (EMI) sont obligatoires. Former à l’école est essentiel mais si l’on veut lutter efficacement, il faut sensibiliser aussi tous les publics à la désinformation.
Pour 78% des Français, on peut parler d’une hygiène informationnelle insuffisante ; incarnée par manque de discernement quant à la source et à la fiabilité de l’information. En cela, les entreprises, les médias et les associations peuvent se faire relais de campagne de sensibilisation et d’éducation.
Le soft power et la diplomatie publique doivent aussi jouer un rôle important – Comme de renforcer la coopération internationale afin de continuer à faire pression sur les acteurs responsables de la désinformation – et de renforcer la pensée critique, la vérification des faits, et sensibiliser sur les enjeux de société par le cinéma et les séries.
Quelle part possède la fiction dans ce que nous vivons ? N’a-t-on pas vu des zadistes récemment en France masqués et en combinaison faisant écho au succès mondial Netflix La Casa del Papel ? Au-delà de la responsabilité qui leur incombe, les plateformes et le cinéma qui produisent de plus en plus de films sur ces sujets répondront de manière pertinente aux demandes du public sur les enjeux de société.
La collaboration multi-acteurs est indispensable, incarnée par des mesures politiques, économiques, sociales et culturelles et soutenues par l’engagement de la société civile, des médias et des institutions démocratiques.
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(*) Mouvement terroriste palestinien créée en 1987.
Comment lutter contre l’intox ?
Comment lutter contre l’intox ?
L’enchevêtrement des récits scientifiques, médiatiques et politiques, accéléré par la pandémie, conduit à une confusion entre autorité et popularité. Dans cette cacophonie, il y a urgence à mettre en place une éducation aux médias, estime le professeur en sciences de l’information et de la communication Laurent Petit dans une tribune au « Monde ».
Tribune.
Porter à la connaissance d’un public élargi des faits qui n’auraient naguère circulé qu’entre spécialistes n’est pas un phénomène nouveau. Que l’on songe à l’étude du professeur Gilles-Eric Séralini parue en 2012 sur la toxicité à long terme d’un herbicide très connu et d’un maïs génétiquement modifié sur des rats de laboratoire. Ou à l’affaire du traitement par l’hydroxychloroquine proposé par le professeur Raoult. Et dernièrement, à la controverse sur l’islamo-gauchisme.
Cette circulation entre les sphères scientifique, médiatique et politique, que la pandémie semble avoir accélérée, n’est pas un problème en soi, à ceci près que la réponse à la question « qui dit vrai ? » n’a pas le même sens dans ces différentes sphères.
Si nous ne sommes pas entrés collectivement dans une « ère de post-vérité » comme on l’entend trop souvent, nous sommes assurément dans une époque de « mal-information » qui résulte, plus que de son abondance en tant que telle, d’un enchevêtrement des récits répondant à des régimes de vérité différents.
A la question « Y a-t-il des vérités établies ? », Nathalie, professeure de philosophie dans le film L’Avenir (2016), de Mia Hansen-Løve, interprétée par Isabelle Huppert, répond à ses étudiants qu’il en existe évidemment et qu’elles le sont par le temps. La dimension temporelle est essentielle certes, mais il manque dans ce dialogue les réponses à au moins deux questions : « par qui ? » et « comment ? ».
Pas de vérité éternelle
Introduire de la contingence dans l’établissement des vérités ne revient pas à les relativiser irrévocablement mais à affirmer qu’est vrai ce qui est considéré comme tel par une majorité d’acteurs d’une sphère donnée.
Cette assertion est valable y compris dans la sphère scientifique dans laquelle il n’y a pas de vérité éternelle mais établie sur un temps long par les pairs et selon des méthodes propres à chaque discipline. Tous les scientifiques le savent parfaitement, mais le « grand public » le découvre avec effarement.
A tout mettre sur le même plan, l’enchevêtrement des récits qui en résulte aboutit le plus souvent à une cacophonie, dont l’échappatoire peut sembler résider dans la recherche d’un indice de popularité, comme nous ont habitué à le faire les géants du Web – Google en premier lieu – pour qui un clic équivaut à un vote.
Dans ce régime où l’autorité et la popularité se confondent, un récit est plus vrai qu’un autre s’il est plus populaire qu’un autre. Quand on ne sait plus où est la vérité, alors pourquoi ne pas choisir le récit le plus facile à comprendre, le plus facile à répandre, le plus conforme à ses préjugés, celui qui demande le moins d’efforts, qui ne nécessite pas de remise en cause de ses schémas préconçus, quand il n’alimente pas une tentation nihiliste, voire complotiste ?