«Comment rembourser la dette : par l’impôt ou l’inflation ? »
« qui va rembourser les énormes dettes découlant de la crise ? Comme souvent face à cet enjeu central, le gouvernement vient de mettre en place une commission. C’est la question à laquelle s’efforce de répondre aussi -timidement par rapport à l’inflation- – l’ancienne Ancienne associée-gérante de la banque Rothschild, Anne-Laure Kiechel dans un interview de l’Opinion ; elle a conseillé le gouvernement grec dirigé par Alexis Tsipras dans le cadre du suivi du plan d’aide financière à la Grèce. Elle a lancé sa structure indépendante Global Sovereign Advisory, qui compte une vingtaine de mandats de différents gouvernements, et la première chaire en Europe consacrée à la dette souveraine, à Sciences Po.
Que pensez-vous du résultat du dernier Conseil européen ?
Le Fonds de relance européen a fait l’objet d’un consensus dans son principe lors du dernier Conseil européen. Il n’exclut pas a priori les propositions italienne et espagnole portant respectivement sur l’émission de coronabonds ou d’une dette perpétuelle et s’ajoutera aux 540 millions d’euros déjà mobilisés via le Mécanisme européen de stabilité, la Banque européenne d’investissement et la Commission. Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE ont ainsi chargé, jeudi dernier, la Commission européenne d’analyser avec précision les besoins afin de proposer dès que possible des modalités techniques pour ce fonds (montant, financement, répartition) permettant une relance commune à la hauteur des enjeux de la crise. Si le plan atteint les 1 000 à 1 500 milliards, la Commission ou un autre véhicule devront lever de la dette sans se limiter au seul budget européen et selon des modalités qui ne sont pas encore arrêtées.
La proposition de la France de mélanger aux prêts des subventions pour les régions les plus touchées, notamment dans les pays du sud, doit également encore faire son chemin. La proposition espagnole de dette perpétuelle pour financer un fonds de relance de 1 500 milliards a également été remarquée.
Voyez-vous l’Italie comme une bombe à retardement politique et économique pour l’UE ?
L’Italie fait nation durant cette crise. La cote de confiance des Italiens en leur gouvernement a ainsi gagné plus de 15 points. En revanche, l’Italie a le sentiment d’être délaissée par ses partenaires européens, et les excuses de la présidente de la Commission européenne n’y ont rien changé. Dans un contexte de très faible croissance l’an dernier (0,2 %), la dette italienne, qui est déjà de plus de 134 % du PIB et qui atteindra très vite cette année 156 points de PIB, est un sujet croissant d’inquiétude. Certes, la BCE rachètera massivement cette dette, au moins jusqu’à la fin de l’année. Mais pour l’avenir, le Fonds de relance européen devra aider à assurer la soutenabilité de l’économie italienne et à répondre à cette attente forte de solidarité.
« Si chaque pays est confronté à des situations particulières car chaque économie est différente, on distingue une séquence commune de réponse à la crise »
Quels conseils donnez-vous actuellement aux pays qui sont vos clients ?
Nous travaillons actuellement avec une vingtaine de pays sur tous les continents. Leur première priorité est évidemment sanitaire. Pour le reste, si chaque pays est confronté à des situations particulières car chaque économie est différente, on distingue une séquence commune de trois phases de réponse à la crise.
Tout d’abord, une phase de liquidité, c’est-à-dire de soutien direct aux acteurs économiques pour qu’ils ne disparaissent pas, ainsi qu’aux ménages pour préserver leurs revenus. Cette phase implique parfois des mesures de contrôles des prix, des soutiens massifs aux entreprises comme dans le secteur aérien en France, voire des plans de nationalisations. Le recours au chômage partiel et les prêts garantis par l’État sont évidemment emblématiques de cette phase, tout comme le revenu universel qui va être lancé en Espagne ou la « monnaie hélicoptère » utilisée aux États-Unis.
Ensuite, une phase de solvabilité qui s’attachera à assurer ou à rétablir la soutenabilité des dettes – donc une phase de transition. Les mesures d’urgence seront progressivement à adapter tandis que les entreprises reprendront leur activité. L’Etat devra les accompagner avec un filet de sécurité pour limiter, autant que faire se peut, les licenciements dont certains seront malheureusement inévitables. L’Etat devra accompagner les citoyens dans cette situation précaire en travaillant à amorcer le troisième temps, créateur d’emplois, le plus rapidement possible.
Enfin, le temps de la reprise viendra. Ce sera aussi celui des choix qui seront à arrêter en fonction de la société que nous voulons. Quelles activités relancer et quelles chaînes de valeur relocaliser pour assurer plus d’autonomie stratégique dans un monde toujours plus incertain ? Faudra-t-il développer de nouveaux métiers, par exemple dans le domaine du soutien aux personnes âgées à domicile ou du numérique ?
Les instruments de dettes et les entités qui les émettront devront être adaptés aux différentes étapes, de même que les plans de relance qui devront être cohérents pour créer durablement plus d’emplois.
« Le temps de la reprise viendra. Ce sera celui des choix à arrêter en fonction de la société que nous voulons. Quelles activités relancer, quelles chaînes de valeur relocaliser ? »
Qui va payer les dettes demain ?
La question de la dette mondiale mérite une mise en perspective. La dette était déjà difficilement soutenable avant la crise. Début 2020, elle dépassait 320 % du PIB mondial, soit 257 000 milliards de dollars, ce qui représente 50 % de plus qu’en 2008 en raison de taux d’intérêt anormalement bas. Or, les premières mesures budgétaires adoptées par les Etats dans le monde viennent d’ajouter, en seulement quelques semaines, 8 000 milliards de dollars à ce niveau déjà élevé de dette mondiale.
(Après un record à 322% du produit intérieur brut (PIB) fin 2019, la dette mondiale devrait atteindre 277 000 milliards de dollars fin 2020, soit 365% du PIB, selon l’Institute of International Finance (IIF) NDLR)
Dans ce contexte, l’accord trouvé par le G20 ne peut être que salué car le remboursement de cette dette ne doit pas passer avant les mesures d’urgence dans les pays en développement. Il prévoit une suspension des échéances de dette pour les pays à bas revenus jusqu’à la fin de l’année et a marqué une avancée historique puisqu’il concerne le Club de Paris comme la Chine, les autorités gouvernementales comme les créanciers privés. Cependant, ses modalités pratiques demandent encore à être clarifiées et nous accompagnons en ce moment de nombreux Etats afin qu’ils puissent bénéficier de ces mesures pour consacrer plus de moyens à leur lutte contre la pandémie.
Il faudra aussi, le moment venu, d’une manière ou d’une autre, se poser la question de l’opportunité de l’effacement d’une partie de ces dettes qui seront devenues, après la crise, probablement dans au moins une quarantaine de pays émergents ou en développement, insoutenables.
Est-ce que dans les autres pays, on remboursera par l’inflation, par l’impôt ? Sur quels agents cela pèsera-t-il ? Il faudra décider du partage de ce fardeau et ne pas le faire derrière des portes closes.
«Comment rembourser la dette : par l’impôt ou l’inflation ? »
«Comment rembourser la dette : par l’impôt ou l’inflation ? »
« qui va rembourser les énormes dettes découlant de la crise ? Comme souvent face à cet enjeu central, le gouvernement vient de mettre en place une commission. C’est la question à laquelle s’efforce de répondre aussi -timidement par rapport à l’inflation- – l’ancienne Ancienne associée-gérante de la banque Rothschild, Anne-Laure Kiechel dans un interview de l’Opinion ; elle a conseillé le gouvernement grec dirigé par Alexis Tsipras dans le cadre du suivi du plan d’aide financière à la Grèce. Elle a lancé sa structure indépendante Global Sovereign Advisory, qui compte une vingtaine de mandats de différents gouvernements, et la première chaire en Europe consacrée à la dette souveraine, à Sciences Po.
Que pensez-vous du résultat du dernier Conseil européen ?
Le Fonds de relance européen a fait l’objet d’un consensus dans son principe lors du dernier Conseil européen. Il n’exclut pas a priori les propositions italienne et espagnole portant respectivement sur l’émission de coronabonds ou d’une dette perpétuelle et s’ajoutera aux 540 millions d’euros déjà mobilisés via le Mécanisme européen de stabilité, la Banque européenne d’investissement et la Commission. Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE ont ainsi chargé, jeudi dernier, la Commission européenne d’analyser avec précision les besoins afin de proposer dès que possible des modalités techniques pour ce fonds (montant, financement, répartition) permettant une relance commune à la hauteur des enjeux de la crise. Si le plan atteint les 1 000 à 1 500 milliards, la Commission ou un autre véhicule devront lever de la dette sans se limiter au seul budget européen et selon des modalités qui ne sont pas encore arrêtées.
La proposition de la France de mélanger aux prêts des subventions pour les régions les plus touchées, notamment dans les pays du sud, doit également encore faire son chemin. La proposition espagnole de dette perpétuelle pour financer un fonds de relance de 1 500 milliards a également été remarquée.
Voyez-vous l’Italie comme une bombe à retardement politique et économique pour l’UE ?
L’Italie fait nation durant cette crise. La cote de confiance des Italiens en leur gouvernement a ainsi gagné plus de 15 points. En revanche, l’Italie a le sentiment d’être délaissée par ses partenaires européens, et les excuses de la présidente de la Commission européenne n’y ont rien changé. Dans un contexte de très faible croissance l’an dernier (0,2 %), la dette italienne, qui est déjà de plus de 134 % du PIB et qui atteindra très vite cette année 156 points de PIB, est un sujet croissant d’inquiétude. Certes, la BCE rachètera massivement cette dette, au moins jusqu’à la fin de l’année. Mais pour l’avenir, le Fonds de relance européen devra aider à assurer la soutenabilité de l’économie italienne et à répondre à cette attente forte de solidarité.
« Si chaque pays est confronté à des situations particulières car chaque économie est différente, on distingue une séquence commune de réponse à la crise »
Quels conseils donnez-vous actuellement aux pays qui sont vos clients ?
Nous travaillons actuellement avec une vingtaine de pays sur tous les continents. Leur première priorité est évidemment sanitaire. Pour le reste, si chaque pays est confronté à des situations particulières car chaque économie est différente, on distingue une séquence commune de trois phases de réponse à la crise.
Tout d’abord, une phase de liquidité, c’est-à-dire de soutien direct aux acteurs économiques pour qu’ils ne disparaissent pas, ainsi qu’aux ménages pour préserver leurs revenus. Cette phase implique parfois des mesures de contrôles des prix, des soutiens massifs aux entreprises comme dans le secteur aérien en France, voire des plans de nationalisations. Le recours au chômage partiel et les prêts garantis par l’État sont évidemment emblématiques de cette phase, tout comme le revenu universel qui va être lancé en Espagne ou la « monnaie hélicoptère » utilisée aux États-Unis.
Ensuite, une phase de solvabilité qui s’attachera à assurer ou à rétablir la soutenabilité des dettes – donc une phase de transition. Les mesures d’urgence seront progressivement à adapter tandis que les entreprises reprendront leur activité. L’Etat devra les accompagner avec un filet de sécurité pour limiter, autant que faire se peut, les licenciements dont certains seront malheureusement inévitables. L’Etat devra accompagner les citoyens dans cette situation précaire en travaillant à amorcer le troisième temps, créateur d’emplois, le plus rapidement possible.
Enfin, le temps de la reprise viendra. Ce sera aussi celui des choix qui seront à arrêter en fonction de la société que nous voulons. Quelles activités relancer et quelles chaînes de valeur relocaliser pour assurer plus d’autonomie stratégique dans un monde toujours plus incertain ? Faudra-t-il développer de nouveaux métiers, par exemple dans le domaine du soutien aux personnes âgées à domicile ou du numérique ?
Les instruments de dettes et les entités qui les émettront devront être adaptés aux différentes étapes, de même que les plans de relance qui devront être cohérents pour créer durablement plus d’emplois.
« Le temps de la reprise viendra. Ce sera celui des choix à arrêter en fonction de la société que nous voulons. Quelles activités relancer, quelles chaînes de valeur relocaliser ? »
Qui va payer les dettes demain ?
La question de la dette mondiale mérite une mise en perspective. La dette était déjà difficilement soutenable avant la crise. Début 2020, elle dépassait 320 % du PIB mondial, soit 257 000 milliards de dollars, ce qui représente 50 % de plus qu’en 2008 en raison de taux d’intérêt anormalement bas. Or, les premières mesures budgétaires adoptées par les Etats dans le monde viennent d’ajouter, en seulement quelques semaines, 8 000 milliards de dollars à ce niveau déjà élevé de dette mondiale.
(Après un record à 322% du produit intérieur brut (PIB) fin 2019, la dette mondiale devrait atteindre 277 000 milliards de dollars fin 2020, soit 365% du PIB, selon l’Institute of International Finance (IIF) NDLR)
Dans ce contexte, l’accord trouvé par le G20 ne peut être que salué car le remboursement de cette dette ne doit pas passer avant les mesures d’urgence dans les pays en développement. Il prévoit une suspension des échéances de dette pour les pays à bas revenus jusqu’à la fin de l’année et a marqué une avancée historique puisqu’il concerne le Club de Paris comme la Chine, les autorités gouvernementales comme les créanciers privés. Cependant, ses modalités pratiques demandent encore à être clarifiées et nous accompagnons en ce moment de nombreux Etats afin qu’ils puissent bénéficier de ces mesures pour consacrer plus de moyens à leur lutte contre la pandémie.
Il faudra aussi, le moment venu, d’une manière ou d’une autre, se poser la question de l’opportunité de l’effacement d’une partie de ces dettes qui seront devenues, après la crise, probablement dans au moins une quarantaine de pays émergents ou en développement, insoutenables.
Est-ce que dans les autres pays, on remboursera par l’inflation, par l’impôt ? Sur quels agents cela pèsera-t-il ? Il faudra décider du partage de ce fardeau et ne pas le faire derrière des portes closes.