Politique : l’impossible coalition
Pour Emmanuel Rivière, politologue, enseignant à l’université Paris-I et Sciences-Po , les postures actuelles des partis rendent une coalition quasiment impossible. « Les choses sont compliquées car tous les camps se sont diabolisés les uns les autres, estime-t-il. On surjoue les oppositions et les divergences. » dans La Tribune.
EMMANUEL RIVIERE - Entre les européennes et les législatives, nous venons de vivre cinq semaines d’élections, passant d’une offre politique large, avec de nombreux sujets de débats et un duel Hayer-Glucksmann, à une question binaire : le RN doit-il accéder au pouvoir ou pas ? La réponse des Français est claire, c’est non. Il y avait pourtant une dynamique et un désir de victoire pour le Rassemblement national, à un point jamais atteint à l’époque de Jean-Marie Le Pen. En revanche, les Français n’ont pas dit hier qui devait gouverner le pays. L’Assemblée recomposée n’aboutit pas à cette clarification-là. La situation appelle des réponses nouvelles sur la manière de gouverner. Une responsabilité immense pèse sur le nouvel hémicycle car pendant un an, au minimum, il faudra fonctionner avec lui, aucune dissolution n’étant possible pendant douze mois.
Le barrage républicain a mieux fonctionné que prévu. Comment l’expliquez-vous ?
Les reports de voix du centre et de LR vers la gauche semblaient difficiles à concrétiser mais cela a bien fonctionné, y compris dans des circonscriptions qui se jouaient en triangulaire. On a parfois vu un recul du candidat arrivé troisième. Le Rassemblement National a laissé penser dans ses déclarations qu’on le privait de victoire. Or il y a eu une hausse de la participation au second tour, ce qui invalide cette thèse. Son pari est bel et bien raté. L’alliance avec Éric Ciotti et la volonté d’honorabilité n’ont pas mis ce parti à l’abri d’un front du refus, sans doute alimenté par l’examen des propos de nombreux candidats. Ceux-ci ont renvoyé le RN ses démons et à l’image d’une formation xénophobe, raciste et antisémite. Certes, il gagne des sièges mais son résultat final est une contreperformance par rapport au premier tour.
Dans un système qui n’est plus binaire mais tripartite, le risque d’absence de majorité est permanent
Les leaders de la gauche ont semblé camper sur leur programme et vouloir gouverner seuls… Est-ce tenable ?
Il me semble que le message du pays n’est pas celui-là. La question fondamentale est la suivante : fonctionnons-nous encore avec le fait majoritaire ? Le camp arrivé en tête peut-il toujours dire que son programme est pleinement souhaité par les Français et qu’il doit s’appliquer ? Cela est démenti par les urnes et par les aspirations des électeurs, telles qu’on les comprend à travers les enquêtes d’opinion. En 2022, les Français étaient assez satisfaits du résultat des législatives car, avec l’absence de majorité absolue, ils espéraient qu’une politique mieux construite était possible, avec des choix plus respectueux des différences d’opinions et la fin de la brutalisation de la minorité par la majorité.
Quelles coalitions sont-elles possibles ?
Dans un système qui n’est plus binaire mais tripartite, le risque d’absence de majorité est permanent. Après les législatives de 2022, il y avait une coalition naturelle qui se dessinait, entre Ensemble et LR. Mais aucun n’a accepté cette logique. Aujourd’hui, cette coalition naturelle n’a pas la majorité. Les choses sont compliquées car tous les camps se sont diabolisés les uns les autres. On surjoue les oppositions et les divergences. Les partis d’Ensemble ont fustigé la gauche du fait de la présence de LFI, et on voit difficilement une alliance allant du PCF à LR… Mais si l’on imagine une coalition du centre avec le Nouveau Front Populaire sans les Insoumis, cela ça pose un problème démocratique de fond : les élus du NFP sont un mélange des voix de tous les électorats de gauche. Ce serait un déni de démocratie d’en détacher une partie au nom d’une autre. Ces postures mènent donc dans une impasse, elles rendent la formation de coalitions quasiment impossible, alors que la plupart des pays voisins savent très bien le faire, depuis longtemps.
La question du choix du Premier ministre n’offre pas de réponse spontanée pour le moment
Jordan Bardella a estimé qu’Emmanuel Macron avait créé une situation de blocage institutionnel.
Il n’y a pas de blocage institutionnel sauf si personne n’est d’accord sur le nom du Premier ministre. Comme je le disais plus haut, le président de la République ne peut pas dissoudre à nouveau avant un an, donc il faut vivre avec cette situation. Il est toujours possible de s’adapter.
Qui est en capacité de faire des compromis ? A quelle échéance ?
Pour la première fois sous la Ve République il n’y a pas de majorité et les groupes politiques semblent instables. Le bloc central est en passe de se désunir. Edouard Philippe crée un clivage, Gabriel Attal veut reconstruire autre chose… Mais la plus grande tension est à gauche. Il existe des lignes de faille au sein du NFP et au sein de la France insoumise, un parti dirigé par une des personnalités les plus impopulaires du pays. Il faut attendre de connaître la composition exacte de l’Assemblée nationale dans toutes ses nuances. La question du choix du Premier ministre n’offre pas de réponse spontanée pour le moment.
Est-il normal que Gabriel Attal reste en place, peut-être plusieurs semaines ?
On voit cela dans d’autres pays. Quand il faut du temps pour constituer une majorité et un gouvernement, ce n’est pas inhabituel. On évite une vacance du pouvoir. Cela s’entend d’autant mieux que les Jeux Olympiques commencent à la fin du mois. La continuité de l’État est aussi assurée par le président de la République, qui reste bien sûr en place.
Edouard Philippe a semblé annoncer sa candidature pour 2027, est-ce le bon moment ?
Les Français sont très surpris du résultat des élections législatives, qui ne correspond pas à leurs pronostics. Ils attendaient soit une victoire du RN, soit que le RN soit le principal groupe. Le tempo de la déclaration d’Edouard Philippe peut donc les étonner. L’ancien Premier ministre a certes des atouts : sa popularité, la clarté de son expression et sa cohérence depuis la dissolution. Mais on distingue deux types de postures depuis hier soir. Il y a ceux qui se demandent comment faire pour gouverner avec la nouvelle donne parlementaire, comme François Hollande. Et ceux qui se projettent directement sur la présidentielle.