Limogeage de Ségolène Royal: «la même erreur qu’avec le général de Villiers»
Paris-Sorbonne , estime dans le Figaro que le limogeage de Ségolène Royal constitue la même erreur que celui du général Devilliers, une erreur stratégique de Macron.
interview:
Le limogeage retentissant de Ségolène Royal, qui souligne d’autant plus à quel point elle est restée présente dans le débat politique, semble finalement donner à l’ancienne ambassadrice des pôles une visibilité médiatique qui se retourne à son avantage?
Arnaud BENEDETTI.- Elle a piégé l’exécutif. Pour une raison simple: elle joue non sans culot et intelligence sur le libéralisme crispé, autoritaire de ce dernier. S’installe dans le pays le sentiment d’un pouvoir qui accepterait mal la contradiction, qui serait tenté par une forme de contrôle et de muselage du débat public. Les dernières déclarations du Président de la République lors des vœux à la presse proposant une sorte de conseil déontologique de la presse comme ses critiques réitérées contre les réseaux sociaux, certes non exempts d’excès, corroborent cette idée d’un pouvoir qui souhaiterait imposer au forceps les objets légitimes propres à la confrontation au sein de l’espace public, comme si la parole officielle devait aspirer tout cet espace public.
Ségolène Royal adopte à sa façon une position de rebelle dans une atmosphère générale de défiance et de contestation.
Si vous rajoutez à ce climat étrange les polémiques autour de l’usage des forces de l’ordre, vous avez réuni là des éléments de contexte propices à l’adhésion à une parole libre. Ségolène Royal adopte à sa façon une position de rebelle dans une atmosphère générale de défiance et de contestation des paroles institutionnelles. Peu importe pour une large partie de l’opinion qu’elle soit, par sa fonction, soumise à un devoir de réserve. Elle bénéficie d’une forme de «licence d’exploitation informelle» pour reprendre la formule du spécialiste des relations publiques, Stéphane Billie. Elle dispose d’un capital politique qui l’autorise à transgresser le devoir de réserve. Et comme Emmanuel Macron, lui-même, a transgressé si souvent les codes d’une forme de modération sémantique associée à la fonction arbitrale du chef de l’État, un peu comme Nicolas Sarkozy en son temps, Ségolène Royal bénéficie sans doute d’une indulgence au regard des opinions. L’esprit du temps, empreint de mécontentements et de résistances parfois brouillonnes, s’accorde parfaitement au geste sacrificiel de Madame Royal. Lorsque la parole paraît entravée, celles et ceux qui se saisissent fortement du spectre de la parole contestataire sont d’autant plus audibles. Elle a indéniablement réussi là une séquence fortement performative en matière de communication politique.
Sa nomination puis les révélations sur le peu de sérieux accordé à son mandat avaient pourtant éveillé chez beaucoup le soupçon…
Cela importe peu. Parce que le moment se nourrit encore une fois d’un discrédit général des professionnels de la politique. Ce n’est pas nouveau mais le processus s’est amplifié. Et à ce jeu de la dégradation, ceux qui sont au pouvoir sont plus fortement exposés à l’érosion portée par la vox populi, alors que les opposants peuvent toujours exciper leur statut d’opposant pour se protéger, se sanctuariser.
De sa fragilité apparente Ségolène Royal fait une arme de précision communicante.
Ségolène Royal est une professionnelle avertie des jeux de la com’ et de l’opinion. Elle n’ignore rien de cette asymétrie d’un rapport de force entre un pouvoir crédité de «tout pouvoir» et une opposante dont la seule ressource est de s’exprimer librement. La force communicante n’est pas là où on la croit, elle est dans la faiblesse présumée de celle qui pour l’occasion est limogée. De sa fragilité apparente Ségolène Royal fait une arme de précision communicante plutôt astucieuse, voire redoutable. On ne retient plus que le dépôt de toute cette histoire, à savoir son limogeage qui balaye les éventuelles critiques portant sur l’exercice de sa mission … Elle a instauré une figure: celle d’un pouvoir brutal qui chasserait en meute (la ministre des transports, des parlementaires avait dénoncé l’attitude de l’ancienne candidate à la présidentielle) une femme seule, Cassandre venue dénoncer une situation sociale injuste. Elle joue un remake, dégradé toutefois, de ce qui s’était passé avec le Général de Villiers. Elle a presque imposé son tempo au demeurant en annonçant sur son compte Facebook son limogeage.
Candidate malheureuse en 2007, Ségolène Royal fait à peine mystère de ses intentions pour 2022. Pourrait-elle rassembler une gauche lassée d’Emmanuel Macron, et une extrême gauche déterminée à le faire tomber?
Toit ceci reste à démontrer. Tout d’abord une com’ réussie n’est pas le gage d’un succès politique. Les victoires médiatiques sont éphémères. Ensuite combien représente-t-elle de «divisions»? Pour autant, comme il y a du jeu à gauche elle a quelques cartes en mains: son style inimitable de conservatisme dans ce que le sociologue Erving Goffman appelait «la présentation de soi» et une aptitude à porter un verbe d’indignation qui parle aux classes moyennes et populaires. Ségolène Royal a un côté éruptif qui peut rencontrer le moment. Elle pourrait incarner un populisme de gauche, sous réserve qu’elle n’ignore pas comme l’a fait Jean-Luc Mélenchon, la question de l’identité, de la nation qui taraude fortement les classes populaires et moyennes. Si elle n’est pas capable de cette jonction là avec un discours social qu’elle peut endosser, son offre risque de se réduire à celui d’une «voiture-balai» de la gauche social-démocrate. Ce qui restera sans très grande efficience. Pour réussir et revenir dans la course, la gauche qui aspire à gouverner doit repartir à la conquête des classes populaires et moyennes mais cela implique un aggiornamento idéologique profond. Ségolène Royal par son franc-parler, son côté assez atypique, son charisme et son histoire personnelle est un vecteur potentiellement crédible pour cette hypertriangulation. Mais cela n’en reste pas moins une œuvre de longue haleine, difficile. Elle est dans tous les cas l’une des plus audacieuses pour tenter d’opérer cette transfiguration, voire cette rupture.
Les Français sont-ils sensibles à la rhétorique victimaire employée par Ségolène Royal, qui se plaint du «harcèlement» qu’elle subit et dénonce fréquemment la misogynie en politique?
L’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet financier ne va pas infirmer, c’est le moins qu’on puisse dire, sa rhétorique. Elle aurait quand même beau jeu de dénoncer une synchronisation millimétrique entre son départ et la procédure …
Les opinions n’accordent pas plus de bienveillance ou pas moins à une femme ou à un homme politique.
Sur le fond la politique est sans pitié. Ségolène Royal le sait bien. Elle connaît le rapport de forces et elle en a usé plus qu’à son tour également. Longtemps l’idée selon laquelle la féminisation du pouvoir allait changer la nature de ce dernier, son exercice aussi a été promue, véhiculée. La réalité c’est que tout pouvoir tend à s’exercer de la même manière quel que soit le genre de son détenteur ou de sa détentrice. Et les opinions n’accordent pas plus de bienveillance ou pas moins à une femme ou à un homme politique. Mais là où Ségolène Royal se montre habile, c’est dans la saisie du moment encore une fois: prendre des coups de la part d’un pouvoir en manque de popularité ne peut pas nuire à la popularité de celui qui s’oppose à ce pouvoir. La politique est triviale parfois, et la bonne communication souvent c’est d’aller à l’évidence, à l’essentiel!
Il y a au moins une promesse que Ségolène Royal tiendra probablement: c’est quand elle répète à l’envi qu’on «ne [la] fera pas taire»!
Il faudra qu’elle dose néanmoins. Si elle se limite à une posture, la répétant à l’envi, le charme n’opérera pas longtemps. L’environnement médiatique aime les archétypes mais la politique, elle, c’est d’abord de la plasticité, de l’intelligence de la situation, et surtout une aptitude à incarner autre chose qu’un caractère. Le caractère, Ségolène Royal en dispose, c’est celui d’une femme de combat – ce qui au pays de Jeanne d’Arc parle à notre mythologie nationale ; mais il lui faut pour créer une dynamique une offre politique qui rencontre les profondeurs sociologiques de ceux qui s’estiment lésés ou victimes des politiques menées par l’actuelle majorité. Faute de ce travail de fond sur le plan politique, le bûcher médiatique sera intraitable…