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L’histoire du changement d’heure

L’histoire du changement d’heure

Dans la nuit du dimanche 27 octobre 2024, à 3h00 du matin, il sera 2h00 : nous serons passés à l’heure d’hiver. Cette modification horaire relève de la responsabilité de l’Observatoire de Paris, lequel est en charge d’établir, de maintenir et de diffuser le temps légal français, plus précisément l’échelle de l’heure légale en France. Le passage à l’heure d’été et à l’heure d’hiver est en fait une idée bien ancienne, et son établissement sous la forme que nous connaissons, une petite histoire à elle seule.

par 

Directeur de recherche CNRS et Directeur du laboratoire Systèmes de Référence Temps-Espace de l’Observatoire de Paris dans The Conversation
En 1784, Benjamin Franklin évoque pour la première fois dans le quotidien français Le journal de Paris la possibilité de décaler les horaires afin d’économiser l’énergie. Cette idée n’est pourtant pas encore très populaire à une époque où la société est encore très largement agricole et où l’heure « utile » est celle du Soleil, qui varie de 50 minutes de l’est à l’ouest de la France.

Mais un siècle plus tard, le développement des transports ferroviaires va nécessiter une unification de l’heure sur l’ensemble du territoire français. Cela d’autant plus que le télégraphe électrique est quasi simultanément créé.

Cela va être décidé en 1891 : l’heure de Paris devient l’heure nationale. Le même processus se produit dans différents pays du monde, la différence des échelles de temps entre les pays correspondant à la différence de longitude de leur méridien de référence.

L’Allemagne est la première à instaurer ce changement d’heure le 30 avril 1916. Elle est rapidement suivie par le Royaume-Uni le 21 mai 1916. En France, l’introduction d’une heure d’été est proposée en 1916, votée en 1917, devançant de peu les États-Unis qui vont adopter le changement d’heure en 1918.

Ce régime va subsister en France jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’avancée des troupes allemandes dans le nord de la France va introduire ce qui est appelé « l’heure allemande » dans la partie occupée avec une heure différente de 60 minutes avec celle de la zone libre, au sud de la ligne de démarcation.

Au cours de la guerre des échanges ont lieu avec le haut commandement allemand à différentes reprises avant et après l’occupation totale de la France ; ils mettent en jeu, notamment, la SNCF, pour les écarts des heures et les dates de changement d’heure, ainsi que le secrétaire d’État aux Communications. Plus tard, ce sera le tour du Gouvernement provisoire de la République française, selon l’avance des armées alliées.

Au mois d’août 1945, un nouveau décret rétablit l’heure d’hiver traditionnelle en deux étapes : avec un retard d’une heure le 18 septembre 1945, puis d’une autre le 18 novembre 1945 ; mais un décret annule cette dernière décision. Ce qui fait que la France demeure à cette époque à l’heure d’hiver de l’Europe centrale qui est également l’heure d’été de l’Europe occidentale.

La dernière décision de changement d’heure en France remonte au 19 septembre 1975 : un décret introduit alors une heure d’été en France, pour application du 28 mars au 28 septembre 1976. Cette mesure, prise à la suite du choc pétrolier de 1973, avait pour but d’effectuer des économies d’énergie en réduisant les besoins d’éclairage en soirée. À l’origine, cette mesure devait être provisoire.

Jusqu’en 1995, le passage de retour à l’heure d’hiver a lieu le dernier dimanche de septembre à 3 heures du matin. Mais depuis 1996, il s’effectue le dernier dimanche d’octobre et prolonge la période d’heure d’été durant une partie de l’automne. Le décalage par rapport à l’heure solaire en France est d’une heure environ en hiver et de deux heures environ l’été.

Le changement d’heure estival a été introduit dans l’ensemble des pays de l’Union européenne au début des années 1980. Pour faciliter les transports, les communications et les échanges au sein de l’UE, il a été décidé d’harmoniser les dates de changement d’heure en 1998 par la directive 2000/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 janvier 2001.

Dans la pratique, si chacun doit avancer sa montre d’une heure au printemps et la reculer en automne, l’heure légale réalisée à l’Observatoire de Paris est modifiée automatiquement, que ce soit la traditionnelle horloge parlante ou les méthodes plus modernes de synchronisation par protocole NTP pour les ordinateurs.

L’heure légale diffusée par l’horloge parlante ou protocole NTP est le Temps universel coordonné de l’Observatoire de Paris – UTC(OP) à laquelle on ajoute une heure ou deux selon la saison.

L’Observatoire de Paris réalise et diffuse le temps légal français. Le temps légal français est élaboré par des horloges atomiques du laboratoire national de métrologie LNE-SYRTE à l’Observatoire de Paris. En 2016, ce temps de référence a une exactitude de 0 000 000 001 seconde. Rappelons à ce propos que la seconde est définie depuis 1967 comme « la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 ».

L’histoire des taux d’intérêt

L’histoire des taux d’intérêt

Les taux d’intérêt tendent à se réduire depuis l’Antiquité. La poussée inflationniste du XXe siècle les a, cependant, fait remonter. Ce n’est que dans les années nonante que la baisse a repris. Les taux d’intérêt actuels sont les plus bas jamais observé dans l’histoire.

par Peter Kugler, Professeur d’économie politique université de Bâle

Les taux d’intérêt ont une histoire très ancienne. C’est dans le code d’Hammourabi, souverain babylonien du XVIIIe siècle av- J.-C,, que l’on trouve les premières preuves d’existence du prêt à intérêt. Le plafond légal des taux y était fixé à 33 1/3 % pour l’emprunt de céréales et à 20 % pour celui d’argent métallique[1]. Le remboursement et le paiement des intérêts s’effectuent aussi en céréales ou en argent métallique, puisqu’il n’existe pas encore de monnaie. Du point de vue actuel, ces taux semblent très élevés, si l’on tient compte du fait que le prêt est garanti par la fortune et la force de travail du débiteur.

Depuis l’introduction vers 630 av. J.-C. de la monnaie, qui devient un moyen d’échange et de réserve de valeur accepté par tous ainsi qu’une unité de calcul, les prêts avec intérêt multiplient les preuves de leur existence, surtout dans la Grèce antique et l’Empire romain. Dans les cités-États grecques, les crédits alloués à des personnes, à des États et à des projets commerciaux sont soumis à des taux d’intérêt allant de 6 à 18 %. Toutefois, les Grecs ne connaissent ni les plafonds légaux de taux ni la responsabilité individuelle. À Rome, c’est différent : en 443 av. J.-C., la loi dite des Douze Tables fixe la limite supérieure des taux à 8 1/3 %, un maximum porté plus tard à 12 %. En outre, l’entière responsabilité de la personne est engagée.

À mesure que l’Empire romain devient une économie monétaire fondée sur la division du travail, les taux d’intérêt tendent à baisser. À l’époque augustéenne, soit vers l’an zéro, ils tombent à 4 %, un plancher historique. Des cas isolés attestent même l’existence de crédits à taux zéro dans des situations exceptionnelles : durant la crise financière de l’an 33, l’empereur Tibère accorde ainsi à des banquiers des crédits sans intérêts pour des montants correspondant à environ 0,5 % du produit national brut de l’empire. Les dépenses de l’État sont financées par l’impôt et l’émission de monnaie. L’endettement public n’existe pas encore à cette époque. Lorsque l’État connaît des difficultés financières, comme lors de la crise du IIIe siècle, il déprécie l’alliage des pièces de monnaie, ce qui contribue à l’inflation. Le niveau des taux d’intérêt, qui est déjà à l’époque un bon indicateur de stabilité, grimpe au cours du IIe siècle jusqu’au plafond légal de 12 %. C’est seulement au IVe siècle que l’Empire romain retrouve une certaine stabilité politique et monétaire. Celle-ci perdure pendant quelques siècles dans la partie orientale. À l’ouest, en revanche, l’empire et son économie monétaire basée sur la division du travail sont emportés, en 476, par la tourmente des invasions barbares.

Malgré la relance du commerce et la réforme monétaire de Charlemagne, vers 800, il n’existe pratiquement pas de documents faisant état de prêts à intérêt avant le XIIe siècle. Les opérations de crédit ne réapparaissent que durant la période 1160-1330, avec les progrès de la productivité dans l’agriculture, la reprise du commerce et l’urbanisation.

La « Révolution commerciale » en Italie du Nord voit naître des banques qui acceptent des dépôts en monnaie nominale contre le versement d’intérêts et qui compensent les créances et les dettes de leurs clients en monnaie scripturale. La lettre de change apparaît également : il est désormais possible de contracter un crédit pour l’achat de marchandises à Gênes et de le rembourser avec intérêt, une fois la marchandise revendue, à Anvers par exemple. Les marchands d’Italie du Nord créent dans la foulée des filiales dans toute l’Europe : elles financent le commerce international, les cités-États et les principautés. Des sociétés commerciales basées aux Pays-Bas et en Allemagne du Sud reprennent ces pratiques qui se répandent ainsi dans l’ensemble de l’Europe occidentale au Bas Moyen Âge.

Les banques rémunèrent les dépôts par des intérêts allant de 4 à 10 %, tandis que les crédits commerciaux sont généralement accordés à un taux variant entre 5 et 15 %. Les princes sont ceux qui payent le plus – entre 80 et 100 % – lorsqu’ils ont besoin d’emprunter, alors qu’aucune recettes étatiques (par exemple : revenus d’exploitations minières, impôt) ne garantit un quelconque remboursement. Ces primes de risques se justifient parfaitement, car il est fréquent que les princes n’honorent pas leurs dettes. Les « prestiti » – titres de la dette de la République vénitienne –, négociables à partir de 1262, atteignent aux XIVe et XVe siècles des rendements oscillant entre 5 et 20 %. Ils reflètent ainsi les succès et les échecs de la Sérénissime sur le plan politique et économique. De manière générale, on constate toutefois une tendance à la baisse des taux durant le Bas Moyen Âge, d’abord en Italie du Nord, puis aux Pays-Bas.

Pour apprécier le niveau des taux d’intérêt, il faut prendre en compte deux aspects intéressants. Premièrement, les taux relativement élevés qui prévalent jusqu’au XXe siècle sont en priorité ajustés aux réalités du moment et non à l’inflation. La découverte occasionnelle de réserves de métaux précieux et l’appauvrissement des alliages monétaires fait grimper les prix, même si le taux moyen d’inflation est minime. Deuxièmement, le prêt à intérêt fait d’objet d’une interdiction universelle au sein de l’Église depuis le concile de Nicée en 325. Cette règle, fondée sur l’Ancien Testament, est maintes fois confirmée par des ecclésiastiques, comme le pape Léon le Grand ou Thomas d’Aquin. Cependant, la distinction entre les termes latins « usura » (usure) et « interesse » (indemnité compensant le renoncement à quelque chose ou les inconvénients du créancier) crée une zone grise dès le Haut Moyen Âge. Les réformateurs considèrent que des taux d’intérêt oscillant entre 5 et 8 % sont justes, mais le Vatican ne laisse la réglementation des taux à l’État qu’au début du XIXe siècle.

Avec la découverte de l’Amérique, les priorités économiques européennes se déplacent de l’espace méditerranéen vers l’Atlantique. Au début du XVIe siècle, Anvers devient la plaque tournante du commerce. La guerre d’indépendance des Pays-Bas (1568 – 1648) annonce son déclin, en raison de la domination espagnole qui perdure dans le sud du pays. Le rôle de pionnier est repris par la partie septentrionale des Pays-Bas et son centre urbain, Amsterdam.

Les principales innovations financières du XVIIe siècle sont également liées à Amsterdam. Ainsi, la première société anonyme cotée en Bourse est la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, fondée en 1602. Par ailleurs, la Banque de change d’Amsterdam ouvre ses portes en 1609 en réaction aux nombreuses faillites bancaires survenues par le passé ; elle offre une couverture des dépôts à 100 %. Enfin, la République hollandaise parvient à consolider sa dette publique et à la rendre totalement négociable. Le taux d’intérêt chute de 10 à 4 % entre 1600 et 1640. Par la suite, il tombe même au-dessous de 3 %, un plancher encore jamais atteint dans l’histoire et qui reste rare par la suite. De tels taux sont inconnus dans les pays étrangers avant l’industrialisation, au XIXe siècle. Même en Angleterre, on ne les connaît qu’au XVIIIe siècle.

Jusqu’à la Révolution industrielle, on n’enregistre que des poussés sporadiques de croissance, notamment dans l’Empire romain, dans le nord de l’Italie et aux Pays-Bas. C’est plus tard seulement qu’un processus continu de croissance s’installe : la hausse des revenus et la constitution d’épargne dans de larges couches de la population ont pour effet d’augmenter les dépôts bancaires. Dans la production, le dynamisme capitaliste externalise le financement des entreprises, qui se fait par des crédits bancaires, des obligations et des actions. Les fonds dont elles ont besoin proviennent désormais, comme pour les États, des marchés obligataires internationaux.

Durant la période de l’étalon-or international (env. 1880 – 1914), les coûts de transaction baissent grâce aux progrès de la télégraphie et du transport (bateau à vapeur et chemin de fer). Ils favorisent les taux de change fixes, la spécialisation internationale de la production et l’intégration des marchés financiers. Dans les principales économies d’Europe occidentale, les taux d’intérêt à court et à long termes baissent pendant cette période. Ils évoluent entre 2 et 3,5 %, alors que le niveau des prix à long terme est stable.

Cette époque prend fin avec la Première Guerre mondiale. Dans l’entre-deux-guerres, toute tentative visant à réintroduire l’étalon-or échoue. Au XXe siècle, le passage à un système basé exclusivement sur le papier-monnaie, sans couverture métallique, génère de nombreux épisodes inflationnistes, de faible ou grande ampleur, qui font grimper les taux d’intérêt nominaux.

Après la Seconde Guerre mondiale, une timide « remondialisation » commence dans le cadre du système monétaire de Bretton Woods. Elle n’atteint toutefois pas le niveau d’avant 1914, en raison des fortes limitations imposées aux mouvements internationaux de capitaux. C’est seulement au cours du quart de siècle écoulé, avec l’ouverture économique progressive de la Chine et d’autres économies planifiées, que l’on voit véritablement émerger des marchés financiers mondiaux.

En Suisse, les rendements nominaux des emprunts à long terme de la Confédération oscillent entre 4 et 6 % jusqu’au milieu des années nonante (voir illustration 1). En raison d’épisodes inflationnistes sporadiques (voir illustration 2), il convient toutefois de distinguer entre rendements réels et nominaux. Les premiers sont calculés en déduisant la moyenne des taux d’inflation prévus pendant la durée des emprunts[2]. Durant la même période, les taux d’intérêt réels (avec les taux d’inflation prévus) se situent entre -1 et 6 %. À partir du milieu des années nonante, les taux d’intérêt nominaux et réels entament une baisse constante, comme l’histoire n’en a jamais connu. De manière générale, les taux suisses suivent la tendance internationale durant toute cette période. Cependant, leur niveau, tant nominal que réel et corrigé des cours de change, reste la plupart du temps inférieur à ceux pratiqués à l’étranger. Cela s’explique par le « bonus d’intérêt » dont bénéficie la Suisse depuis la Première Guerre mondiale en raison du statut du franc, considéré comme une monnaie refuge[3].

Comme dans d’autres pays, le taux réel du marché monétaire baisse en Suisse moins sensiblement que les rendements réels des emprunts publics à long terme (voir illustration 3)[4]. Le taux d’intérêt réel des dépôts en francs sur le marché monétaire des eurodevises (marché de l’eurofranc) à Londres, calculé également à l’aide d’un modèle de séries chronologiques sur la base des prévisions de l’inflation[5], varie entre -4 et 4 % depuis 1974. Il reflète ainsi le rythme de la politique monétaire jusqu’en 2002. Depuis cette année-là, le taux d’intérêt réel sur le marché monétaire approche de zéro, à quelques exceptions près. Durant la récente crise financière, il devient même nettement négatif. Le taux nominal sur le marché de l’eurofranc est très volatil. Il évolue entre -0,75 et 12 %.

Société-Les crises dans l’histoire

Société-Les crises dans l’histoire

 

 

 

Aux yeux des contemporains, chaque époque présente des traits exceptionnels. Qu’en est-il en regard de l’Histoire ? Cette impression doit être relativisée par l’existence de cycles qui résultent d’une succession de crises, dont l’issue dépend de la capacité de résilience sociale. par André Yché dans la Tribune.  

 

La conception antique de la vie, inspirée par l’observation de la Nature et, fut-elle approximative, du cosmos, est fondamentalement cyclique. C’est évidemment le cas de l’existence individuelle : naissance, croissance, maturité, vieillesse et mort ; mais aussi de la vie sociale, avec le mythe de l’âge d’or et de l’éternel retour. Thucydide présente, à travers les épisodes de la guerre du Péloponnèse, une conception cyclique de l’Histoire. Aristote et surtout Platon pensent la politique à travers une succession invariable de régimes : anarchie, aristocratie, monarchie, tyrannie, démocratie… anarchie, etc. Il est clair que le panthéisme antique pèse considérablement sur les esprits, conduisant à la répétition intemporelle des actes sacrés, en réponse aux manifestations de la Nature.

Tout change avec le christianisme qui souligne et accentue l’héritage hébraïque de l’idée de progrès ; au Peuple élu, confronté à la disette et aux nuées de sauterelles, les prophètes font miroiter un avenir meilleur. Moïse le guide vers la Terre Promise à Abraham et, depuis, l’œuvre de Jean Chrysostome inspire durablement la théologie pastorale chrétienne.

Avec les Lumières, cette filiation traditionnelle est, sinon rompue, du moins intermédiée : l’idée de progrès découle, avec Descartes, du règne de la Raison. Ce n’est plus la théologie, mais l’anthropologie qui dessine une histoire linéaire et progressiste.

La Révolution française au XVIIIe siècle, couplée à la proclamation de l’Indépendance américaine, ont pour effet de promouvoir l’idéal républicain en tant qu’avenir indépassable de l’humanité, tandis que le scientisme d’Auguste Comte théorise la réalité pratique du progrès. Avec Pasteur, la biologie microbienne réalise une avancée comparable à celle opérée par Villermé en matière d’épidémiologie sociale, quelques décennies plus tôt. Bref, le progrès est tangible, au quotidien, et l’Histoire est devenue linéaire.

Bien sûr, il est un domaine dans lequel le cycle, non seulement perdure, mais s’impose au centre des réflexions savantes : c’est celui de l’économie, où alternent périodes d’extension et de crise. De Juglar à Kondratiev, de Tinbergen à Samuelson, les théories succèdent aux évènements. Sans remonter à la faillite de l’Union Générale en 1882 ni à celle de la banque Baring quelques années plus tard, c’est la Crise de 1929 qui illustre le caractère cyclique de l’économie et suscite les travaux de Keynes sur la régulation publique des marchés, radicalement contestés par Hayek, puis par les « Chicago Boys » de Milton Friedman. Et pourtant, force est de constater qu’à travers une série de « bulles spéculatives », les dispositifs de « lissage » démontrent une efficacité croissante que la crise majeure des « subprimes », à la fin de la première décennie de ce siècle, ne dément pas. En réalité, jusqu’à nos jours, l’impact de cette succession de cycles économiques, plus ou moins bien gérés, s’est trouvé amorti car leur enchaînement s’inscrivait dans un « trend haussier ». Avec le tassement progressif de la croissance en moyenne période, c’est l’existence même de ce « trend » qui est remise en cause et, par voie de conséquence, l’impact de la phase baissière du cycle qui s’en trouve réévalué.

Et pourtant, la foi dans le progrès, tout au long du XXe siècle, n’a cessé de régresser. Le phénomène le plus grave est moral : l’hécatombe de la Première Guerre mondiale, entre peuples européens, la révélation des camps nazis, puis du goulag, les génocides biafrais, cambodgien et rwandais, de même que la pratique de la « purification ethnique » dans l’ex-Yougoslavie, au cœur de l’Europe, mettent à mal l’idée du progrès moral universel, tiré par le progrès technique, qui a produit le Zyclon B, et l’arme atomique. Aux marches de la Russie, le délabrement de l’Ex-empire soviétique produit les tensions et les conflits qui ont suivi la chute de tous les empires précédents : Ottoman, Austro-Hongrois…

C’est dans ce contexte que survient une crise sanitaire, inéluctablement suivie d’une crise économique qui ne peut qu’engendrer à court terme et peut-être au-delà, des reculs significatifs et durables dans divers domaines, et notamment celui de la croissance et du pouvoir d’achat.

Alors que l’ère du progrès linéaire est sur le point de se clore, celle des cycles revient sur le devant de la scène. Enfin, avec le retour du cycle, c’est aussi celui des panthéismes qui s’annonce, notamment à travers certains courants de l’écologie politique qui, à partir de constats scientifiquement peu contestables, érigent les conclusions d’une pensée radicale en autant d’« impératifs catégoriques ».

Le monde était entré dans le XXe siècle en 1914. C’est peut-être en ce moment que nous nous préparons à inaugurer véritablement le siècle suivant, à l’aube du troisième millénaire.

Crises

Un regard, même superficiel, porté sur la succession des crises majeures qui ont émaillé l’Histoire, incite à tirer quelques enseignements quant aux effets de moyen et long termes qu’elles ont engendrés et qui, pour certains d’entre eux, reflètent constance et continuité.

D’abord, viennent les crises épidémiques et alimentaires, les deux étroitement combinées sans que l’on sache bien analyser des liens de causalité, souvent réciproques et toujours complexes.

L’Empire romain est ébranlé, notamment, par la peste dite « antonine », qui sévit de 165 à 190 et qui assombrit le règne de Marc Aurèle, puis celui de Commode. Elle trouve son origine en Mésopotamie, non loin de la capitale perse, Ctésiphon, où manœuvrent les légions qui la propagent jusqu’au Norique, dans l’actuelle Autriche. Le bilan démographique laisse supposer une dépopulation de l’ordre de 10%, jusqu’à 15% dans les zones fortement urbanisées. Soixante ans plus tard, c’est la peste de Cyprien qui sévit et qui ravage l’Afrique du Nord et l’Europe, en commençant par la Sicile. Enfin, à partir de 540 et pendant plus de vingt-cinq ans, c’est la terrible peste de Justinien qui décime les armées byzantines en campagne en Italie et met un terme au grandiose projet de réunification de l’Empire romain. Le cours de l’Histoire mondiale s’en trouve changé.

Du fléau de Dieu frappant les Hommes, plusieurs effets résultent invariablement : les portes, partout, se referment ; les villes se claquemurent ; le commerce cesse tandis que les campagnes militaires s’interrompent. L’humanité se fragmente, la société se féodalise.

Simultanément, le pouvoir politique s’appesantit : les mesures administratives tombent, pour sanctionner la spéculation, réquisitionner les réserves de céréales, réglementer la consommation d’eau et de blé, interdire les exportations alimentaires, car la disette arrive avec l’épidémie. Enfin, l’emprise religieuse s’affirme sur toutes les classes sociales : les processions se multiplient et les bûchers flambent.

La démographie vacille : entre un quart et un tiers de la population disparaît ; Constantinople perd la moitié de ses habitants ; l’exode urbain devant la diffusion de l’épidémie facilitée par la promiscuité s’accélère, parmi les classes aisées. C’est le grand médecin de ces sombres époques, Gallien, qui établit la seule médication appropriée : « Pars vite, marche droit et longtemps, ne reviens que le plus tard possible. »

Après la grande peste du XIVe siècle, qui s’étend sur plusieurs décennies, une constante apparaît : c’est toujours le commerce entre Orient et Occident, par « les routes de la soie », qui véhicule toutes les épidémies, via la mer Noire, l’Ethiopie, l’Arabie, les ports méditerranéens. La Provence, la vallée du Rhône sont les couloirs qui la conduisent en Europe, vers la mer du Nord et la Manche. « Le hussard sur le toit » de Jean Giono, porté à l’écran par Jean-Paul Rappeneau, illustre magnifiquement le tragique destin de ces contrées de propagation naturelle.

Enfin, vient la guerre de Trente Ans qui, épuisant les pays et les peuples, abandonne à tous les maux des populations affaiblies par les conflits et les calamités qui les accompagnent : la soldatesque, les sièges, les pillages. Comment ne pas distinguer alors les prémisses de la Grande Guerre, qui ouvre la voie à la « grippe espagnole », autre passager des « routes de la soie », qui quadruple l’impact démographique des combats et passe pourtant inaperçue dans des statistiques qui recouvrent indifféremment les conflits et leurs suites.

En termes d’organisation sociale, un impact prédomine : c’est l’alourdissement de la fiscalité qui pèse sur les classes moyennes, principales contributrices aux dépenses publiques, accélérées par les nécessités de l’action collective. C’est après la Grande Guerre que l’impôt sur le revenu s’intensifie et se généralise, alors que pour faire face aux besoins du ravitaillement, le premier cadre administratif régional, celui des « régions Clémentel », se met en place. Le second conflit mondial confirmera ce mouvement.

In fine, couplage du sanitaire et de l’alimentaire, fort ralentissement, fût-il provisoire, des échanges et retour des frontières, surcroît de réglementation durable, exode urbain, fiscalisation et centralisation accrues n’ont jamais été démenties. Pourquoi en irait-il différemment désormais et sous des formes modernes, pourquoi les conséquences de la crise mondiale échapperaient-elles à la règle intemporelle ? Quels enseignements tirer de cette suite d’évènements historiques ?

Dans le champ médiatique touchant à l’économie, la compétitivité s’est évanouie pour faire place à la résilience. De quoi s’agit-il ? De la capacité d’une société, d’une économie, à redémarrer, à « rebondir » à l’issue d’une grave crise. Comment illustrer, dans l’histoire contemporaine, cette faculté ?

En 1870, la guerre franco-prussienne, devenue franco-allemande par suite des maladresses de Napoléon III, très malade, se termine par une véritable catastrophe : capitulation de l’Empereur à Sedan en septembre 1870, de Bazaine à Metz en octobre de la même année ; en 1871, à l’issue de l’armistice qui signifie l’amputation des provinces de l’Est, plusieurs mois de guerre civile ensanglantent la capitale, l’armée des Versaillais écrasant la Commune sous le regard goguenard des Allemands. Au traité de Versailles, confirmé à Francfort, Bismarck impose des indemnités de guerre colossales, cinq milliards de francs – or, qui financeront le lancement de la sécurité sociale en Allemagne. La France, partiellement occupée, est à genoux.

Et pourtant, le relèvement est presque instantané : un premier emprunt de 2,5 millions de francs – or est souscrit plus de trois fois ; le second, émis à l’international pour le même montant, est souscrit quatorze fois. L’épargne étrangère afflue dans le pays. L’armée allemande évacue le territoire national, tandis que les lois militaires (Ney, etc.) réorganisent, à partir de 1882, les armées de la République en constituant les régions militaires. Conquêtes coloniales, expositions universelles se succèdent, tandis que les échanges internationaux atteignent, en 1913, un niveau qui ne sera égalé qu’en 1970.

Quel est le ressort de ce formidable rebond ? C’est la profonde modernisation du pays engagé, depuis 1850, par le Second Empire libéral, ouvert aux idées sociales et au Saint-Simonisme ; le secteur bancaire, l’industrie et l’exploitation minière, les chemins de fer se développent rapidement, tandis que les villes se transforment et les grands magasins apparaissent : c’est l’ère des Frères Pereire, de Ferdinand de Lesseps, de Boucicaut et de Prosper Enfantin.

Sur le plan international, Guillaume II contribue puissamment, par sa morgue, à sortir la France de son isolement ; déjà Bismarck avait fini par indisposer Albion…

Au cœur de cette résilience : la banque, les transports, la distribution et surtout l’urbanisme et le bâtiment. L’État a accompagné, rassuré… mais c’est l’économie qui a rebondi, en même temps que la société.

Toutes les leçons de l’Histoire et la liste des ingrédients de la résilience sont là : l’État doit gérer la crise, mais c’est aux entreprises d’assurer l’après-crise et à la société dans son ensemble de relever la tête, ce qu’elle fait volontiers : après la défaite, le recueillement, vient la libération… La Belle Epoque !

Toute la question réside dans l’identification des ressorts de ce nouveau rebond : l’abondance d’épargne, les grands projets d’infrastructures (enfin !), l’urbanisme. Le Crédit Foncier, acteur essentiel de la transformation de l’urbanisme de la France à partir de 1854 n’existe plus. Pour la modernisation du pays, il reste la Caisse des Dépôts et sa projection territoriale, la Banque des Territoires. Tout espoir n’est donc pas perdu.

Les crises dans l’histoire

Les crises dans l’histoire

 

 

 

Aux yeux des contemporains, chaque époque présente des traits exceptionnels. Qu’en est-il en regard de l’Histoire ? Cette impression doit être relativisée par l’existence de cycles qui résultent d’une succession de crises, dont l’issue dépend de la capacité de résilience sociale. par André Yché dans la Tribune.  

 

La conception antique de la vie, inspirée par l’observation de la Nature et, fut-elle approximative, du cosmos, est fondamentalement cyclique. C’est évidemment le cas de l’existence individuelle : naissance, croissance, maturité, vieillesse et mort ; mais aussi de la vie sociale, avec le mythe de l’âge d’or et de l’éternel retour. Thucydide présente, à travers les épisodes de la guerre du Péloponnèse, une conception cyclique de l’Histoire. Aristote et surtout Platon pensent la politique à travers une succession invariable de régimes : anarchie, aristocratie, monarchie, tyrannie, démocratie… anarchie, etc. Il est clair que le panthéisme antique pèse considérablement sur les esprits, conduisant à la répétition intemporelle des actes sacrés, en réponse aux manifestations de la Nature.

Tout change avec le christianisme qui souligne et accentue l’héritage hébraïque de l’idée de progrès ; au Peuple élu, confronté à la disette et aux nuées de sauterelles, les prophètes font miroiter un avenir meilleur. Moïse le guide vers la Terre Promise à Abraham et, depuis, l’œuvre de Jean Chrysostome inspire durablement la théologie pastorale chrétienne.

Avec les Lumières, cette filiation traditionnelle est, sinon rompue, du moins intermédiée : l’idée de progrès découle, avec Descartes, du règne de la Raison. Ce n’est plus la théologie, mais l’anthropologie qui dessine une histoire linéaire et progressiste.

La Révolution française au XVIIIe siècle, couplée à la proclamation de l’Indépendance américaine, ont pour effet de promouvoir l’idéal républicain en tant qu’avenir indépassable de l’humanité, tandis que le scientisme d’Auguste Comte théorise la réalité pratique du progrès. Avec Pasteur, la biologie microbienne réalise une avancée comparable à celle opérée par Villermé en matière d’épidémiologie sociale, quelques décennies plus tôt. Bref, le progrès est tangible, au quotidien, et l’Histoire est devenue linéaire.

Bien sûr, il est un domaine dans lequel le cycle, non seulement perdure, mais s’impose au centre des réflexions savantes : c’est celui de l’économie, où alternent périodes d’extension et de crise. De Juglar à Kondratiev, de Tinbergen à Samuelson, les théories succèdent aux évènements. Sans remonter à la faillite de l’Union Générale en 1882 ni à celle de la banque Baring quelques années plus tard, c’est la Crise de 1929 qui illustre le caractère cyclique de l’économie et suscite les travaux de Keynes sur la régulation publique des marchés, radicalement contestés par Hayek, puis par les « Chicago Boys » de Milton Friedman. Et pourtant, force est de constater qu’à travers une série de « bulles spéculatives », les dispositifs de « lissage » démontrent une efficacité croissante que la crise majeure des « subprimes », à la fin de la première décennie de ce siècle, ne dément pas. En réalité, jusqu’à nos jours, l’impact de cette succession de cycles économiques, plus ou moins bien gérés, s’est trouvé amorti car leur enchaînement s’inscrivait dans un « trend haussier ». Avec le tassement progressif de la croissance en moyenne période, c’est l’existence même de ce « trend » qui est remise en cause et, par voie de conséquence, l’impact de la phase baissière du cycle qui s’en trouve réévalué.

Et pourtant, la foi dans le progrès, tout au long du XXe siècle, n’a cessé de régresser. Le phénomène le plus grave est moral : l’hécatombe de la Première Guerre mondiale, entre peuples européens, la révélation des camps nazis, puis du goulag, les génocides biafrais, cambodgien et rwandais, de même que la pratique de la « purification ethnique » dans l’ex-Yougoslavie, au cœur de l’Europe, mettent à mal l’idée du progrès moral universel, tiré par le progrès technique, qui a produit le Zyclon B, et l’arme atomique. Aux marches de la Russie, le délabrement de l’Ex-empire soviétique produit les tensions et les conflits qui ont suivi la chute de tous les empires précédents : Ottoman, Austro-Hongrois…

C’est dans ce contexte que survient une crise sanitaire, inéluctablement suivie d’une crise économique qui ne peut qu’engendrer à court terme et peut-être au-delà, des reculs significatifs et durables dans divers domaines, et notamment celui de la croissance et du pouvoir d’achat.

Alors que l’ère du progrès linéaire est sur le point de se clore, celle des cycles revient sur le devant de la scène. Enfin, avec le retour du cycle, c’est aussi celui des panthéismes qui s’annonce, notamment à travers certains courants de l’écologie politique qui, à partir de constats scientifiquement peu contestables, érigent les conclusions d’une pensée radicale en autant d’« impératifs catégoriques ».

Le monde était entré dans le XXe siècle en 1914. C’est peut-être en ce moment que nous nous préparons à inaugurer véritablement le siècle suivant, à l’aube du troisième millénaire.

Crises

Un regard, même superficiel, porté sur la succession des crises majeures qui ont émaillé l’Histoire, incite à tirer quelques enseignements quant aux effets de moyen et long termes qu’elles ont engendrés et qui, pour certains d’entre eux, reflètent constance et continuité.

D’abord, viennent les crises épidémiques et alimentaires, les deux étroitement combinées sans que l’on sache bien analyser des liens de causalité, souvent réciproques et toujours complexes.

L’Empire romain est ébranlé, notamment, par la peste dite « antonine », qui sévit de 165 à 190 et qui assombrit le règne de Marc Aurèle, puis celui de Commode. Elle trouve son origine en Mésopotamie, non loin de la capitale perse, Ctésiphon, où manœuvrent les légions qui la propagent jusqu’au Norique, dans l’actuelle Autriche. Le bilan démographique laisse supposer une dépopulation de l’ordre de 10%, jusqu’à 15% dans les zones fortement urbanisées. Soixante ans plus tard, c’est la peste de Cyprien qui sévit et qui ravage l’Afrique du Nord et l’Europe, en commençant par la Sicile. Enfin, à partir de 540 et pendant plus de vingt-cinq ans, c’est la terrible peste de Justinien qui décime les armées byzantines en campagne en Italie et met un terme au grandiose projet de réunification de l’Empire romain. Le cours de l’Histoire mondiale s’en trouve changé.

Du fléau de Dieu frappant les Hommes, plusieurs effets résultent invariablement : les portes, partout, se referment ; les villes se claquemurent ; le commerce cesse tandis que les campagnes militaires s’interrompent. L’humanité se fragmente, la société se féodalise.

Simultanément, le pouvoir politique s’appesantit : les mesures administratives tombent, pour sanctionner la spéculation, réquisitionner les réserves de céréales, réglementer la consommation d’eau et de blé, interdire les exportations alimentaires, car la disette arrive avec l’épidémie. Enfin, l’emprise religieuse s’affirme sur toutes les classes sociales : les processions se multiplient et les bûchers flambent.

La démographie vacille : entre un quart et un tiers de la population disparaît ; Constantinople perd la moitié de ses habitants ; l’exode urbain devant la diffusion de l’épidémie facilitée par la promiscuité s’accélère, parmi les classes aisées. C’est le grand médecin de ces sombres époques, Gallien, qui établit la seule médication appropriée : « Pars vite, marche droit et longtemps, ne reviens que le plus tard possible. »

Après la grande peste du XIVe siècle, qui s’étend sur plusieurs décennies, une constante apparaît : c’est toujours le commerce entre Orient et Occident, par « les routes de la soie », qui véhicule toutes les épidémies, via la mer Noire, l’Ethiopie, l’Arabie, les ports méditerranéens. La Provence, la vallée du Rhône sont les couloirs qui la conduisent en Europe, vers la mer du Nord et la Manche. « Le hussard sur le toit » de Jean Giono, porté à l’écran par Jean-Paul Rappeneau, illustre magnifiquement le tragique destin de ces contrées de propagation naturelle.

Enfin, vient la guerre de Trente Ans qui, épuisant les pays et les peuples, abandonne à tous les maux des populations affaiblies par les conflits et les calamités qui les accompagnent : la soldatesque, les sièges, les pillages. Comment ne pas distinguer alors les prémisses de la Grande Guerre, qui ouvre la voie à la « grippe espagnole », autre passager des « routes de la soie », qui quadruple l’impact démographique des combats et passe pourtant inaperçue dans des statistiques qui recouvrent indifféremment les conflits et leurs suites.

En termes d’organisation sociale, un impact prédomine : c’est l’alourdissement de la fiscalité qui pèse sur les classes moyennes, principales contributrices aux dépenses publiques, accélérées par les nécessités de l’action collective. C’est après la Grande Guerre que l’impôt sur le revenu s’intensifie et se généralise, alors que pour faire face aux besoins du ravitaillement, le premier cadre administratif régional, celui des « régions Clémentel », se met en place. Le second conflit mondial confirmera ce mouvement.

In fine, couplage du sanitaire et de l’alimentaire, fort ralentissement, fût-il provisoire, des échanges et retour des frontières, surcroît de réglementation durable, exode urbain, fiscalisation et centralisation accrues n’ont jamais été démenties. Pourquoi en irait-il différemment désormais et sous des formes modernes, pourquoi les conséquences de la crise mondiale échapperaient-elles à la règle intemporelle ? Quels enseignements tirer de cette suite d’évènements historiques ?

Dans le champ médiatique touchant à l’économie, la compétitivité s’est évanouie pour faire place à la résilience. De quoi s’agit-il ? De la capacité d’une société, d’une économie, à redémarrer, à « rebondir » à l’issue d’une grave crise. Comment illustrer, dans l’histoire contemporaine, cette faculté ?

En 1870, la guerre franco-prussienne, devenue franco-allemande par suite des maladresses de Napoléon III, très malade, se termine par une véritable catastrophe : capitulation de l’Empereur à Sedan en septembre 1870, de Bazaine à Metz en octobre de la même année ; en 1871, à l’issue de l’armistice qui signifie l’amputation des provinces de l’Est, plusieurs mois de guerre civile ensanglantent la capitale, l’armée des Versaillais écrasant la Commune sous le regard goguenard des Allemands. Au traité de Versailles, confirmé à Francfort, Bismarck impose des indemnités de guerre colossales, cinq milliards de francs – or, qui financeront le lancement de la sécurité sociale en Allemagne. La France, partiellement occupée, est à genoux.

Et pourtant, le relèvement est presque instantané : un premier emprunt de 2,5 millions de francs – or est souscrit plus de trois fois ; le second, émis à l’international pour le même montant, est souscrit quatorze fois. L’épargne étrangère afflue dans le pays. L’armée allemande évacue le territoire national, tandis que les lois militaires (Ney, etc.) réorganisent, à partir de 1882, les armées de la République en constituant les régions militaires. Conquêtes coloniales, expositions universelles se succèdent, tandis que les échanges internationaux atteignent, en 1913, un niveau qui ne sera égalé qu’en 1970.

Quel est le ressort de ce formidable rebond ? C’est la profonde modernisation du pays engagé, depuis 1850, par le Second Empire libéral, ouvert aux idées sociales et au Saint-Simonisme ; le secteur bancaire, l’industrie et l’exploitation minière, les chemins de fer se développent rapidement, tandis que les villes se transforment et les grands magasins apparaissent : c’est l’ère des Frères Pereire, de Ferdinand de Lesseps, de Boucicaut et de Prosper Enfantin.

Sur le plan international, Guillaume II contribue puissamment, par sa morgue, à sortir la France de son isolement ; déjà Bismarck avait fini par indisposer Albion…

Au cœur de cette résilience : la banque, les transports, la distribution et surtout l’urbanisme et le bâtiment. L’État a accompagné, rassuré… mais c’est l’économie qui a rebondi, en même temps que la société.

Toutes les leçons de l’Histoire et la liste des ingrédients de la résilience sont là : l’État doit gérer la crise, mais c’est aux entreprises d’assurer l’après-crise et à la société dans son ensemble de relever la tête, ce qu’elle fait volontiers : après la défaite, le recueillement, vient la libération… La Belle Epoque !

Toute la question réside dans l’identification des ressorts de ce nouveau rebond : l’abondance d’épargne, les grands projets d’infrastructures (enfin !), l’urbanisme. Le Crédit Foncier, acteur essentiel de la transformation de l’urbanisme de la France à partir de 1854 n’existe plus. Pour la modernisation du pays, il reste la Caisse des Dépôts et sa projection territoriale, la Banque des Territoires. Tout espoir n’est donc pas perdu.

Société-Les crises dans l’histoire

Les crises dans l’histoire

 

 

 

Aux yeux des contemporains, chaque époque présente des traits exceptionnels. Qu’en est-il en regard de l’Histoire ? Cette impression doit être relativisée par l’existence de cycles qui résultent d’une succession de crises, dont l’issue dépend de la capacité de résilience sociale. par André Yché dans la Tribune.  

 

La conception antique de la vie, inspirée par l’observation de la Nature et, fut-elle approximative, du cosmos, est fondamentalement cyclique. C’est évidemment le cas de l’existence individuelle : naissance, croissance, maturité, vieillesse et mort ; mais aussi de la vie sociale, avec le mythe de l’âge d’or et de l’éternel retour. Thucydide présente, à travers les épisodes de la guerre du Péloponnèse, une conception cyclique de l’Histoire. Aristote et surtout Platon pensent la politique à travers une succession invariable de régimes : anarchie, aristocratie, monarchie, tyrannie, démocratie… anarchie, etc. Il est clair que le panthéisme antique pèse considérablement sur les esprits, conduisant à la répétition intemporelle des actes sacrés, en réponse aux manifestations de la Nature.

Tout change avec le christianisme qui souligne et accentue l’héritage hébraïque de l’idée de progrès ; au Peuple élu, confronté à la disette et aux nuées de sauterelles, les prophètes font miroiter un avenir meilleur. Moïse le guide vers la Terre Promise à Abraham et, depuis, l’œuvre de Jean Chrysostome inspire durablement la théologie pastorale chrétienne.

Avec les Lumières, cette filiation traditionnelle est, sinon rompue, du moins intermédiée : l’idée de progrès découle, avec Descartes, du règne de la Raison. Ce n’est plus la théologie, mais l’anthropologie qui dessine une histoire linéaire et progressiste.

La Révolution française au XVIIIe siècle, couplée à la proclamation de l’Indépendance américaine, ont pour effet de promouvoir l’idéal républicain en tant qu’avenir indépassable de l’humanité, tandis que le scientisme d’Auguste Comte théorise la réalité pratique du progrès. Avec Pasteur, la biologie microbienne réalise une avancée comparable à celle opérée par Villermé en matière d’épidémiologie sociale, quelques décennies plus tôt. Bref, le progrès est tangible, au quotidien, et l’Histoire est devenue linéaire.

Bien sûr, il est un domaine dans lequel le cycle, non seulement perdure, mais s’impose au centre des réflexions savantes : c’est celui de l’économie, où alternent périodes d’extension et de crise. De Juglar à Kondratiev, de Tinbergen à Samuelson, les théories succèdent aux évènements. Sans remonter à la faillite de l’Union Générale en 1882 ni à celle de la banque Baring quelques années plus tard, c’est la Crise de 1929 qui illustre le caractère cyclique de l’économie et suscite les travaux de Keynes sur la régulation publique des marchés, radicalement contestés par Hayek, puis par les « Chicago Boys » de Milton Friedman. Et pourtant, force est de constater qu’à travers une série de « bulles spéculatives », les dispositifs de « lissage » démontrent une efficacité croissante que la crise majeure des « subprimes », à la fin de la première décennie de ce siècle, ne dément pas. En réalité, jusqu’à nos jours, l’impact de cette succession de cycles économiques, plus ou moins bien gérés, s’est trouvé amorti car leur enchaînement s’inscrivait dans un « trend haussier ». Avec le tassement progressif de la croissance en moyenne période, c’est l’existence même de ce « trend » qui est remise en cause et, par voie de conséquence, l’impact de la phase baissière du cycle qui s’en trouve réévalué.

Et pourtant, la foi dans le progrès, tout au long du XXe siècle, n’a cessé de régresser. Le phénomène le plus grave est moral : l’hécatombe de la Première Guerre mondiale, entre peuples européens, la révélation des camps nazis, puis du goulag, les génocides biafrais, cambodgien et rwandais, de même que la pratique de la « purification ethnique » dans l’ex-Yougoslavie, au cœur de l’Europe, mettent à mal l’idée du progrès moral universel, tiré par le progrès technique, qui a produit le Zyclon B, et l’arme atomique. Aux marches de la Russie, le délabrement de l’Ex-empire soviétique produit les tensions et les conflits qui ont suivi la chute de tous les empires précédents : Ottoman, Austro-Hongrois…

C’est dans ce contexte que survient une crise sanitaire, inéluctablement suivie d’une crise économique qui ne peut qu’engendrer à court terme et peut-être au-delà, des reculs significatifs et durables dans divers domaines, et notamment celui de la croissance et du pouvoir d’achat.

Alors que l’ère du progrès linéaire est sur le point de se clore, celle des cycles revient sur le devant de la scène. Enfin, avec le retour du cycle, c’est aussi celui des panthéismes qui s’annonce, notamment à travers certains courants de l’écologie politique qui, à partir de constats scientifiquement peu contestables, érigent les conclusions d’une pensée radicale en autant d’« impératifs catégoriques ».

Le monde était entré dans le XXe siècle en 1914. C’est peut-être en ce moment que nous nous préparons à inaugurer véritablement le siècle suivant, à l’aube du troisième millénaire.

Crises

Un regard, même superficiel, porté sur la succession des crises majeures qui ont émaillé l’Histoire, incite à tirer quelques enseignements quant aux effets de moyen et long termes qu’elles ont engendrés et qui, pour certains d’entre eux, reflètent constance et continuité.

D’abord, viennent les crises épidémiques et alimentaires, les deux étroitement combinées sans que l’on sache bien analyser des liens de causalité, souvent réciproques et toujours complexes.

L’Empire romain est ébranlé, notamment, par la peste dite « antonine », qui sévit de 165 à 190 et qui assombrit le règne de Marc Aurèle, puis celui de Commode. Elle trouve son origine en Mésopotamie, non loin de la capitale perse, Ctésiphon, où manœuvrent les légions qui la propagent jusqu’au Norique, dans l’actuelle Autriche. Le bilan démographique laisse supposer une dépopulation de l’ordre de 10%, jusqu’à 15% dans les zones fortement urbanisées. Soixante ans plus tard, c’est la peste de Cyprien qui sévit et qui ravage l’Afrique du Nord et l’Europe, en commençant par la Sicile. Enfin, à partir de 540 et pendant plus de vingt-cinq ans, c’est la terrible peste de Justinien qui décime les armées byzantines en campagne en Italie et met un terme au grandiose projet de réunification de l’Empire romain. Le cours de l’Histoire mondiale s’en trouve changé.

Du fléau de Dieu frappant les Hommes, plusieurs effets résultent invariablement : les portes, partout, se referment ; les villes se claquemurent ; le commerce cesse tandis que les campagnes militaires s’interrompent. L’humanité se fragmente, la société se féodalise.

Simultanément, le pouvoir politique s’appesantit : les mesures administratives tombent, pour sanctionner la spéculation, réquisitionner les réserves de céréales, réglementer la consommation d’eau et de blé, interdire les exportations alimentaires, car la disette arrive avec l’épidémie. Enfin, l’emprise religieuse s’affirme sur toutes les classes sociales : les processions se multiplient et les bûchers flambent.

La démographie vacille : entre un quart et un tiers de la population disparaît ; Constantinople perd la moitié de ses habitants ; l’exode urbain devant la diffusion de l’épidémie facilitée par la promiscuité s’accélère, parmi les classes aisées. C’est le grand médecin de ces sombres époques, Gallien, qui établit la seule médication appropriée : « Pars vite, marche droit et longtemps, ne reviens que le plus tard possible. »

Après la grande peste du XIVe siècle, qui s’étend sur plusieurs décennies, une constante apparaît : c’est toujours le commerce entre Orient et Occident, par « les routes de la soie », qui véhicule toutes les épidémies, via la mer Noire, l’Ethiopie, l’Arabie, les ports méditerranéens. La Provence, la vallée du Rhône sont les couloirs qui la conduisent en Europe, vers la mer du Nord et la Manche. « Le hussard sur le toit » de Jean Giono, porté à l’écran par Jean-Paul Rappeneau, illustre magnifiquement le tragique destin de ces contrées de propagation naturelle.

Enfin, vient la guerre de Trente Ans qui, épuisant les pays et les peuples, abandonne à tous les maux des populations affaiblies par les conflits et les calamités qui les accompagnent : la soldatesque, les sièges, les pillages. Comment ne pas distinguer alors les prémisses de la Grande Guerre, qui ouvre la voie à la « grippe espagnole », autre passager des « routes de la soie », qui quadruple l’impact démographique des combats et passe pourtant inaperçue dans des statistiques qui recouvrent indifféremment les conflits et leurs suites.

En termes d’organisation sociale, un impact prédomine : c’est l’alourdissement de la fiscalité qui pèse sur les classes moyennes, principales contributrices aux dépenses publiques, accélérées par les nécessités de l’action collective. C’est après la Grande Guerre que l’impôt sur le revenu s’intensifie et se généralise, alors que pour faire face aux besoins du ravitaillement, le premier cadre administratif régional, celui des « régions Clémentel », se met en place. Le second conflit mondial confirmera ce mouvement.

In fine, couplage du sanitaire et de l’alimentaire, fort ralentissement, fût-il provisoire, des échanges et retour des frontières, surcroît de réglementation durable, exode urbain, fiscalisation et centralisation accrues n’ont jamais été démenties. Pourquoi en irait-il différemment désormais et sous des formes modernes, pourquoi les conséquences de la crise mondiale échapperaient-elles à la règle intemporelle ? Quels enseignements tirer de cette suite d’évènements historiques ?

Dans le champ médiatique touchant à l’économie, la compétitivité s’est évanouie pour faire place à la résilience. De quoi s’agit-il ? De la capacité d’une société, d’une économie, à redémarrer, à « rebondir » à l’issue d’une grave crise. Comment illustrer, dans l’histoire contemporaine, cette faculté ?

En 1870, la guerre franco-prussienne, devenue franco-allemande par suite des maladresses de Napoléon III, très malade, se termine par une véritable catastrophe : capitulation de l’Empereur à Sedan en septembre 1870, de Bazaine à Metz en octobre de la même année ; en 1871, à l’issue de l’armistice qui signifie l’amputation des provinces de l’Est, plusieurs mois de guerre civile ensanglantent la capitale, l’armée des Versaillais écrasant la Commune sous le regard goguenard des Allemands. Au traité de Versailles, confirmé à Francfort, Bismarck impose des indemnités de guerre colossales, cinq milliards de francs – or, qui financeront le lancement de la sécurité sociale en Allemagne. La France, partiellement occupée, est à genoux.

Et pourtant, le relèvement est presque instantané : un premier emprunt de 2,5 millions de francs – or est souscrit plus de trois fois ; le second, émis à l’international pour le même montant, est souscrit quatorze fois. L’épargne étrangère afflue dans le pays. L’armée allemande évacue le territoire national, tandis que les lois militaires (Ney, etc.) réorganisent, à partir de 1882, les armées de la République en constituant les régions militaires. Conquêtes coloniales, expositions universelles se succèdent, tandis que les échanges internationaux atteignent, en 1913, un niveau qui ne sera égalé qu’en 1970.

Quel est le ressort de ce formidable rebond ? C’est la profonde modernisation du pays engagé, depuis 1850, par le Second Empire libéral, ouvert aux idées sociales et au Saint-Simonisme ; le secteur bancaire, l’industrie et l’exploitation minière, les chemins de fer se développent rapidement, tandis que les villes se transforment et les grands magasins apparaissent : c’est l’ère des Frères Pereire, de Ferdinand de Lesseps, de Boucicaut et de Prosper Enfantin.

Sur le plan international, Guillaume II contribue puissamment, par sa morgue, à sortir la France de son isolement ; déjà Bismarck avait fini par indisposer Albion…

Au cœur de cette résilience : la banque, les transports, la distribution et surtout l’urbanisme et le bâtiment. L’État a accompagné, rassuré… mais c’est l’économie qui a rebondi, en même temps que la société.

Toutes les leçons de l’Histoire et la liste des ingrédients de la résilience sont là : l’État doit gérer la crise, mais c’est aux entreprises d’assurer l’après-crise et à la société dans son ensemble de relever la tête, ce qu’elle fait volontiers : après la défaite, le recueillement, vient la libération… La Belle Epoque !

Toute la question réside dans l’identification des ressorts de ce nouveau rebond : l’abondance d’épargne, les grands projets d’infrastructures (enfin !), l’urbanisme. Le Crédit Foncier, acteur essentiel de la transformation de l’urbanisme de la France à partir de 1854 n’existe plus. Pour la modernisation du pays, il reste la Caisse des Dépôts et sa projection territoriale, la Banque des Territoires. Tout espoir n’est donc pas perdu.

André Yché

Les crises dans l’histoire

Les crises dans l’histoire

 

 

 

Aux yeux des contemporains, chaque époque présente des traits exceptionnels. Qu’en est-il en regard de l’Histoire ? Cette impression doit être relativisée par l’existence de cycles qui résultent d’une succession de crises, dont l’issue dépend de la capacité de résilience sociale. par André Yché dans la Tribune.  

 

La conception antique de la vie, inspirée par l’observation de la Nature et, fut-elle approximative, du cosmos, est fondamentalement cyclique. C’est évidemment le cas de l’existence individuelle : naissance, croissance, maturité, vieillesse et mort ; mais aussi de la vie sociale, avec le mythe de l’âge d’or et de l’éternel retour. Thucydide présente, à travers les épisodes de la guerre du Péloponnèse, une conception cyclique de l’Histoire. Aristote et surtout Platon pensent la politique à travers une succession invariable de régimes : anarchie, aristocratie, monarchie, tyrannie, démocratie… anarchie, etc. Il est clair que le panthéisme antique pèse considérablement sur les esprits, conduisant à la répétition intemporelle des actes sacrés, en réponse aux manifestations de la Nature.

Tout change avec le christianisme qui souligne et accentue l’héritage hébraïque de l’idée de progrès ; au Peuple élu, confronté à la disette et aux nuées de sauterelles, les prophètes font miroiter un avenir meilleur. Moïse le guide vers la Terre Promise à Abraham et, depuis, l’œuvre de Jean Chrysostome inspire durablement la théologie pastorale chrétienne.

Avec les Lumières, cette filiation traditionnelle est, sinon rompue, du moins intermédiée : l’idée de progrès découle, avec Descartes, du règne de la Raison. Ce n’est plus la théologie, mais l’anthropologie qui dessine une histoire linéaire et progressiste.

La Révolution française au XVIIIe siècle, couplée à la proclamation de l’Indépendance américaine, ont pour effet de promouvoir l’idéal républicain en tant qu’avenir indépassable de l’humanité, tandis que le scientisme d’Auguste Comte théorise la réalité pratique du progrès. Avec Pasteur, la biologie microbienne réalise une avancée comparable à celle opérée par Villermé en matière d’épidémiologie sociale, quelques décennies plus tôt. Bref, le progrès est tangible, au quotidien, et l’Histoire est devenue linéaire.

Bien sûr, il est un domaine dans lequel le cycle, non seulement perdure, mais s’impose au centre des réflexions savantes : c’est celui de l’économie, où alternent périodes d’extension et de crise. De Juglar à Kondratiev, de Tinbergen à Samuelson, les théories succèdent aux évènements. Sans remonter à la faillite de l’Union Générale en 1882 ni à celle de la banque Baring quelques années plus tard, c’est la Crise de 1929 qui illustre le caractère cyclique de l’économie et suscite les travaux de Keynes sur la régulation publique des marchés, radicalement contestés par Hayek, puis par les « Chicago Boys » de Milton Friedman. Et pourtant, force est de constater qu’à travers une série de « bulles spéculatives », les dispositifs de « lissage » démontrent une efficacité croissante que la crise majeure des « subprimes », à la fin de la première décennie de ce siècle, ne dément pas. En réalité, jusqu’à nos jours, l’impact de cette succession de cycles économiques, plus ou moins bien gérés, s’est trouvé amorti car leur enchaînement s’inscrivait dans un « trend haussier ». Avec le tassement progressif de la croissance en moyenne période, c’est l’existence même de ce « trend » qui est remise en cause et, par voie de conséquence, l’impact de la phase baissière du cycle qui s’en trouve réévalué.

Et pourtant, la foi dans le progrès, tout au long du XXe siècle, n’a cessé de régresser. Le phénomène le plus grave est moral : l’hécatombe de la Première Guerre mondiale, entre peuples européens, la révélation des camps nazis, puis du goulag, les génocides biafrais, cambodgien et rwandais, de même que la pratique de la « purification ethnique » dans l’ex-Yougoslavie, au cœur de l’Europe, mettent à mal l’idée du progrès moral universel, tiré par le progrès technique, qui a produit le Zyclon B, et l’arme atomique. Aux marches de la Russie, le délabrement de l’Ex-empire soviétique produit les tensions et les conflits qui ont suivi la chute de tous les empires précédents : Ottoman, Austro-Hongrois…

C’est dans ce contexte que survient une crise sanitaire, inéluctablement suivie d’une crise économique qui ne peut qu’engendrer à court terme et peut-être au-delà, des reculs significatifs et durables dans divers domaines, et notamment celui de la croissance et du pouvoir d’achat.

Alors que l’ère du progrès linéaire est sur le point de se clore, celle des cycles revient sur le devant de la scène. Enfin, avec le retour du cycle, c’est aussi celui des panthéismes qui s’annonce, notamment à travers certains courants de l’écologie politique qui, à partir de constats scientifiquement peu contestables, érigent les conclusions d’une pensée radicale en autant d’« impératifs catégoriques ».

Le monde était entré dans le XXe siècle en 1914. C’est peut-être en ce moment que nous nous préparons à inaugurer véritablement le siècle suivant, à l’aube du troisième millénaire.

Crises

Un regard, même superficiel, porté sur la succession des crises majeures qui ont émaillé l’Histoire, incite à tirer quelques enseignements quant aux effets de moyen et long termes qu’elles ont engendrés et qui, pour certains d’entre eux, reflètent constance et continuité.

D’abord, viennent les crises épidémiques et alimentaires, les deux étroitement combinées sans que l’on sache bien analyser des liens de causalité, souvent réciproques et toujours complexes.

L’Empire romain est ébranlé, notamment, par la peste dite « antonine », qui sévit de 165 à 190 et qui assombrit le règne de Marc Aurèle, puis celui de Commode. Elle trouve son origine en Mésopotamie, non loin de la capitale perse, Ctésiphon, où manœuvrent les légions qui la propagent jusqu’au Norique, dans l’actuelle Autriche. Le bilan démographique laisse supposer une dépopulation de l’ordre de 10%, jusqu’à 15% dans les zones fortement urbanisées. Soixante ans plus tard, c’est la peste de Cyprien qui sévit et qui ravage l’Afrique du Nord et l’Europe, en commençant par la Sicile. Enfin, à partir de 540 et pendant plus de vingt-cinq ans, c’est la terrible peste de Justinien qui décime les armées byzantines en campagne en Italie et met un terme au grandiose projet de réunification de l’Empire romain. Le cours de l’Histoire mondiale s’en trouve changé.

Du fléau de Dieu frappant les Hommes, plusieurs effets résultent invariablement : les portes, partout, se referment ; les villes se claquemurent ; le commerce cesse tandis que les campagnes militaires s’interrompent. L’humanité se fragmente, la société se féodalise.

Simultanément, le pouvoir politique s’appesantit : les mesures administratives tombent, pour sanctionner la spéculation, réquisitionner les réserves de céréales, réglementer la consommation d’eau et de blé, interdire les exportations alimentaires, car la disette arrive avec l’épidémie. Enfin, l’emprise religieuse s’affirme sur toutes les classes sociales : les processions se multiplient et les bûchers flambent.

La démographie vacille : entre un quart et un tiers de la population disparaît ; Constantinople perd la moitié de ses habitants ; l’exode urbain devant la diffusion de l’épidémie facilitée par la promiscuité s’accélère, parmi les classes aisées. C’est le grand médecin de ces sombres époques, Gallien, qui établit la seule médication appropriée : « Pars vite, marche droit et longtemps, ne reviens que le plus tard possible. »

Après la grande peste du XIVe siècle, qui s’étend sur plusieurs décennies, une constante apparaît : c’est toujours le commerce entre Orient et Occident, par « les routes de la soie », qui véhicule toutes les épidémies, via la mer Noire, l’Ethiopie, l’Arabie, les ports méditerranéens. La Provence, la vallée du Rhône sont les couloirs qui la conduisent en Europe, vers la mer du Nord et la Manche. « Le hussard sur le toit » de Jean Giono, porté à l’écran par Jean-Paul Rappeneau, illustre magnifiquement le tragique destin de ces contrées de propagation naturelle.

Enfin, vient la guerre de Trente Ans qui, épuisant les pays et les peuples, abandonne à tous les maux des populations affaiblies par les conflits et les calamités qui les accompagnent : la soldatesque, les sièges, les pillages. Comment ne pas distinguer alors les prémisses de la Grande Guerre, qui ouvre la voie à la « grippe espagnole », autre passager des « routes de la soie », qui quadruple l’impact démographique des combats et passe pourtant inaperçue dans des statistiques qui recouvrent indifféremment les conflits et leurs suites.

En termes d’organisation sociale, un impact prédomine : c’est l’alourdissement de la fiscalité qui pèse sur les classes moyennes, principales contributrices aux dépenses publiques, accélérées par les nécessités de l’action collective. C’est après la Grande Guerre que l’impôt sur le revenu s’intensifie et se généralise, alors que pour faire face aux besoins du ravitaillement, le premier cadre administratif régional, celui des « régions Clémentel », se met en place. Le second conflit mondial confirmera ce mouvement.

In fine, couplage du sanitaire et de l’alimentaire, fort ralentissement, fût-il provisoire, des échanges et retour des frontières, surcroît de réglementation durable, exode urbain, fiscalisation et centralisation accrues n’ont jamais été démenties. Pourquoi en irait-il différemment désormais et sous des formes modernes, pourquoi les conséquences de la crise mondiale échapperaient-elles à la règle intemporelle ? Quels enseignements tirer de cette suite d’évènements historiques ?

Dans le champ médiatique touchant à l’économie, la compétitivité s’est évanouie pour faire place à la résilience. De quoi s’agit-il ? De la capacité d’une société, d’une économie, à redémarrer, à « rebondir » à l’issue d’une grave crise. Comment illustrer, dans l’histoire contemporaine, cette faculté ?

En 1870, la guerre franco-prussienne, devenue franco-allemande par suite des maladresses de Napoléon III, très malade, se termine par une véritable catastrophe : capitulation de l’Empereur à Sedan en septembre 1870, de Bazaine à Metz en octobre de la même année ; en 1871, à l’issue de l’armistice qui signifie l’amputation des provinces de l’Est, plusieurs mois de guerre civile ensanglantent la capitale, l’armée des Versaillais écrasant la Commune sous le regard goguenard des Allemands. Au traité de Versailles, confirmé à Francfort, Bismarck impose des indemnités de guerre colossales, cinq milliards de francs – or, qui financeront le lancement de la sécurité sociale en Allemagne. La France, partiellement occupée, est à genoux.

Et pourtant, le relèvement est presque instantané : un premier emprunt de 2,5 millions de francs – or est souscrit plus de trois fois ; le second, émis à l’international pour le même montant, est souscrit quatorze fois. L’épargne étrangère afflue dans le pays. L’armée allemande évacue le territoire national, tandis que les lois militaires (Ney, etc.) réorganisent, à partir de 1882, les armées de la République en constituant les régions militaires. Conquêtes coloniales, expositions universelles se succèdent, tandis que les échanges internationaux atteignent, en 1913, un niveau qui ne sera égalé qu’en 1970.

Quel est le ressort de ce formidable rebond ? C’est la profonde modernisation du pays engagé, depuis 1850, par le Second Empire libéral, ouvert aux idées sociales et au Saint-Simonisme ; le secteur bancaire, l’industrie et l’exploitation minière, les chemins de fer se développent rapidement, tandis que les villes se transforment et les grands magasins apparaissent : c’est l’ère des Frères Pereire, de Ferdinand de Lesseps, de Boucicaut et de Prosper Enfantin.

Sur le plan international, Guillaume II contribue puissamment, par sa morgue, à sortir la France de son isolement ; déjà Bismarck avait fini par indisposer Albion…

Au cœur de cette résilience : la banque, les transports, la distribution et surtout l’urbanisme et le bâtiment. L’État a accompagné, rassuré… mais c’est l’économie qui a rebondi, en même temps que la société.

Toutes les leçons de l’Histoire et la liste des ingrédients de la résilience sont là : l’État doit gérer la crise, mais c’est aux entreprises d’assurer l’après-crise et à la société dans son ensemble de relever la tête, ce qu’elle fait volontiers : après la défaite, le recueillement, vient la libération… La Belle Epoque !

Toute la question réside dans l’identification des ressorts de ce nouveau rebond : l’abondance d’épargne, les grands projets d’infrastructures (enfin !), l’urbanisme. Le Crédit Foncier, acteur essentiel de la transformation de l’urbanisme de la France à partir de 1854 n’existe plus. Pour la modernisation du pays, il reste la Caisse des Dépôts et sa projection territoriale, la Banque des Territoires. Tout espoir n’est donc pas perdu.

André Yché

Les enjeux de l’histoire de l’art

Les enjeux de l’histoire de l’art

Eric de Chassey, directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art, participe à la 11ᵉ édition du Festival de l’histoire de l’art, qui se tient au château de Fontainebleau, jusqu’au 5 juin. Dans un entretien au « Monde », il détaille les enjeux actuels de cette discipline.

 

La 11e édition du Festival de l’histoire de l’art a lieu jusqu’au 5 juin au château de Fontainebleau (Seine-et-Marne) tandis que l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), partie prenante dans l’événement, fête ses 20 ans. Son directeur général détaille les enjeux actuels de cette discipline et les activités de l’INHA.

A l’occasion des 20 ans de l’INHA, vous avez organisé une série de débats autour d’une question : à quoi sert l’histoire de l’art aujourd’hui ? Avez-vous des réponses ?

Elle sert à plusieurs choses : comprendre les images qui nous entourent, qu’elles se veulent artistiques ou qu’elles ne le soient pas du tout, en prêtant toutefois plus d’attention aux premières. Elle sert aussi, dans ce cas, à accroître sa capacité d’empathie, de prise en compte de l’altérité. Parce qu’une œuvre d’art est produite par quelqu’un qui appartient souvent à une civilisation, un temps, un lieu différent des siens, mais qui continue à agir dans le présent et sur soi. Fréquenter, comprendre et se laisser émouvoir par les œuvres, c’est donc accroître sa capacité d’empathie, ce qui me semble important socialement.

L’histoire de l’art sert aussi à accroître ses capacités de créativité : en comprenant pourquoi, comment des artistes ont pu créer des objets, on développe nos propres processus d’invention. Cela sert aussi à accroître son plaisir. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la connaissance n’est pas opposée au plaisir, elle a plutôt tendance à l’augmenter, à le complexifier. Raison pour laquelle il faut la promouvoir afin que ce plaisir ne soit pas réservé à quelques-uns.

 

L’histoire de l’art( wikipédia)

 

L’histoire de l’art est la discipline qui a pour objet l’étude des œuvres dans l’histoire, et du sens qu’elles peuvent prendre. Elle étudie également les conditions de création des artistes, la reconnaissance du fait artistique par un public, ainsi que le contexte spirituel, culturel, anthropologique, idéologique et théorique, économique et social de l’art.

Cette discipline universitaire est fondée sur la recherche, l’actualisation et la transposition de problématiques historiques, scientifiques, autour de phénomènes artistiques et culturels. Ainsi, l’histoire de l’art est spécialisée dans la création artistique et ses divers dimensions et concepts (parfois compris comme des fictions) : idée (l’art, la culture), objet (l’œuvre, la technique, la matière), individu (l’artiste, le spectateur), langage (les discours portés dans et autour de l’objet d’art, le medium, la perception), expérience poétique (qu’est-ce que faire œuvre ?) ou imaginaire (la représentation, la figure).

On retrouve ces questions face à des collections d’objets et des pratiques depuis l’Antiquité méditerranéenne (Xénocrate de SicyonePline l’Ancien1Pausanias le Périégète), l’Inde classique (Muni Bharata2Abhinavagupta), la Chine ancienne (Confucius, Xie He3Su Shi4), l’Islam médiéval (Al-KindiAl-Farabi5Avicenne), jusqu’à la Renaissance (DanteCenniniGhibertiAlbertiLéonard de VinciVasari) ainsi que, depuis, dans les diverses traditions d’écrits et de propos sur l’art6, comme la critique d’art, les traités d’artistes, d’antiquaires, de voyageurs, etc. C’est dans le contexte du renouvellement des questions scientifiques des xviiie et xixe siècles (en particulier avec WinckelmannRumohr7 et Burckhardt), que l’histoire de l’art prend forme, en parallèle au développement de l’archéologie, des bibliothèques et des musées publics en Occident (dans chaque cadre national naissant8), comme une spécialité de la philosophie et de l’histoire complémentaire à l’étude de textes, de la littérature.

Comme en Chine, le dictateur Poutine réécrit l’histoire du pays.

 

 

Comme en Chine, le dictateur Poutine réécrit l’histoire du pays.

 

Après la liquidation deL’ONG russe Memorial , Poutine va continuer de réécrire l’histoire de son pays pour donner une légitimité à sa dictature.( un papier du Monde, extrait)

 

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La boucle est bouclée. Née à la fin des années 1980, au sein de la société civile, à la faveur de l’ouverture tentée par le dernier numéro un soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, l’association russe de défense des droits de l’homme Memorial a été dissoute mardi 28 décembre à Moscou par une Cour suprême aux ordres du Kremlin et de Vladimir Poutine. Plus qu’un symbole, c’est un tournant dans l’histoire de la Russie post-soviétique.

L’itinéraire de Memorial, de l’espoir démocratique au bannissement, illustre l’évolution politique de la Russie de ces trois dernières décennies. Créée à l’origine pour faire la lumière sur la répression politique à travers l’histoire de l’URSS et promouvoir la réhabilitation de ses victimes, Memorial comptait parmi ses fondateurs un authentique démocrate, l’académicien et Prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, mort en décembre 1989. Après la chute de l’Union soviétique en décembre 1991, Memorial est passée du statut d’organisation dissidente à celui d’association publiquement reconnue.

L’environnement est devenu plus difficile dans les années 2000, après l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Memorial avait étendu son champ d’activité à la défense des droits de l’homme. En 2009, l’une de ses enquêtrices en Tchétchénie, Natalia Estemirova, a été enlevée et assassinée. Pour les archivistes et les chercheurs, collaborer avec Memorial est devenu dangereux.

Mais, surtout, le travail scientifique de Memorial est entré en concurrence avec la volonté de Vladimir Poutine de contrôler le récit historique national. Le président russe a lancé un mouvement en profondeur visant à repolitiser l’histoire de l’Union soviétique, quitte à la réécrire, en glorifiant le rôle de Staline pendant la seconde guerre mondiale. En 2016, l’ONG Memorial a été décrétée « agent de l’étranger », comme toutes les associations bénéficiant de subventions de l’extérieur. La même année, l’un des historiens les plus acharnés de Memorial, Iouri Dmitriev, 65 ans, a été arrêté et accusé d’abus sexuels. Lundi, il a vu sa peine alourdie à quinze ans de prison.

Devant la Cour suprême, le procureur a reproché à Memorial d’avoir « créé une image mensongère de l’URSS comme Etat terroriste » et d’avoir noirci la mémoire du pays pendant la « Grande Guerre patriotique ». Formellement, la décision de dissolution a été justifiée par l’omission de l’ONG de s’identifier comme « agent de l’étranger » dans certains documents.

Ces trois décennies post-URSS ressemblaient de plus en plus à une parenthèse, dont on voyait la fermeture se rapprocher inexorablement. La Russie est aujourd’hui verrouillée : même la mémoire doit y être contrôlée par un pouvoir nostalgique d’une illusoire grandeur passée.

 

Eric Zemmour, un historien qui tord l’histoire au service de ses obsessions

Eric Zemmour, un historien qui tord  l’histoire au service de ses obsessions

 

Le chercheur en relations internationales Benjamin Haddad analyse, dans une tribune au « Monde », la manière dont le candidat d’extrême droite à la présidentielle 2022 envisage la politique étrangère, à la lumière de son ouvrage « Mélancolie française », paru en 2010.

 

Tribune. 

 

Sur quelle lecture de l’histoire de France se fonde la politique étrangère d’Eric Zemmour ? Dans Mélancolie française (Fayard-Denoël), une méditation sur l’histoire diplomatique française parue en 2010, Zemmour dresse un portrait constamment décliniste, et souvent incohérent, de l’histoire de notre pays. Pas de grandeur gaullienne, l’histoire de France de Zemmour est jalonnée d’« échecs » et de « renoncements ». Les dirigeants franhttps://lemonde.sirius.press/articles/3249822/revisionsçais se trompent continuellement de combats, manipulés par leur propre aveuglement et par des dirigeants étrangers perfides, plus intelligents en somme.

Le déclassement n’a pas commencé il y a quarante ans – date à laquelle démarre son Suicide français (Albin Michel, 2014) –, ni en 1940, voire en 1815 ou en 1789. Dans l’œuvre de Zemmour, ce déclassement est inscrit dans l’ADN de notre pays depuis le « désastreux » traité de Verdun de 843, qui a partagé l’éphémère Empire carolingien entre les petits-fils de Charlemagne.

Toute l’histoire de France se résume en un échec : l’ambition frustrée de reconstituer cet empire – « Rome », comme l’écrit Zemmour –, sous l’égide de Paris. Mise en échec par des « Carthage » [l’ennemi héréditaire de l’Empire romain] successives, en particulier les puissances maritimes commerciales – l’Angleterre, puis les Etats-Unis –, la France de Zemmour ne parvient jamais à reconstituer ses frontières naturelles et voit le monde se construire sans elle.

Lire Zemmour, c’est découvrir une obsession pour le déclin qui confine à la haine de soi, y compris lors d’épisodes victorieux de notre histoire. Le traité d’Utrecht de 1713, qui acheva la guerre de Succession d’Espagne et mit fin à l’encerclement Habsbourg de la France entre l’Autriche et l’Espagne, qui menaçait notre pays depuis Charles Quint ? Une aubaine pour l’Angleterre, qui émergera de ces divisions continentales comme la puissance dominante des mers.

La première guerre mondiale ? Une erreur : il eût fallu s’allier avec l’Allemagne contre la véritable ennemie, l’Angleterre.

Ce constat l’amène à des considérations stupéfiantes, comparables à sa réhabilitation de Vichy. Il en vient à regretter la victoire française lors de la première guerre mondiale contre une Allemagne qui aurait pu reconstituer l’unité carolingienne de l’Europe face au libéralisme anglo-saxon : « Notre plus grande “erreur” fut sans doute notre victoire héroïque de la bataille de la Marne. Alors nous aurions économisé un million et demi de vies (…). En cas de défaite française dès 1914, pas de révolution russe, pas de fascisme, pas de nazisme, pas d’holocauste des juifs, pas d’intervention américaine en 1917 ou en 1944. La pax germanica aurait régné sur le continent. » A noter que les interventions américaines sont mises au même rang que le nazisme ou la révolution russe…

Phénomène Zemmour : « une conception mythique de l’histoire »

Phénomène Zemmour : « une conception mythique de l’histoire »

 

Dans son essai, Le Venin dans la plume. Edouard Drumont, Eric Zemmour et la face sombre de la république (La Découverte, 2019), l’historien Gérard Noiriel analyse les ressorts rhétoriques du discours d’Éric Zemmour. (Dans le JDD, extrait)

 

Pour quelles raisons dressez-vous un parallèle entre Éric Zemmour et le journaliste antisémite Edouard Drumont?
Je ne compare par leurs arguments, mais leur rhétorique, c’est-à-dire leur art de convaincre. Dans les deux cas, ces polémistes privilégient le registre émotionnel : la victimisation, la construction d’un ennemi que l’on fait remonter à des temps reculés. Les Juifs ont tué le Christ pour Drumont, la menace musulmane chez Zemmour, qu’il date de 732 avec la bataille de Poitiers. L’utilisation des faits-divers est aussi commune aux deux. Ils sont généralisés et toujours imputés à une même communauté. La théorie du grand remplacement, on la trouve déjà chez Drumont. Mais chez Drumont, c’est le grand remplacement par en haut. Il ne cesse d’affirmer que les juifs contrôlent tout : la politique, la finance, la presse, le monde intellectuel. Alors que Zemmour, c’est le grand remplacement par le bas, dans les banlieues, les cités… Bien sûr, il y a des différences, et évidemment le sort des juifs en 1940 n’est pas celui des musulmans aujourd’hui. Mais la structure qui sous-tend l’argumentation est la même. Elle oppose toujours le « nous » Français menacé de disparaître sous les coups d’un ennemi héréditaire. Tous les deux vivent également à des époques révolutionnaires de l’industrie de la communication. Drumont saisit les opportunités qui apparaissent avec le passage à la presse de masse. Désormais, le peuple lit le journal. La popularité de Zemmour vient des médias des années 2000, avec les réseaux sociaux et les chaînes d’infos en continu.

Un autre point commun de leur argumentation est celui d’une supposée tyrannie des minorités.

C’est ce que j’appelle la logique de l’inversion, qui consiste à inverser les rapports de force réels. C’est-à-dire à présenter les majoritaires comme dominés, et les minoritaires comme des dominants. Dans le discours de ces polémistes, ce ne sont pas les Français, les individus dans toute leur diversité, leur complexité, qu’elle soit sociale, de genre ou d’engagement politique, qui sont présentés, mais le Français ou la France, un personnage mis en scène dans une conception qui n’a rien à voir avec la recherche historique mais qui repose sur une conception mythique de l’histoire. Cela repose le plus souvent sur des faits, qui sont marginaux mais généralisés. Par exemple quand un rappeur l’insulte ou insulte « les Blancs », Zemmour y voit la preuve que toute notre civilisation est menacée par la tyrannie des minorités. Ces insultes sont évidemment condamnables car elles sont contraires aux principes de notre démocratie. De plus, elles permettent à Zemmour de se présenter comme une victime. Ce qui explique que ceux qui sont de vraies victimes de notre société puissent s’identifier à lui. La même logique populiste se retrouve dans la dénonciation des élites, alors qu’il en fait lui-même partie. Ça plait beaucoup à ceux qui s’estiment exclus de la société.

Dans son dernier livre, il prend à nouveau la défense de Maurice Papon ou exonère certaines responsabilités du régime de Vichy…
Jusqu’à présent, les seules mesures concrètes qu’a présentées Zemmour pour « redresser la France » sont des mesures répressives. Il a affirmé notamment que s’il était élu président de la République, il supprimerait la loi de 1972 relative à la lutte contre le racisme, loi qu’il qualifie de liberticide et au nom de laquelle il a été condamné. La première de ces lois a été adoptée en 1939, avec le décret-loi Marchandeau. Mais aussitôt arrivé au pouvoir, Pétain s’est empressé de la supprimer, pour permettre à tous les antisémites de l’époque de déverser leur flot de haine dans la presse. On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi Zemmour s’acharne à réhabiliter Pétain et le régime de Vichy.

Société -Culture «woke»: oui il faut chasser le grec, le latin des universités mais aussi l’étude des mathématiques, des lettres, de l’histoire, de la géographie et des sciences en général.

Société -Culture «woke»: oui il faut chasser le grec, le latin des universités mais aussi l’étude des mathématiques, des lettres, de l’histoire, de la géographie et des sciences en général.

La culture Woke ou Cancel  culture qui vise à déconstruire ce qui nous a précédé- à la méthode maoïste bien connue -devrait aller beaucoup plus loin que ce qui est envisagé à l’université de Colombia aux États-Unis. En effet dans cette université on propose tout simplement de supprimer l’étude du latin et du grec au motif de leurs dimensions racistes et misogynes.

 

De la même manière , il faudrait évidemment supprimer la totalité de l’histoire et de la géographie qui rendent compte aussi des discriminations sociétales . Les mathématiques elles-aussi ont été mises au service d’inventions scientifiques qui ont participé à des drames dont certaines dimensions sont également sociales et sociétales.

La science en général , globalement neutre évidemment, sert le progrès mais est également utilisée  contre certaines sociétés, certaines catégories, certaines origines. Dès lors,  pourquoi ne pas chasser de l’université la totalité des sciences en France y compris;  alors on pourrait s’adonner exclusivement aux matières islamogauchistes et de contre-culture Woke. Cela n’affecterait pas totalement la qualité des diplômes décernés car nombre de Masters par exemple dans certaines disciplines sont distribués comme des petits pains et servent surtout à nourrir les effectif des futurs fonctionnaires.

 

 

Culture «woke»: oui il faut chasser le grec, le latin des universités mais aussi l’étude des mathématiques, des lettres, de l’histoire, de la géographie et des sciences en général.

Culture «woke»: oui il faut chasser le grec, le latin des universités mais aussi l’étude des mathématiques, des lettres, de l’histoire, de la géographie et des sciences en général.

La culture Woke ou Cancel  culture qui vise à déconstruire ce qui nous a précédé- à la méthode maoïste bien connue -devrait aller beaucoup plus loin que ce qui est envisagé à l’université de Colombia aux États-Unis. En effet dans cette université on propose tout simplement de supprimer l’étude du latin et du grec au motif de leurs dimensions racistes et misogynes.

 

De la même manière , il faudrait évidemment supprimer la totalité de l’histoire et de la géographie qui rendent compte aussi des discriminations sociétales . Les mathématiques elles-aussi ont été mises au service d’inventions scientifiques qui ont participé à des drames dont certaines dimensions sont également sociales et sociétales.

La science en général , globalement neutre évidemment, sert le progrès mais est également utilisée  contre certaines sociétés, certaines catégories, certaines origines. Dès lors,  pourquoi ne pas chasser de l’université la totalité des sciences en France y compris;  alors on pourrait s’adonner exclusivement aux matières islamogauchistes et de contre-culture Woke. Cela n’affecterait pas totalement la qualité des diplômes décernés car nombre de Masters par exemple dans certaines disciplines sont distribués comme des petits pains et servent surtout à nourrir les effectif des futurs fonctionnaires.

 

 

L’e-commerce: le sens de l’histoire….. tragique

L’e-commerce: le sens de l’histoire….. tragique

 

Thierry Petit, PDG de Showroomprivé, dans une interview au Figaro se livre à un plaidoyer en faveur du commerce numérique considérant que c’est le sens de l’histoire. Il oublie sans doute de préciser que l’histoire pourrait bien être tragique dans la mesure où l’extrême domination des géants du numérique en particulier d’Amazon impose des produits sans concurrence possible compte tenu des distorsions dans le domaine fiscal et social. Les réseaux de distribution dominants imposent en plus leur propre marc et seront directement responsables non seulement de la mort de nombre de producteurs mais aussi des circuits de distribution classiques.

 

Showroomprive.com est un site de vente événementielle en ligne. C’est la principale filiale de SRP Group, société cotée à la bourse de Paris. Le site propose chaque jour à ses membres en France et dans six autres pays européens des ventes événementielles exclusives avec des réductions

 

Le cofondateur et codirigeant, avec David Dayan, de Showroomprivé se réjouit évidemment du développement du commerce numérique.

 

Qu’avez-vous retenu de la crise sanitaire?

 

Thierry PETIT. - L’incroyable résilience de tout l’écosystème du commerce! Les marques, les clients, les logisticiens, La Poste… tout le monde a su s’adapter. Chez Showroomprivé, nous sortions à peine de deux années de restructuration quand la pandémie a commencé l’an dernier. Nous avons basculé en mode urgence et nos salariés ont su trouver les solutions, même quand il fallait faire des shootings photo en plein confinement. Résultat: 2020 a été une année de croissance pour nous, dans un contexte qui a dopé le commerce en ligne.

L’e-commerce ne va-t-il pas refluer avec la réouverture des magasins?

La pénétration du digital a pris deux ou trois années d’avance par rapport à ce qui était escompté avant la pandémie. En mode, de nouveaux consommateurs se sont convertis aux achats en ligne.

Macron, La réécriture de l’histoire pour lutter contre les discriminations !

Macron, La réécriture  de l’histoire  pour lutter contre les discriminations !

Dans un papier de l’Opinion la journaliste Ivanne Trippenbach traite de la volonté le Macron  de réécrire l’histoire pour lutter contre les discriminations  

« La question raciale est au cœur de notre société et génère de fortes tensions, dues à des discriminations, à des discours de haine, à des comportements racistes et des propos inacceptables », a déclaré Emmanuel Macron à CBS News, dimanche. « Un ​dialogue ouvert et apaisé doit permettre de comprendre les origines de cette situation et, d’une certaine manière, de déconstruire notre propre histoire, sans confusion. »

Un bastion de progressisme ? C’est ainsi qu’a été perçue la sortie d’Emmanuel Macron sur la chaîne américaine CBS News, dimanche, par une poignée de proches. En établissant un lien entre le passé colonial et le racisme en France, le chef de l’Etat a appelé à «déconstruire notre propre histoire». Etrange formule qui a fait bondir la droite et l’extrême droite… « Il voulait dire “décortiquer” notre histoire pour comprendre d’où l’on vient », désamorce une conseillère élyséenne. Le Président a complété par le besoin d’une « politique de reconnaissance » qui permettrait de construire l’unité tout en reconnaissant la diversité du pays.

Le chef de l’Etat a déjà mentionné cette politique de la reconnaissance dans son interview à Brut. Derrière ce concept, on trouve Rachid Benzine, islamologue libéral et romancier, chercheur associé au Fonds Paul Ricœur, qui échange souvent avec Emmanuel Macron. Tous deux partagent la même affinité avec le philosophe de la mémoire. Ensemble, ils ont plusieurs fois parlé du « déni de reconnaissance » de l’Etat qui crée des « pathologies sociales » – y compris dans d’autres sphères, comme les Gilets jaunes, les policiers…

Annonces. « Plus le récit national est inclusif, plus on fait place à l’histoire de France dans sa complexité, plus les individus s’y reconnaîtront, explique Rachid Benzine à l’Opinion. On développe l’appartenance à la nation et l’envie des citoyens de participer. C’est la seule manière de sortir de la polarisation identitaire dans laquelle nous nous enfermons, qui crée du ressentiment et qui prépare les violences de demain. » Dans le champ mémoriel, le recueil des 318 noms pour baptiser les bâtiments publics fait partie de cette politique qui, selon son conseil scientifique, doit « réparer les oublis des générations précédentes ». « L’injonction “aimez la France”, ça ne marche plus depuis des décennies », justifie un acteur impliqué.

De l’Algérie au Rwanda, « le Président a toujours été pour reconnaître ce qu’il y a à reconnaître vis-à-vis des pays avec qui il y a des tensions », appuie un conseiller. En France, Emmanuel Macron réfléchit à la panthéonisation d’une figure symbole de la diversité. Achille Mbembe, ponte médiatique des études post-coloniales, l’accompagnera au sommet Afrique-France en juillet. « La droite conservatrice va hurler, il n’y a pas plus post-colonial que Mbembe », s’amuse un historien. A Montpellier, le projet d’un musée d’histoire de la France et de l’Algérie, initié il y a vingt ans par Georges Frêche et abandonné en 2014, reprend des couleurs. Les annonces seront égrenées d’ici la fin de l’année, selon la présidence.

« C’est la guerre des gangs à l’Elysée. Qui va l’emporter pour 2022 ? Impossible de savoir, Stora entre par une porte et Taguieff sort par l’autre »

Trois dates commémoratives sont à l’agenda : le 25 septembre pour les Harkis, le 17 octobre pour les Algériens, le 18 mars 2022 pour les 60 ans des accords d’Evian. « Mais le format n’est pas arrêté », précise-t-on au Palais, où la question divise. La révélation d’un projet d’exposition pour le 60e anniversaire du 17 octobre 1961 au Musée de l’immigration a fait bondir Bruno Roger-Petit, qui n’avait pas été mis dans la boucle. « Les gens ont tellement peur d’être estampillés “indigéniste islamo-gauchiste” que tout se fait en sous-main », s’agace un acteur impliqué. « C’est la guerre des gangs à l’Elysée, interprète un visiteur du soir. Qui va l’emporter pour 2022 ? Impossible de savoir, Stora entre par une porte et Taguieff sort par l’autre. »

Marqueur. Le Président marche sur ses deux pieds. « Il défend la société ouverte à titre personnel mais il est contredit par les actes : les offensives contre le séparatisme et le tournant autoritaire sur la laïcité », étrille le député Aurélien Taché, partisan de la société multiculturelle. Un intellectuel œcuménique consulté par le chef de l’Etat y voit, au contraire, le « dernier marqueur qui parle à la gauche » tout en se distinguant nettement de la droite – contrairement à la sécurité et à la laïcité, thèmes plus transversaux.

Cet « en même temps » vient de loin. Défenseur de la « nation ouverte », Emmanuel Macron précisait dans Révolution en 2016 qu’« on ne peut à la fois vouloir être français et vouloir faire table rase du passé ». Mais dès août 2000, dans la revue Esprit, il évoquait les « traces plurielles » à partir desquelles « se construit la représentation du passé ». « L’histoire écrite est un “dépôt mort”, quand la mémoire est toujours vivante. Et si ce que l’historien racontait n’était qu’un trompe-l’œil, si le passé qu’il me présente comme vrai était autre ? », interrogeait l’élève de Ricœur. Il concluait sur la « chambre noire » de l’oubli où sommeillent « les images obscures et lointaines du passé », que le travail de mémoire doit révéler pour faire naître le « petit miracle de la reconnaissance ​».

L’histoire des pandémies

L’histoire des pandémies

 

Patrick Berche, ancien directeur général de l’Institut Pasteur de Lille, était l’invité d’Europe 1. Il publie un ouvrage qui revient sur l’histoire des pandémies et qui montre que l’on retrouve certaines caractéristiques à travers les âges.

 

 

INTERVIEW

Patrick Berche, ancien directeur général de l’Institut Pasteur de Lille, publie avec Stanis Perez un imposant ouvrage, Pandémies – Des origines à la Covid-19 aux éditions Perrin. Ils reviennent sur l’Histoire des pandémies et montrent comment l’Homme a à la fois appris de ses erreurs, et en a répété d’autres. Une chronologie de la lèpre au Covid-19 rendue possible notamment grâce à « une science nouvelle qui émerge depuis vingt ans, qui est l’archéobiologie », rappelle Patrick Berche. « On peut maintenant, à partir de l’ADN ou des acides nucléiques, retrouver les traces de peste ou de variole à partir d’ossements humains. »

Recherche de boucs émissaires

On retrouve donc des traces très anciennes de maladies telles que la tuberculose, la peste ou la variole, également appelée peste antonine et qui a frappé l’Empire romain au IIe siècle. « L’Empire romain, c’est le début de la mondialisation, quand les pays sont gérés administrativement comme une seule entité. Les maladies circulent à toute allure et c’est ce qui s’est passé pour la peste antonine », explique l’ancien directeur de l’Institut Pasteur. Viennent ensuite au Moyen-Âge deux grands fléaux, la peste noire et la lèpre, qui suscitent une terreur collective et contribuent à désigner des boucs émissaires, que ce soient les juifs, les lépreux et les mendiants. Une « recherche de boucs émissaires qui existe dans toutes les pandémies, y compris aujourd’hui », souligne Patrick Berche.

L’impact des voyages et la tentation de la fermeture des frontières

A partir du 16e siècle a lieu la première mondialisation des virus et des bactéries, qui passent d’un continent à l’autre au gré des voyages et des découvertes. « La découverte de l’Amérique a été une catastrophe pour les Amérindiens. Les Européens, soit directement, soit par l’intermédiaire de la traite des esclaves noirs, ont amené la variole, que ne connaissaient pas les Amérindiens, la rougeole et toute une série de maladies. Et Christophe Colomb, dès son premier voyage, a ramené la syphilis en Europe », détaille l’ancien directeur.

Dès lors et comme actuellement, la tentation est grande de fermer les frontières pour se protéger. Pour contenir la peste, Voltaire préconise ainsi le contrôle ou la fermeture des frontières. « C’est un réflexe pour toutes les maladies contagieuses. On ne savait pas exactement quelle était l’origine. Les germes n’ont été trouvés que beaucoup plus tard avec Pasteur, et donc la seule façon de se garantir de ne pas attraper la maladie était de fuir ou de se barricader. Alors on a construit des murs, comme en Provence avec un mur de la peste en 1720, lors de la peste de Marseille, qui a été la dernière grande épidémie en Europe et en France. Mais on ne connaissait pas le fait qu’il existait des porteurs sains qui peuvent, sans bruit, franchir les frontières alors qu’ils sont en bonne santé. »

En 1867, Jules Lemaire découvre que les maladies sont liées à la présence de micro-organismes, ensuite étudiées par Pasteur. « A partir de 1878, c’est la révolution Pastorienne, où il déclare à l’Académie de médecine que les maladies sont dues à des germes spécifiques. C’est un tournant majeur dans l’histoire de l’humanité », relate Patrick Berche.

L’origine animale

À l’origine de toutes ces maladies, les auteurs de l’ouvrage rappellent qu’il y a la plupart du temps des animaux. Ce n’est pas le cas de la tuberculose ou du choléra, « les deux exceptions », mais « presque toujours les animaux sauvages ou domestiques sont à l’origine de nos maladies. La coqueluche, par exemple, vient bien des bovins, la lèpre vient probablement des primates et des écureuils roux qui sont contaminés. On a pu le montrer par des méthodes de biologie moléculaire. La syphilis vient des primates également et elle a été transmise tout en évoluant avec les espèces vivantes », détaille l’ancien directeur de l’institut Pasteur de Lille au micro d’Europe 1.

Se préparer à la prochaine pandémie

Finalement, il faut « se préparer » à avoir « d’autres pandémies », conclut Patrick Berche. « Nous sommes à peu près 7,2 milliards d’individus très urbanisés, avec des voyages aériens à 4,6 milliards de personnes en 2019, en contact avec des réservoirs animaux, donc nous sommes très vulnérables. »

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