Etats-Unis: conséquences d’un salaire mini à 15 dollars l’heure
Le relèvement du salaire minimum à 15 dollars de l’heure d’ici 2025 bénéficierait à 27 millions de travailleurs et permettrait à 900 000 Américains de sortir de la pauvreté, mais coûterait aussi 1,4 million d’emplois sur les quatre prochaines années : telle est la conclusion d’une étude réalisée par le bureau du budget du Congrès (CBO), une entité non partisane.(Article du Wall Street Journal)
Affirmant qu’il aiderait les salariés les moins bien rémunérés à mieux vivre et doperait la fiche de paie de ceux qui ont été en première ligne pendant la pandémie (les salariés des commerces alimentaires et des entrepôts et les livreurs), le président Biden et de nombreux démocrates militent pour un quasi-doublement du salaire minimum, actuellement à 7,25 dollars de l’heure. Mais pour les républicains, une partie des entreprises et certains économistes, la mesure pourrait être néfaste pour l’emploi au moment où les Etats-Unis tournent la page des licenciements provoqués par la crise sanitaire.
Si le rapport du CBO confirme l’effet sur la réduction de la pauvreté, il risque aussi de compliquer la tâche de ceux qui veulent convaincre les démocrates modérés et les républicains de voter la première hausse du salaire minimum fédéral pour la première fois depuis 2009.
Une hausse des salaires entraînerait une augmentation des coûts de production que les entreprises répercuteraient sur les consommateurs en relevant leurs prix, ce qui pénaliserait la demande
En effet, le document réaffirme qu’un salaire minimum à 15 dollars serait préjudiciable pour le marché du travail et revoit à la hausse l’estimation réalisée en 2019. Si le coup de pouce bénéficierait à de nombreux Américains, il entraînerait, selon l’étude, une augmentation des prix, un creusement du déficit fédéral et une légère dégradation de l’activité économique sur la prochaine décennie.
Inclure ou pas la mesure au programme d’aide de 1 900 milliards de dollars : telle est la question pour les démocrates qui, dans un Sénat où les deux partis sont à égalité parfaite, ne peuvent pas se permettre de perdre la moindre voix. Joe Manchin, sénateur démocrate de Virginie-Occidentale, a ainsi déclaré qu’il était contre une augmentation du salaire minimum à 15 dollars de l’heure, tandis que d’autres parlementaires plus progressistes s’y sont dits favorables.
De fait, une hausse des salaires entraînerait une augmentation des coûts de production que les entreprises répercuteraient sur les consommateurs en relevant leurs prix, ce qui pénaliserait la demande, explique le CBO.
« Les employeurs réduiraient donc la production de biens et de services et, par conséquent, le nombre de salariés qu’ils font travailler, tous niveaux de salaire confondus, ajoute le rapport. Les jeunes et les personnes moins diplômées seraient les principales concernées par ces suppressions de postes. »
Plus d’un million d’Américains pourraient ainsi perdre leur emploi, souligne le document, qui précise néanmoins qu’environ 17 millions de salariés, soit quelque 10 % de la main-d’œuvre, verraient leur salaire augmenter. Dix millions de salariés qui gagnent un peu plus de 15 dollars de l’heure pourraient aussi voir leurs fins de mois s’améliorer.
L’étude part de l’hypothèse d’une première augmentation à 9,50 dollars de l’heure au 1er juin, suivie de hausses annuelles permettant au salaire minimum d’atteindre ces fameux 15 dollars de l’heure en 2025. Par la suite, il serait ajusté en fonction de l’évolution du salaire médian.
Après prise en compte des hausses de salaire et des pertes d’emplois, le projet se traduirait par une progression nette des versements aux travailleurs de 333 milliards de dollars entre 2021 et 2031, indique l’étude, ce qui permettrait aux bas salaires de dépenser davantage, mais augmenterait le coût du travail pour les entreprises et engendrerait une augmentation des prix, notamment dans les restaurants. Les pertes d’emplois auraient, elles, un impact négatif modéré sur la croissance économique.
Selon l’étude, les conséquences sur le budget fédéral seraient beaucoup plus limitées : entre 2021 et 2031, le déficit fédéral cumulé augmenterait de 54 milliards de dollars sous l’effet de l’augmentation du prix des biens et des services si le salaire minimum passait à 15 dollars de l’heure, poursuit le rapport. A titre de comparaison, le déficit des Etats-Unis s’est établi à 3 100 milliards de dollars l’an passé, augmentation des dépenses de santé incluses.
L’étude souligne que, d’ici 2025, trois millions de salariés devraient travailler dans les secteurs de la santé à domicile et des maisons de retraite et gagner moins de 15 dollars de l’heure si la loi n’est pas modifiée. Une grande partie de ces salariés sont rémunérés au titre de programmes de type Medicaid et Medicare.
Toujours d’après ce rapport, les dépenses publiques en santé, en assurance chômage et en sécurité sociale devraient augmenter et le nombre de fonctionnaires fédéraux bénéficiant d’une hausse de salaire serait relativement limité. Cet accroissement serait en partie compensé par une réduction des dépenses consacrées aux programmes de nutrition, l’évolution des crédits d’impôt et l’augmentation des impôts payés par les ménages ayant bénéficié des hausses de salaire.
Du côté des entreprises, les avis sont mitigés. Certaines, dont Amazon et Target, ont d’ores et déjà relevé la rémunération minimum à 15 dollars de l’heure. D’autres n’ont pas encore sauté le pas, notamment dans les zones rurales où la main-d’œuvre est souvent moins chère. Chez Walmart, géant de la distribution et premier employeur du pays, le salaire de départ est de 11 dollars de l’heure
Pour les parlementaires qui veulent inclure la mesure au programme d’aide à 1 900 milliards de dollars, les difficultés sont aussi d’ordre technique : les démocrates veulent utiliser la procédure de « réconciliation budgétaire », qui permet de réduire à 51 le nombre de voix nécessaires pour faire passer une loi (contre 60 généralement requises).
Certains démocrates, dont Joe Biden, Nancy Pelosi (la présidente de la Chambre des représentants) et John Yarmuth (le président de la commission budgétaire de la Chambre), ont d’ores et déjà fait savoir que, selon eux, la disposition relative au salaire minimum ne remplissait pas les critères nécessaires pour être adoptée par réconciliation budgétaire, la procédure ne concernant que les mesures ayant un impact direct sur le budget fédéral.
Mais pour Bernie Sanders, chef de la commission budgétaire du Sénat, l’étude du CBO démontre qu’elle pourrait tout à fait relever de la réconciliation budgétaire.
« Le CBO a prouvé que le fait d’augmenter le salaire minimum aurait un impact direct et significatif sur le budget fédéral. Cela signifie que nous pouvons parfaitement porter ce salaire à 15 dollars de l’heure en appliquant les règles de la réconciliation », a-t-il déclaré lundi dans un communiqué.
Du côté des entreprises, les avis sont mitigés. Certaines, dont Amazon et Target, ont d’ores et déjà relevé la rémunération minimum à 15 dollars de l’heure. D’autres n’ont pas encore sauté le pas, notamment dans les zones rurales où la main-d’œuvre est souvent moins chère. Chez Walmart, géant de la distribution et premier employeur du pays, le salaire de départ est de 11 dollars de l’heure.
Des lobbys, dont la Chambre de commerce et Business Roundtable, ont estimé que le salaire minimum actuel est effectivement trop bas, mais qu’il fallait éviter toute augmentation brutale dans une économie dont la reprise reste fragile.
« Les personnes qui seraient les plus directement touchées par une augmentation du salaire minimum sont les petites entreprises, qui sont aussi celles qui ont été le plus durement frappées par la pandémie », a ainsi souligné Joshua Bolten, le président de Business Roundtable, la semaine dernière sur CNBC.
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)