Archive pour le Tag 'l’Europe'

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Productivité : l’Europe et la France en panne

Productivité : l’Europe et la France en panne

 La productivité horaire a baissé dans la zone euro en 2023 : -1% contre +1,5% aux États-Unis. Cette divergence n’est pas nouvelle ; elle affecte depuis le début de la décennie 2010 plusieurs pays européens alors que les États-Unis (ou la Suisse) affichent des gains de productivité élevés et que la Corée du Sud réalise une performance exceptionnelle. La France est en queue de peloton : sa productivité horaire se situe aujourd’hui à un niveau inférieur à celui de 2015. La Fabrique de l’Industrie vient de produire une courte analyse à laquelle nous faisons ici référence.
Par Louis Gallois et Pierre-André de Chalendar (*). dans la Tribune

Cette situation est préoccupante. L’absence de gains de productivité freine la compétitivité des productions européennes et, bien sûr, françaises ; elle réduit la croissance potentielle des économies concernées. Elle caractérise leur faible dynamisme. Elle explique, au moins pour partie, la divergence des taux de croissance entre les États-Unis et l’Europe.

Ce phénomène touche tous les secteurs d’activité et en particulier l’industrie. Ses causes sont multiples et pas encore totalement élucidées par les économistes qui divergent sur leur pondération. Certaines sont conjoncturelles : en France, la croissance de l’apprentissage ou la réduction du chômage qui se traduit par l’embauche de travailleurs moins « productifs » et moins formés… D’autres causes semblent plus profondes : excès de réglementations, vitesse  insuffisante d’adaptation aux évolutions des marchés et des compétences nécessaires, politiques macroéconomiques peu favorables à la croissance au niveau européen, et surtout sans doute, investissements insuffisants notamment dans les nouvelles technologies porteuses de productivité ainsi que dans la recherche et le développement.

Le prix Nobel Paul Krugman est clair « La productivité n’est pas tout, mais à  long terme,c’est presque tout ». Cela veut dire que la reprise des gains de productivité est un  enjeu majeur pour les économies européennes et, au premier chef , pour la France où la « panne » est, semble-t-il, la plus forte.

Les causes étant multiples, il n’y a pas de remède unique. Mais on sent bien les domaines sur lesquels il faut faire porter l’effort en France : l’éducation (mathématiques, lycées pro, BTS, apprentissage), la formation, notamment pour faire face aux mutations qu’entraine la transition énergétique et écologique, la diffusion des nouvelles technologies avec une attention particulière portée aux PME, l’effort de recherche privé et public qui doit être accru le plus rapidement possible pour atteindre au moins 3% du PIB contre 2,2% actuellement (c’est dire que ce n’est pas le moment de toucher au Crédit d’Impôt Recherche !). La France doit être  présente dans la compétition technologique, aussi bien au niveau de la recherche et du développement que dans la mise en œuvre au sein des processus de production. il y a là un enjeu décisif pour la relance de la productivité, mais aussi pour la croissance et la souveraineté

Le rapport Letta n’aborde pas le sujet directement ; il évoque néanmoins le besoin d’investissement des entreprises européennes et les moyens de le financer. Il est probable que le rapport Draghi sur la compétitivité attendu avant cet été traitera plus directement de l’insuffisance de productivité européenne. L’UE doit se mobiliser sur ce qui apparait être une faiblesse majeure par rapport aux États-Unis et aux pays asiatiques ; cela concerne aussi bien les excès de réglementations,les politiques concernant les aides aux entreprises, le soutien à l’innovation et à la recherche que le réglage macroéconomique qui doit être plus favorable à la croissance.

S’agissant de la France, les pouvoirs publics ne sont pas restés inertes : réforme fructueuse de  l’apprentissage qui doit maintenant concerner plus fortement les niveaux en deçà du bac, réforme très (trop ?) prudente des lycées professionnels, programme France 2030 sur des champs technologiques majeurs… Mais il faut aller plus loin, amplifier ces efforts, en particulier sur les champs scientifiques et technologiques, leur donner une cohérence et une visibilité renforcées, en faire un véritable enjeu national. A contrario, leur remise en cause ou leur étalement dans le temps pour cause de finances publiques dégradées ne pourrait conduire qu’à aggraver le retard pris par notre pays dans une course où se joue sa compétitivité et sa capacité de croissance.

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(*) Louis Gallois est diplômé de l’Ecole des hautes études commerciales et de l’Ecole nationale d’administration (promotion Charles de Gaulle). Après une carrière dans l’administration publique, il devient successivement PDG de la Snecma (1989), d’Aérospatiale (1992), président de la SNCF (1996), et président exécutif d’EADS N.V. (2007), président du conseil de surveillance de PSA (2014-2021). Il est co-président de La Fabrique de l’industrie depuis sa création en 2011.

Pierre-André de Chalendar est diplômé de l’ESSEC et ancien Inspecteur des Finances. Son aventure industrielle au sein de Saint-Gobain, dont il devient PDG en juin 2010, débute dès 1989. Il est par ailleurs administrateur de BNP Paribas et vice-président d’Entreprises pour l’environnement (EpE), qu’il préside de 2012 à 2015.Il devient co-président de La Fabrique de l’industrie en juillet 2017.

Economie-Productivité : l’Europe et la France en panne

Economie-Productivité : l’Europe et la France en panne

 La productivité horaire a baissé dans la zone euro en 2023 : -1% contre +1,5% aux États-Unis. Cette divergence n’est pas nouvelle ; elle affecte depuis le début de la décennie 2010 plusieurs pays européens alors que les États-Unis (ou la Suisse) affichent des gains de productivité élevés et que la Corée du Sud réalise une performance exceptionnelle. La France est en queue de peloton : sa productivité horaire se situe aujourd’hui à un niveau inférieur à celui de 2015. La Fabrique de l’Industrie vient de produire une courte analyse à laquelle nous faisons ici référence.
Par Louis Gallois et Pierre-André de Chalendar (*). dans la Tribune

Cette situation est préoccupante. L’absence de gains de productivité freine la compétitivité des productions européennes et, bien sûr, françaises ; elle réduit la croissance potentielle des économies concernées. Elle caractérise leur faible dynamisme. Elle explique, au moins pour partie, la divergence des taux de croissance entre les États-Unis et l’Europe.

Ce phénomène touche tous les secteurs d’activité et en particulier l’industrie. Ses causes sont multiples et pas encore totalement élucidées par les économistes qui divergent sur leur pondération. Certaines sont conjoncturelles : en France, la croissance de l’apprentissage ou la réduction du chômage qui se traduit par l’embauche de travailleurs moins « productifs » et moins formés… D’autres causes semblent plus profondes : excès de réglementations, vitesse  insuffisante d’adaptation aux évolutions des marchés et des compétences nécessaires, politiques macroéconomiques peu favorables à la croissance au niveau européen, et surtout sans doute, investissements insuffisants notamment dans les nouvelles technologies porteuses de productivité ainsi que dans la recherche et le développement.

Le prix Nobel Paul Krugman est clair « La productivité n’est pas tout, mais à  long terme,c’est presque tout ». Cela veut dire que la reprise des gains de productivité est un  enjeu majeur pour les économies européennes et, au premier chef , pour la France où la « panne » est, semble-t-il, la plus forte.

Les causes étant multiples, il n’y a pas de remède unique. Mais on sent bien les domaines sur lesquels il faut faire porter l’effort en France : l’éducation (mathématiques, lycées pro, BTS, apprentissage), la formation, notamment pour faire face aux mutations qu’entraine la transition énergétique et écologique, la diffusion des nouvelles technologies avec une attention particulière portée aux PME, l’effort de recherche privé et public qui doit être accru le plus rapidement possible pour atteindre au moins 3% du PIB contre 2,2% actuellement (c’est dire que ce n’est pas le moment de toucher au Crédit d’Impôt Recherche !). La France doit être  présente dans la compétition technologique, aussi bien au niveau de la recherche et du développement que dans la mise en œuvre au sein des processus de production. il y a là un enjeu décisif pour la relance de la productivité, mais aussi pour la croissance et la souveraineté

Le rapport Letta n’aborde pas le sujet directement ; il évoque néanmoins le besoin d’investissement des entreprises européennes et les moyens de le financer. Il est probable que le rapport Draghi sur la compétitivité attendu avant cet été traitera plus directement de l’insuffisance de productivité européenne. L’UE doit se mobiliser sur ce qui apparait être une faiblesse majeure par rapport aux États-Unis et aux pays asiatiques ; cela concerne aussi bien les excès de réglementations,les politiques concernant les aides aux entreprises, le soutien à l’innovation et à la recherche que le réglage macroéconomique qui doit être plus favorable à la croissance.

S’agissant de la France, les pouvoirs publics ne sont pas restés inertes : réforme fructueuse de  l’apprentissage qui doit maintenant concerner plus fortement les niveaux en deçà du bac, réforme très (trop ?) prudente des lycées professionnels, programme France 2030 sur des champs technologiques majeurs… Mais il faut aller plus loin, amplifier ces efforts, en particulier sur les champs scientifiques et technologiques, leur donner une cohérence et une visibilité renforcées, en faire un véritable enjeu national. A contrario, leur remise en cause ou leur étalement dans le temps pour cause de finances publiques dégradées ne pourrait conduire qu’à aggraver le retard pris par notre pays dans une course où se joue sa compétitivité et sa capacité de croissance.

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(*) Louis Gallois est diplômé de l’Ecole des hautes études commerciales et de l’Ecole nationale d’administration (promotion Charles de Gaulle). Après une carrière dans l’administration publique, il devient successivement PDG de la Snecma (1989), d’Aérospatiale (1992), président de la SNCF (1996), et président exécutif d’EADS N.V. (2007), président du conseil de surveillance de PSA (2014-2021). Il est co-président de La Fabrique de l’industrie depuis sa création en 2011.

Pierre-André de Chalendar est diplômé de l’ESSEC et ancien Inspecteur des Finances. Son aventure industrielle au sein de Saint-Gobain, dont il devient PDG en juin 2010, débute dès 1989. Il est par ailleurs administrateur de BNP Paribas et vice-président d’Entreprises pour l’environnement (EpE), qu’il préside de 2012 à 2015.Il devient co-président de La Fabrique de l’industrie en juillet 2017.

Élections européennes : l’Europe sociale absente

Élections européennes : l’Europe sociale absente

L’économiste Bruno Coquet juge la reprise économique qui a suivi la crise sanitaire en grande partie responsable de l’effacement des thèmes sociaux, mais il appelle, dans une tribune au « Monde », les dirigeants européens à redresser le cap, autrement c’est le social qui s’invitera à la table des négociations européennes.

Selon le dernier Eurobaromètre de la Commission européenne [publié le 12 avril], 88 % des citoyens de l’Union affirment que l’Europe sociale est importante pour eux. Ils rappellent l’Europe à ses ambitions : en 1957, trois présidents, deux Majestés et une Altesse royale « décidés à assurer par une action commune le progrès économique et social de leurs pays en éliminant les barrières qui divisent l’Europe », et « assignant pour but essentiel à leurs efforts l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi de leurs peuples », faisaient largement dominer cette finalité sociale dans les premières pages du traité de Rome.Pourtant, l’Europe sociale est la grande absente de cette campagne européenne. Bien entendu, mis devant ce fait tous les candidats se récrieront. Car, l’Europe sociale étant très plastique, chacun peut en effet toujours afficher une ou deux propositions sociales. Malgré tout, on reste très loin de la priorité fondatrice.

Dans une construction européenne largement axée sur la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux, qui a préféré l’élargissement à l’approfondissement, la finalité sociale est souvent passée au second plan. Tant et si bien que, à force d’être régulièrement rattrapés par des difficultés structurelles (désindustrialisation, vieillissement, etc.) ou conjoncturelles (chômage, crise financière, inégalités sociales, etc.), les chefs d’Etat ont ponctuellement été mis en demeure de réaffirmer l’ambition sociale de l’Europe.

Pour attester la force de cet engagement, les traités ont été émaillés de nombreuses institutions et procédures de coordination des politiques du marché du travail et des politiques sociales. Pour la plupart, ces mécanismes ronronnent dans un silence huilé, à l’arrière des batailles économiques.

La Commission européenne, occupant l’espace laissé vacant par le Conseil, tente bien de faire vivre le « socle européen des droits sociaux », une Europe sociale minimale où se sédimentent les priorités successives des présidences tournantes – comme naguère les questions de travail détaché ou de salaire minimum. Mais le décompte a posteriori des emplois créés et le vœu que ceux-ci soient de qualité ne suffisent pas.

Les faiblesses de la France: « La faute à l’Europe ? », les fadaises économiques de Le Pen et Mélenchon

Les faiblesses de la France: « La faute à l’Europe ? », les fadaises économiques de Le Pen et Mélenchon

Avec les élections européennes, pour un certain nombre de partis politiques, « Si tout va mal en France, c’est la faute à l’Europe ». Par Pierre-André Buigues, Professeur à la Toulouse Business School ( dans La Tribune). Les problèmes de la France seraient le résultat d’une Europe qui, d’une part, impose l’austérité budgétaire empêchant les politiques nationales de croissance et de soutien aux services publics et qui, d’autre part, a signé des accords de libre échange qui minent la compétitivité européenne. Supposons que ces partis politiques aient raison, alors bien évidemment tous les pays de l’Union européenne subiraient les mêmes conséquences économiques que la France, du fait de leur l’appartenance à l’UE. Or, rien n’est plus faux et si les problèmes rencontrés par la France étaient la faute de la France ?

Pour ces partis, pour qui l’Europe est fautive, le pacte de stabilité de l’UE impose l’austérité aux États membres. L’Europe oblige les Etats membres à maintenir leur déficit et leur dette en dessous de certaines valeurs : le déficit public ne peut excéder 3 % de son PIB et sa dette ne peut excéder 60 % du PIB.

En réalité, ces seuils ont rarement été respectés pour la zone euro, mais la France dont le ratio dette brute des administrations publiques a explosé n’a vraiment pas à se plaindre des contraintes « d’austérité » que le pacte de stabilité lui aurait imposé !

Le ratio dette publique/PIB de la zone euro est passé de 70,1% en 2008 à 88,6% à la fin 2023, soit une augmentation de 18,5 points en 15 ans. Ce même ratio pour la France est passé de 68,2% en 2008 à 110,6% fin 2023, une augmentation de 42,4 points, une dérive de la dette de la France, plus de deux fois supérieure à celle de la zone euro ! Le déficit de la France quant à lui, est depuis plusieurs années supérieur à 3%.

Le vrai problème de la France n’est pas celui des contraintes qui lui sont imposées par le pacte de stabilité mais son incapacité à maîtriser sa dette publique et en conséquence à voir ses charges de la dette augmenter.

Les accords de libre-échange signés par Bruxelles ont engendré une désindustrialisation catastrophique

Pour LFI, comme pour le RN, le lien est clair, les accords de libre-échange européens expliquent largement la désindustrialisation de la France. Un accord de libre échange est un traité international entre l’UE et un État hors de l’UE, qui réduit les obstacles commerciaux entre les deux parties de l’accord.

La balance commerciale de la France aurait donc souffert de cette libéralisation des échanges entre l’UE et des Etats hors de l’UE. Les importations en provenance du pays hors UE, signataire de l’accord, ont bénéficié d’une moindre protection du marché européen. Là aussi, la réalité des chiffres contredit totalement la situation actuelle de l’économie française.

En 2023, la France importait des autres États membres de l’UE beaucoup plus qu’elle ne leur exportait et présentait un déficit commercial considérable dans le commerce avec les pays membres de l’UE, le plus élevé de tous les pays de l’UE (128  milliards d’euros de janvier à novembre 2023). A l’opposé, la France exportait plus qu’elle n’importait des pays hors UE (8 milliards d’euros d’excédent sur la même période), c’est-à-dire les pays avec lesquels sont signés des accords de libre échange qui seraient responsables de la désindustrialisation de la France ! La désindustrialisation de la France est réelle mais elle découle de la dégradation de notre compétitivité industrielle vis-à-vis de nos partenaires européens.

Les faiblesses de l’économie française sont claires et incontestables, d’une part, une dérive des comptes publics, forte augmentation de la dette et déficit public non contrôlé et, d’autre part, une balance commerciale dans le rouge depuis le début des années 2000 avec les pays de l’UE, qui accompagne une désindustrialisation du pays. Cependant, dire c’est « la faute à l’Europe » car elle empêcherait un endettement plus important et signerait des accords de libre échange est une absurdité économique totale. C’est la faute à la France pourrait-on dire.

Il est normal de défendre ses positions nationales dans le cadre européen et l’Europe est un lieu de discussion et de compromis. Cependant, imaginer que la France puisse imposer à nos partenaires européens les propositions de Mélenchon ou de Le Pen, propositions qui ne feraient qu’empirer la situation économique du pays, c’est une absurdité.

Attal : Le RN rejette l’Europe

Attal :  Le RN rejette  l’Europe  

Attal  livre son jugement sur le président du RN.( dans La Tribune).

LA TRIBUNE DIMANCHE – Comment avez-vous trouvé Jordan Bardella lors de votre débat jeudi sur France 2 ?

GABRIEL ATTAL - Je crois que les masques sont tombés. J’ai vu Jordan Bardella contraint d’admettre que sa proposition de priorité nationale dans le marché unique serait un carnage économique et social pour les Français. On a 150 000 entreprises exportatrices et on a la chance, parce qu’on a les meilleures entreprises avec les meilleurs salariés et entrepreneurs, d’avoir des milliers d’entre elles qui décrochent des contrats publics dans d’autres pays européens. L’application de sa proposition les priverait d’un marché de 450 millions de consommateurs. J’ai vu Jordan Bardella reconnaître qu’il ne lisait pas les textes de loi avant de s’y opposer. C’est quand même ahurissant d’entendre un responsable politique national, chef du premier parti d’opposition, député sortant du Parlement européen, vice-président de son groupe, l’affirmer dans le plus grand des calmes et avec la plus grande assurance. J’ai vu Jordan Bardella échouer à nous expliquer son concept de double frontière, sans qu’on sache toujours à la fin si son projet c’est la transformation de toutes nos frontières terrestres en péage de Saint-Arnoult un week-end de chassé-croisé, en obligeant tous les 400 000 Français qui travaillent dans des pays frontaliers à passer des heures à attendre pour montrer patte blanche ou alors si son projet c’est simplement ce que l’on fait déjà aujourd’hui, c’est-à-dire des contrôles aléatoires. Au vu de la gravité du moment que traverse l’Europe aujourd’hui, les Français ont besoin de sérieux et de crédibilité. Nos retraités seraient la première victime d’une instabilité financière liée à une crise européenne. Les Français de classe moyenne verraient leurs emplois disparaître si on sortait du marché unique.

 

Economie et Chine: divergence croissante entre les Etats-Unis et l’Europe

Economie et Chine:   divergence croissante entre les Etats-Unis et l’Europe

Si Washington s’engage de plus en plus dans un découplage économique vis-à-vis du rival chinois, l’Union européenne hésite encore sur la bonne stratégie, observe l’économiste dans sa chronique au Monde.

 

par Jean Pisani-Ferry,professeur d’économie à Sciences Po (Paris), à l’Institut Bruegel (Bruxelles) et au Peterson Institute for International Economics (Washington)

 

Le 14 mai, le président américain, Joe Biden, a annoncé un quadruplement des droits de douane sur les véhicules électriques importés de Chine, qui vont ainsi passer de 25 % à 100 %, en même temps qu’une augmentation substantielle des tarifs sur les batteries, les panneaux solaires et une série d’autres produits chinois.Attendue, bien que contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, cette décision s’analyse au premier chef comme une gesticulation symbolique, destinée [en vue de la présidentielle de novembre] à couper l’herbe sous le pied de Donald Trump en le privant d’un argument de campagne dans les circonscriptions ouvrières des Etats-clésLes Etats-Unis n’importent en effet quasiment pas de véhicules électriques chinois. Plus largement, l’ensemble des produits touchés par la mesure annoncée par Joe Biden ne comptent que pour 18 milliards de dollars (16,60 milliards d’euros), soit moins de 5 % des importations en provenance de Chine.

Il n’en reste pas moins que la décision signale une inflexion de la politique américaine. Si Joe Biden n’avait pas remis en cause les droits de douane institués par Donald Trump, il avait jusqu’ici pris soin de ne pas les relever.

Depuis l’Inflation Reduction Act (IRA) de 2022, la politique industrielle verte reposait sur des subventions, certes assorties de clauses de contenu local, mais accessibles aux entreprises du monde entier. Cette politique donne d’ailleurs des résultats : entre le début de 2022 (avant l’IRA) et le début de 2023 (après), l’investissement dans les technologies vertes a augmenté de 36 %. Le renforcement de la protection commerciale pour toute une série de produits verts indique certainement la volonté de construire aux Etats-Unis une nouvelle industrie décarbonée largement découplée de la Chine.

Chine: divergence croissante entre les Etats-Unis et l’Europe

Chine:  divergence croissante entre les Etats-Unis et l’Europe

par Jean Pisani-Ferry,professeur d’économie à Sciences Po (Paris), à l’Institut Bruegel (Bruxelles) et au Peterson Institute for International Economics (Washington)

Si Washington s’engage de plus en plus dans un découplage économique vis-à-vis du rival chinois, l’Union européenne hésite encore sur la bonne stratégie, observe l’économiste dans sa chronique au Monde.

 

Le 14 mai, le président américain, Joe Biden, a annoncé un quadruplement des droits de douane sur les véhicules électriques importés de Chine, qui vont ainsi passer de 25 % à 100 %, en même temps qu’une augmentation substantielle des tarifs sur les batteries, les panneaux solaires et une série d’autres produits chinois.

Attendue, bien que contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, cette décision s’analyse au premier chef comme une gesticulation symbolique, destinée [en vue de la présidentielle de novembre] à couper l’herbe sous le pied de Donald Trump en le privant d’un argument de campagne dans les circonscriptions ouvrières des Etats-clés. Les Etats-Unis n’importent en effet quasiment pas de véhicules électriques chinois. Plus largement, l’ensemble des produits touchés par la mesure annoncée par Joe Biden ne comptent que pour 18 milliards de dollars (16,60 milliards d’euros), soit moins de 5 % des importations en provenance de Chine.

Il n’en reste pas moins que la décision signale une inflexion de la politique américaine. Si Joe Biden n’avait pas remis en cause les droits de douane institués par Donald Trump, il avait jusqu’ici pris soin de ne pas les relever.

Depuis l’Inflation Reduction Act (IRA) de 2022, la politique industrielle verte reposait sur des subventions, certes assorties de clauses de contenu local, mais accessibles aux entreprises du monde entier. Cette politique donne d’ailleurs des résultats : entre le début de 2022 (avant l’IRA) et le début de 2023 (après), l’investissement dans les technologies vertes a augmenté de 36 %. Le renforcement de la protection commerciale pour toute une série de produits verts indique certainement la volonté de construire aux Etats-Unis une nouvelle industrie décarbonée largement découplée de la Chine.

Recherche- investissement : l’Europe prend du retard sur les États-Unis

Recherche- investissement : l’Europe prend du retard sur les États-Unis

 

Au début des années 2000, le PIB par habitant en zone euro était de 33.500 euros contre 43.700 euros aux Etats-Unis. Vingt ans plus tard, le revenu par habitant sur le Vieux continent atteint à peine 39.600 euros contre 54.800 euros de l’autre côté de l’Atlantique. En cause,  des retards en recherche en investissement et par conséquent en productivité.

La crise financière de 2008, la crise des dettes souveraines de 2012, la pandémie et le choc énergétique ont laissé de profondes traces sur le tissu productif en zone euro. Aux Etats-Unis, ces différentes crises ont également laissé des stigmates sur l’économie. Mais les politiques budgétaires et monétaires menées outre-Atlantique ont permis aux différents moteurs de l’économie de repartir plus vite.

Les moindres gains de productivité en zone euro pourraient contribuer amplement à creuser l’écart avec les Etats-Unis, selon une note très détaillée de l’OFCE dévoilée ce 16 mai. De l’autre côté de l’Atlantique, la croissance de la productivité a augmenté de 1,5% par an contre 0,8% seulement en zone euro entre 2000 et 2019.

La guerre en Ukraine a ravivé l’alliance transatlantique. Mais la relation entre les États-Unis et leurs alliés européens est de plus en plus déséquilibrée. L’économie américaine est aujourd’hui considérablement plus riche et plus dynamique que celle de l’Union européenne (UE) ou de la Grande-Bretagne, et l’écart ne cesse de se creuser. Le retard européen va bien au-delà de la simple comparaison des niveaux de vie. La dépendance de l’Europe à l’égard des États-Unis en matière de technologie, d’énergie, de capitaux et de protection militaire ne cesse de saper les aspirations de l’UE à atteindre “l’autonomie stratégique”.

En 2008, les économies de l’UE et des États-Unis se valaient à peu près. Mais depuis la crise financière mondiale, leurs trajectoires économiques ont radicalement divergé. Comme le soulignent Jeremy Shapiro et Jana Puglierin, du Conseil européen des relations internationales, “en 2008, l’économie de l’UE était légèrement plus importante que celle des États-Unis : 16 200 milliards de dollars contre 14 700 milliards. En 2022, l’économie américaine a atteint 25 000 milliards de dollars, tandis que l’UE et le Royaume-Uni n’ont atteint ensemble que 19 800 milliards de dollars. L’économie américaine est aujourd’hui supérieure d’un tiers à celle de l’Europe, voire de plus de 50 % si l’on retire des calculs le Royaume-Uni”.

“L’économie américaine est supérieure d’un tiers à celle de l’Europe, voire de 50 % si l’on retire des calculs le Royaume-Uni”

Ces chiffres globaux sont choquants. Ils renvoient l’image d’une Europe qui a pris du retard dans de nombreux secteurs. Le paysage technologique européen est dominé par des entreprises américaines telles qu’Amazon, Microsoft [...]

 

 

Élections européennes : des Français fiers mais insatisfaits de l’Europe

Élections européennes : des Français fiers mais  insatisfaits de l’Europe

D’après un sondage Ifop pour Ouest France paru ce jeudi 9 mai, près de la moitié (46%) des Français ont un sentiment d’inquiétude à l’égard de l’Europe et 16% ressentent de la colère. La majorité (59%) se dit cependant fière d’être européen.

À tout juste un mois des élections européennes, que pensent les Français de l’Europe. C’est un sentiment négatif qui prédomine, selon un nouveau sondage réalisé par l’Ifop pour Ouest France, paru ce jeudi 9 mai, aussi Journée de l’Europe.

Les Français évoquent d’abord un sentiment d’inquiétude (pour 46% d’entre eux), quand d’autres disent ressentir de la colère (13%). 16% se déclarent par ailleurs indifférents. À l’inverse, un quart seulement manifeste un sentiment positif. Ils sont 15% à parler de confiance et 10% de l’optimisme.

Ce sentiment de colère ou d’inquiétude varie fortement en fonction de l’âge des sondés. Un quart (26%) seulement des 18-24 ans se disent inquiets, tandis que le chiffre grimpe jusqu’à 50% pour les 65 ans et plus.

Une majorité de Français se disent néanmoins fiers d’être européens, mais ce sentiment décline, passant de 68% en décembre 2021 à 59% en avril 2024. Les habitants du Centre-Val de Loire, des Hauts-de-France, de la Normandie et de la Corse sont près du tiers (30%) à se dire jamais ou rarement fiers d’être européens.

 En outre, de moins en moins de Français trouvent des effets positifs à la construction européenne pour la France (50% contre 53% en mars 2017).

Plus de la moitié des artisans et commerçants (53%) et des ouvriers (51%) ne se sentent rarement ou jamais fiers d’appartenir à l’Union européenne. Si 84% des électeurs de la majorité présidentielle et 71% de ceux de gauche expriment leur fierté, ils ne sont que 36% pour Reconquête et le RN.

Même parmi les Français fiers d’être européens, le sentiment d’inquiétude (43%) prime sur la confiance (24%) et l’optimisme (14%).

Enfin, les pays dont les Français se sentent les plus proches sont l’Espagne (24%), l’Allemagne (23%) la Belgique (18%) et l’Italie (14%), tous les autres États recueillant 3% ou moins.

L’Allemagne est notamment particulièrement citée chez les cadres, les sondés les plus diplômés et les électeurs d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse, tandis que l’Espagne est plus fréquemment évoquée par les 18-24 ans et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Les réponses varient aussi selon la proximité géographique.

Ce sondage a été réalisé par téléphone du 4 au 13 avril et en ligne du 17 au 25 avril auprès d’un échantillon de 4.821 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas. La marge d’erreur est comprise entre 1,8 et 2,9 points.

GPA : Considérée par l’Europe comme un crime

 GPA : Considérée par l’Europe comme un crime

 le Parlement européen a ajouté la gestation pour autrui (GPA) sur la liste des pratiques considérées comme relevant de la traite d’êtres humains : cette liste constitue une base minimale des pratiques criminelles que les États membres sont tenus d’interdire dans leur droit interne. Le texte a été voté à 563 voix pour, 7 contre et 17 abstentions.

À ce stade du processus législatif européen, le texte qui est déjà le fruit d’un premier travail en commission parlementaire puis d’un accord avec le Conseil, doit encore être formellement approuvé par les ministres des États membres qui siègent au Conseil européen.

 

Le désordre mondial et l’Europe

Le désordre mondial et  l’Europe

 Tout le monde s’accorde pour dire que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Encore faut-il la caractériser, mesurer les menaces quelle induit, certes, mais surtout discerner les opportunités sans précédent qu’elle suscite pour l’Europe qui dispose pour la première fois de son histoire, de manière démocratique, de prendre son destin, tout son destin, en main.

 

Par le général de division (2S) Charles Beaudouin, président de Coges Events, qui organise Eurosatory, le plus grand salon mondial de défense et de sécurité (17-21 juin au Parc des Expositions de Villepinte). ( dans  » la Tribune »)

Nous assistons à l’évolution rapide de quatre tendances structurantes, toutes mondialisées, interdépendantes, qui se combinent et s’opposent affectant tout particulièrement le monde occidental.

  • Le retour des guerres de blocs : revendications territoriales et de populations désinhibées, conflits et potentialité de conflits interétatiques de haute intensité mondialisés (réplique de conflits dans d’autres zones de crises) ; nouvelles alliances de défense ; une économie, devenue particulièrement imprédictible après les chocs (pandémie mondiale et guerre Russie-Ukraine), qui générent inflation voire récession et qui voient s’opposer le sud global et l’occident (bloc des BRICS contre bloc du G7) dans une remise en cause de la mondialisation à outrance pour retrouver des souverainetés reposant à tout le moins sur des dépendances choisies.
  • L’évolution des sociétés : l’Occident notamment est traversé par le wokisme, la post-vérité et le post-humanisme, sous l’emprise des réseaux sociaux. Les sociétés subissent une montée de la violence et des communautarismes, une incapacité à débattre et des populismes fragilisant les démocraties. Des phénomènes accentués par le contexte de crise économique.
  • Le réchauffement climatique : perceptible, il génère de plus en plus de catastrophes humanitaires et environnementales et provoque des migrations humaines. Particulièrement sensibilisée, la jeunesse occidentale s’investit dans la transition énergétique au risque de remettre en cause la réindustrialisation nécessaire à une souveraineté recouvrée.
  • Enfin, l’économie du numérique, en expansion exponentielle et de révolution en révolution, comme celles de l’IA et du quantique, offre de formidables opportunités mais elle reste vulnérable aux attaques cyber et aux dépendances quasi-totales aux terres rares produites très majoritairement en Asie et revêtant un caractère écocide prononcé à leur extraction.

Face à ce constat, quels défis pour les États Européens ? En charge d’assurer la protection et la sécurité de leurs citoyens et de leur territoire, ils sont confrontés à trois défis majeurs :

  • Se réindustrialiser et exploiter les ressources naturelles pour retrouver une forme de souveraineté (c’est-à-dire une dépendance choisie plutôt que subie).
  • Se réarmer rapidement, moralement et sur le plan capacitaire, pour faire face aux risques de conflits dans le contexte de nouvelles formes de guerres qui sont potentiellement plus meurtrières et qui génèrent une attrition élevée des moyens militaires. Des conflits qui seront également très consommateurs en munitions. Les États devront donc développer des formes d’économie de guerre. La question des réserves (en matériels et en personnels) se pose. Les solutions de service militaire adapté ou de « gardes nationales» participant au-delà de l’effort de résilience, au réarmement moral. Pour autant le contexte économique général et l’état d’endettement des pays, peu favorables aux investissements régaliens, nécessiteront des choix drastiques.
  • Mieux assurer la protection des citoyens et du territoire face à la hausse de la violence et de la criminalité, notamment les narcotrafic qui créent des zones de non droit, aux émeutes et au terrorisme.
  • Prendre en compte les questions environnementales en assurant une transition énergétique indispensable et en haussant le niveau de gestion des catastrophes humanitaires et climatiques ; mieux gérer les migrations auxquelles les sociétés occidentales seront confrontées.

Ces défis dépassent souvent les capacités propres des États qui ne peuvent que s’inscrire dans une approche régionale à l’exemple de l’Union européenne. Face à la hantise montante de nombreux États de ne plus disposer à court ou moyen terme du parapluie américain, une composante européenne crédible de l’OTAN apparaît d’évidence la voix de la raison, de la maturité et de la responsabilité (et au-delà même d’un minimum d’honneur), avant un potentiel accès à une Europe autonome pour sa défense.

A travers une analyse fine et globale de la nouvelle ère durable dans laquelle nous sommes entrés (plus de 50 facteurs identifiés guident notre réflexion), il convient d’abord que les États et l’Union pensent les conflits extérieurs et intérieurs, les catastrophes impliquant chacun respectivement forces de défense, de sécurité intérieure et de sécurité civile (au sens large du terme) comme un tout. En se combinant parfois, ces formes de crises mettent à l’épreuve la résilience des États et de l’Europe.

Pourquoi développer ses forces armées si les États ne disposent pas de forces de sécurité de l’intérieur efficientes ? Comment faire face aux catastrophes humanitaires et environnementales qui ne manqueront pas de se multiplier sans disposer à tout le moins d’infrastructure de santé aptes à absorber des pics très importants d’hospitalisation. Comment penser l’identification, l’entrainement et la mobilisation des moyens civilo-militaires pour faire face à des événements cataclysmiques, qui nécessiteront une réaction très rapide, puis une montée en puissance des moyens express, sachant que les premières heures sont les plus cruciales ?

En matière de défense, l’Europe gagnera à identifier ses forces et faiblesses sur son spectre capacitaire et certainement essayer de rationaliser sa base industrielle de défense et de Sécurité, très (trop) concurrentielle sur certains secteurs et inexistante sur d’autres. De même, la coopération entre pays qui sera la norme devra être repensée dans une logique plus économique et plus fluide.

le sujet du « remote warfare » ou comment conduire la guerre à distance en minimisant l’empreinte indispensable des combattants au sol qui agissent au contact des populations et qui in fine « conquièrent et tiennent le terrain », dans un environnement particulièrement meurtrier, sera un défi englobant. Les tendances seront notamment les nouvelles mobilités hybrides pour blindés, des drones sous toutes leur formes et plus généralement les équipements connectés, la lutte anti-drone et antiaérienne, le cyber et la guerre électronique (comment les employer offensivement mais également comment protéger le système de forces face à ces agressions) les feux sol-sol longue distance de précision, l’analyse des données et l’intelligence artificielle de défense.

En matière de sécurité intérieure l’effort à conduire sera de mettre en œuvre une meilleure protection de l’espace et des frontières. Comment ? Avec l’emploi des drones et, parallèlement, de la lutte anti-drones, la protection contre les attaques cyber, les « safe cities », les territoires de confiances protection des infrastructures, et bien sûr également l’analyse des données et l’emploi de l’IA pour mieux détecter les signaux faibles des menaces pour les États et l’UE.

Mais demain c’est aussi la capacité évoquée pour les États et l’Union d’agir efficacement face aux crises humanitaires et environnementales dues au réchauffement climatique frappant nos citoyens mais aussi de pouvoir appréhender les drames humains qui ne manqueront pas de se produire à nos frontières du fait de vagues de migrations humaines sans précédent, des migrations de la faim et de la soif difficilement arrêtables. Pour cela il convient de mener une réflexion capacitaire et de conduire un véritable plan Marshall, en partenariat public-privé, projet indispensable et humain s’il en est.

A nouveau monde, nouveaux défis, nouvelles solutions et nouvelles opportunités. La nouvelle ère mondiale rebat les cartes. Dans la tourmente tant géopolitique et économique que sociétale, environnementale et technologique, l’Europe dispose des possibilités, si elle sait saisir les opportunités d’accéder au rang d’une superpuissance d’États, dans toute l’acceptation du terme, une puissance d’équilibre dont aurait bien besoin le monde qui se dessine sous nos yeux.

Trump: Danger aussi pour l’Europe

Trump: Danger aussi pour l’Europe

 
Qui sera le premier dirigeant européen à traverser l’Atlantique si Donald Trump était élu président des Etats-Unis en novembre ? Le plus gros danger pour les Vingt-Sept résiderait dans son approche de la guerre entre Kiev et Moscou, s’inquiète dans sa chronique Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde ».

 

C’est, comme il se doit, Viktor Orban qui a ouvert le défilé à Mar-a-Lago, le 8 mars, premier dirigeant européen à aller saluer le candidat Donald Trump dans sa résidence de Floride, anticipant une possible victoire de l’ex-président républicain à l’élection du 5 novembre. Le premier ministre hongrois n’a pas été déçu du voyage : Donald Trump a offert à ce « grand leader d’Europe, cet homme fort », une vraie fête et une pluie de compliments.

Deux autres politiques ont traversé l’Atlantique depuis pour rencontrer l’adversaire du président Joe Biden : David Cameron, le chef de la diplomatie britannique, puis le président polonais, Andrzej Duda, qui a dîné avec lui à New York. La démarche du Britannique était clairement affichée – plaider en faveur du déblocage de l’aide pour l’Ukraine au Congrès – et il en avait informé la Maison Blanche ; celle du Polonais, en revanche, a été plus ambiguë. Même s’il est favorable à l’aide à l’Ukraine, Andrzej Duda, qui est du parti de la droite nationaliste Droit et justice (PiS) et doit cohabiter avec le premier ministre pro-européen, Donald Tusk, ne cachait pas sa sympathie pour Donald Trump lorsque celui-ci occupait le bureau Ovale, au point de l’inviter à installer une base américaine en Pologne qu’il aurait baptisée « Fort Trump ».

Le prochain visiteur européen n’est pas encore annoncé, mais le vrai trafic transatlantique à surveiller sera celui qui ne manquera pas de s’intensifier si d’aventure Donald Trump est élu le 5 novembre. Cette hypothèse, qui sème la panique dans certaines chancelleries depuis qu’elle est devenue réaliste, peut se révéler un puissant facteur de division de l’Europe.

Le premier dirigeant étranger à venir saluer le président élu viendra-t-il de l’autre côté du Pacifique, comme ce fut le cas en 2016 ? Cette année-là, le premier ministre conservateur japonais Shinzo Abe n’avait même pas attendu dix jours après l’élection pour venir s’entretenir avec le président élu, à la Trump Tower, à New York, le 17 novembre, et ce n’était pas que pour parler golf, leur passion commune. Le premier ministre actuel, Fumio Kishida, vient, lui, de faire une visite très remarquée à Joe Biden et au Congrès et s’est abstenu du détour par Mar-a-Lago ; mais qui dit que la détermination à contrer la menace chinoise dans l’Indo-Pacifique ne l’amènera pas lui aussi à Canossa, si jamais Trump est de nouveau président ?
Pour les Européens, le dilemme serait encore plus déchirant. Viktor Orban a peut-être déjà son billet en poche pour la cérémonie d’investiture, mais d’autres voudront sans doute observer un petit délai de décence.

 

Le désordre mondial et l’Europe

Le désordre mondial et  l’Europe

 Tout le monde s’accorde pour dire que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Encore faut-il la caractériser, mesurer les menaces quelle induit, certes, mais surtout discerner les opportunités sans précédent qu’elle suscite pour l’Europe qui dispose pour la première fois de son histoire, de manière démocratique, de prendre son destin, tout son destin, en main.

 

Par le général de division (2S) Charles Beaudouin, président de Coges Events, qui organise Eurosatory, le plus grand salon mondial de défense et de sécurité (17-21 juin au Parc des Expositions de Villepinte). ( dans  » la Tribune »)

Nous assistons à l’évolution rapide de quatre tendances structurantes, toutes mondialisées, interdépendantes, qui se combinent et s’opposent affectant tout particulièrement le monde occidental.

  • Le retour des guerres de blocs : revendications territoriales et de populations désinhibées, conflits et potentialité de conflits interétatiques de haute intensité mondialisés (réplique de conflits dans d’autres zones de crises) ; nouvelles alliances de défense ; une économie, devenue particulièrement imprédictible après les chocs (pandémie mondiale et guerre Russie-Ukraine), qui générent inflation voire récession et qui voient s’opposer le sud global et l’occident (bloc des BRICS contre bloc du G7) dans une remise en cause de la mondialisation à outrance pour retrouver des souverainetés reposant à tout le moins sur des dépendances choisies.
  • L’évolution des sociétés : l’Occident notamment est traversé par le wokisme, la post-vérité et le post-humanisme, sous l’emprise des réseaux sociaux. Les sociétés subissent une montée de la violence et des communautarismes, une incapacité à débattre et des populismes fragilisant les démocraties. Des phénomènes accentués par le contexte de crise économique.
  • Le réchauffement climatique : perceptible, il génère de plus en plus de catastrophes humanitaires et environnementales et provoque des migrations humaines. Particulièrement sensibilisée, la jeunesse occidentale s’investit dans la transition énergétique au risque de remettre en cause la réindustrialisation nécessaire à une souveraineté recouvrée.
  • Enfin, l’économie du numérique, en expansion exponentielle et de révolution en révolution, comme celles de l’IA et du quantique, offre de formidables opportunités mais elle reste vulnérable aux attaques cyber et aux dépendances quasi-totales aux terres rares produites très majoritairement en Asie et revêtant un caractère écocide prononcé à leur extraction.

Face à ce constat, quels défis pour les États Européens ? En charge d’assurer la protection et la sécurité de leurs citoyens et de leur territoire, ils sont confrontés à trois défis majeurs :

  • Se réindustrialiser et exploiter les ressources naturelles pour retrouver une forme de souveraineté (c’est-à-dire une dépendance choisie plutôt que subie).
  • Se réarmer rapidement, moralement et sur le plan capacitaire, pour faire face aux risques de conflits dans le contexte de nouvelles formes de guerres qui sont potentiellement plus meurtrières et qui génèrent une attrition élevée des moyens militaires. Des conflits qui seront également très consommateurs en munitions. Les États devront donc développer des formes d’économie de guerre. La question des réserves (en matériels et en personnels) se pose. Les solutions de service militaire adapté ou de « gardes nationales» participant au-delà de l’effort de résilience, au réarmement moral. Pour autant le contexte économique général et l’état d’endettement des pays, peu favorables aux investissements régaliens, nécessiteront des choix drastiques.
  • Mieux assurer la protection des citoyens et du territoire face à la hausse de la violence et de la criminalité, notamment les narcotrafic qui créent des zones de non droit, aux émeutes et au terrorisme.
  • Prendre en compte les questions environnementales en assurant une transition énergétique indispensable et en haussant le niveau de gestion des catastrophes humanitaires et climatiques ; mieux gérer les migrations auxquelles les sociétés occidentales seront confrontées.

Ces défis dépassent souvent les capacités propres des États qui ne peuvent que s’inscrire dans une approche régionale à l’exemple de l’Union européenne. Face à la hantise montante de nombreux États de ne plus disposer à court ou moyen terme du parapluie américain, une composante européenne crédible de l’OTAN apparaît d’évidence la voix de la raison, de la maturité et de la responsabilité (et au-delà même d’un minimum d’honneur), avant un potentiel accès à une Europe autonome pour sa défense.

A travers une analyse fine et globale de la nouvelle ère durable dans laquelle nous sommes entrés (plus de 50 facteurs identifiés guident notre réflexion), il convient d’abord que les États et l’Union pensent les conflits extérieurs et intérieurs, les catastrophes impliquant chacun respectivement forces de défense, de sécurité intérieure et de sécurité civile (au sens large du terme) comme un tout. En se combinant parfois, ces formes de crises mettent à l’épreuve la résilience des États et de l’Europe.

Pourquoi développer ses forces armées si les États ne disposent pas de forces de sécurité de l’intérieur efficientes ? Comment faire face aux catastrophes humanitaires et environnementales qui ne manqueront pas de se multiplier sans disposer à tout le moins d’infrastructure de santé aptes à absorber des pics très importants d’hospitalisation. Comment penser l’identification, l’entrainement et la mobilisation des moyens civilo-militaires pour faire face à des événements cataclysmiques, qui nécessiteront une réaction très rapide, puis une montée en puissance des moyens express, sachant que les premières heures sont les plus cruciales ?

En matière de défense, l’Europe gagnera à identifier ses forces et faiblesses sur son spectre capacitaire et certainement essayer de rationaliser sa base industrielle de défense et de Sécurité, très (trop) concurrentielle sur certains secteurs et inexistante sur d’autres. De même, la coopération entre pays qui sera la norme devra être repensée dans une logique plus économique et plus fluide.

le sujet du « remote warfare » ou comment conduire la guerre à distance en minimisant l’empreinte indispensable des combattants au sol qui agissent au contact des populations et qui in fine « conquièrent et tiennent le terrain », dans un environnement particulièrement meurtrier, sera un défi englobant. Les tendances seront notamment les nouvelles mobilités hybrides pour blindés, des drones sous toutes leur formes et plus généralement les équipements connectés, la lutte anti-drone et antiaérienne, le cyber et la guerre électronique (comment les employer offensivement mais également comment protéger le système de forces face à ces agressions) les feux sol-sol longue distance de précision, l’analyse des données et l’intelligence artificielle de défense.

En matière de sécurité intérieure l’effort à conduire sera de mettre en œuvre une meilleure protection de l’espace et des frontières. Comment ? Avec l’emploi des drones et, parallèlement, de la lutte anti-drones, la protection contre les attaques cyber, les « safe cities », les territoires de confiances protection des infrastructures, et bien sûr également l’analyse des données et l’emploi de l’IA pour mieux détecter les signaux faibles des menaces pour les États et l’UE.

Mais demain c’est aussi la capacité évoquée pour les États et l’Union d’agir efficacement face aux crises humanitaires et environnementales dues au réchauffement climatique frappant nos citoyens mais aussi de pouvoir appréhender les drames humains qui ne manqueront pas de se produire à nos frontières du fait de vagues de migrations humaines sans précédent, des migrations de la faim et de la soif difficilement arrêtables. Pour cela il convient de mener une réflexion capacitaire et de conduire un véritable plan Marshall, en partenariat public-privé, projet indispensable et humain s’il en est.

A nouveau monde, nouveaux défis, nouvelles solutions et nouvelles opportunités. La nouvelle ère mondiale rebat les cartes. Dans la tourmente tant géopolitique et économique que sociétale, environnementale et technologique, l’Europe dispose des possibilités, si elle sait saisir les opportunités d’accéder au rang d’une superpuissance d’États, dans toute l’acceptation du terme, une puissance d’équilibre dont aurait bien besoin le monde qui se dessine sous nos yeux.

« L’Europe Puissance, condition de notre sécurité nationale »

« L’Europe Puissance, condition de notre sécurité nationale » 

Alors qu’Emmanuel Macron défend la notion « d’autonomie stratégique », les centristes plaident pour une « Europe puissance »Dans le maelström né de l’attaque terroriste menée par le Hamas sur le territoire israélien, le 7 octobre dernier et l’offensive balistique inédite et massive menée par l’Iran vis-à-vis d’Israël, dans la nuit du 13 au 14 avril, il nous faut retrouver la sagesse des pensées du général de Gaulle, qui en se rendant au Caire en avril 1941, « vers l’Orient compliqué, (…) volait avec des idées simples ».Cet enchevêtrement géopolitique levantin interroge en effet bien plus que l’inébranlable soutien à Israël. Le 7 octobre dernier, ce sont les juifs qui ont été attaqués comme est venu le confirmer l’attaque menée par les Gardiens de la Révolution iraniens (IRCG) en réponse à la frappe qui mis hors d’état de nuire le chef de l’IRCG, le général Reza Zahedi, le 1er avril dernier à Damas.

par Signataires :
- Hervé Morin, président Les Centristes, président de la région Normandie, ancien ministre de la Défense.

- Nathalie Colin-Oesterlé, députée européenne, porte-parole Les Centristes.
- Emmanuel Dupuy, secrétaire national Les Centristes en charge des questions de défense.

Car l’attaque massive ayant ciblé Israël fait émerger un nouvel ordre régional au Moyen-Orient. Mise en pointillé depuis la signature des Accords de Camp David de septembre 1978, de ceux de Wadi Araba en octobre 1994 et des Accords d’Abraham d’octobre-décembre 2020, la normalisation de jure et la coopération militaire de facto avec la Jordanie, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis est apparue nettement plus clairement dans la nuit du samedi 13 à dimanche 14 avril dernier.

Dès lors, un « front » israélo-arabo-occidental a ainsi tenu fermement face à l’attaque iranienne, qui elle, ne recevait tout au mieux que les appels à la modération de ses alliés traditionnels et partenaires, parfois contraints, russes, chinois et turcs…

De ce point de vue, face à nos concurrents liés par l’adversité que leurs choix belliqueux leur imposent, il nous faut sans cesse rappeler la prégnance de nos unions – politiques et économiques – et alliances – militaires et politiques – alors que nous venons de fêter, le 25 mars dernier, le 66ème anniversaire du Traité de Rome en amont de celui de Washington créant l’Alliance Atlantique et l’OTAN le 4 avril 1949. Plus globalement, c’est en effet en Européens responsables, quoique conscients de notre relative pusillanimité et désireux de se sortir du défaitisme « munichois » mortifère, que nous devons envisager un voisinage fragilisé d’est en sud avec des crises protéiformes, mettant désormais en doute la capacité européenne d’anticiper pour prévenir autant qu’agir pour résoudre des crises qui interrogent l’universalité des valeurs qui fondent le projet communautaire lui-même.

Il nous faut, désormais, appréhender posément la réalité stratégique telle qu’elle s’impose à l’Union européenne face à des crises aux racines multiples et diverses mais aux conséquences convergentes qui engagent, dans un même élan, les habitants des rives de la mer Méditerranée, de la mer Noire et les citoyens européens.

Car c’est bien, dans cette configuration particulièrement crisogène, la même espérance humaniste, normative et régulatrice européenne qui est prise au piège et mise au défi. Pourtant, depuis son élection en 2017, le président de la République se plait à se réapproprier, la plupart du temps, des idées qui ne sont pas les siennes pour y faire face.

A la vague notion de « l’autonomie stratégique » dont Emmanuel Macron se gargarise, nous lui préférons l’affirmation d’une « Europe puissance » que les centristes ont toujours porté au firmament de leur attachement au projet européen et ce depuis le premier scrutin européen au suffrage universel en 1979 avec Simone Veil.

De cette « Europe puissance » dépend notre crédibilité comme facilitateur de paix entre belligérants, tant à l’est du continent européen qu’au Levant aujourd’hui, comme demain en Indo-Pacifique. Une nécessaire clarification s’impose donc concernant une politique étrangère et de sécurité qui, pour être véritablement commune, impose une convergence des politiques étrangères et de défense des 27 membres qui la composent. La montée en puissance capacitaire et financière de la défense européenne, tout comme l’investissement dans les technologies de ruptures et les énergies du futur, ne devraient servir que cet objectif.

Ainsi, pour éviter que le chaos actuel aux frontières terrestres et maritimes de l’Union européenne ne se transforme en champs de mine destructeur pour la cohésion communautaire et afin que ce chaos puisse se révéler davantage constructeur d’un nouvel ordre régional et international, il nous faut réaffirmer ce qui a fait l’unicité et la force du projet européen telle que la devise de l’UE l’affirme avec force depuis 2004 : l’unité dans la diversité…

Pensons donc In varietate concordia. Face à ceux qui font du 9 juin un réquisitoire contre l’Europe, comme face à ceux qui prétendent la défendre sans lui donner les moyens de sa puissance, opposons une politique étrangère commune, cohérente, et pragmatique. C’est en elle que réside la condition de notre sécurité nationale.

Signataires :
- Hervé Morin, président Les Centristes, président de la région Normandie, ancien ministre de la Défense.

- Nathalie Colin-Oesterlé, députée européenne, porte-parole Les Centristes.
- Emmanuel Dupuy, secrétaire national Les Centristes en charge des questions de défense.

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L’Europe perdante face à la Chine

L’Europe perdante face à la Chine

 

 Spécialiste de la mondialisation, l’économiste Benjamin Bürbaumer, Sciences-Po Bordeaux, décrypte les ressorts de l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis dans son dernier ouvrage consacré aux deux grandes puissances planétaires. Face à Washington, la Chine capitaliste a développé un réseau crucial de nouvelles infrastructures technologiques, monétaires et physiques capables de faire tanguer la supervision américaine de l’économie mondiale. Prise en étau, l’Europe pourrait apparaître comme la grande perdante de cette vaste bataille économique. ( » dans la Tribune »)

Cette semaine, le président américain Joe Biden a annoncé vouloir tripler les droits de douane sur l’acier et l’aluminium chinois dénonçant une concurrence « injuste » pour les travailleurs américains, un nouvel appel du pied aux ouvriers en pleine campagne électorale. Quel regard portez-vous sur cette annonce ?

BENJAMIN BURBAUMER - L’acier et l’aluminium chinois représentent respectivement 2,1 et 3,6 % des importations américaines de ces biens. La marginalité industrielle de l’annonce contraste avec son potentiel politique. A l’instar de son opposition à l’acquisition de US Steel par Nippon Steel, Biden multiplie les messages envers l’Amérique industrielle. Qu’il espère ainsi marquer des points électoraux, au risque de tendre un peu plus les relations transpacifiques, est révélateur du rôle clé de la Chine dans le devenir du monde.

En pleine campagne présidentielle, la bataille entre les Etats-Unis et la Chine est au centre des débats. Quels sont les principaux ressorts de cet affrontement selon vous ?

La mondialisation est secouée par une tempête. Du FMI au Forum de Davos en passant par les chefs d’entreprise ou les consommateurs, tout le monde le constate. On a vu la bataille autour des semi-conducteurs, les sanctions économiques, la guerre commerciale, la course à l’armement dans l’Indo-Pacifique. Cette série de phénomènes est étroitement liée à la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis.

Dans votre ouvrage Chine/Etats-Unis, le capitalisme contre la mondialisation, paru ce 18 avril, vous dites que le système capitaliste actuel contribue à bouleverser la mondialisation. Pourquoi ?

Le fonctionnement du capitalisme mine celui de la mondialisation. Cela paraît contre-intuitif. Les explications souvent avancées évoquent la présence de décideurs plus protectionnistes et nationalistes comme Xi Jinping ou Donald Trump. Mais, on ne reste qu’à la surface quand on dit cela, car les troubles les précèdent. En réalité, le bouleversement de la mondialisation est, en effet, étroitement lié au fonctionnement de l’économie mondiale. La mondialisation a été victime de son succès.

L’Union européenne apparaît comme la grande perdante de cette bataille. Comment peut-on l’expliquer ?

Pendant longtemps, les Européens se sont accommodés de la présence de la Chine dans la mondialisation, car ils ont profité des pressions déflationnistes liées aux exportations chinoises. Mais c’était une vision naïve. La Chine n’allait pas se cantonner à ce statut de fournisseur de produits bon marché. Dès le début de son intégration dans la mondialisation, Pékin a voulu accélérer son développement et est désormais plus avancé dans les technologies. L’Europe se retrouve donc dans l’impasse face à la Chine.

Par ailleurs, face à la polarisation entre la Chine et les Etats-Unis, le jeu d’équilibriste des Européens devient de moins en moins opérant. La caractérisation de la Chine comme partenaire, pourtant concurrente stratégique et rivale systémique, est symptomatique de l’incapacité européenne à saisir la tendance conflictuelle à l’œuvre. Faute d’identifier les véritables enjeux, l’Europe paraît coincée.

 

La domination des Etats-Unis est toujours plus contestée sur la planète. Pourtant, le pays continue d’être la première puissance économique au monde. Les tentatives de contournement par d’autres pays sont très loin d’affaiblir le socle économique de Washington. Comment l’expliquez-vous ?

L’économie américaine a été pendant très longtemps incontestée sur le plan technologique. Les firmes les plus innovantes étaient américaines. L’autre avantage est que le dollar réduisait le coût de transaction pour les firmes américaines, ce qui facilitait leurs projections à l’échelle mondiale. L’Etat américain a largement soutenu la démarche d’extraversion de ses entreprises. Si on devait résumer la mondialisation, ce serait la supervision américaine de l’économie mondiale.

La Chine a tout de même contesté cette supervision américaine de l’économie mondiale.

La Chine est la progéniture de la mondialisation. Depuis les années 80, l’insertion de la Chine a été poussée par l’Etat américain qui cherchait des débouchés pour ses entreprises en crise de rentabilité. Il y a une alliance de circonstances entre les capitalistes américains et les communistes chinois. Mais leurs motivations divergeaient. Par leur transformation capitaliste, les Chinois cherchaient un développement national accéléré alors que les Américains cherchaient à redresser la rentabilité de leurs entreprises.

Les deux pouvaient coïncider pendant un certain temps. Mais rapidement, des tensions ont éclaté. La relation supposément harmonieuse entre la Chine et les Etats-Unis s’est rapidement caractérisée par une instabilité latente. La Chine a connu un rattrapage technologique très rapide. Et dès le début des années 2000, les entreprises américaines se sont plaintes du mercantilisme « high-tech » de la Chine, du vol de la propriété intellectuelle. Des soupçons sur des manipulations des taux de change ont ressurgi.

Sur le plan monétaire, la Chine a progressivement appuyé le rôle du renminbi dans les transactions internationales. Malgré cette montée en puissance, le dollar demeure la première monnaie d’échanges et de réserves au monde. Et le privilège exorbitant du dollar n’est pas prêt de s’effondrer. Pourquoi ?

La guerre en Ukraine permet de bien comprendre l’importance des enjeux autour des infrastructures monétaires. A travers le dollar, les Etats-Unis contrôlent l’infrastructure monétaire mondiale, ce qui leur permet de mettre en difficulté des pays étrangers, en l’occurrence la Russie. A ce pouvoir extraterritorial remarquable, dont jouit Washington, s’ajoute le fait que le dollar réduit les coûts de transaction des sociétés américaines. En promouvant l’internationalisation du renminbi, Pékin tente de réduire sa vulnérabilité à l’infrastructure monétaire sous contrôle américain et vise à promouvoir l’activité internationale des grandes entreprises chinoises.

Si l’utilisation internationale d’une monnaie résulte toujours de choix politiques, il est extrêmement difficile de détrôner le dollar en raison d’effets de réseaux. Plus les opérateurs économiques utilisent une monnaie, plus ils incitent d’autres firmes à faire de même. La Chine a essayé de répliquer avec l’internationalisation du renminbi, en ouvrant graduellement ses marchés financiers et en encourageant l’usage du renminbi dans le commerce extérieur. Et bien que le dollar reste la monnaie principale de l’économie mondiale, la monnaie chinoise rattrape son retard rapidement. C’est ce qui inquiète Washington.

Vous consacrez une partie de l’ouvrage à la bataille des puces à Taïwan. Pourquoi Taïwan est au centre de la bataille entre la Chine et les Etats-Unis ?

Aujourd’hui, la supériorité technologique repose largement sur les puces. Le leadership des firmes américaines dans les chaînes globales de valeur en dépend. Les puces permettent des retombées économiques colossales et sont indispensables à l’intelligence artificielle. Or, la Chine fait des progrès notables dans ce domaine, ce qui motive les sanctions technologiques décidées par Joe Biden.

Dans la bataille des puces, Taïwan joue un rôle singulier dans la mesure où une grande partie de la fabrication des semi-conducteurs s’y effectue. Une des implications des sanctions américaines consiste alors à interdire à Taïwan d’exporter des puces avancées vers la Chine. Mais Taïwan représente également une vulnérabilité majeure pour les Etats-Unis. La société taïwanaise TSMC produit 90 % des semi-conducteurs de pointe utilisés aux Etats-Unis, y compris par l’armée américaine. Déprendre de la production d’un pays situé à moins de 400 kilomètres de son principal rival, mais à 12.000 kilomètres de son propre territoire, pour une composante militaire essentielle est délicat. D’où la frilosité autour de l’île.

Avec la guerre en Ukraine, la Russie s’est détournée de l’Europe et a renforcé ses relations avec la Chine. Ce basculement va-t-il renforcer le poids de la Chine dans son rapport de force avec les Etats-Unis ?

Actuellement, l’impact majeur des sanctions contre la Russie est de favoriser la montée en puissance de la monnaie chinoise. C’est une conséquence inattendue, mais elle est majeure. Auparavant, la Russie était réticente à utiliser la monnaie chinoise dans ses transactions extérieures. Dorénavant, elle l’utilise allègrement. Il est notable qu’au bout de seulement une décennie d’internationalisation, l’infrastructure monétaire chinoise est en mesure d’absorber une réorientation monétaire d’une économie de la taille de la Russie.

L’autre effet des sanctions est de montrer que le dollar n’est pas une monnaie neutre. Le dollar peut entraîner des contraintes politiques importantes. Se mettre à l’abri d’éventuelles pressions américaines incite une série de pays à dédollariser leurs transactions financières et commerciales. Le contrecoup des sanctions est clair : la confiance internationale dans le dollar s’affaiblit et la popularité du renminbi augmente..

La Chine a lancé son vaste programme des Nouvelles routes de la Soie il y a maintenant une dizaine d’années. Quelles sont les motivations réelles de la Chine?

La Chine a un profond déséquilibre entre production et consommation. Ce déséquilibre s’est renforcé avec le plan de relance proposé après la crise de 2007. Elle compense la faiblesse de la consommation nationale par l’exportation.

Les Nouvelles routes de la Soie permettent à la fois d’absorber une partie de l’excédent chinois et donnent accès aux firmes chinoises à des opportunités rentables d’investissement à l’étranger. En 15 ans, la part de la Chine dans les exportations mondiales a augmenté de plus de 50 %, et dans le stock d’investissement direct à l’étranger sa part a plus que triplé. Mais l’enjeu des Nouvelles Routes de la Soie ne porte pas seulement sur les parts de marché, plus fondamentalement, il porte sur les marchés en tant que tels. Car en finançant des infrastructures à l’étranger la Chine tente de contourner durablement les goulets d’étranglement de l’économie mondiale, qui restent pour l’instant sous contrôle américain.

L’intelligence artificielle est revenue en force ces derniers mois dans les débats. Comment la Chine et les Etats-Unis se situent-ils sur cette technologie cruciale ?

Il y a un consensus sur l’importance de cette technologie, puisque son potentiel va même au-delà de la technologie d’application générale : elle promet d’être une nouvelle méthode d’innovation d’application générale. Compte tenu de leurs rivalités, la Chine et les Etats-Unis essaient de développer leur propre technologie.

La Chine a néanmoins des avantages importants dans le domaine de l’intelligence artificielle. Outre sa politique industrielle, qui mise depuis 2006 sur le développement de technologies autonomes, elle dispose d’énormément de données pour entraîner les modèles. Le mélange entre une moindre protection des données et une population avec un goût prononcé pour l’utilisation des smartphones permet de récupérer une grande quantité de données. L’Etat chinois débloque des sommes considérables dans le domaine de l’IA. Si on regarde le nombre de familles de brevets déposés en matière d’intelligence artificielle, les Etats-Unis restent numéro un, mais la Chine est numéro deux et réduit rapidement l’écart. Selon son Plan de développement de l’IA de 2017, elle vise le sommet d’ici 2030.

Quelle est la genèse de votre ouvrage ?

Ma carrière de chercheur s’est orientée vers l’économie politique internationale. C’est un domaine assez peu développé en France. Pourtant, à l’heure de la fragmentation géoéconomique et des tensions internationales, il est indispensable de comprendre que les décisions politiques et les dynamiques économiques sont imbriquées. Le sujet des Etats-Unis et de la Chine s’est imposé, car il détermine le devenir de la planète, et donc aussi la trajectoire macroéconomique, entrepreneuriale et sociale en France.

 

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