Foot : la France forme des talents pour les vendre à l’étranger
C’est ce que pense Claude Puel manager général de l’A.S. Saint-Étienne dans le JDD
interview
Pablo Longoria , président de Marseille, dit avoir choisi un technicien sud-américain pour sa passion ; sous-entendu, les entraîneurs français seraient ennuyeux. Qu’en pensez-vous?
C’est un très jeune dirigeant, qui découvre notre football. Pour le spectacle, il faut des joueurs de haut niveau. La Ligue 1 est formatrice, donc nos joueurs ne sont pas prêts. Mais les entraîneurs les mettent en avant car l’économie des clubs en dépend. Ce qu’ils réalisent avec la matière première est déjà très intéressant. Sans les citer, il y a dans nos deux premières divisions pas mal d’équipes qui ont un style reconnaissable.
Il déplore une formation très individuelle des joueurs. Est-ce une réalité?
A Saint-Etienne, on a incorporé chez les pros des gamins de 17 ans qui n’avaient pas encore évolué en réserve. On brûle des étapes car dès qu’un gamin éclate, il part. On l’a vu avec William Saliba [vendu 29 millions d'euros à Arsenal en 2019] et Wesley Fofana [45 millions à Leicester l'été dernier]. On ne pouvait pas faire autrement. Nos joueurs ont une touche un peu individuelle car, à cet âge, on les laisse s’exprimer. Les paliers, ils les passent plus tard, à l’étranger plutôt qu’ici, où ils représentent des actifs susceptibles de combler des déficits. S’il y avait un problème global avec notre formation, il n’y aurait pas autant de débouchés en Angleterre, en Italie ou en Allemagne.
L’échec de Saliba peut-il inviter à la prudence?
Non, car c’est à pile ou face. William a raté ses débuts, pas Wesley. Les environnements incitent au départ, les clubs en ont besoin pour se remettre d’équerre. J’aimerais que les dirigeants se demandent comment développer une équipe et non comment remettre les comptes à niveau. Rivaliser avec les quatre grands championnats, on n’y arrivera pas. L’enjeu est de mieux protéger notre formation. Le premier contrat pro est de trois ans, contre cinq en Angleterre. Il faut des sommes astronomiques pour les garder alors qu’on doit continuer à les former. Donc, à partir de 16 ans, ils sont mis aux enchères.
Peu d’entraîneurs français s’expatrient. Pourquoi?
Déjà, les étrangers savent mieux se vendre. Ensuite, les coupes d’Europe révèlent les entraîneurs, or on ne va pas assez loin. Mais citez-moi trois coaches anglais qui flambent en Premier League? S’ils étaient extraordinaires, on les verrait à Manchester City ou à Liverpool. Aujourd’hui, les clubs sont rachetés par des fonds d’investissement qui arrivent avec un attelage complet, du président au responsable du recrutement. L’entraîneur et ses adjoints sont inclus dans le package. Il faudrait s’ouvrir à ce mécanisme où la coulisse compte autant que la compétence réelle, si ce n’est plus. Je pense qu’on n’y est pas préparé. En allant à Southampton [en 2016], je me suis mis en danger, mais j’avais 54 ans. Il faut quitter son confort plus jeune. En 2004, Porto avait jeté son dévolu sur moi. Mais je n’étais pas formaté pour être carriériste.
En Ligue 1, vous êtes le seul manager général…
C’est dommage. A Lille [2002-2008], partant d’une page blanche, on m’avait demandé de participer à la formation, à des réunions de chefs de service. C’était chiant mais ça m’a enrichi. Cette expérience m’a appris à ne pas demander l’impossible. Souvent, je suis reparti avec des novices, sans moyens, mais en connaissance de cause. Il y a eu des parcours en dents de scie, le temps d’apprendre, mais beaucoup de futurs internationaux se sont révélés. C’est notre modèle : mettre le pied à l’étrier aux jeunes, qui coûtent des points mais finiront par assurer la survie économique du club. C’est comme ça que j’ai lancé Fofana. Il a fait des bêtises mais au bout d’un an, son transfert a rapporté 45 millions qui ont fait beaucoup de bien. Le problème en France, c’est qu’on développe nos joueurs pour les vendre et équilibrer le budget. A présent que le trading se casse la figure, comment fait-on?
La Ligue 1 à 18 clubs?
C’est du court terme. On est dans l’urgence depuis un an et demi, mais on n’a pas planché sur le fond. On va coller une rustine, s’arranger entre quelques-uns, alors qu’on aurait pu tout mettre à plat. La France est un laboratoire qui forme pour ses voisins. Et on voudrait être performant en Coupes d’Europe? Nous avons les meilleurs joueurs en devenir, protégeons-les.
Dans le jeu, innove-t‑on encore?
Il vient toujours un gars qui le fait avancer. Guardiola a transformé le jeu. A Barcelone, les risques que prenaient ses joueurs n’en étaient plus tant c’était harmonieux. Sa force, c’est de faire du premier attaquant le premier défenseur. Depuis dix ans, tout le monde s’est inspiré de ses principes, en les adaptant. C’était une révolution. A Manchester City, il a été critiqué la première année. Tous ses joueurs étaient magnifiques, sauf le gardien. A l’intersaison, il a incorporé Ederson, qui a des mains à la place des pieds. Problème résolu.
Mais Guardiola est resté longtemps dans ses clubs.
C’est la seule façon de poser sa patte. Et c’est intéressant si le club continue dans la même direction après votre départ. Beaucoup de dirigeants recrutent des noms, les préceptes sont secondaires pour eux. Avant, les clubs avaient un style défini, comme Nantes. Avec les transferts et les nouveaux propriétaires, ce football technique de très haut niveau s’est perdu, c’est devenu du combat. Dans un club, on devrait avoir une identité unique, de la formation jusqu’aux professionnels. Mais c’est un vœu pieux.
Après la victoire au Parc, il a ironisé sur son « génie ». Au-delà du résultat, à quoi peut-on juger un entraîneur?
A ceci : Guardiola rend meilleurs des joueurs déjà accomplis et très chers. J’ai eu Mahrez à Leicester : un phénomène. City a payé 80 millions et l’a laissé sur le banc les six premiers mois, jusqu’à ce qu’il épure son jeu, comprenne quand prendre un risque ou lâcher le ballon. Son équipe respire l’intelligence. Les onze joueurs sont dépositaires du jeu. J’ai entendu que ce serait plus facile pour lui, car il n’a pas les mêmes individualités que le PSG. Foutaises! Tous sont hors norme mais au service d’une idée collective.
Guardiola a les idées et les moyens. Aurait-il des résultats à l’ASSE ?
Pas les mêmes, mais il développerait les joueurs. Quand j’ai accepté Leicester [2017], j’ai dit aux dirigeants qu’il n’y avait que cinq éléments au niveau. Finalement, j’en ai gardé deux. On a été très irrégulier car nous avions recruté des gamins. Ils avaient besoin de mûrir. C’est la même équipe qui, cette saison, lutte pour le podium. Les choses se construisent.