Un retour durable de l’inflation ( Frédéric Leroux)
Comment faire face à un retour durable de l’inflation par Frédéric Leroux ,membre du comité d’investissement stratégique de Carmignac dans » l’Opinion ».
L’élection présidentielle, la prise de conscience depuis le coronavirus et la guerre en Ukraine de la triple dépendance industrielle, énergétique et militaire française ainsi que le retour de l’inflation créent une opportunité bienvenue de réorienter l’épargne des Français vers le nécessaire redéploiement économique du pays.
Traiter ces dépendances par la réindustrialisation va nécessiter la mobilisation de moyens considérables que notre situation budgétaire rend inaccessibles. Le concours des épargnants pourrait être la solution alors que le retour durable de l’inflation mettra à mal les placements qu’ils privilégient encore aujourd’hui. L’installation durable de l’inflation dans le paysage économique est en effet de plus en plus probable. Au-delà des facteurs conjoncturels bien identifiés, d’autres plus structurels émergent.
Le premier d’entre eux est l’évolution de la démographie mondiale, qui réduit le nombre d’épargnants dans leurs années fastes, ces fournisseurs de capital, facilitateurs de productivité et de désinflation. Et augmente simultanément le nombre de consommateurs. Le suivant est le vieillissement de la population chinoise qui incitera de moins en moins le pays à chercher dans les exportations à bas prix les clés de sa prospérité : la douloureuse pression baissière sur les salaires mondiaux devrait donc s’estomper. De plus, il semble possible que la désinflation imprimée par l’e-commerce touche à sa fin avec des prix en hausse continue depuis mi-2020.
Il convient ensuite d’intégrer dans la dynamique inflationniste les prix énergétiques et des métaux, impliqués dans la filière électrique due à la transition énergétique menée à marche forcée, et de noter le grand retour des politiques budgétaires. Ces dernières favorisent la demande et l’inflation, actant de l’échec des politiques monétaires non conventionnelles.
« Comment fait-on pour que l’épargne des ménages ne soit pas laminée par cette inflation, et la hausse des taux d’intérêt induite qui pèsent déjà sur le pouvoir d’achat ? »
Enfin, comment ne pas ressentir l’aspiration populaire à la moralisation des décisions économiques au détriment de leur stricte efficacité ? Moins d’efficacité, c’est aussi davantage d’inflation. La désinflation liée au progrès technologique pourrait ne plus suffire à assurer la stabilité des prix dans les années à venir.
Comment fait-on alors pour que l’épargne des ménages ne soit pas laminée par cette inflation, et la hausse des taux d’intérêt induite qui pèsent déjà sur le pouvoir d’achat ? Dans les programmes des deux candidats finalistes de l’élection présidentielle, deux mesures revêtent un intérêt particulier pour un développement ambitieux et vertueux de l’épargne dans un contexte inflationniste.
La première mesure est la généralisation du dispositif d’intéressement/participation aux résultats des entreprises à toutes celles qui distribuent des dividendes à leurs actionnaires. Cette idée présente l’avantage de pouvoir aligner les intérêts des employés et ceux de leur entreprise en contribuant à un complément de rémunération bienvenu, dépendant des profits, impactés par les prix. Un tel projet est capable de renforcer l’adhésion à l’objet social et la compétitivité des entreprises concernées.
La seconde mesure intéressante, bien que floue, est la création d’un Fonds Souverain Français, exclusivement financé sur fonds privés, ayant vocation à investir dans des secteurs économiques stratégiques et dans le renforcement des fonds propres des entreprises. Si ce Fonds – ou tout autre dispositif – pouvait spécifiquement réorienter l’épargne des ménages vers de l’investissement en actions concentré sur les dépendances industrielles, énergétiques et militaires, l’idée nous paraîtrait excellente à bien des égards.
D’abord cette mesure ne détériorerait pas davantage les comptes publics puisqu’elle fait appel à la seule épargne privée. Ensuite elle permettrait de capitaliser sur notre mix énergétique qui fait la part belle au nucléaire dont les mérites sont enfin (!) reconnus ; il est plus facile de devenir une économie industrielle lorsque la fourniture énergétique est largement domestique.
Enfin, cela donnerait aux épargnants un accès à un investissement capable de prospérer en ambiance inflationniste. En effet, des actions de sociétés industrielles de qualité seront moins (voire pas du tout) affectées par la hausse des taux d’intérêt que les placements obligataires (dont l’assurance vie en euro) ou que les actions de sociétés peu dépendantes du cycle économique.
Il existe donc une opportunité majeure de faire converger, dans le contexte inflationniste qui se précise, les intérêts de l’Etat et des épargnants, après une longue décennie où leur épargne aura été dirigée vers le financement de la dette publique française contre une rémunération négative. Bien sûr, il conviendrait d’imaginer un dispositif suffisamment motivant car on ne réoriente pas l’épargne – des emprunts d’Etat vers les actions de sociétés industrielles – sans un minimum d’assurances et d’incitations.
« Reconnaissons définitivement nos dangereuses dépendances, admettons que l’inflation revient et mettons en œuvre des moyens solides pour y faire face, en s’appuyant sur nos atouts »
Nous avons assez souffert de nos faiblesses relatives ces dernières décennies. Nous n’avons que trop souvent éreinté notre compétitivité en nous auto-infligeant parfois des contraintes nationales au-delà de ce qu’exigeait notre appartenance à l’Europe. Reconnaissons définitivement nos dangereuses dépendances, admettons que l’inflation revient et mettons en œuvre des moyens solides pour y faire face, en s’appuyant sur nos atouts.
Reconstruire un secteur industriel digne de ce nom, pourvoyeur d’emplois qualifiés, bien payés grâce à des marges élevées et à une productivité industrielle toujours améliorable, principalement financée en actions par l’épargne privée. Voilà un excellent moyen de contribuer à résoudre l’équation économique qui nous est proposée pour les décennies qui viennent.
Faisons en sorte que l’inflation ne soit pas une fatalité. Pour cela, réfléchissons à une politique économique et à des mesures spécifiques adaptées à l’inversion probable des moteurs de l’économie mondiale après 40 ans de désinflation.
Frédéric Leroux est membre du comité d’investissement stratégique de Carmignac.