Société-Choisir entre l’environnement et le pétrole ?
Une rencontre entre le climatologue Jean Jouzel et le PDG de Total, Patrick Pouyanné, a viré au dialogue de sourds. Entre l’urgence à agir et les intérêts des majors du pétrole, huit responsables du Parti socialiste, dont Olivier Faure, Johanna Rolland et Boris Vallaud, appellent, dans une tribune au « Monde », l’Etat à prendre parti en sortant de l’inaction.
« A la fin, j’en ai marre », a lâché le climatologue Jean Jouzel, de retour de l’université d’été du Medef où il dit avoir reçu un accueil glacial, le 29 août. Son crime ? Avoir rappelé, devant un parterre de chefs d’entreprise et face à Patrick Pouyanné, président de TotalEnergies que, « pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, nous n’avons plus que cinq ans d’émissions au rythme actuel » et qu’il fallait, en conséquence, arrêter d’investir dès maintenant dans les énergies fossiles, comme le martèlent le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et l’Agence internationale de l’énergie. « J’ai décrit les choses telles qu’elles sont », a déclaré le célèbre climatologue.
Pourtant, il s’est vu fermement congédié par Patrick Pouyanné, qui lui a rétorqué : « Cette transition, je suis désolée Jean, mais elle prendra du temps. J’assume de poursuivre mes investissements pétro-gaziers car la demande croît. Je respecte l’avis des scientifiques mais il y a la vie réelle. »
« La vie réelle. » Jean Jouzel n’a pas manqué de pointer que la vie réelle, c’était aussi les canicules, les inondations, le manque d’eau qui prend des tournures tragiques à Mayotte, les mégafeux. Celui qui a ravagé le Canada cet été a brûlé l’équivalent du quart de la surface de la France et émis 1 milliard de tonnes de CO2.
Il n’empêche que Patrick Pouyanné n’a pas entièrement tort : la vie réelle, c’est aussi un monde où le train coûte souvent plus cher que l’avion, où toute une partie de la population dépend de la voiture, où la rénovation thermique des bâtiments est beaucoup trop lente, où les banques françaises figurent parmi les leaders mondiaux du financement des énergies fossiles, où la publicité nous incite à l’achat de SUV (sport utility vehicle)… un monde aussi où l’on importe de l’autre bout de la planète, grâce au pétrole, tout un tas de biens souvent produits au charbon.
Cette vie réelle là, Patrick Pouyanné s’en accommode parfaitement. Et, disons-le clairement, ça n’est pas parce qu’il est climatosceptique : lui et le Medef comprennent la science du GIEC, savent lire les chiffres. Total a même délibérément dissimulé les résultats de ses propres études qui prévoyaient un réchauffement climatique dès les années 1970. Ils ne veulent tout simplement pas modifier leur modèle économique si cela est contraire à leurs intérêts, essentiellement déterminés à court terme. Ils s’accrochent donc au statu quo, même s’il sera défavorable à une grande majorité de l’humanité. En réalité, Jean Jouzel et Patrick Pouyanné parlent de la même vie réelle. Sauf que l’un la déplore, et l’autre s’en contente.