Société: L’Enfer numérique
Dans son livre « L’Enfer numérique », Guillaume Pitron rappelle les origines du numérique et explique comment ce nouvel outil de la communication a des conséquences catastrophiques sur notre environnement.( chronique du Monde)
Le livre. Le 2 octobre 1971, l’humanité est soudainement projetée dans l’ère de l’immédiateté. L’ingénieur américain Ray Tomlinson (1941-2016) envoie le premier e-mail sur Arpanet 1, un réseau informatique prisé des scientifiques et des militaires américains.
Après les routes pavées de l’Antiquité et les chemins ferrés de l’ère industrielle, quelles infrastructures rendent nos actions numériques quotidiennes désormais possibles ? Que se passe-t-il lorsque vous envoyez un e-mail ? Quelle est la géographie des clics ? Quels défis écologiques et géopolitiques charrient-ils à notre insu ? C’est le sujet de L’Enfer numérique. Voyage au bout d’un like (Les liens qui libèrent), de Guillaume Pitron.
« L’Enfer numérique. Voyage au bout d’un like », de Guillaume Pitron, Editions Les liens qui libèrent, 304 pages, 20 euros.
Pendant deux ans, le journaliste a suivi, sur quatre continents, la route de nos e-mails, de nos likes et de nos photos de vacances. Son ouvrage nous conduit dans les steppes de la Chine septentrionale à la recherche d’un métal qui fait fonctionner nos smartphones, mais aussi dans les vastes plaines du cercle arctique où refroidissent nos comptes Facebook, et dans l’un des Etats les plus arides des Etats-Unis, pour enquêter sur la consommation d’eau de l’un des plus grands centres de données de la planète, celui de la National Security Agency (NSA).
« Nous avons découvert qu’Internet a une couleur (le vert), une odeur (de beurre rance), et même un goût, salé comme l’eau de mer. Il émet également un son strident, semblable à celui d’une immense ruche. Bref, nous avons fait l’expérience sensorielle de l’univers numérique, prenant par là même la mesure de sa démesure. »
4 % des émissions globale
Pour envoyer un simple like, nous déployons ce qui sera bientôt la plus vaste infrastructure jamais édifiée par l’homme, un royaume de béton, de fibre et d’acier, un inframonde constitué de datacenters, de barrages hydroélectriques et de centrales à charbon, tous unis dans une triple quête : celle de puissance, de vitesse et… de froid.
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L’industrie numérique a beau vanter son tribut positif à la préservation de la planète compte tenu des fabuleux leviers d’optimisation de nos méthodes agricoles, industrielles, « servicielles » qu’elle permet, la réalité est moins enchantée : la pollution numérique est colossale, et c’est même celle qui croît le plus rapidement. Elle est d’abord due aux milliards d’interfaces constituant notre porte d’entrée sur Internet, mais provient également des données que nous produisons à chaque instant.
Les chiffres sont édifiants : l’industrie numérique mondiale consomme tant d’eau, de matériaux et d’énergie que son empreinte est le triple de celle d’un pays comme la France ou l’Angleterre. Les technologies numériques mobilisent aujourd’hui 10 % de l’électricité produite dans le monde et rejetteraient près de 4 % des émissions globales de CO2, soit un peu moins du double du secteur civil aérien mondial.
« La pollution digitale met la transition écologique en péril et sera l’un des grands défis des trente prochaines années. » Une course est désormais engagée : d’un côté, les entreprises du numérique déploient leur formidable puissance financière et d’innovation pour optimiser et « verdir » Internet. De l’autre, des réseaux et communautés de défricheurs pensent qu’un autre numérique, plus sobre, responsable et respectueux de l’environnement est possible.
Par quelles technologies de l’information voulons-nous en effet être accompagnés vers l’avenir ? Fabriquées selon quels procédés et avec quels matériaux ? Souhaitons-nous un réseau central, constitué de lourdes infrastructures permettant des gains énergétiques d’échelle, ou plutôt éclaté afin de relocaliser la transmission des données, grosse consommatrice d’électricité ? Le voulons-nous neutre et dérégulé, ou bien partial, voire liberticide, car n’autorisant que la production de data jugée essentielle ? Devra-t-il être payant ou gratuit ? « Nos rues de l’avenir seront probablement une hybridation de ce large éventail de solutions qui fermentent aujourd’hui aux quatre coins du monde. »
« L’Enfer numérique. Voyage au bout d’un like », de Guillaume Pitron, Editions Les liens qui libèrent, 304 pages, 20 euros.