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Réforme de l’ENA : la grande supercherie

Réforme de l’ENA : la grande supercherie

 

Le président de la république après avoir manifesté son intention de supprimer l’ENA finalement va se limiter à un changement de nom. Juste quelques réformes mineures mais qui ne changeront  pas le fait qu’on forme  en France des technocrates complètement coupés des réalités mais qui pourtant ensuite colonisent  bien sûr l’administration mais aussi l’économie et les partis politiques.

Dans la nouvelle réforme, les élèves mettront un peu plus de temps pour accéder aux fonctions,  cela  ne changera fondamentalement  leurs compétences.

On ne verra plus de jeunes de 25 ans propulsés à des postes à haute responsabilité : les diplômés de l’ISP devront d’abord passer plusieurs années dans des fonctions opérationnelles sur le terrain avant de pouvoir accéder aux postes de direction, a expliqué le chef de l’Etat, lui-même énarque. Mais cela ne changera pas la sociologie des technocrates à la tête des plus hautes fonctions publiques.

Pour preuve que cette réforme de l’ENA est une supercherie,  la réforme entrera en application dès le 1er janvier 2022. Autant dire qu’on a changé la marque commerciale  en conservant  les bâtiments et surtout la culture.

 

Zemmour : le franc-parler face à la dialectique « bla-bla » de l’ENA

Zemmour : le franc-parler face à la dialectique « bla-bla » de l’ENA

Bien entendu ce qui caractérise Zemmour, c’est son extrémisme et sa radicalité. Mais le fait qu’il intéresse autant les Français tient peut-être à autre chose à savoir qu’il porte un discours complètement décapé -souvent provocateur- qui s’oppose totalement à la dialectique bla-bla de l’ENA qui a contaminé l’ensemble du personnel politique.

Certes, tous les responsables ne sont pas diplômés de l’ENA mais la plupart des partis sont cependant sous tutelle des élèves de la grande école d’administration française. Une école qui a aussi fourni non seulement des responsables politiques à tous les échelons mais aussi des ministres et des présidents de la république. Du coup depuis des dizaines d’années, le système politique a adopté ce langage incompréhensible de l’ENA qui consiste essentiellement à noyer la problématique dans un flot de paroles qui se veut technocratique mais qui est seulement scientiste.

La réalité, c’est que les produits de l’ENA sont à peu près incompétent en tout mais ils abritent cette in compétence derrière des discours complètement abscons qui peuvent endormir les auditoires les plus velléitaires. Malheureusement ,ce langage a été adopté par tout le petit monde politique y compris par tous ceux qui n’ont pas fréquenté la célèbre école. Les médias eux-mêmes se sont convertis à cette langue qui permet d’occulter le vide complet de la pensée dans tous les domaines socio-économiques et sociétaux.

Zemmour, lui, appelle un chat un chat et même y voit un félidé sauvage aussi dangereux qu’un tigre.

En clair, Zemmour a surtout l’avantage de nommer des faits réels partagés par sans doute une majorité de Français même si ensuite ces mêmes Français n’adhèrent pas aux analyses caricaturales qu’en  tire l’intéressé et encore moins aux mesures radicales irréalistes qu’il  propose. Pour affronter Zemmour, il faudra se débarrasser des oripeaux de ce langage énarchique  dépassé. Pour preuve Mélenchon qui n’est pas lui-même sans culture et sans radicalité, s’est aussi trouvé parfois bousculé dans le débat qui l’a opposé à Zemmour.

Modernisation de l’administration : la suppression de l’ENA ne suffit pas

Modernisation de l’administration : la suppression de l’ENA ne suffit pas

 

La suppression de l’Ecole nationale d’administration n’aura de sens que si de profonds changements sont opérés afin, notamment, de décloisonner la haute administration, juge Pierre-Louis Rémy, inspecteur des affaires sociales, dans une tribune au « Monde »

 

En annonçant la suppression de l’Ecole nationale d’administration (ENA) [le 8 avril], le président de la République a exprimé deux intentions profondément pertinentes : d’abord le souhait de rapprocher la haute administration du « terrain ».

Aujourd’hui, en effet, les postes proposés à la sortie de l’ENA sont tous situés à Paris, en dehors de ceux de la préfectorale et de la diplomatie. Et bon nombre d’anciens élèves ne quittent jamais la capitale durant toute leur carrière.

Ensuite, et c’est fondamental, Emmanuel Macron a souligné la nécessité de mieux permettre à l’Etat de remplir ses fonctions prioritaires, en premier lieu la protection des citoyens.

Il est en effet paradoxal de constater que, depuis toujours, les ministères dits « sociaux », la santé, les solidarités, le travail, l’éducation sont délaissés par les élèves de l’ENA, étant choisis, sauf exception, par les moins bien classés, qui pour une part n’ont de cesse d’essayer d’en partir.

La priorité est donnée aux fonctions financières, en premier lieu l’inspection des finances, et aux deux corps de magistrats, Conseil d’Etat et Cour des comptes, dont les membres essaiment ensuite dans l’ensemble des plus hautes fonctions de l’Etat et dans les entreprises privées.

Rente tirée du rang de sortie

L’inspection générale des affaires sociales, seule inspection avec celle des finances à recruter dès la sortie de l’école, apporte une légère correction à cette domination. En définitive, l’ENA est une machine à classer, la rente tirée du rang de sortie valant presque jusqu’à la retraite.

A l’initiative de la délégation des élèves, ma promotion, il y a près de cinquante ans, avait essayé de faire bouger cet enchaînement néfaste. En s’appuyant sur une grève des épreuves, seul mécanisme propre à gripper la mécanique bien huilée du classement, elle avait obtenu, avec le soutien du directeur de l’école de l’époque, Pierre Racine, et malgré l’opposition farouche du directeur général de la fonction publique d’alors, Michel Massenet, des possibilités d’affectation directe en province en dehors de la préfectorale et quelques initiatives propres à valoriser les postes dans les ministères sociaux.

Cette timide brèche, ouverte en 1972-1973, n’a eu aucune suite, aucune promotion ne reprenant le flambeau de ce combat.

Mais pour atteindre les deux objectifs affichés par le président de la République, il faut bien plus que la suppression de l’ENA.

Deux changements ont été avancés par le chef de l’Etat, qui seront décisifs s’ils sont vraiment menés à leur terme : le décloisonnement de la haute administration et son corollaire, la mise en place d’une véritable gestion interministérielle des hauts fonctionnaires.

L’ENA : Une école de mimétisme

 L’ENA : Une école de mimétisme

 

Ecole formant peu et mal, coupée du monde de l’enseignement et de la recherche, peu encline à s’ouvrir aux autres écoles publiques… Surtout ne parvenant pas à se réformer, l’Ecole nationale d’administration doit être supprimée, estime, dans une tribune au « Monde » Danièle Lamarque, ancienne présidente de l’Ecole des hautes études en santé publique.

 

Tribune

. On peut débattre longuement des mots et des symboles qu’ils portent : école ou institut, administration, management ou service public ; et considérer que la marque « ENA », connue – sinon reconnue – dans le monde entier, fait partie du patrimoine immatériel de la France.

La réalité désormais dénoncée par la plupart des promotions de l’Ecole nationale d’administration (ENA) est plus crue, et plus têtue : malgré la bonne volonté de ses directeurs successifs, l’ENA n’a que partiellement rempli ses objectifs d’origine et échoué à fonder un modèle de formation de cadres publics de haut niveau ; l’excellence des élèves ne fait pas l’excellence du moule. Et c’est bien parce que l’ENA ne peut pas se réformer elle-même qu’il vaut mieux la supprimer pour construire autre chose.

 

Quels sont les freins qui brident l’ENA ? Ils sont bien connus, et pourtant on s’en accommode. C’est une école qui classe, mais qui forme peu, et mal. Le classement de sortie, on le sait, stérilise toute formation, parce que les élèves ne s’intéressent qu’aux épreuves qui rapportent des points ; et même celles-là, il les formate et les stérilise, parce que le conformisme paie plus que l’esprit d’initiative.

L’ENA fermée au monde extérieur

Incapable de bâtir une formation digne de ce nom, l’Ecole s’est spécialisée dans le mimétisme et s’est fermée au monde extérieur.

A rebours des mutations accomplies dans les années 2000 par les grandes écoles de commerce, l’X, les Instituts d’études politiques et l’Ecole de la santé publique, qui ont créé des formations diplômantes pour s’adapter à l’européanisation des diplômes et permettre aux élèves de poursuivre des carrières internationales en leur offrant une qualification, monnaie d’échange des talents dans un monde ouvert.

 

C’est la mutation qu’a conduite l’Ecole de Rennes, devenue l’Ecole des hautes études de la santé publique dans les années 2004-2008, une mutation que je suis fière d’avoir accompagnée. Dépourvue de corps enseignant permanent, coupée du monde de l’enseignement et de la recherche, l’ENA fonctionne toujours sur le mode de la reproduction, de la cooptation et de l’imitation des anciens. Ce n’est pas à l’ENA que se pensent et se discutent les grandes questions du management public.

L’ENA souffre des faiblesses propres à la France

Quant à l’ouverture vers les autres écoles du service public, malgré la bonne volonté du réseau du même nom, elle reste timorée dans une école qui se pense, à tort, comme la quintessence de l’excellence et n’accorde qu’une attention polie à ses proches cousines de l’administration territoriale et de la santé publique, l’INET (Institut national des études territoriales) et l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique). Il est donc crucial que le futur institut ait le statut d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), et non d’établissement public à caractère administratif (EPA), comme c’est prévu actuellement.

La défense de l’ENA Par Bernard Attali

La défense de l’ENA Par Bernard Attali

 

tribune dans le Monde

 

Une cohorte d’envieux et de mal informés a donc eu gain de cause : l’ENA serait supprimée ! Je soutiens que c’est une faute lourde. S’attaquer à la haute fonction publique pour plaire à la rue ne peut que nourrir la bête populiste. Au moment où les Français ne croient plus en grand-chose, il est stupide d’en rajouter en les faisant douter de l’engagement et du savoir-faire de ceux qui les servent et qui, à l’épreuve des crises majeures que nous connaissons, du terrorisme aux pandémies, assurent le maintien de notre vivre ensemble.

Il s’agit, nous dit-on, de faciliter la mixité sociale. Certes, une réforme des grands corps et une démocratisation des grandes écoles sont souhaitables. Je l’ai moi-même écrit dans un rapport sur l’école Polytechnique que m’avait demandé naguère le Premier ministre. Mais cet effort d’ouverture devrait commencer en amont du système scolaire et non en aval ! L’ascenseur social démarre au rez-de-chaussée pas au dixième étage. Ne pas reconnaître cette évidence c’est essayer de cacher l’incapacité des pouvoirs publics à traiter le problème de fond.

«C’est aussi céder à l’air du temps qui tolère le mépris de la compétence, prône l’équivalence des points de vue, qui accepte l’irrévérence à l’égard des maîtres et le nivellement par le bas. La critique poujadiste des experts est dangereuse»

C’est aussi céder à l’air du temps qui tolère le mépris de la compétence, prône l’équivalence des points de vue, qui accepte l’irrévérence à l’égard des maîtres et le nivellement par le bas. La critique poujadiste des experts est dangereuse. En tant qu’ancien patron d’Air France, il ne me serait pas venu à l’esprit de faire de l’origine sociale un critère de recrutement des pilotes. Répéter que « la révolution n’a pas besoin de savants » conduit au déclin. Alors que tous nos concurrents, à commencer par la Chine, font de la sélection des talents une priorité politique majeure, nous enclenchons la marche arrière.

Parisianisme. Certes, l’Ecole nationale d’administration n’est pas exempte de toute critique. Mais elle n’est pas restée inerte, contrairement à ce que certains racontent. Le plan adopté par le conseil d’administration en octobre 2018, en plein accord avec le gouvernement, prévoyait un projet pédagogique tourné vers une plus forte professionnalisation et un recentrage sur des priorités clés. Ce plan a été mis en œuvre avec détermination. La scolarité a fait une place grandissante à la transformation numérique et à la formation continue. Les modalités du concours d’entrée et de sortie ont été revues pour être moins élitistes. Les stages, déjà nombreux, ont été réorientés vers les PME. Enfin les deux dernières promotions de l’ENA comptent près de 30% d’élèves boursiers, 40 % des femmes et 50% d’élèves de province.

L’ENA est critiqué pour le parisianisme de sa formation. Allons donc ! Combien d’autres grandes écoles se sont localisées en province ? Personnellement, j’ai été grâce à elle à moins de 25 ans, chef de cabinet d’un préfet en Haute-Loire, directeur d’une succursale de banque en Lorraine et mes premières enquêtes à la Cour des comptes m’ont conduit… à Saint-Omer et à Bar-le-Duc. Quinze ans à peine après avoir été rapatrié d’Algérie, sans code et sans réseau !

Enfin, il faut être bien mal informé pour ne pas connaître la dimension internationale du sujet. Au total au cours des dernières années, l’école a conclu 130 partenariats à l’étranger, a formé près de 10 000 hauts fonctionnaires de l’Union européenne, et la marque « ENA » y est devenue irremplaçable.

Regardons les choses de façon concrète. Ouvrir l’accès aux grands corps seulement après quelques années de terrain part d’une bonne intention. Mais selon quelles modalités ? Un débat confus agite actuellement ceux qui sont chargés de mettre en œuvre la décision présidentielle. Comment se fera l’admission à ces grands corps ? Par un nouveau concours ? Par le passage devant une énième commission ? Aux dernières nouvelles, ce serait solution retenue : une nouvelle commission dont on ignore tout, sauf qu’elle sera présidée par les chefs de corps ! Exactement ce qu’on a voulu éviter en 1945.

Doublon. Quel étudiant sera motivé par une telle perspective : trois concours, de cinq à dix ans d’études et de travail dans une fonction indéterminée, sans connaître ses chances d’accéder un jour aux plus hauts échelons de la hiérarchie ? Et sous la houlette d’une nouvelle structure (encore une !), la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’Etat, dont on ignore tout. Qui garantira que cette délégation ne fera pas doublon avec l’actuelle direction générale de l’administration et de la fonction publique et qu’elle ne sera pas contaminée par le népotisme ou par la politisation ? Je rappelle que certains, récemment encore, prônaient le « spoil system » à l’américaine.

«Un bel exemple de cette haine de soi qui caractérise trop de nos compatriotes!»

La France, par son histoire, avait réussi ce miracle de rendre prestigieux le service de l’Etat, bien que très peu rémunérateur. Elle avait su, aussi, le protéger des interférences politiciennes. Au cours de ma carrière, j’ai rencontré toutes les opinions politiques mais rares furent les occasions où ces opinions ont entamé la réserve et la neutralité des hauts fonctionnaires que j’ai côtoyés. Voilà ce qui est mis en danger aujourd’hui. Un bel exemple de cette haine de soi qui caractérise trop de nos compatriotes !

Le décret créant l’ENA a été signé du Général de Gaulle et de Maurice Thorez après un long cheminement qui remonte à Jean Zay. Au lieu d’être fiers de cette histoire, ceux qui veulent supprimer l’école d’un trait de plume portent à mes yeux une lourde responsabilité. Je gage que cette prétendue réforme va éloigner du service de l’Etat une génération de jeunes gens de qualité et qu’ils vont durablement manquer à la bonne gouvernance de la République.

Bernard Attali est conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, ancien élève de l’ENA.

Suppression de l’ENA :  » des vertus démagogiques « 

Suppression de l’ENA : « des vertus démagogiques « 

Le remplacement de l’Ecole nationale d’administration par un Institut du service public et l’alignement pour un temps de la formation des juges sur celle des autres fonctionnaires est préoccupant, soulignent les juristes Jean-Marie Denquin et Patrick Wachsmann dans une tribune au « Monde ».

 

Tribune. 

 

Ainsi, le président de la République, qui en est issu, a décrété la fin de l’Ecole nationale d’administration (ENA). La mesure est censée satisfaire les « gilets jaunes », à défaut de répondre à leurs angoisses concernant leur vie quotidienne et le mépris des élites pour les territoires considérés comme périphériques.

Il est pourtant convenu que s’attaquer aux symboles pour ne pas avoir à traiter les problèmes en profondeur, de même qu’une attention excessive à la communication au détriment de l’essentiel, n’est pas un signe de bon gouvernement. On rappellera la citation rebattue de l’écrivain sicilien Giuseppe Tomasi de Lampedusa (1896-1957) : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change ».

Et si le problème, de surcroît, était, délibérément ou non, mal posé ? Car voilà une grande école, l’ENA, qui a démontré sa capacité à se réformer, notamment sous l’impulsion de son actuel directeur, qui a fait une place croissante dans les enseignements à la mise en situation et à la rencontre sur le terrain des acteurs les plus divers. Il est surtout reproché à l’école de reproduire les inégalités sociales.

Mais n’est-ce pas d’abord, en amont, une caractéristique du système français d’éducation, dominé par les grandes écoles au détriment des universités ? Parmi les premières, Sciences Po, principal pourvoyeur de l’ENA, dont l’affaire Olivier Duhamel a mis récemment en lumière les faiblesses de la gouvernance. La crise a fait s’effondrer comme un château de cartes l’administration de l’établissement, et a mis au jour l’influence exorbitante dont jouissent des membres « fondateurs » qui n’ont en réalité rien fondé du tout.

 

Les péripéties de la désignation de la présidente de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) ont amplement confirmé les défauts de procédures jouées d’avance et en coulisses. C’est là qu’il fallait traquer la position dominante des « élites » que prétend remettre en cause le président. Mais cette réforme-là heurtait évidemment trop d’intérêts pour pouvoir être proposée : il était plus avantageux, en termes médiatiques, de casser le thermomètre de l’ENA que de combattre vraiment le réchauffement inégalitaire produit et reproduit par Sciences Po. 

L’enjeu de cette affaire ne saurait être minimisé. Il y va d’abord de la nation, de la construction séculaire d’une administration d’État dotée d’une culture propre, dite « d’intérêt général », capable de résister, par-delà les réformes successives, à « l’envahissement de tout par la langue de bois gestionnaire », selon les termes de Pierre Legendre qui, voilà déjà plus de vingt ans, prophétisait, à propos de l’ENA précisément : « Il ne suffit pas de cracher dans la soupe, comme dit le langage populaire, pour vous exonérer des traditions qui vous ficellent. »

Nouveau plaidoyer pour l’ENA

Nouveau plaidoyer pour l’ENA

Par Daniel Keller, président de l’Association des anciens élèves de l’ENA (AAEENA)

 

Le gouvernement souhaite rendre le service public plus efficace en dynamisant la gestion des carrières des hauts fonctionnaires et en donnant plus de place à la formation initiale et continue dont ceux-ci devraient bénéficier. Sur le papier, on ne peut que partager de tels objectifs. Ce qui peut en revanche interpeller, c’est l’idée que la réalisation de cette ambition devrait nécessairement passer par la suppression de l’ENA et une refonte en matière de gestion des corps.

Le premier volet de la réforme sous-entend pudiquement que l’Etat n’a pas à ce jour de réelle gestion prévisionnelle des emplois de ses hauts fonctionnaires, voire n’utilise pas au mieux toutes les ressources humaines disponibles. Un constat sur le fond accablant. Une délégation interministérielle sera chargée demain de mettre fin au fonctionnement en silo qui caractérise les administrations en promouvant une gestion transversale des parcours. Vaste ambition mais dont l’effectivité demande avant tout qu’on mette fin aux différences de rémunération entre les administrations, comme le reconnaît la Ministre de la Transformation et la Fonction publiques. Ce serait une bonne manière de commencer.

L’esprit de 1945. La réforme a également la noble ambition de pousser les jeunes hauts fonctionnaires à se confronter à des métiers opérationnels avant qu’ils ne choisissent éventuellement des fonctions juridictionnelles, d’inspection ou de contrôle. Il s’agit pour la Ministre de renouer avec l’esprit de 1945. Mais dans ce cas il faut aller au bout du raisonnement. L’ENA a été conçue comme une école d’application dont la scolarité devait précisément donner aux élèves les prérequis opérationnels nécessaires au bon exercice de leur mission. A cet effet la scolarité de la promotion Félix Eboué durait deux ans et demi dont 18 mois de scolarité contre six mois aujourd’hui. Cherchez l’erreur ! C’est en revenant à une durée de scolarité digne de ce nom qu’on rendrait à la formation le contenu qu’elle aurait dû ne jamais perdre. C’est d’ailleurs ce que l’ENA avait commencé à mettre en œuvre dans le cadre de la réforme de la scolarité. On eût gagné à la laisser aller jusqu’au bout.

Libre ensuite aux pouvoirs publics de changer la typologie des postes offerts à la sortie de l’Ecole en privilégiant des fonctions opérationnelles si telles sont les priorités du moment. La rupture sera nette quand on sait qu’aujourd’hui 40 % d’une promotion préfère justement se destiner vers des fonctions juridictionnelles, d’inspection ou de contrôle.

« L’Etat assemble des métiers différents les uns des autres et on ne peut bondir d’un poste à l’autre au gré de la volonté du Prince  »

La fonctionnalisation des métiers est également présentée comme un vecteur de mobilité renforcée et le gage d’un meilleur emploi des ressources humaines disponibles. Il n’en reste pas moins vrai que l’Etat assemble des métiers différents les uns des autres et qu’on ne peut bondir d’un poste à l’autre au gré de la volonté du Prince. L’Etat y perdrait en efficacité et en légitimité. Espérons que cet écueil sera évité !

Beaucoup s’inquiètent également du fait que cette fonctionnalisation pourrait fragiliser l’indépendance des missions exercées tout particulièrement lorsqu’il s’agit des fonctions de contrôle. De fait, il n’est pas absurde que celles-ci puissent en toute autonomie vérifier que l’intérêt général ne subit aucun préjudice dirimant de la part du gouvernement du moment, quel qu’il soit.

Ambition. Venons-en à la question de la formation. Le gouvernement annonce que l’Institut du service public (l’ISP, qui remplacera l’ENA) deviendra un pôle d’excellence en matière de formation initiale susceptible de délivrer des diplômes et qu’il se dotera même d’un corps professoral permanent. Mais alors pourquoi s’accrocher au statut d’établissement public administratif qui semble peu en phase avec cette ambition ? Cela étant, pour ce qui concerne la formation initiale, en dehors des modules qui constitueront le tronc commun aux treize écoles concernées, on peine encore à identifier les innovations pédagogiques qui devraient révolutionner le contenu des enseignements.

« C’est peut-être oublier un peu vite que l’ENA forme d’ores et déjà à ce jour environ 7 000 hauts fonctionnaires par an  »

La formation continue devrait être aussi le fer de lance de cette réforme et transformer l’ISP en opérateur de formation pour que les hauts fonctionnaires français et étrangers puissent actualiser leurs connaissances tout au long de leur vie. Dans un monde où l’obsolescence de savoirs est de plus en plus rapide, cette intention est louable. C’est peut-être oublier un peu vite que l’ENA forme d’ores et déjà à ce jour environ 7 000 hauts fonctionnaires par an. Souhaitons à l’ISP de faire aussi bien.

On ne peut enfin contester l’idée que le service public doit être plus proche des citoyens, plus agile et plus humain comme la réforme l’envisage. Nous avons en effet besoin de responsables rompus aux règles de l’efficacité opérationnelle, mais on a aussi besoin de nouveaux hussards noirs capables de redonner aux citoyens la confiance dans leur pays qu’ils semblent avoir perdue. Nous sommes nombreux à penser que l’ENA remise sur pieds pourrait parfaitement concourir à la réalisation de cette ambition. Il n’est peut-être pas trop tard !

Daniel Keller est président de l’Association des anciens élèves de l’ENA (AAEENA)

L’ENA : une cible facile ?

 L’ENA : une cible facile ?

La transformation de l’Ecole nationale d’administration ne changera rien si les grands postes de la République restent occupés par « les seuls membres d’une sélection prestigieuse » issue du nouvel Institut du service public, explique l’ancien haut fonctionnaire Thierry Dallard, dans une tribune au « Monde »

 

 

Tribune.

 Réformer la haute fonction publique ne pourra se faire qu’en mettant fin aux séparations entre les trois fonctions publiques (d’Etat, territoriale et hospitalière), et en veillant à une véritable diversité des profils : administratifs, ingénieurs et universitaires doivent pouvoir occuper les plus hautes fonctions après des parcours les plus variés et complémentaires possibles. La réforme annoncée ne dit rien de tout cela. Au contraire, en préparant notamment la suppression des corps d’ingénieurs, elle ne fera que renforcer le positionnement des grands corps issus de l’Ecole nationale d’administration (ENA), fût-elle rebaptisée en Institut du service public. Et loin d’essayer de fabriquer cette diversité, elle consolidera plutôt un socle unique de formation et de pensée.

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La réforme de la haute fonction publique n’est pourtant pas un sujet nouveau et a fait l’objet de maintes analyses, débats, et propositions en lien avec le chantier de réforme de l’Etat. Cette réforme est en effet devenue incontournable depuis les lois de décentralisation : les services de l’Etat s’étant en grande partie retirés du champ opérationnel, comment ne pas en tirer les conséquences au sujet de l’organisation des ressources humaines qui concourent à l’action publique dans son ensemble ?

Multiples transferts de compétences

Il y a encore trente ans, il était courant qu’un fonctionnaire d’Etat occupe au cours de sa carrière plusieurs fonctions opérationnelles sur le terrain. Puis, après cinq à dix années lui ayant permis de découvrir la complexité sociale, économique, géographique du monde, c’était en fonctionnaire expérimenté qu’il accédait à des fonctions régaliennes, de production de la réglementation et de contrôle, voire dans un cabinet ministériel. De tels parcours sont devenus très rares du fait des multiples transferts de compétences, à la fois vers les collectivités locales mais aussi vers des agences ou des entreprises, publiques ou privées.

Le résultat est inquiétant pour notre démocratie : d’un côté, des collectivités locales dont les fonctionnaires n’ont pas accès aux postes régaliens et sont exclus des réseaux de pouvoir de la République, de l’autre, un Etat dont les fonctionnaires édictent la règle sans avoir pu mesurer par eux-mêmes la complexité du réel.

Elargir le recrutement au privé

Le fossé est le même entre les secteurs public et privé. Comment peut-on espérer de la fonction publique d’Etat une bonne gestion de ses relations avec les entreprises (passation de marchés publics, attribution d’aides, contrôles de toute nature) s’il n’y a, dans son collectif, aucune expérience du secteur privé ? Elargir le recrutement aux personnes issues de l’entreprise permettrait cet enrichissement de la sphère publique. Une réforme se limitant à cette ouverture mettra cependant des décennies avant de porter ses fruits compte tenu de la faiblesse des flux entrants. La diversification des profils serait bien plus rapide en fusionnant les trois fonctions publiques, les collectivités locales en particulier, qui recrutent depuis longtemps dans le secteur privé.

Réforme de l’ENA ou de l’État?

Réforme de l’ENA ou de l’État? 

Au-delà du caractère populiste de l’annonce de la suppression de l’Ecole nationale d’administration, l’accuser de tous les maux dénote l’absence d’une vision globale susceptible de réformer l’Etat, souligne Jacques Grosperrin, sénateur (LR) du Doubs et secrétaire du bureau du Sénat, dans une tribune au « Monde ».

 

Tribune. Représentant du Sénat au conseil d’administration de l’Ecole nationale d’administration (ENA), j’ai appris par la presse la volonté jupitérienne du président de la République de supprimer l’école. Au-delà de l’irrespect sur la forme, cette annonce brutale dissimule mal une volonté tactique et politicienne qui ne leurre personne. L’ENA est le bouc émissaire idéal des difficultés que le président Macron connaît depuis le début de son mandat. Et pas seulement depuis le début de la crise du Covid.

Ce signal populiste et antiélites, adressé à des « gilets jaunes » qui n’en demandaient pas tant, s’ajoute à d’autres accusations qu’il a déjà proférées, notamment contre « l’Etat profond ». Cette expression, aux résonances complotistes, est inquiétante. Elle dénote une fébrilité que des colères surjouées contre les lenteurs de son gouvernement viennent souvent mettre en scène.

On attend avec impatience que le président se sépare, si ce n’est de lui-même, du moins de l’ensemble des énarques et membres de sa promotion dont il est entouré…

L’Etat n’est pas un jouet à la disposition d’un seul… Le président Macron se trompe s’il prétend s’exonérer de toute responsabilité politique en mettant en cause sa propre administration. C’est une formidable preuve de faiblesse pour la « start-up nation » que d’avouer ne pas être en capacité d’orienter l’appareil de l’Etat. Car les Français ne sont pas dupes : c’est le politique qui est en charge des affaires publiques. C’est à l’exécutif de diriger notre pays.

L’incompréhension est totale lorsqu’il est signifié à tous les fonctionnaires passés par l’ENA qu’ils ont été mal formés et sont coupables des difficultés du pays. L’imprévisibilité disruptive d’un seul homme prétendant décider de tout n’est pas acceptable pour une société démocratique comme la nôtre. On attend avec impatience que le président se sépare, si ce n’est de lui-même, du moins de l’ensemble des énarques et membres de sa promotion dont il est entouré…


Les concessions au populisme ne font pas une politique car l’ENA n’est pas la caricature que le pouvoir en place veut en faire. Elle s’est beaucoup réformée depuis de nombreuses années, ses objectifs stratégiques ont permis une réelle promotion de la diversité et de l’égalité des chances : depuis la mise en place en 2009 des classes préparatoires, avec au moins 30 % des postes mis au concours, des bourses, des facilités de logement, jusqu’à des réformes plus récentes, avec le concours « talents » et la création d’un concours scientifique.

Suppression de l’ENA : un coup politique

Suppression de l’ENA : un coup politique

 

La suppression de l’ENA est évidemment un coût plus politique dans la mesure où il ne fera que changer de nom pour s’appeler institut du service public.

En fait,  les modes de recrutement, le contenu de l’enseignement et le rôle des diplômés ne changeront guère. De toute manière ,on sait depuis longtemps que l’ENA ne sert pas à grand-chose en tout cas du point de vue de l’intérêt général.. Sa caractéristique, c’est sa difficulté à y entrer. Ensuite on ne fait que prolonger les inutiles enseignements de Sciences-po. Comme si la politique était une science alors qu’elle n’est que l’expression de la démocratie et doit donc être représentative de la sociologie. Ce qui est loin d’être le cas puisque l’ENA, demain l’institut du service public, n’est qu’une sorte de mafia ; les élèves valorisent leur carnet d’adresses pour influencer les décisions de l’État. Pour preuve, ils ont complètement noyauté l’administration bien sûr mais aussi les partis politiques et l’économie. Et leur dynamique repose surtout sur le renvoi d’ascenseur.

Les énarques se servent de l’administration pour leur propre promotion et celle des lobbys qui les recrutent.

Les explications de Macon ne peuvent pas convaincre, en fait il tend un coup politique : changer le nom de l’ENA pour ne pas engager la réforme plus fondamentale de l’État et surtout pour ne pas supprimer la consanguinité est narcissique entre la sphère politique, administrative et économique. «Nous devons changer radicalement la façon dont nous recrutons … et bâtir les cheminements de carrière de nos fonctionnaires», a déclaré Macron aux hauts responsables de la fonction publique.

L’ENA, basée à Strasbourg, a été fondée en 1945 par Charles de Gaulle pour former une élite administrative d’après-guerre issue de toutes les classes sociales.

Avec le temps, il a cependant acquis la réputation de sélectionner des étudiants des échelons sociaux supérieurs et d’être déconnecté de la réalité – une image qu’il a eu du mal à redresser.

La tendance croissante des anciens à faire des allers-retours entre les secteurs public et privé n’a fait qu’approfondir la perception publique d’un réseau de vieux garçons déconnecté.

«Nous avons renoncé à construire des carrières de manière transparente et méritocratique. Nous avons construit des refuges d’excellence qui ont continué d’attirer des étudiants à fort potentiel, parfois en brisant le destin des autres, souvent en étant injuste », a ajouté Macron.

Quatre présidents modernes et huit premiers ministres sont Enarques, comme les anciens élèves de l’école sont connus. Il en va de même pour les dirigeants du groupe télécoms Orange, de la banque Société Générale et du groupe de distribution Carrefour.

La France malade de l’ENA

La France malade de l’ENA

 

Agnès Verdier-Molinié , La directrice de la Fondation Ifrap regrette que la suppression de l’ENA ne soit pas réalisée dans une tribune JDD

 

 

Tribune

 

 

« Souvenons-nous, 25 avril 2019, à la sortie du mouvement des Gilets jaunes et du grand débat, Emmanuel Macron déclarait : ‘Je pense qu’il faut supprimer, entre autres, l’ENA […] pour bâtir quelque chose qui fonctionne mieux.’ Il ajoutait même : ‘Je souhaite que nous mettions fin aux grands corps.’ Sauf que… Deux ans plus tard, le président de la République, en visite à l’Institut régional d’administration de Nantes, a annoncé qu’il allait réserver des places à l’ENA à des candidats issus de milieux modestes. Voilà sorti le prétexte de la diversité.

De suppression, il n’y aura donc point. Et surtout pas pour le classement de sortie qui permet d’entrer dans les grands corps (Conseil d’État, Cour des comptes ou Inspection des finances) à vie et de faire, sous protection du statut, moult allers-retours entre public, privé et politique sans prendre aucun risque.

C’est la troisième fois, en trois quinquennats, que les grands corps de l’État ont eu la peau de la réforme. Déjà avant Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy et François Hollande s’y sont cassé les dents. Nicolas Sarkozy voulait, dès 2008, supprimer le classement de sortie de l’ENA… François Hollande souhaitait, aussi, aménager ce classement de sortie pour réduire l’influence des grands corps.

Une réduction du poids de ces derniers est bien passée par décret in extremis à la fin du quinquennat du président Hollande. Mais un décret daté du… 28 juin 2017, pris par le gouvernement d’Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir, remet opportunément tout en place et rétablit le classement de sortie dans son organisation originelle.

Quand un poste de direction d’administration pourrait échoir à un profil issu du privé comme cela a été le cas pour la direction générale de l’administration de la fonction publique, tout le monde est prêt à sortir les bazookas pour l’éliminer, syndicats compris. Et malheureusement, ça marche. Les troupes de la haute fonction publique se serrent les coudes et gagnent le match à tous les coups, ou presque.

La France est maintenant à la croisée des chemins. Pays le plus dépensier, le plus taxé d’Europe ; pays qui emprunte le plus en zone euro en ce moment ; seul pays européen à être doté d’une école comme l’ENA et d’un statut public aussi protecteur qui reproduit, quelle que soit leur origine sociale, des cohortes de dirigeants publics hors sol… À croire qu’on y apprend à créer des commissions, des strates publiques et des impôts en cascade.

Réveillons-nous. Allons-nous encore demander à ceux-là même qui ont contribué à emmener la France dans le mur de la dette, des impôts et du chômage comment reconstruire la France? Créer de ‘nouvelles’ commissions? Leur commander encore des rapports? Ce ne serait pas crédible. La France peut rebondir mais, pour changer de recette, il va falloir revoir le casting. »

Politique- MACRON MAINTIENT L’ENA

Politique- MACRON MAINTIENT L’ENA

 

Changement d’ambiance politique et changement de position pour Macron. À l’occasion du mouvement des  gilets jaunes,  il avait déclaré vouloir supprimer l’ENA. Désormais il décide de maintenir la filière privilégiée des technocrates qui dirigent  le pays. Et pour le justifier, il ouvre une petite place aux candidats issus de milieux modestes. À cet effet des classes préparatoires spécifiques seraient mises en place non seulement pour l’ENA  mais aussi pour d’autres grandes écoles. Bref Macron donne un vernis démocratique au maintien d’une école voix de passage privilégiée  pour accéder aux cabinets ministériels, aux hautes fonctions privées et publiques . En cause, la pratique du renvoi d’ascenseur puisque la plupart des institutions et les grandes sociétés sont dirigées par des énarques. Y compris les entreprises privées qui achète en fait  le répertoire des élèves de l’ENA pour accéder directement au lieu de décision.

Pour mettre en place sa discrimination positive sur le mode américain, le pouvoir envisage aussi de modifier le modèle des concours pour tous, en supprimant les épreuves qui pourraient se révéler discriminantes, sur le modèle de Sciences Po qui avait supprimé en 2019 son épreuve de culture générale.

« Certes on ne supprime pas l’ENA, mais à terme cela n’aura plus rien à voir avec l’ENA », estime membres de la majorité. « Il y a dix ans on aurait hurlé à la discrimination positive ». Par ailleurs le changement de position de Macron heure évidemment l’aile gauche de la majorité qui constate un nouveau renoncement. .

MACRON MAINTIENT L’ENA

MACRON MAINTIENT L’ENA

 

Changement d’ambiance politique et changement de position pour Macron. À l’occasion du mouvement des  gilets jaunes,  il avait déclaré vouloir supprimer l’ENA. Désormais il décide de maintenir la filière privilégiée des technocrates qui dirigent  le pays. Et pour le justifier, il ouvre une petite place aux candidats issus de milieux modestes. À cet effet des classes préparatoires spécifiques seraient mises en place non seulement pour l’ENA  mais aussi pour d’autres grandes écoles. Bref Macron donne un vernis démocratique au maintien d’une école voix de passage privilégiée  pour accéder aux cabinets ministériels, aux hautes fonctions privées et publiques . En cause,la pratique du renvoi d’ascenseur puisque la plupart des institutions et les grandes sociétés sont dirigées par des énarques. Y compris les entreprises privées qui achète en fait  le répertoire des élèves de l’ENA pour accéder directement au lieu de décision.

Pour mettre en place sa discrimination positive sur le mode américain, le pouvoir envisage aussi de modifier le modèle des concours pour tous, en supprimant les épreuves qui pourraient se révèler discriminantes, sur le modèle de Sciences Po qui avait supprimé en 2019 son épreuve de culture générale.

« Certes on ne supprime pas l’ENA, mais à terme cela n’aura plus rien à voir avec l’ENA », estime membres de la majorité. « Il y a dix ans on aurait hurlé à la discrimination positive ». Par ailleurs le changement de position de Macon heure évidemment l’aile gauche de la majorité qui constate un nouveau renoncement. .

Supprimer l’ENA ?

Supprimer l’ENA ?

Aurélien Colson, Professeur de science politique et directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation, ESSEC , s’interroge sur la réforme de l’ENA dans la Tribune;

 

« Ce mardi 18 février 2020, Frédéric Thiriez a remis son rapport sur la réforme de la haute fonction publique. Le dossier, composé d’une soixantaine de pages pour 40 propositions, compte répondre aux trois priorités affichées par l’exécutif : décloisonner la haute fonction publique, diversifier son recrutement et dynamiser ses carrières.

Les auteurs proposent ainsi une refonte totale de l’institution sous sa forme actuelle. L’École nationale d’administration deviendrait alors l’École d’administration publique (EAP) et se verrait obtenir un statut d’établissement d’enseignement supérieur, placé sous l’ombrelle de l’université Paris Sciences et Lettres. Concours profondément remanié, socle commun de six mois suivi de quatre mois sur le terrain, classement de sortie supprimé, Frédéric Thiriez propose un véritable catalogue de mesures sur lesquelles l’exécutif devrait vite se pencher.

L’annonce faites par le président de la République de supprimer l’École nationale d’administration (ENA), et qui se voulait une réponse au mouvement des « gilets jaunes », avait suscité des débats houleux, entre détracteurs de l’école et partisans d’une réforme beaucoup moins radicale.

Car ce n’est pas rien d’en finir avec le dispositif instauré par l’ordonnance du 9 octobre 1945 du Gouvernement provisoire de la République française, alors présidé par le Général de Gaulle.

Son objectif était triple : sélectionner les futurs hauts fonctionnaires, les former à leurs responsabilités à venir, les affecter à leur premier poste via le classement.

Les observations qui suivent naissent d’une expérience directe de l’ENA sur deux décennies. J’y ai enseigné chaque année depuis 1998, devenant en 2002 le coordinateur du séminaire de « négociation dans l’administration publique » pour toute la promotion. Des promotions « Cyrano de Bergerac » à « Molière » en passant par « Senghor », qu’ai-je appris au cours des 20 années écoulées sur cette école, qui puisse contribuer à la réflexion sur sa suppression et le dispositif qui lui succédera ? Reprenons les trois fonctions de l’ENA – sélectionner, former, affecter – pour mieux souligner combien le problème se trouve, en fait, ailleurs.

Le recrutement, tout d’abord. Il ne serait pas suffisamment démocratique. L’impression de celles et ceux qui enseignent à l’ENA est assez différente : le concours interne (ouvert aux fonctionnaires ayant déjà quatre années de services) et le troisième concours (ouvert à tous ceux témoignant de huit années d’expérience dans le secteur privé ou associatif) ajoutent beaucoup de diversité aux « bêtes à concours » provenant majoritairement de Sciences Po Paris et qui, certes, dominent le concours externe.

Chaque année, j’ai rencontré dans le groupe d’élèves dont j’avais la charge des personnalités attachantes, issues de régions et de milieux diversifiés – même un ancien intermittent du spectacle – aux antipodes de la caricature du Parisien fils d’archevêque à particule.

En outre, les promotions sont internationales, accueillant un quart d’élèves étrangers. Pour avoir à de multiples reprises retrouvé ultérieurement ces élèves lors de missions à l’étranger, je mesure le rayonnement de cette école de par le monde, grâce à ses 3 500 anciens élèves étrangers.

En dépit de ces impressions subjectives, que disent les chiffres ? Ils démontrent un décalage entre le profil sociologique d’une promotion d’énarques et celui de la population française. Au sein de la promotion actuelle à l’ENA, « seuls 19 % des élèves ont un parent ouvrier, commerçant, employé, agriculteur, artisan ou chômeur » écrivait l’actuel directeur de l’ENA dans une tribune publiée par Le Figaro. La proportion s’inverse dans l’ensemble de la population française, où les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent un peu moins de 20 %.

Mais un tel décalage se retrouve dans toutes les grandes écoles françaises et dans toutes les filières sélectives de l’Université ! La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, l’a souligné lors de son discours du 4 juin 2019 devant la Conférence des grandes écoles. Pourquoi reprocher aux concours d’entrée à l’ENA un manque de démocratisation qui est d’abord dû aux défauts du dispositif français d’éducation nationale et d’enseignement supérieur ?

Le manque de démocratisation du mode de recrutement à l’ENA n’est donc qu’un symptôme parmi tant d’autres, relevés par les enquêtes de l’OCDE qui démontrent que notre système est un de ceux qui réduisent le moins les inégalités de départ.

Ainsi, l’excellente mesure de dédoublement des classes de CP et de CE1 en ZEP, décidée par Jean‑Michel Blanquer, aura à terme un effet plus concret pour la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. Idem pour les dispositifs d’éducation populaire du type « Une grande école, pourquoi pas moi ? », lancés par l’ESSEC en 2002.

Sans chercher dans cette brève contribution à cerner ce qui est nécessaire au futur haut fonctionnaire, et qui devrait constituer le cœur de sa formation, je n’évoquerai ici que de ce que les directeurs successifs de l’ENA m’ont demandé d’y coordonner, à savoir le séminaire de négociation dans l’administration publique.

En trois jours, que tâche-t-on d’apprendre au futur haut fonctionnaire ? À défendre les intérêts qui lui sont confiés par le décideur politique, et dont on espère qu’ils correspondent à l’intérêt général. À générer du consensus, chaque fois que c’est possible. À assumer dignement le dissensus, chaque fois que c’est nécessaire.

Et, pour y parvenir : à privilégier la logique de coopération et de partenariat sur celle de compétition et d’affrontement ; à valoriser la préparation en équipe plutôt que l’improvisation solitaire ; à préférer la sincérité de l’écoute aux artifices de la rhétorique ; à éviter, plus que tout, l’excès de confiance en soi – mais que peuvent ces trois jours dans tout un système ?

Le séminaire est très apprécié des promotions successives – il aurait sinon disparu depuis. Fondé sur des mises en situation inspirées de cas réels, ce séminaire a depuis 2007 été retenu pour inaugurer la scolarité de chaque promotion. Depuis 2014, une partie de la promotion choisit de le suivre en anglais – car, oui, en ce XXIe siècle, le haut fonctionnaire français est amené à négocier en anglais au cours de sa carrière.

Venons-en enfin au classement, qui détermine l’affectation au premier poste de la carrière. Pourquoi est-il tant décrié ?

Interrogé, en mars 2003, par la commission sur la réforme de l’ENA présidée par Yves-Thibault de Silguy, j’avais indiqué, paraphrasant Churchill, que « le classement est le pire des systèmes… à l’exclusion de tous les autres ».

Il a ses défauts, certes, dont la focalisation excessive des élèves sur leur notation. J’avais d’ailleurs obtenu, en 2005, que le séminaire de négociation ne soit plus noté, afin que les élèves se concentrent sur l’apprentissage d’un bagage utile sur le long terme, et non sur la perspective utilitariste d’une évaluation. Cette focalisation sur les notes incite aussi à un comportement individualiste, là où le responsable doit apprendre à coopérer pour travailler en équipe.

Mais ces défauts ne l’emportent pas sur la profonde légitimité du classement pour affecter aux meilleurs postes. Ainsi, avant-guerre, les systèmes d’entregent et d’héritage familial entachèrent trop souvent les processus de cooptation dans les corps les plus prestigieux, y compris au quai d’Orsay. Marc Bloch en donna une puissante description dans L’Etrange défaite (1946).

La seule critique valable du classement est que sa tête, curieusement appelée « la botte », permet l’accès direct aux grands corps de l’État, les plus prestigieux et puissants : Conseil d’État, Inspection des Finances, Cour des comptes.

Ainsi, le fait de réussir brillamment deux stages et quelques notes sur dossier dans sa prime jeunesse trace d’emblée, pour toute la vie professionnelle qui s’ensuit, une trajectoire de carrière exagérément plus favorable que celle de l’administrateur civil « de base ». Ce n’est pas sain durant la scolarité. Ce n’est pas mobilisateur après celle-ci.

L’ENA devrait déboucher sur trois corps : administrateurs civils, magistrats des chambres régionales des comptes, magistrats des tribunaux administratifs. Ce n’est qu’après une première partie de carrière, au vu des mérites concrètement illustrés durant celle-ci, que les énarques pourraient candidater à une haute juridiction (Conseil d’État et Cour des comptes) ou un corps d’inspection (finances, inspection générale de l’administration, inspection générale des affaires sociales). Cette procédure de sélection gagnerait à s’inspirer de ce qui existe déjà ailleurs dans l’État : l’École de Guerre, qui repère chaque année les meilleurs officiers destinés aux plus hauts grades.

Mais le problème, au fond, est ailleurs. Ou, pour être précis, après l’ENA. Il est dans ce mal français que résumait Edgar Pisani d’une formule aussi acérée que juste : « L’État, c’est le mépris ».

Le résistant, devenu le plus jeune préfet de France après-guerre, ministre des gouvernements de Charles de Gaulle puis de François Mitterrand, l’a constaté sa vie durant : « il y a quelque chose d’Ancien régime dans notre État républicain centralisé », une disposition d’esprit faite de mépris.

L’État n’écoute pas assez les corps intermédiaires, dont il se méfie depuis la loi Le Chapelier de 1791 interdisant les groupements professionnels. Les grands commis de l’État n’écoutent pas suffisamment leurs concitoyens, au point que ceux-ci les perçoivent comme volontiers méprisants. Une observation attentive m’a souvent amené à vérifier, sans pouvoir la démontrer, la règle suivante : le pouvoir d’un fonctionnaire français est inversement proportionnel à la probabilité qu’il a de croiser ses contemporains à un guichet, dans le métro, ou en faisant ses courses à l’hypermarché.

Ce mépris, on en trouve une bonne illustration dans le propos tenu par Marie-Françoise Bechtel, conseillère d’État et ancienne directrice de l’ENA de 2000 à 2002, dans Libération le 17 avril 2019, où elle déclarait :

« La localisation de [l'ENA] à Strasbourg pose problème. [...] il est discutable de former l’administration d’État dans une ville lointaine et enclavée. »

Strasbourg se situe à 1 h 46 de TGV de Paris, avec une liaison chaque heure ou presque. À ce compte-là, toute la France au sud de Lyon serait « enclavée » ! Toute la France à l’ouest de Limoges serait « lointaine » !

Faut-il rappeler à Mme Bechtel que les juges de notre pays sont formés à Bordeaux, à l’École nationale de la magistrature ? Que les cadres de la fonction publique hospitalière sont formés à Rennes, à l’EHESP (ex-ENSP) ? Que les cadres du ministère de l’Éducation nationale sont formés à Poitiers, à l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation ? Que même l’École polytechnique n’est plus à Paris intramuros ?

Ces formules à l’emporte-pièce (chacun en aura d’autres exemples à l’esprit) nourrissent cette impression, chez nos concitoyens, que « l’État, c’est le mépris ». Notre passion ancienne pour l’égalité se trouve d’ailleurs renforcée par la tendance démontrée à la fin du siècle dernier par Anthony Giddens et d’autres sociologues : dans nos sociétés démocratiques, la distance hiérarchique ou symbolique entre dirigeants et dirigés devient insupportable aux seconds.

S’il est un trait commun à tous les « gilets jaunes », par-delà les contradictions de leurs revendications hétéroclites, c’est celui-là.

Dans une société qui « s’horizontalise » au détriment des normes et des injonctions volontiers verticales, contraindre devient de moins en moins efficace, convaincre de plus en plus nécessaire. Il n’est donc pas sûr que supprimer l’ENA suffise à convaincre.

_________

Par Aurélien Colson, Professeur de science politique et directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation, ESSEC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Micro réforme de l’ENA ?

Micro  réforme de l’ENA ?

 

Un rapport demandé par le chef de l’État lui-même et qui ne parvenait pas à sortir compte tenu des contradictions internes des membres de la mission chargée de réfléchir sur le sujet. Finalement comme au restaurant, on pourrait aboutir à un menu à choix multiples  avec différentes hypothèses laissant ainsi le pouvoir politique décider  le cas échéant. Pour démocratiser l’institution , on fera l’aumône de 10 places pour les pauvres !  Rien n’est sûr d’ailleurs dans ce  domaine car les oppositions notamment entre Matignon et l’Élysée sont importantes parce que la réforme de l’ENA n’est pas forcément le bon sujet.

 

La question de la suppression de l’ENA revient à la surface avec la sortie très attendue  du rapport commandé par Macron a F.  Thiriez ( énarque et responsable du foot français). Macron avait préconisé la suppression de cette école. Comme on connaît les trésors  de la sémantique politique, cela veut  tout dire et rien dire à la fois;  l’éventail, des possibilités allant de la destruction à l’aménagement en passant par un simple coup de  peinture.

 Ce n’est d’ailleurs pas forcément l’ENA qui constitue en tant que telle la grande tare française qui alimente la machine administrative et ce qui l’accompagne à savoir les prélèvements obligatoires démentiels . On peut surtout reprocher à l’ENA d’être une sorte de mafia d’élites qui se réservent  les postes prestigieux du conseil d’Etat, de la Cour des Comptes, des entreprises publiques et  autres administration sans avoir la même la moindre expérience socio-économique et même administrative. Ce corps d’élites constitue une sorte de mafia dans la mesure où les anciens élèves sont présents partout dans la haute administration bien sûr mais aussi dans la politique et dans les entreprises. Leur recrutement est donc utile sinon indispensable pour bénéficier surtout de leur carnet d’adresses.

La véritable réforme n’est pas seulement celle d’une école fut- elle aussi prestigieuse. Ce qui s’  imposerait, c’est une révolution copernicienne du champ régalien. Nombre d’activités dans lesquelles s’inscrit l’État n’ont pas grand-chose à voir avec l’intérêt général , d’autres  pourraient être utilement sous-traitées par voie de délégation de service public par exemple. À l’évidence, on diviserait les coûts au moins par deux tout en augmentant la performance;

 Il est clair que les champs  régaliens doivent être plus réduits géographiquement et en même temps mieux assurés  alors que pour l’instant la grande grosse partie des moyens financiers est au service d’une masse salariale que plus personne ne contrôle compte tenu de la dérive des effectifs centraux et surtout territoriaux. L’État doit bien entendu conserver son rôle de régulateur mais cela ne signifie pas pour autant qu’il  doive assurer aussi la fabrication de boîtes de conserve ou d’automobiles. Cette dispersion nuit aux investissements sur des enjeux autrement plus stratégiques comme par exemple le numérique, l’environnement, les énergies nouvelles comme l’hydrogène ou encore la recherche  en général, médicale en particulier.

 

La réforme de l’État sur des champs plus restreints doit parallèlement s’accompagner d’une véritable décentralisation, ce qui n’a jamais été le cas puisque tout dépend encore pour l’essentiel des supers gendarmes que sont les préfets qui décident de tout en dernier ressort. La décentralisation a surtout créé des milliers et des milliers de postes politiques et administratifs sans réel effet en  matière socio-économique voir culturelle. Elle a surtout permis d’alimenter une baronnie qui reproduit à son niveau les phénomènes du pouvoir central.  Force cependant est de constater que la réforme de l’État est à peu près le seul champ politique dans lequel Macron a refusé de s’investir pour l’instant. Sans doute un investissement trop risqué, trop complexe mais qui pourtant nourrit le manque de compétitivité de l’économie du fait de l’étouffement administratif et des prélèvements obligatoires.

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