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Exécution provisoire : l’effet boomerang

Exécution provisoire : l’effet boomerang

 Le procès des assistants parlementaires du RN a braqué les projecteurs sur une pratique qui écorne le principe de la présomption d’innocence et constitue un mauvais remède aux lenteurs de la justice estime Sophie Obadia, avocate dans La Tribune.

Nos concitoyens découvrent les peines d’emprisonnement assorties de l’exécution provisoire, qui sont pourtant déjà anciennes. Pierre Palmade et Nicolas Bedos viennent d’être condamnés à des peines d’emprisonnement, aménageables ou non, assorties de cette fameuse exécution provisoire. Autrement dit, ils doivent commencer à purger leur peine, en détention pour Pierre Palmade, qui sera convoqué prochainement pour être placé sous écrou dans une maison d’arrêt de la région bordelaise ; et à son domicile avec bracelet électronique pour Nicolas Bedos, après son entrevue avec le juge d’application des peines.

Le droit de ces deux justiciables à un recours effectif devant un juge d’appel est de fait quasi anéanti. La peine a commencé à s’appliquer et, le temps d’organiser un deuxième procès où tous les éléments de culpabilité et de personnalité seraient remis dans la balance, elle vient contrecarrer le cours commun des procédures qui reposait sur le principe que, dans notre droit pénal, l’appel est suspensif. Ce principe, autrefois intangible, qui assoit notamment la présomption d’innocence, n’est plus respecté, car le législateur dans un premier temps puis les magistrats dans un second temps ont estimé qu’il ne répondait plus à l’objectif devenu prioritaire de l’efficacité de l’exécution des peines en France.

La médiatisation de ces deux cas, comme un trompe-l’œil, pourrait laisser penser au lecteur que c’est une dureté réservée aux puissants. Les avocats pénalistes savent que c’est une tendance de fond venue, paradoxalement, de la répression de la délinquance des mineurs. Depuis longtemps, les mineurs condamnés voyaient souvent leur peine assortie de l’exécution provisoire afin de favoriser leur réinsertion rapide et leur « relèvement éducatif ». Mais au-delà, pour les condamnés majeurs, des peines complémentaires d’interdiction de gérer, d’inéligibilité, d’interdiction de conduire, de travailler avec des mineurs par exemple étaient déjà assorties de cette exécution provisoire.

Les prévenus du procès des assistants parlementaires du RN sont en train de prendre la mesure d’une réalité : les juges sont répressifs.

En 2009, le législateur a encore allongé la liste des délits et peines pouvant donner lieu à l’exécution provisoire, et désormais s’y ajoutent la plupart des condamnations pour violences intrafamiliales qui sont majoritairement assorties de cette exécution provisoire. Plus personne ne semble le contester. Désormais, encouragés par la loi du 23 mars 2019 visant à renforcer l’efficacité et le sens de la peine, les juges du siège, dans leur pratique, ont un usage fréquent à cette faculté de contourner le droit effectif au recours, et la motivation des décisions rappelle le plus souvent qu’il s’agit d’un objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive.

Une formulation très large qui permet à peu près tout. Les prévenus du procès des assistants parlementaires du Front/Rassemblement national sont en train de prendre la mesure d’une réalité : les juges sont répressifs. Et, à analyser le réquisitoire, le risque pour eux ne se situe pas seulement au niveau de la peine complémentaire d’inéligibilité. Imagine-t-on les élus du Rassemblement national condamnés à de l’emprisonnement avec exécution provisoire et, au surplus, avec mandat de dépôt à l’audience ou à effet différé ? Notre droit, qui ne fait plus grand cas du double degré de juridiction, le permettrait.

 

Puisque le respect du principe de la présomption d’innocence est écorné, puisque le droit à un recours effectif est érodé, la question devient, pour les observateurs : la justice veut-elle ainsi donner à voir un nouveau visage ? Celui de la fermeté, devenu le sujet du débat public du moment. Les juges veulent-ils ainsi répondre au plus vite aux attentes des victimes, dont la place s’élargit dans le procès pénal ? Cette volonté politique est affichée depuis 2009 au moins.

D’autres, mauvais esprits, penseront que l’inflation des peines exécutoires dès la première instance est un leurre bien commode qui permet de rattraper le temps infini perdu dans les méandres de l’enquête ou de l’information judiciaire avant la décision de jugement. En effet, ces peines avec exécution provisoire, y compris pour les condamnations assorties d’un mandat de dépôt (obligation d’être placé sous écrou), peuvent être prononcées pour des faits anciens alors que le trouble à l’ordre public n’est plus actuel mais pour l’intérêt général.

La décision rendue sur le siège, à l’issue du débat judiciaire, à l’heure du journal télé, nous plonge dans un vilain spectacle avec gros plans sur le visage du condamné.

 

Autrement dit, l’extension voire la généralisation de ce « nouveau » moyen qui restreint l’intérêt de faire appel constitue-t-il une réponse à l’épineux débat sur les lenteurs de la justice ? Si c’est le cas, c’est inadmissible, car c’est encore un mauvais remède. Tout comme il reste difficile d’accepter ces images de l’audience consacrée au dossier Palmade d’un homme traqué et hébété. L’avocat reste songeur. La décision rendue sur le siège, à l’issue du débat judiciaire, à l’heure du journal télé nous plonge dans un vilain spectacle avec gros plans sur le visage du condamné qui devra encore attendre – et c’est cruel – pour connaître le jour et l’heure de son entrée en prison.

Ces images nous montrent une nouvelle dimension de la justice contemporaine. Ici, en France. À moins que ce mandat de dépôt différé avec exécution provisoire ne soit le signe des temps, de la lutte contre la toxicomanie et ses effets sociétaux, qui n’est pas un faux débat. Une annonce ferme et symbolique du vote à venir sur le nouveau délit routier. Une décision pour l’exemple, en somme.

 

Santé- La lumière pour réguler l’effet des médicaments ?

santé- La lumière pour réguler l’effet des médicaments ?

L’idée de soigner le corps humain par la lumière ne date pas d’hier. Hérodote d’Halicarnasse affirmait que la lumière du soleil est indispensable à notre santé, et il tentait déjà de restaurer cette dernière par l’emploi de « l’héliothérapie » au temps de la Grèce antique. De nos jours, la lumière est reconnue comme essentielle à la production de vitamine D (pour la prévention de l’ostéoporose) et de mélanine (un pigment protecteur de la peau), et elle est encore utilisée pour traiter quelques pathologies, comme certaines formes de jaunisse du nouveau-né. Mais si nous savons que la lumière peut interagir avec des éléments du corps, peut-on pour autant l’utiliser pour agir sur les médicaments que l’on consomme ? Certaines molécules peuvent en effet changer de conformation (leur forme en trois dimensions) en présence de lumière. Dans le cas où seule l’une des formes possède une activité biologique, on peut ainsi envisager d’activer ou de désactiver l’effet du médicament à la demande par irradiation lumineuse. De plus, certaines lumières (rouge et infrarouge notamment) peuvent traverser la peau et les tissus, et permettent de cibler avec une grande précision l’organe atteint, tout en étant peu invasives et facilement applicables.

par
Romain Haudecoeur
Chercheur en chimie–biologie, Université Grenoble Alpes (UGA)

Letícia da Mata Lazinski
Doctorante en chimie, Université Grenoble Alpes (UGA)

Morane Beaumet
Chercheuse en chimie, Université Grenoble Alpes (UGA)
dans The Conversation

Cette idée présente un intérêt considérable : elle permettrait, pour prendre seulement deux exemples de problématiques de santé mondiale, d’éviter l’émergence de résistances bactériennes dues à la dissémination incontrôlée d’antibiotiques, ou de réduire les effets secondaires liés à la toxicité de la chimiothérapie.

Comme souvent à l’interface chimie – biologie, elle repose sur l’observation d’un phénomène naturel : le mécanisme permettant la vision animale au cours duquel intervient une molécule : le rétinal (un dérivé de la vitamine A, elle-même produite par le corps à partir des β-carotènes, d’où l’idée, partiellement vraie, selon laquelle manger des carottes serait bon pour la vue). Dans l’obscurité, le rétinal est liée à une protéine, nommée opsine, sous une forme coudée. Mais quand les yeux sont exposés à la lumière, il adopte subitement une forme linéaire, qui provoque son détachement de l’opsine. Ce phénomène engendre une série de réactions et mène finalement à la réception d’un signal électrique par le cerveau, qui le traduit par une image visuelle.

Le rétinal est donc ce qu’on appelle un « photoswitch », une molécule photosensible capable de changer de forme sous l’effet de la lumière : en fonction de celle-ci, il interagit ou non avec une protéine.

Et si ce concept pouvait être étendu à certains médicaments, qui, selon leur forme, pourraient délivrer leur action ou non ? En effet, après son administration, un médicament classique diffuse dans le corps et agit certes sur sa cible, mais souvent sur d’autres parties du corps également, ce qui produit des effets secondaires. Dans le cas d’un médicament « photoswitch », celui-ci est administré sous une forme inactive, et c’est uniquement lorsqu’il est exposé à la lumière qu’il change de forme et exerce son action. Son impact est donc réduit à la zone irradiée, pendant un temps déterminé, et le reste du corps et de l’environnement peut plus facilement être épargné. On parle de photopharmacologie, par opposition à la pharmacologie classique.

Cette discipline est encore émergente, et les « photoswitchs » viennent seulement d’atteindre les premiers tests cliniques de phase 1, comme la molécule « KIO-301 » de la société Kiora Pharmaceuticals développée pour le traitement de la rétinite pigmentaire, une maladie génétique grave qui entraîne progressivement la perte de la vision.

Mais depuis une dizaine d’années, plusieurs équipes de recherche travaillent sur le développement d’applications de ce concept, principalement en introduisant un motif azobenzène sur des molécules bioactives existantes. L’azobenzène fait partie des structures chimiques capables de changer de forme sous l’effet de la lumière, il est notamment employé dans la fabrication de colorants et pigments azoïques utilisés traditionnellement en teinture et peinture, pour obtenir des nuanciers du jaune au rouge.

La modification chimique d’antibiotiques comme la ciprofloxacine, pour les rendre réactifs à la lumière, est un exemple emblématique décrit par l’équipe du prix Nobel de chimie Ben L. Feringa. Inactives ou peu actives contre les bactéries sous leur forme d’origine, ces molécules acquièrent sous irradiation de lumière UV des propriétés antibiotiques. Ainsi, l’action du médicament peut être contrôlée dans le temps et dans l’espace, et la courte durée de vie de la forme irradiée (quelques heures, après quoi la molécule retrouve spontanément sa forme d’origine) permet d’éviter toute persistance d’une activité antibiotique dans l’environnement.

Dans le même esprit, la modification de la structure du méthotrexate, un médicament largement utilisé en thérapie anticancéreuse mais aux effets secondaires sévères (dépression, cirrhose hépatique, pneumonie, etc.), a permis la découverte du phototrexate, sa version « photoswitch ».

Si la forme d’origine du phototrexate n’a pas d’effet, son exposition aux UV lui fait adopter une autre forme, dont la toxicité est proche de celle du méthotrexate. Des expériences in vivo réalisées par les équipes de Soler et Gorostiza sur des embryons de poisson-zèbre traités cinq jours avec le phototrexate ont permis de montrer que si les embryons maintenus dans le noir ont mené à une faible mortalité au bout de cinq jours, d’autres individus irradiés par des UV deux fois par jour ont subi une augmentation du taux de mortalité d’un facteur huit, signe de l’activation du médicament sous l’effet de la lumière (la lumière seule n’ayant pas d’effet significatif sur cinq jours). Des molécules comme le phototrexate pourraient permettre de délivrer une action cytotoxique en irradiant spécifiquement une tumeur, sans altérer les autres parties du corps qui ne recevraient que la forme inactive du médicament.

D’autres domaines bénéficieraient de la possibilité de contrôler précisément l’effet d’un médicament. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer par exemple, la quantité d’acétylcholine, un neurotransmetteur impliqué dans le processus de mémoire, est réduite, ce qui déclenche des problèmes de mémoire. Une solution consiste alors à inhiber l’action des cholinestérases, des enzymes qui dégradent l’acétylcholine (c’est l’effet du donépézil par exemple, l’un des rares traitements commercialisés de la maladie), mais un contrôle précis de leur activité est difficile à atteindre avec des thérapies classiques. Récemment, une équipe est parvenue à élaborer une molécule de type « photoswitch » capable d’inhiber l’action de la butyrylcholinestérase sous l’effet de la lumière UV. Cette molécule apparaît comme dix fois plus active sous sa forme irradiée que sous sa forme d’origine lors des tests sur l’enzyme isolée, mais elle produit un effet de type « tout ou rien » sur des modèles de souris présentant les caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. En effet, si lors de l’injection du produit non irradié, aucune amélioration notable de la mémoire des souris déficientes n’est remarquée, le traitement avec la forme irradiée permet un retour complet au comportement normal, ce qui ouvre des perspectives intéressantes pour ajuster plus finement l’équilibre chimique du cerveau des patients atteints.

Ces différentes études ont permis de valider des preuves de concept décisives en ce qui concerne l’efficacité de traitements photopharmacologiques in vitro et in vivo. Néanmoins, la transposition de ces résultats vers l’utilisation clinique représente un enjeu et un défi de taille. En effet, l’utilisation systématique du motif azobenzène dans les « photoswitchs » actuels s’accompagne de certains défauts potentiellement rédhibitoires dans un contexte thérapeutique, comme l’utilisation de lumière UV, qui pénètre mal dans l’organisme et peut s’avérer nocive.

Avec d’autres équipes de chimistes, nous tentons de développer des structures alternatives pour surmonter ces difficultés, comme les hémiindigoïdes ou les phénylazothiazoles, activables et désactivables par la lumière visible. Les molécules visées doivent idéalement répondre à trois critères aussi cruciaux que difficiles à atteindre. Elles doivent pouvoir changer de forme efficacement dans l’eau et/ou dans un milieu biologique ; ce changement de forme doit intervenir sous irradiation d’une lumière visible située le plus possible du côté rouge de l’arc-en-ciel, afin de pénétrer profondément dans l’organisme pour toucher par exemple des organes internes ; et la forme irradiée doit mener à une forte augmentation de l’activité biologique par rapport à la forme initiale. Ce subtil équilibre entre les différentes propriétés souhaitées pour un médicament photopharmacologique optimal constitue l’un des principaux défis dans le domaine, et relève d’une véritable orfèvrerie moléculaire.

Pouvoir d’achat : l’effet du bouclier tarifaire en France

Pouvoir d’achat : l’effet du bouclier tarifaire en France 

 La mesure, en vigueur depuis octobre 2021, a permis de limiter à 0,6 % au lieu de 2,1 % les pertes des revenus des ménages engendrées par la crise du Covid et la guerre en Ukraine. Par François Langot, Le Mans Université.

 

La forte reprise amorcée à la fin de la crise sanitaire a été stoppée par la guerre en Ukraine. L’arrêt des importations en provenance de Russie et d’Ukraine créée un risque de stagflation, c’est-à-dire un moment de faible de croissance accompagné d’une forte inflation.

Ce contexte nourrit les préoccupations de recul du pouvoir d’achat. Alors que les prix de vente augmentent, une activité au ralenti ne peut générer que de faibles progressions de revenu, rendant donc les fins de mois plus difficiles. Ces problèmes touchant tous les pays du monde, les baisses de pouvoir d’achat seraient alors partagées par tous.

Toutefois, les chiffres montrent que certains pays résistent mieux que d’autres. C’est en particulier de cas de la France.

Avant l’invasion russe de l’Ukraine, les prévisions de croissance française étaient de 4% pour 2022 et 2% pour 2023 ; selon la Banque de France, elles pourraient chuter à 2,8% pour 2022 et 1,3% pour 2023. Du côté de l’inflation, le scénario s’inverse : les prévisions étaient de 1,2% pour 2022 et 2023, elles seraient maintenant de 4% et 2,5% pour 2022 et 2023 (prix à la production mesurés pas le déflateur du PIB). Cette dégradation de la situation en France contraste avec ce que l’on observe ailleurs.

En Allemagne, selon les chiffres de la Banque centrale allemande (Bundesbank), la prévision de croissance pour 2022 passe de 4,9 à 1,9% et celle de l’inflation passerait de 3,6 à 7,1% (indice des prix à la consommation). Aux États-Unis pour l’année 2022, les prévisions de croissance ont été révisées de 3,7 à 2,5%, alors que les dernières prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) feraient passer l’inflation de 4,6 à 5,9%.

 

Le choc économique étant lié à la forte hausse des prix de l’énergie, la meilleure résilience de l’économie française peut s’expliquer, en partie, par le bouclier tarifaire mis en place en octobre 2021 par le gouvernement français.

Ce bouclier tarifaire fige les tarifs réglementés de vente du gaz à leur niveau d’octobre 2021 et limite à 4 % la revalorisation de ceux de l’électricité de février 2022. Ces tarifs réglementés concernent près de 70 % de la consommation d’électricité des ménages et 30 % de celle de gaz. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a calculé que, sans le bouclier tarifaire, les prix auraient progressé de 66,5 % entre octobre 2021 et février 2022. Quant à ceux de l’électricité, ils auraient augmenté de 35,4 % le 1er février 2022.

Face à l’envol des prix de l’énergie, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) indique que l’inflation aurait été de 5,1 % entre février 2021 et février 2022 « sans bouclier tarifaire », alors qu’elle n’a été que de 3,6 % dans les faits, soit 1,5 point d’inflation en moins grâce au bouclier tarifaire. Si le gouvernement, comme il l’a annoncé, étend sur l’année 2022 ce bouclier, alors nous pouvons anticiper, en restant mesurés, une réduction d’un point de l’inflation sur l’année à venir.

 

Pour évaluer l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur le pouvoir d’achat des Français, nous sommes partis de prévisions de prix du baril de pétrole pour les années 2022 à 2024. Le pétrole est généralement retenu comme indicateur du prix des énergies, les contrats de vente de gaz incluant des clauses d’indexation sur le cours du baril de pétrole, le prix de l’électricité étant quant à lui fortement dépendant de celui du gaz.

Trois scénarios sont comparés afin d’apprécier l’effet de la hausse des prix de l’énergie et d’évaluer l’impact du bouclier tarifaire :

  • le premier retrace l’évolution de l’économie française avec un prix du pétrole se stabilisant 98 % de son prix du quatrième trimestre 2019, qui correspond aux prévisions économiques avant l’invasion russe de l’Ukraine ;
  • le second intègre un doublement du prix du baril à l’horizon du premier trimestre 2024 ;
  • et un troisième où le doublement des prix de l’énergie est partiellement amorti par le bouclier tarifaire. Ce dernier scénario est calibré pour que l’inflation soit réduite de 1 point de pourcentage par rapport au scénario sans bouclier tarifaire.

Bien entendu, face à ces très fortes hausses des prix des produits énergétiques, les entreprises adaptent leurs politiques tarifaires pour ne pas perdre trop de clients. Les baisses de marges estimées sont de 12 points de pourcentage en moyenne entre fin 2021 et début 2024.

Avec ces ajustements de marge, les prédictions d’inflation sont en accord avec celles de la Banque de France jusqu’au premier trimestre 2024, soit 4 % par an en moyenne sur ces deux années à venir, ce qui est beaucoup plus élevé que ce qui était prévu avant l’invasion russe de l’Ukraine (2,5 % par an en moyenne). Sans le bouclier tarifaire, le taux d’inflation aurait été de 5 % par an. À court terme, cette inflation réduit la demande et donc la production.

Nos estimations indiquent que la France perdra chaque trimestre, entre début 2022 et début 2024, une richesse de l’ordre de 1,6 % du PIB par habitant par rapport à fin 2019. Ceci représente une perte de 221 euros par trimestre et par habitant. Sans bouclier tarifaire, les baisses de pouvoir d’achat étant plus importantes, la perte trimestrielle serait de 2,5 %, soit 345 euros par trimestre et par habitant. C’est donc 1 point de PIB par tête qui est gagné grâce au bouclier tarifaire, soit plus de 220 euros par trimestre.

Toutefois, la production totale qui représente l’ensemble des revenus, qu’ils soient issus du travail ou des placements financiers, peut sembler être un mauvais indicateur du pouvoir d’achat, le plus souvent entendu comme une mesure de la capacité de consommation des salariés. Il est alors préférable de mesurer les gains de pouvoir d’achat en se limitant aux variations des revenus du travail.

Sans bouclier tarifaire, la réduction des revenus du travail aurait été de 2,1 % par trimestre par rapport à ceux de fin 2019, soit 148 euros par trimestre et par personne. Le bouclier tarifaire permet de limiter ces pertes à 0,6 %, soit 42 euros par trimestre. Ce sont donc un peu plus de 100 euros par trimestre de pouvoir d’achat qui sont gagnés grâce au bouclier tarifaire.

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Par François Langot, Professeur d’économie, Chercheur à l’Observatoire Macro du CEPREMAP, Le Mans Université.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

La non pris en compte de l’effet de serre du numérique

La non pris en compte de l’effet de serre du numérique

En France, les émissions de gaz à effet de serre du numérique ont été multipliées par trois en dix ans et devraient continuer à croître. Il est possible de construire un numérique vert et responsable, expliquent vingt-cinq experts dans une tribune au « Monde ».Tribune. Le 8 mars, l’Assemblée nationale entamera l’examen du projet de loi Climat et résilience. En dépit des nombreuses propositions formulées par la convention citoyenne pour le climat, le texte porté par le gouvernement fait totalement l’impasse sur les enjeux du numérique.

Ceci est d’autant plus inquiétant que la présidente de la commission spéciale chargée de l’examen du texte [et députée LRM d’Ille-et-Vilaine], Laurence Maillart-Méhaignerie, a confirmé récemment que les amendements qui ne présentent pas de lien direct avec les dispositions soumises par le gouvernement seront jugés irrecevables. La question du numérique ne pourra même pas être débattue au Parlement ! Il est pourtant possible de construire un numérique vert et responsable, sans en brider le potentiel.

Nous le savons désormais, le numérique n’est pas virtuel. D’après les études de Green IT et du ShiftProject, le numérique est à l’origine d’environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial. En France, l’empreinte GES du numérique a été multipliée par trois en dix ans et devrait continuer à croître.

 

La fabrication des terminaux concentre 80 % du bilan environnemental du numérique en France, toujours selon une étude de Green IT. En moyenne, nous changeons de smartphone tous les deux ans. La priorité est donc de faire porter de nouvelles obligations sur les constructeurs pour allonger la durée de vie des terminaux. Cela peut se faire par la lutte contre l’obsolescence programmée, tant matérielle avec le passage de la garantie légale de conformité de deux à cinq ans, que logicielle en imposant là aussi des mises à jour pendant au moins cinq ans.Pour limiter la production de matériel neuf, il nous faut structurer les filières de la réparation, du reconditionnement et du réemploi, en imposant aux fabricants l’obligation de détachement des pièces. Nous pouvons aussi orienter la demande en instaurant un « chèque réparation », sur le modèle du « coup de pouce vélo » (50 euros pour faire réparer son vélo), pour l’entretien ou la remise en état d’appareils : changement de batterie ou d’écran, reformatage, etc.

 

L’amélioration de la performance environnementale doit aussi passer par une meilleure gestion de la consommation électrique des services numériques. Certaines fonctionnalités associées au modèle d’affaire de la publicité en ligne et de l’économie de l’attention telles que l’« autoplay » [lecture automatique] ou l’« infinite scrolling » [défilement infini], particulièrement dispendieuses, doivent être abandonnées. 

Epidémies: l’effet papillon du massacre des espaces naturels

Epidémies: l’effet papillon du massacre des espaces naturels

 

 

La  disparition des espaces naturels favorise bien l’émergence de nouvelles maladies infectieuses avec un effet papillon. Un  papier du Monde de Raphaël Proust  

 

Le coronavirus est-il une « punition » de la Nature ? Au plus fort du confinement, les écologistes de toutes obédiences ont voulu voir dans la pandémie la conséquence de la prédation des êtres humains sur l’environnement. La déforestation a notamment été pointée du doigt pour son rôle dans la diffusion du SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19. Qu’en est-il vraiment ? Si les conditions exactes de son apparition ne sont toujours pas connues avec certitude, la communauté scientifique est parvenue rapidement à un consensus sur l’origine probable de la maladie.

Celle-ci est très vraisemblablement une zoonose, c’est-à-dire qu’elle s’est transmise de l’animal à l’homme à travers un vecteur qui n’a pas encore été identifié. Même si la chauve-souris ou le désormais fameux pangolin sont régulièrement cités… Le phénomène n’a rien d’exceptionnel : des cas de zoonose sont documentés depuis le néolithique, époque de l’apparition de l’élevage et des premiers animaux domestiques avec qui la promiscuité a favorisé l’échange d’agents pathogènes entre espèces. Des maladies comme la tuberculose ou la rage en sont des exemples bien connus.

L’ONG de défense de l’environnement Greenpeace a d’ailleurs reconnu que « dans le cas précis de l’épidémie de Covid-19, le lien avec la destruction d’un écosystème n’est pas avéré ». Difficile voire impossible, dans l’état actuel des connaissances, de lier l’apparition et la diffusion de la pandémie à des activités humaines en particulier. Il apparaît en revanche que la disparition des habitats sauvages, notamment les rares forêts primaires qui ont résisté à l’exploitation économique, est bien un facteur qui favorise l’émergence des épidémies.

Si la déforestation ne suffit donc pas à expliquer l’apparition d’épidémies, elle semble être associée à leur plus grande fréquence constatée depuis le milieu du XXe siècle

Cohabitation forcée. Des études ont notamment démontré la relation entre la perte d’espaces forestiers fermés et la diffusion récente du virus Ebola en Afrique centrale et de l’Ouest. Selon l’hypothèse de départ, la fragmentation voire la disparition des surfaces boisées augmente non seulement les interactions avec les espèces animales chassées de leur habitat et tentés de se rapprocher des zones d’activité humaine pour leur survie, mais elle pourrait également accélérer la propagation des agents pathogènes initialement cantonnés à leur biome d’origine. Si la déforestation ne suffit donc pas à expliquer l’apparition d’épidémies, elle semble être associée à leur plus grande fréquence constatée depuis le milieu du XXe siècle.

Ces maladies infectieuses émergentes « ont augmenté de manière significative au fil du temps » et, surtout, « sont dominées par les zoonoses » à près de 60 % alors que « la majorité d’entre elles (71,8 %) proviennent de la faune sauvage », observaient en 2008 les auteurs d’une étude sur les tendances globales de ces nouvelles maladies publiée dans la revue Nature. C’est la cohabitation forcée de plusieurs espèces dans des espaces de plus en plus réduits qui pourraient expliquer en partie ce phénomène. Avec, en bout de chaîne, une humanité de 7 milliards et demi de personnes, sans compter les milliards d’animaux domestiques qui concentrent l’essentiel des virus zoonotiques, à l’image des grippes porcines de ces vingt dernières années.

Regain de la déforestation. Malgré ces faits inquiétants, et bien que le lien direct entre déforestation et pandémie de coronavirus ne puisse à ce stade être établi avec certitude, les forêts tropicales ont continué à perdre du terrain ces derniers mois. L’ONG WWF a notamment tiré la sonnette d’alarme au mois de juin avec ce chiffre préoccupant : 150 % d’arbres coupés en plus au mois de mars, pour près de 645 000 hectares au total. « La recherche du profit n’est pas la seule explication à la destruction de l’environnement durant la pandémie de Covid-19. Dans de nombreux endroits, la baisse des revenus a plongé les populations dans une situation difficile », souligne l’organisation de défense de la biodiversité.

La mobilisation des moyens de l’Etat dans la lutte contre la pandémie de coronavirus a nui à la lutte contre les coupes illégales

En Amazonie brésilienne, la situation déjà critique a encore été aggravée avec un regain de la déforestation de presque 60 % par rapport à 2019 pour les mois d’avril et de mai. Comme en Indonésie, autre pays très frappé par le recul des forêts, la mobilisation des moyens de l’Etat dans la lutte contre la pandémie de coronavirus a nui à la lutte contre les coupes illégales, moins prioritaire au regard de la situation sanitaire. La police environnementale brésilienne réduit ses patrouilles à la portion congrue et les ONG locales dénoncent un abandon total des contrôles, augmentant de fait l’impunité des coupeurs d’arbres.

De nombreux experts craignent désormais un retour des incendies qui avaient déjà ravagé l’Amazonie l’année dernière et donné lieu à une polémique mondiale. Et ce, alors que le pays bataille toujours contre l’épidémie de Covid-19 qui y a fait près de 100 000 victimes. Le président Jair Bolsonaro a lui même été testé positif après avoir minoré pendant des mois la maladie qu’il qualifiait alors de « petite grippe »…

Epidémies : l’effet papillon

Epidémies : l’effet papillon

 

La  disparition des espaces naturels favorise bien l’émergence de nouvelles maladies infectieuses avec un effet papillon. Un  papier du Monde de Raphaël Proust  

 

Le coronavirus est-il une « punition » de la Nature ? Au plus fort du confinement, les écologistes de toutes obédiences ont voulu voir dans la pandémie la conséquence de la prédation des êtres humains sur l’environnement. La déforestation a notamment été pointée du doigt pour son rôle dans la diffusion du SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19. Qu’en est-il vraiment ? Si les conditions exactes de son apparition ne sont toujours pas connues avec certitude, la communauté scientifique est parvenue rapidement à un consensus sur l’origine probable de la maladie.

Celle-ci est très vraisemblablement une zoonose, c’est-à-dire qu’elle s’est transmise de l’animal à l’homme à travers un vecteur qui n’a pas encore été identifié. Même si la chauve-souris ou le désormais fameux pangolin sont régulièrement cités… Le phénomène n’a rien d’exceptionnel : des cas de zoonose sont documentés depuis le néolithique, époque de l’apparition de l’élevage et des premiers animaux domestiques avec qui la promiscuité a favorisé l’échange d’agents pathogènes entre espèces. Des maladies comme la tuberculose ou la rage en sont des exemples bien connus.

L’ONG de défense de l’environnement Greenpeace a d’ailleurs reconnu que « dans le cas précis de l’épidémie de Covid-19, le lien avec la destruction d’un écosystème n’est pas avéré ». Difficile voire impossible, dans l’état actuel des connaissances, de lier l’apparition et la diffusion de la pandémie à des activités humaines en particulier. Il apparaît en revanche que la disparition des habitats sauvages, notamment les rares forêts primaires qui ont résisté à l’exploitation économique, est bien un facteur qui favorise l’émergence des épidémies.

Si la déforestation ne suffit donc pas à expliquer l’apparition d’épidémies, elle semble être associée à leur plus grande fréquence constatée depuis le milieu du XXe siècle

Cohabitation forcée. Des études ont notamment démontré la relation entre la perte d’espaces forestiers fermés et la diffusion récente du virus Ebola en Afrique centrale et de l’Ouest. Selon l’hypothèse de départ, la fragmentation voire la disparition des surfaces boisées augmente non seulement les interactions avec les espèces animales chassées de leur habitat et tentés de se rapprocher des zones d’activité humaine pour leur survie, mais elle pourrait également accélérer la propagation des agents pathogènes initialement cantonnés à leur biome d’origine. Si la déforestation ne suffit donc pas à expliquer l’apparition d’épidémies, elle semble être associée à leur plus grande fréquence constatée depuis le milieu du XXe siècle.

Ces maladies infectieuses émergentes « ont augmenté de manière significative au fil du temps » et, surtout, « sont dominées par les zoonoses » à près de 60 % alors que « la majorité d’entre elles (71,8 %) proviennent de la faune sauvage », observaient en 2008 les auteurs d’une étude sur les tendances globales de ces nouvelles maladies publiée dans la revue Nature. C’est la cohabitation forcée de plusieurs espèces dans des espaces de plus en plus réduits qui pourraient expliquer en partie ce phénomène. Avec, en bout de chaîne, une humanité de 7 milliards et demi de personnes, sans compter les milliards d’animaux domestiques qui concentrent l’essentiel des virus zoonotiques, à l’image des grippes porcines de ces vingt dernières années.

Regain de la déforestation. Malgré ces faits inquiétants, et bien que le lien direct entre déforestation et pandémie de coronavirus ne puisse à ce stade être établi avec certitude, les forêts tropicales ont continué à perdre du terrain ces derniers mois. L’ONG WWF a notamment tiré la sonnette d’alarme au mois de juin avec ce chiffre préoccupant : 150 % d’arbres coupés en plus au mois de mars, pour près de 645 000 hectares au total. « La recherche du profit n’est pas la seule explication à la destruction de l’environnement durant la pandémie de Covid-19. Dans de nombreux endroits, la baisse des revenus a plongé les populations dans une situation difficile », souligne l’organisation de défense de la biodiversité.

La mobilisation des moyens de l’Etat dans la lutte contre la pandémie de coronavirus a nui à la lutte contre les coupes illégales

En Amazonie brésilienne, la situation déjà critique a encore été aggravée avec un regain de la déforestation de presque 60 % par rapport à 2019 pour les mois d’avril et de mai. Comme en Indonésie, autre pays très frappé par le recul des forêts, la mobilisation des moyens de l’Etat dans la lutte contre la pandémie de coronavirus a nui à la lutte contre les coupes illégales, moins prioritaire au regard de la situation sanitaire. La police environnementale brésilienne réduit ses patrouilles à la portion congrue et les ONG locales dénoncent un abandon total des contrôles, augmentant de fait l’impunité des coupeurs d’arbres.

De nombreux experts craignent désormais un retour des incendies qui avaient déjà ravagé l’Amazonie l’année dernière et donné lieu à une polémique mondiale. Et ce, alors que le pays bataille toujours contre l’épidémie de Covid-19 qui y a fait près de 100 000 victimes. Le président Jair Bolsonaro a lui même été testé positif après avoir minoré pendant des mois la maladie qu’il qualifiait alors de « petite grippe »…

 

 

Confinement : l’effet bénéfique sur le bruit

Confinement  : l’effet bénéfique sur le bruit

D’après Pour Jérôme Sueur, Ecologue et acousticien ( Chronique dans le Monde)

« Le confinement de notre société lié à la pandémie du Covid-19 a créé des conditions environnementales exceptionnelles. La diminution de l’activité humaine a réduit le bruit de nos machines et les sons dérangeants de nos rues. Par effet de contraste, ce quasi-silence humain met en valeur les sons de la nature et souligne la nocivité des bruits que nous générons en situation « normale ». Le confinement ouvre pour le jour d’après des désirs sonores respectueux des santés humaine, animale et environnementale.

Le bruit est une forme de pollution, au même titre que la pollution de l’air, de l’eau, du sol. Notre société produit de nombreux déchets sonores : bruit des transports terrestres et aériens, des constructions, de l’industrie, de l’agriculture et des loisirs. Depuis 2018, l’Organisation mondiale de la santé considère le bruit comme l’un des principaux risques environnementaux pour notre santé. Les bruits peuvent en effet être toxiques : ils fragilisent notre système auditif, perturbent notre sommeil, affectent notre concentration et nos apprentissages, modifient nos systèmes endocriniens et cardiovasculaires. Ainsi, près de 11 mois de vie en bonne santé en moyenne par Francilien seraient perdus sur une vie entière.

Le bruit induit des effets délétères analogues chez les animaux. Le bruit masque les communications sonores animales, empêchant le transfert des informations essentielles sur l’identité, la présence, le statut des individus. En milieu marin, le bruit naval et de l’exploitation off-shore cause notamment les échouages de mammifères marins. Le bruit induit un stress chez les organismes jouant un rôle essentiel dans le fonctionnement des écosystèmes comme les décomposeurs de matière organique, les pollinisateurs ou les disperseurs de graines, conduisant à des effets écologiques globaux. Le bruit appauvrit la qualité des paysages sonores naturels en prenant le pas sur les sons d’origines animales et végétales. Le bruit est donc une pollution aux conséquences multiples et multi-échelles dont le coût social dépasse très largement celui estimé pour les hommes qui s’élevait en 2016 à 57 milliards d’euros par an en France.

Le bruit est la part non désirée de nos envies d’expansion, de déplacements, de consommation. Or, le confinement a contraint ces envies, et s’est ainsi installé dans nos sociétés une forme de silence. Les observatoires acoustiques mis en place notamment en régions parisienne et lyonnaise montrent une réduction drastique de ce superflu sonore pouvant aller jusqu’à 10 dB, soit des sons deux à trois fois moins forts. Les nuisances sonores de l’activité navale ont également diminué en lien avec la réduction de 30 % du trafic maritime mondial.

Coronavirus : l’effet de la concentration spatiale

Coronavirus : l’effet de la concentration spatiale

Economiste, chercheur en sciences sociales et professeur à l’Université de Poitiers, Olivier Bouba-Olga étudie les dynamiques territoriales. Sur son blog personnelil s’intéresse à la géographie du Covid-19, publiant chaque jour une analyse des statistiques disponibles.( intreview l’Opinion)

Quel est votre principal constat sur la géographie de l’épidémie?

C’est qu’elle reste très concentrée géographiquement et beaucoup plus qu’on ne l’imagine souvent. En brassant les statistiques françaises, italiennes et espagnoles, on voit qu’elle est concentrée dans une ou deux régions, là où elle a démarré, et que cette concentration évolue assez peu avec le temps. Au 4 avril, la région de Madrid et la Catalogne concentraient 61 % des décès, l’Ile-de-France et le Grand Est exactement la même part alors que la Lombardie et l’Emilie-Romagne montaient à 69 %. Ces chiffres sont nettement supérieurs au poids démographique de ces régions. Certes, l’épidémie se répand un peu dans d’autres régions, mais pas trop. C’est sans doute un effet des mesures de confinement. Pour obtenir ces résultats, je me base sur le nombre des décès, qui est la variable la plus fiable, encore qu’ils ne soient pas comptabilisés de la même façon d’un pays à l’autre. En revanche, le recensement du nombre du cas varie tellement, notamment à cause du nombre des tests, que c’est moins précis.

Qu’en est-il pour la France ?

Le taux de mortalité est très variable d’une région à l’autre : il est ainsi 14 fois plus élevé dans la région la plus touchée, le Grand Est, que dans la moins, la Nouvelle Aquitaine. En France, on le sait, l’épidémie se concentre dans le Grand Est et l’Ile-de-France, également en Bourgogne-Franche-Comté, dans les départements proches du Grand Est comme le Territoire de Belfort ou le Doubs. Aujourd’hui, on note que le degré de concentration de l’épidémie baisse dans le Grand Est alors qu’il a augmenté dramatiquement en Ile-de-France.

Sait-on pourquoi ?

Pas vraiment. On peut faire une hypothèse, liée à la densité de la population. Les régions les plus touchées proportionnellement sont les régions avec le plus d’habitants au km2 : la région parisienne en France, Milan en Italie, Madrid en Espagne, New York aux Etats-Unis.

Comprend-on au moins comment la maladie y est apparue ?

Dans le Grand Est, il est clair que le déclencheur a été le rassemblement religieux évangéliste, qui s’est tenu à Mulhouse du 17 au 21 février. C’est que l’on pourrait appeler un « accident historique ». En Italie, on a longtemps cherché le « patient zéro », mais on considère aujourd’hui qu’il s’agit de plusieurs personnes en lien avec la Chine, car Milan et la Lombardie ont beaucoup de relations économiques avec ce pays. En Espagne, l’épidémie est apparue à Madrid, avec des gens de retour de Lombardie, puis s’est étendue à la Catalogne.

Qu’en est-il des Etats-Unis ?

C’est ultra-concentré à New York. Nous n’en sommes qu’au début et cela va très vite. Le nombre de décès y est de 183 par million d’habitants, contre 120 pour la France par exemple.

Selon les chiffres de l’Insee sur la mortalité générale en France, on n’observe pas encore de forte hausse. Qu’en pensez-vous ?

Il est toujours bon de donner des éléments de cadrage et des ordres de grandeur, sans minimiser le drame en cours. Chaque jour, on compte en moyenne 1 700 décès en France – et 2 000 naissances. Pour l’instant (au 23 mars, selon les derniers chiffres de l’Insee), on n’observe pas de surmortalité par rapport à la même période en 2018 et 2019. Mais si c’est vrai à l’échelle nationale, ce n’est pas le cas à l’échelle de certains départements, où l’on voit que la mortalité a quasiment doublé dans le Haut-Rhin (Mulhouse). Normalement, on devrait donc dépasser la mortalité des années précédentes, mais pas nécessairement de manière très forte. Ce résultat serait obtenu grâce aux mesures de confinement et aux gestes barrières. Il y a aussi ce que les économistes appellent des « externalités positives », comme une baisse des morts dans les accidents de la route ou les conséquences des mesures de prévention sur d’autres maladies comme la grippe, qui tue chaque année des milliers de personnes.

Vous vous êtes intéressé aux résidences secondaires. La ruée des Parisiens a-t-elle contribué à la diffusion de l’épidémie, comme on l’a craint ?

Pour Paris, une nouvelle étude de l’Insee et d’Orange sur la mobilité confirme l’effet résidence secondaire (ou domiciles de la famille ou d’amis) de manière très forte : 11 % des Parisiens résidaient hors de leur département après le début du confinement. C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, pour les Hauts-de-Seine. Je me suis également basé sur les travaux de collègues qui ont cartographié les résidences secondaires : très majoritairement, ce sont des résidents d’Ile-de-France qui se sont déplacés vers le littoral, le Sud ou l’Ouest. Or, ces régions sont peu touchées par l’épidémie. Pour le moment, on peut donc dire que ces déplacements n’ont pas été un vecteur de diffusion.

Qu’en est-il de la situation dans les Ehpad ?

Il y a en beaucoup à l’Ouest et au Sud de la France, ainsi que dans les régions rurales, où leur implantation sert au développement économique local. Si l’on commence à avoir des chiffres partiels au niveau national, il n’y a aucune statistique régionale. C’est un souci : pourquoi le ministère de la Santé n’arrive-t-il pas à obtenir de tels chiffres ? Notre système d’information n’est pas satisfaisant et cela pourrait nous empêcher de porter l’effort là où sont les besoins.

 




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