Agriculture, nucléaire:Le même désastre !
Par Gil Rivière-Wekstein,fondateur et rédacteur de la revue « Agriculture & Environnement »
« Il existe un parallèle incontestable entre ce qu’a subi la filière nucléaire et ce que connaît aujourd’hui l’agriculture française»
A la grande surprise de nombre de nos concitoyens, la France connaît aujourd’hui une incertitude concernant son approvisionnement en électricité pour cet hiver. Alors que notre pays s’est doté d’un considérable parc nucléaire faisant de la France le champion mondial de l’atome, la conjugaison d’une série d’éléments imprévus et conjoncturels explique partiellement cette situation ubuesque (guerre en Ukraine, bouleversement de l’agenda de la maintenance des centrales, problèmes de corrosion dans un certain nombre d’unités de production, etc.)… Mais cela ne saurait suffire à justifier que le président de la République réclame au pays la « sobriété énergétique », terme plus politiquement acceptable que celui de « rationnement » et de « fermeture partielle de nos entreprises ».
En réalité, cela fait plusieurs décennies que l’exécutif adresse un message clair à la filière nucléaire, en lui ordonnant de se défaire d’un de ses joyaux industriels. Le sabordage a commencé dès 1997 avec l’arrêt du projet de Superphénix et s’est poursuivi jusqu’à la fermeture de Fessenheim, en passant par l’arrêt du projet d’Astrid, un prototype de réacteur dit de « quatrième génération », qui devait être mis en service dès 2020. Depuis lors, EDF s’est dédié à la formation d’équipes pour gérer le démantèlement de ses centrales, au prix de ne plus avoir suffisamment de personnel formé pour garantir une maintenance efficace et encore moins des équipes pour la création de nouvelles unités. Ce choix stratégique résulte d’un cruel manque d’anticipation politique dû aux multiples compromis que les présidences successives ont accordés aux responsables de l’écologie politique.
Pour qui connaît le monde agricole, il existe un parallèle incontestable entre ce qu’a subi la filière nucléaire et ce que connaît aujourd’hui l’agriculture française. Comme vient de le confirmer un rapport sur la compétitivité de la ferme France, rédigé par les sénateurs Duplomb, Louault et Mérillou, remis à la Commission des affaires économiques ce 28 septembre, « la Ferme France décroche ». « La France, “grenier de l’Europe”, est désormais déficitaire avec l’Union européenne en matière alimentaire depuis 2015. Hors vins, elle est même déficitaire avec le monde entier. » Plus inquiétant encore : « le potentiel productif agricole s’érode d’année en année par une baisse du nombre d’exploitations, une chute de la surface agricole utile en cultures et un plafonnement des rendements. La productivité de l’agroalimentaire, faute d’investissements suffisants compte tenu de la guerre des prix, est également en berne. »
Résultat : 71 % de notre consommation de fruits est importée, 28 % de notre consommation de légumes. Et c’est pire pour ce qui concerne l’élevage : 56 % de la viande ovine consommée en France est importée, 22 % de la viande bovine, 45 % du poulet, 26 % du porc et 30 % de notre consommation de produits laitiers. A cela s’ajoutent les 63 % de protéines que nous consommons, issues d’oléagineux importés à destination des élevages, et entre 70 et 80 % de nos besoins de miel. De seconde exportatrice mondiale qu’elle était, derrière les Etats-Unis, au début des années 1990, la France est passée au sixième rang. Supplantée successivement par les Pays-Bas et l’Allemagne, puis par la Chine et le Brésil. Nos parts de marché ont fondu de 11 % en 1990 à moins de 5 % en 2021.
Comment en est-on arrivé là ? La réponse est simple : en minimisant l’importance stratégique de l’agriculture, non seulement l’exécutif français n’a pas su accompagner sa nécessaire modernisation, notamment dans les filières d’élevage, comme l’ont pourtant fait nos voisins européens (Danemark, Espagne, Allemagne), mais, bien pire, en laissant le champ libre à la propagande écologiste décroissante, il a paralysé son développement.
Cela s’est traduit par le blocage systématique de tous les projets d’irrigation, par d’insupportables contraintes administratives que subissent les exploitants agricoles à tous les niveaux, par la réduction considérable des outils de production disponibles pour les agriculteurs, notamment dans le domaine de la protection des plantes, et enfin par un non-accès à l’innovation.
En outre, au motif de vouloir réduire l’impact sur l’environnement, l’exécutif a favorisé les modèles les moins productifs, entraînant le monde agricole vers des impasses économiques, comme en témoignent les problèmes que rencontrent aujourd’hui les agriculteurs convertis à l’agriculture biologique.
Enfin, la stratégie de la montée en gamme, seule réponse du gouvernement actuel, a déjà montré ses limites. Le cas de la tomate cerise en est un parfait exemple, comme l’analyse le rapport du sénateur Duplomb : « afin d’échapper à la concurrence marocaine, la filière tomate s’est spécialisée dans la production de tomates cerises, abandonnant ainsi le marché cœur de gamme aux tomates importées (qui ont aujourd’hui 30 % de parts de marché) ». Sauf que les importations de tomates cerises marocaines sont passées de 300 tonnes en 1995 à 70 000 tonnes. D’où la conclusion des auteurs : « Les producteurs de tomates se spécialisent dans des niches où la concurrence vient progressivement…les dénicher. »
Ce manque de stratégie explique notre incapacité actuelle à assurer notre souveraineté alimentaire, avec pour conséquence la délocalisation d’une partie importante de notre production agricole. Comme le note un rapport du cabinet de conseil Solagro, l’importation de produits agricoles nécessite l’usage hors de France de 9,1 millions d’hectares, soit l’équivalent d’un tiers de la surface agricole utile française.
Gil Rivière-Wekstein est fondateur et rédacteur de la revue « Agriculture & Environnement ».