« L’intelligence artificielle contre le coronavirus ».
L’intelligence artificielle peut-être très utile à la lutte contre le virus chinois d’après Victor Storchan et Erwan Le Noan *.( Chronique dans l’opinio
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Dans le roman de Giono, Le hussard sur le toit, Angelo découvre une Provence ravagée par le choléra. Face à l’épidémie, les habitants se confinent dans la peur, alors que les autorités tentent d’organiser, tant bien que mal, un barrage à la propagation de la maladie.
Face à l’urgence d’une crise, les mécanismes d’ajustement d’une société résiliente relèvent à la fois de l’anticipation et de l’improvisation. Anticipation, en se dotant d’un éventail de procédures de réponses coordonnées et d’expertises, qui dessinent les contours de stratégies à déployer quand survient l’imprévu. Improvisation, dans son sens positif où tels des musiciens, les différents acteurs jouent une partition dictée par les aléas de l’événement.
La crise du coronavirus confirme cette dichotomie traditionnelle entre innovation et application de la règle au cœur de la tempête : les plans d’urgence les mieux élaborés sont complétés, dans l’action, par l’initiative humaine. De façon intéressante, les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle (IA) participent pleinement de cette dynamique – révélant que, face aux défis les plus grands, la recherche académique et appliquée permet d’augmenter aussi bien les décisions au plus haut niveau que la pratique la plus concrète.
La publication récente des conclusions des travaux de chercheurs en médecine à l’Université de Wuhan l’illustre parfaitement : en constituant en à peine un mois un jeu de données d’images tomographiques de pneumonies, causées par le Covid-19 d’une part et provenant de pneumonies connues et plus classiques d’autre part, l’équipe a pu construire, grâce à l’IA, un outil d’aide à la décision qui permet aux praticiens d’établir un diagnostic médical avec un gain de temps estimé à 65 %.
Modèles «convolutionnels». L’imagerie médicale et plus généralement la vision assistée par ordinateur comptent parmi les applications les plus robustes de l’intelligence artificielle. Les outils utilisés aujourd’hui fonctionnent en mimant la structure du cortex visuel humain (soit 5 milliards de neurones qui se répartissent en couches successives). Ils ne sont pas nouveaux : le Français Yann LeCun fut, dès les années 1990, un pionnier de cette technique qui s’est diffusée plus largement depuis 2012, grâce à l’utilisation de circuits intégrés modernes. Ces modèles, dits « convolutionnels », sont constitués en couches neuronales qui transmettent successivement l’information en tenant compte de dépendances spatiales dans l’image. Cette méthode permet de détecter des motifs utiles pour la tâche à effectuer.
Cette technique est au cœur du système d’IA conçu à Wuhan pour identifier les pneumonies virales de Covid-19 à partir de plus de 46 000 images tomographiques – collectées en un temps record, reconstituées en mesurant l’absorption des rayons X par les tissus biologiques de 106 patients. Ces couches d’informations ont été assemblées dans une architecture spécialisée dans la segmentation d’images et capable de détecter les traces d’infection pulmonaire, parfois très légères au stade précoce de l’infection (des dixièmes de millimètres).
Les phases d’évaluation ont permis de conclure que l’algorithme fournit une précision comparable à celle des radiologues, sans pour autant s’y substituer : il est utilisé comme outil d’aide à la décision, qui permet de réduire à 40 secondes le temps nécessaire au diagnostic (contre 116 par les meilleurs médecins).
. Cet outil, qui augmente le savoir humain, a donc permis un gain de temps substantiel dans la pratique médicale. C’est essentiel, car la détection précoce de l’infection permet un isolement rapide du patient, alors que l’attente prolongée augmente les risques de surinfection. C’est aussi une espérance de meilleure lutte contre l’épidémie : dans la province chinoise de Hubei, mi-février, plus de 77 000 cas étaient sous observation médicale, dont la plupart nécessitaient un examen radiologique approfondi… alors que moins de 4 500 radiologues exercent dans cette région. La technologie rayonnera au demeurant au-delà : le partage d’une plateforme en libre accès dans le cloud permet aux autres hôpitaux et professionnels de santé de l’utiliser – et aussi de l’auditer.
En médecine, et particulièrement en imagerie médicale, l’utilisation d’algorithmes a une longue histoire. Dans son livre récent – et à succès –, Aurélie Jean explique comment elle les a mobilisés pour de la recherche en biomécanique, dans le but d’évaluer les risques de traumatismes cérébraux lors de chocs. Ces exemples comme les travaux des médecins de Wuhan montrent que, particulièrement dans des moments de crise intense, la recherche académique est un outil puissant de progrès et un éclairage précieux pour augmenter efficacement les décisions humaines, des praticiens aux dirigeants.
* Victor Storchan est spécialiste de machine learning, ancien élève de Stanford. Erwan Le Noan est associé du cabinet Altermind.