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Retraites : L’avenir financier est-il vraiment question ?

Retraites : L’avenir financier est-il vraiment question ?

Le projet d’Emmanuel Macron de repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans se fonde en partie sur la volonté de résorber le déficit du système, mais ses détracteurs s’appuient sur le fait que le dispositif actuel reste sur une « trajectoire maîtrisée ». Par Bertrand Bissuel dans le Monde. 

 

Les régimes de retraites font-ils face à des difficultés budgétaires qui nécessitent des mesures correctrices ? Cette question, en apparence simple, n’a pas reçu de réponse évidente depuis qu’Emmanuel Macron l’a relancée en proposant de repousser à 65 ans l’âge d’ouverture des droits à une pension. Son initiative a été à l’origine d’un débat qui a très vite tourné à la foire d’empoigne, rendant encore plus obscur un dossier déjà ardu à appréhender.

Le fait qu’il y ait une controverse est logique compte tenu de l’objet de la réforme. Le chef de l’Etat considère qu’il faut « travailler plus longtemps », ce qui implique des efforts supplémentaires largement désapprouvés. Mais l’un des aspects intrigants de la polémique tient à l’impossibilité de parvenir à une expression commune sur l’état du système, alors même que les protagonistes se fondent sur les mêmes données : en particulier celles fournies par le Conseil d’orientation des retraites (COR). Associant parlementaires, responsables syndicaux et patronaux, personnalités qualifiées et représentants de l’administration, cette instance, créée en 2000, livre « les éléments d’un diagnostic partagé », dans un rapport réalisé, chaque année, par un groupe permanent d’experts, auquel elle donne son imprimatur après discussions.

Si les « éléments » en question font globalement consensus, leur interprétation, elle, diverge. Durant le débat de l’entre-deux-tours, M. Macron a déclaré, le 20 avril, que le système sera déficitaire durant un peu plus de dix ans, en citant les projections de « l’organisme indépendant qui s’appelle le COR ». Quelques jours auparavant, Anne Hidalgo, sa rivale socialiste en lice dans la course à l’Elysée, s’était également prévalue des travaux de cet organe, mais pour développer une thèse diamétralement opposée : « Il n’y a pas de problème de financement », avait-elle assuré.

Ni l’un ni l’autre ne peuvent être accusés de manipuler ce qu’écrit le COR. Celui-ci explique, dans son dernier rapport, qu’il y avait un « trou » de 13 milliards d’euros en 2020 dans les caisses de retraite. D’après lui, le retour à l’équilibre n’interviendrait pas avant la première moitié des années 2030, dans le scénario le plus favorable. C’est sur la base de ces pronostics que le président de la République juge indispensable d’agir et de faire des économies, en repoussant l’âge légal de départ à la retraite.

Les contradicteurs du chef de l’Etat plaident pour une approche différente justifiée, selon eux, par le COR lui-même. Ce dernier explique, en effet, que pour procéder à « une lecture économique de la situation financière des retraites » il vaut mieux regarder non pas le solde entre dépenses et recettes, mais un autre indicateur : la part des pensions dans la richesse nationale. Après avoir culminé à 14,7 % du PIB en 2020, ce ratio devrait refluer, pour osciller entre 11,3 % et 13 % « à l’horizon 2070 », selon les hypothèses retenues. Le COR en conclut que le dispositif resterait « sur une trajectoire maîtrisée ». Une appréciation sur laquelle s’appuie Anne Hidalgo, pour prétendre – avec d’autres (syndicats, économistes…) – qu’il n’y a pas péril en la demeure.

L’avenir de la filière industrielle aérienne (Guillaume Faury, président du GIFAS)

L’avenir de la filière industrielle aérienne (Guillaume Faury, président du GIFAS)

Lors de la neuvième édition du Paris Air Forum, le président du GIFAS Guillaume Faury a livré sa vision sur les grandes priorités de la filière aérospatiale civile et militaire française en termes de souveraineté (sécurisation de la supply chain et des circuits d’approvisionnement, taxonomie, accès à l’espace…) mais aussi de coopérations, notamment dans le domaine de la défense. Le président exécutif d’Airbus s’est également attaché à rappeler la longue route qui mènera vers l’avion vert. Cela se traduira par un effort vital pour conserver une industrie aéronautique française à la fois puissante et souveraine mais aussi ouverte aux coopérations.

Faury, président du GIFAS et président exécutif d’Airbus). (La Tribune)

 

 

La guerre en Ukraine et la conjoncture économique ne semblent pas freiner la demande de voyages pour cet été, mais n’y a-t-il pas un risque de rechute à l’automne ?

GUILLAUME FAURY- En ce qui concerne la demande de voyages, de vols, nous assistons à un retournement très fort depuis quelques mois et qui semble s’accélérer. La Chine connaît une situation particulière et il y a quelques exceptions en Asie, mais selon les données fournies par nos clients, cela arrive plus vite et plus fort que prévu. Y compris sur les vols business, ce qui était très incertain. Nous pouvons nous demander s’il n’y a pas un effet rebond et si cela ne va pas se calmer un peu par la suite. Mais pour le moment la « pent-up demand » (la demande en suspens, NDLR) est très forte. Elle est tellement forte que le problème est d’arriver à offrir des vols et des sièges en quantités suffisantes. Toutes les compagnies aériennes, les aéroports, souffrent du manque de bras, d’avions, de personnels au sol, d’équipages… Nous sommes passés d’une crise de la demande à une crise de l’offre.

Après deux ans de crise et dans un contexte international compliqué, comment se passe le redémarrage de l’activité ?

Nous voyons que c’est très dur. Il y a une concurrence de tous les secteurs sur la main d’œuvre, qui est devenue très rare. La grande démission de 2021, pour traduire une expression anglaise, est un fait. Une très grande partie des gens qui travaillaient dans les activités très fortement impactées par la crise Covid ont disparu et nous ne les retrouvons pas. C’est vrai pour la supply chain de l’aviation civile, du tourisme, de l’aviation commerciale… Quant aux supply chain des constructeurs, elles sont également mises à très rude épreuve avec la difficulté de faire voyager autour du monde des pièces et des équipements. Nous vivons une crise de logistique qui a fortement bénéficié aux transporteurs. Des compagnies comme CMA-CGM ou MSC ont connu des résultats exceptionnels qui reflètent la rareté de l’offre de logistique autour du monde. Nos supply chain habituelles ont été très fortement secouées par le Covid. Elles le sont aussi par la crise en Ukraine et par la nouvelle crise que nous voyons en Chine. Évidemment, toutes les chaînes européennes et françaises sont en train de regarder ces perturbations avec beaucoup d’inquiétudes et mènent des actions au fur et à mesure pour s’en prémunir.

Les principes qui régissaient le fonctionnement de ces chaînes d’approvisionnement ont donc évolué ?

Nous sommes passés d’une logique de fonctionnement très précise, avec un système logistique très performant, à une logique où nous essayons de créer de la résilience. C’est-à-dire d’avoir des chaînes d’approvisionnement qui soient beaucoup plus robustes aux changements et aux difficultés autour du monde. Ce changement de paradigme s’illustre par une expression : nous sommes passés du « just-in-time » au « just-in-case ».

Dans ce contexte de tensions internationales, il y a le cas spécifique de la Russie, mais surtout celui de la Chine. Est-ce que la filière se pose des questions sur la place de la Chine sur son écosystème ?

Beaucoup de questions se posent sur les conséquences de cette crispation internationale, des tensions, des logiques de blocs qui se remettent en place. Ce qui se passe avec la Russie pose beaucoup de questions, mais la situation avec la Chine est très différente. Dans l’aviation, mais aussi dans beaucoup d’autres industries comme l’automobile, les interdépendances sont à de très nombreux niveaux et très profondément inscrites dans les supply chain, y compris dans les composants électroniques, les câbles, les connecteurs. Nous avons mis 50 ans à construire cela. Cela a commencé avec le voyage du président américain Nixon à Pékin en 1972. Depuis, le monde a beaucoup changé et il est devenu très interdépendant au niveau du commerce international. Si nous avions avec la Chine une crise similaire à celle avec la Russie, les solutions ne seraient sans doute pas de même nature. Pour autant,les questions se posent. Nous sommes dans une logique de dérisquage, de résilience, et nous réfléchissons pour savoir comment nous positionner dans un monde complexe, avec des tensions, afin d’avoir des supply chain robustes nous permettant de maintenir notre activité dans cet environnement incertain.

Pour la filière défense, quel est votre retour d’expérience du conflit en Ukraine ? Comment l’Europe doit-elle tirer des conséquences de ce retour de la guerre sur son sol ?
Nous avons beaucoup de choses à apprendre de ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine. D’abord, si on ne veut pas la guerre, il ne faut pas être faible, mais fort pour assurer une dissuasion vis-à-vis d’un agresseur éventuel et être capable de répondre en cas d’agression. En Europe, depuis plusieurs décennies, ce n’est pas comme ça qu’on a abordé la situation. Beaucoup de pays, notamment à l’Est, voulaient récupérer les fruits de la paix, pensant qu’elle serait là pour toujours. On se rend compte aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Les chiffres mentionnés à Versailles sur l’évolution des dépenses des grands blocs depuis la création de la zone euro il y a 20 ans me semblent très parlants. L’Europe a augmenté ses dépenses de défense de 30%, les Etats-Unis de 66%, la Russie de 300%, la Chine de 500 ou 600%. A l’heure où le conflit armé fait son retour en Europe , on peut légitimement se demander si on a vraiment fait tout ce qu’il fallait pendant cette période de paix.

Ce qui n’est aujourd’hui pas le cas…
… Il faut avoir une vision de long terme sur les sujets de défense. Ces dernières semaines les pays européens ont lancé des actions dans l’urgence pour essayer de corriger les « gaps » à court terme. Mais il faut surtout se reposer les bonnes questions de notre indépendance stratégique, de la façon dont on veut être équipé en armement, pour être capable de dissuader suffisamment et de répondre en cas de crise. Il faut également se poser les questions des alliances internationales. Un système de sécurité efficace n’est pas composé de blocs isolés, mais il faut essayer de créer de vraies alliances, pour avoir un impact plus fort dans une conflictualité possible. De ce point de vue, l’OTAN est une alliance très importante. On a vu à quel point elle était importante pour répondre aux enjeux de ce conflit.

Les pays européens vont-ils se réarmer ?
Je pense que les pays européens vont dépenser beaucoup plus d’argent pour la défense. Est-ce une bonne nouvelle ? Je ne porte pas de jugement de valeur. C’est nécessaire. Il ne faut pas être naïf : on est dans un monde complexe, qui va le devenir encore plus, où il y aura des pénuries de ressources et donc des possibilités de tensions dans l’avenir encore plus fortes qu’au cours des dernières décennies. Il faut s’équiper, s’armer et regarder cette situation avec lucidité. Il faut donc s’organiser pour devenir puissant technologiquement, au niveau des alliances et économiquement. Parce que les armements du 21eme siècle, qui sont des systèmes très technologiques, sont très chers. Il faut les faire en étant organisé dans le cadre de partenariats. D’où ce qui se passe au niveau européen pour organiser les programmes du futur, avec un effet d’échelle suffisant pour être performant.

Ne craignez-vous pas que le réarmement européen va bénéficier en grande partie aux industries américaines ?
Je l’ai dit précédemment, il faut s’organiser pour être bien équipé. Mais cela doit se faire sur le long terme. Il faut lancer des programmes, développer des technologies, investir, récolter les fruits des investissements. Cela prend du temps, et c’est donc sur le moyen et le long terme que nous pourrons agir. A court terme, s’il y a des capacités qui n’existent pas en Europe, il faut aller les chercher là où elles existent, c’est-à-dire chez nos alliés, et très souvent chez les Américains. La notion de BITD, la base industrielle et technologie de défense bien connue en France, commence à être comprise au niveau européen. Cela reflète bien cette prise de conscience. Si nous ne sommes pas capables de lancer sur le long terme, au niveau européen, des programmes de grande taille avec des montants d’investissement très importants, avec des équipes compétentes, la seule alternative est d’aller les acheter à l’étranger. Mais nous perdrons en souveraineté. Il y a le temps court, où nous n’avons pas beaucoup de choix, et le temps long où il y a beaucoup plus de possibilités d’organisation. C’est sur celui-là qu’il faut travailler très fortement.

Justement, comment trouver le bon équilibre entre souveraineté nationale et coopération européenne pour l’industrie de défense, qui est un outil clé de la souveraineté des pays ? Est-ce que les deux objectifs sont compatibles ?
Ils sont compatibles – et quand ils semblent ne pas l’être, il faut les rendre compatibles. Si on travaille uniquement à l’échelle nationale, nous n’avons pas l’effet d’échelle dont on a besoin. Je prends l’exemple du F-35. Les Etats-Unis ont un budget de défense trois fois plus important que celui de tous les pays d’Europe combinés. Ils ont développé un avion de combat unique, le F-35. En Europe, nous en avons trois pour un budget trois fois plus petit. On ne peut pas faire jeu égal dans ces conditions. L’idée qu’on puisse tout faire en national est fausse, mais l’idée qu’on ne peut rien faire en national est également fausse. Sur les sujets où l’effet d’échelle n’est pas essentiel, c’est beaucoup plus compliqué d’arriver à un accord à plusieurs. Pour lancer des programmes en commun, il faut donc regarder les projets dans lesquels on a besoin d’investir des montants très importants et où il y a une masse critique à atteindre. J’aime comparer avec l’aviation commerciale. On a un constructeur européen qui est Airbus. Si on avait un constructeur français, un anglais, un allemand, un espagnol, il n’y aurait finalement aucun constructeur, car aucun n’aurait la taille, ni l’effet d’échelle nécessaire pour être compétitif sur le plan mondial. Dans la défense, il y a des enjeux où l’effet d’échelle est comparable. Et c’est sur ces enjeux qu’il faut se mettre ensemble.

Dans le domaine spatial, il y a également des questions de souveraineté. La constellation proposée par Thierry Breton permettrait de faire jeu égal avec les Etats-Unis. Est-ce vraiment nécessaire
Il ne faut pas laisser tomber. Les constellations sont un des domaines de taille critique où l’Europe doit être présente. Ce sont des investissements absolument considérables, dont tous les pays européens ont besoin, séparément et ensemble. C’est le sujet typique où nous avons intérêt à nous mettre ensemble. Et en plus, il faut aller vite. La démarche européenne est la bonne et, il faut y arriver. Entre avoir le bon objectif et y arriver, il y a parfois une différence. Il faut tout faire pour aider la Commission à trouver une solution pour faire cette constellation européenne, qui sera un des éléments de résilience civile et militaire dont aura besoin l’Europe.

L’accès à l’espace est également très important pour la souveraineté européenne. L’Europe traverse actuellement une période compliquée. Ariane 6 est en train d’arriver mais avec toutes les incertitudes d’un nouveau lanceur. C’est également le cas pour Vega C, dont un des moteurs est en outre fabriqué en Ukraine. Sans parler de l’arrêt de Soyuz à Kourou et Baïkonour. Comment gérer cette période compliquée pour l’accès à l’espace en Europe ?

On vient d’une époque où, au niveau mondial avec Ariane 5, on avait un positionnement unique et reconnu comme tel. Les Etats-Unis ont repris la main, à travers SpaceX qui marche très bien. La concurrence n’est pas forcément une mauvaise chose. Aujourd’hui, la priorité numéro une est de faire marcher Ariane 6. Les évènements récents ont montré l’importance stratégique de l’accès autonome à l’espace. Ariane 6 va y participer. Je suis absolument certain qu’Ariane 6 sera un excellent produit, un très bon lanceur pour les Européens. Je suis certain que ce lanceur atteindra ses objectifs. C’est un programme important avec les difficultés d’un programme en développement. Mais ce n’est pas parce que SpaceX est un bon produit qu’Ariane 6 ne sera pas un très bon produit. Ce n’est toutefois pas suffisant, Ariane 6 étant un point de passage. Car l’accès à l’espace continue à progresser. Il faut que sur ce sujet, nous travaillons en étroite coopération avec les Européens parce que c’est un domaine où il y a peu d’utilisations mais d’énormes investissements à effectuer. C’est un cas typique où nous avons intérêt à nous regrouper entre Européens. Et malheureusement on voit aujourd’hui beaucoup de projets centrifuges les uns avec les autres et beaucoup de difficultés à trouver les clés d’une coopération entre Italiens, Allemands et Français, sur les différents segments de lanceurs. Nous devons faire l’effort d’essayer de repenser l’accès à l’espace en Europe mais aussi l’organisation étatique et industrielle, pour revenir tous autour de la table avec des projets communs, plutôt que de partir chacun avec des projets concurrents, qui finalement nous affaiblissent à terme, plutôt que nous renforcer.

Dernier sujet sur la souveraineté, l’extraterritorialité, qui est une arme commerciale redoutable pour les Etats-Unis. Et ce d’autant que l’Europe n’a pas mis en place un système équivalent. Pourquoi l’Europe se laisse-t-elle faire ?

Il y a un sujet de culture. Les outils extraterritoriaux américains répondent à une logique de domination et de contrôle. Ce qui est d’ailleurs déplaisant pour nous lorsque nous y sommes soumis car ces outils sont contraignants à gérer.. Ce n’est pas la logique européenne. Est-ce qu’on veut mettre en place des outils extraterritoriaux de même nature en Europe ? Il faudra d’abord se mettre d’accord sur une réponse à 27,, ce qui risque d’être difficile étant donné la complexité du sujet.

Et la Chine ?

La Chine a plus de volonté et de capacités que l’Europe à mettre en place ce type d’outils. Elle est d’ailleurs en train de monter en puissance pour mettre en œuvre de telles règles afin de contrer la domination américaine dans ce domaine. Si l’Europe se retrouve seule face à ces grands blocs, sans outil de même nature, cela pourrait affaiblir les industriels européens. L’Europe doit être beaucoup plus déterminée dans son ambition à mettre en place des réponses pour contrer ces outils extraterritoriaux américains et demain chinois.

En matière de transition environnementale, le secteur s’est engagé dans le pari d’atteindre le « zéro émission nette » en 2050. C’est un marathon à mener à la vitesse d’un sprint. Pour y arriver, peut-on toujours rêver d’un avion moyen-courrier « zéro émission » propulsé à l’hydrogène en 2035 ?

La réponse est oui ! Mais je vais élaborer un peu. Tout ne repose pas sur l’avion à hydrogène. Chez Airbus, nous visons la mise en production et l’entrée en service d’un avion en hydrogène en 2035, mais si nous regardons l’impact de l’avion à hydrogène en 2050 sur les émissions de carbone de l’ensemble de l’aviation, il sera encore très limité. L’hydrogène est la technologie de la deuxième moitié du siècle. Nous en aurons besoin, car la décarbonation passe un jalon important en 2050 mais ne s’arrête pas là. Il faut que cela continue par la suite, avec des solutions plus efficaces d’un point de vue énergétique que celles mises en place face à l’urgence climatique.

Est-ce que le gel des choix techniques pour cet avion zéro émission est toujours prévu en 2025 ?

Nous sommes dans une phase extrêmement active sur les essais, les validations, les solutions concurrentes sur chacun des sujets, de manière à être sûr d’avoir au moins une solution qui fonctionne bien. Nous ferons le tri au fur et à mesure des résultats des essais. Notre objectif est de finir le développement des technologies pour 2025, puis de geler la configuration du projet aux alentours de 2027, pour enclencher le programme en 2028 et entrer en service en 2035. Nous sommes sur cette feuille de route et elle tient.

Quels sont les autres leviers pour appuyer cette transition environnementale ?

J’aime rappeler que nous avons plusieurs volets importants dans la décarbonation. Le premier, c’est de réduire la consommation des avions. Sur les 24.000 avions commerciaux qui volent dans le monde, environ 20% seulement sont des appareils de dernière génération. Or, nous savons qu’il y a une énorme réduction de consommation de carburant entre la dernière génération et la précédente, de l’ordre de 20 à 40%. Le deuxième, c’est que ces avions sont déjà certifiés pour utiliser 50% de « sustainable aviation fuel » (SAF, carburant aérien durable). Des carburants décarbonés à 90% par rapport au kérosène. Or, nous n’en utilisons qu’une toute petite fraction. Il est urgent de développer ces filières SAF, pour augmenter la part de carburant décarboné pour l’aviation. Patrick Pouyanné (le PDG de TotalEnergies, qui intervenait également au Paris Air Forum, NDLR) a donné un chiffre : 300.000 tonnes produites par an (en France, NDLR) à l’horizon 2030. Nous sommes sur la bonne voie et il faut accélérer très fortement.
Sur le long courrier, nous ne voyons pas encore comment nous allons faire un avion à hydrogène. Nous aurons besoin des solutions SAF, puis 100% SAF à l’horizon 2050, voire 2030. Des SAF qui ne seront pas les biocarburants d’aujourd’hui, mais des carburants de synthèse produits avec de l’énergie décarbonée, du captage de carbone, de l’hydrogène vert… Toutes les chaînes énergétiques sont à mettre en place. Le sujet est avant tout énergétique.

Peut-on imaginer se retrouver avec un successeur de l’A320 NEO qui ne soit pas à hydrogène, en parallèle de l’avion zéro émission ?

Il y a plusieurs façons de remplacer l’A320, qui est un avion couteau suisse, qui va du court courrier jusqu’au long courrier avec le XLR (version à long rayon d’action de l’A321 NEO, NDLR). Il est peu probable que nous remplacions tout cela en une fois. Il y aura plusieurs solutions technologiques différentes pour adresser les différents segments. Nous pensons que l’entrée en service de l’avion à hydrogène commencera sur le bas du segment, en court et moyen-courrier, avec des avions de petite taille au rayon d’action relativement limité. Mais cela correspond à une grande partie des vols commerciaux. Il y a plusieurs raisons à cela. La fourniture de l’hydrogène et les écosystèmes vont être régionaux, nationaux voire un peu plus. Aller très loin avec un avion à hydrogène, c’est courir le risque d’arriver dans un aéroport où il n’y en a pas. Ce n’est pas acceptable. Et comme la taille des investissements est proportionnelle à celle des avions, nous souhaitons en premier lieu investir dans un avion à hydrogène de taille modérée.

Aux Etats-Unis l’option hydrogène semble moins avancée. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de se retrouver avec des choix technologiques très différents sur un même segment ?

Je ne partage pas votre observation sur le fait que les Etats-Unis appuient moins sur la pédale de l’accélérateur pour l’hydrogène. Ce qui est sûr, c’est que notre concurrent principal (Boeing, NDLR) voit cela arriver plus tard que nous. Mais l’écosystème hydrogène se développe aussi à grande vitesse aux Etats-Unis. Nous voyons des projets de décarbonation aller très vite, car il y a plus d’argent et une très grande conscience environnementale aux Etats-Unis. L’hydrogène n’est pas uniquement unsujet européen. Mais la conclusion reste vraie, il faut que nous avancions de façon à avoir un écosystème assez large pour que l’avion à hydrogène puisse être un avion mondial. Il y a là un gros sujet de réglementation.

L’accès à l’énergie décarbonée va être stratégique. Quelle doit être la place de l’aéronautique dans cet accès à l’énergie décarbonée ?

On ne se pose pas la question de savoir quel secteur a le droit d’acheter du pétrole ou du gaz. Il y a une logique de marché qui permet de réguler beaucoup de choses avec des forces économiques. L’avantage de la régulation par le marché, c’est que cela va à l’endroit où c’est le plus efficace, où la valeur créée est la plus importante. Il y aura un sujet de distribution de l’énergie. C’est pour cela qu’on parle de transition énergétique. Il est important de ne pas couper pétrole et gaz tout de suite, sans quoi nous aurons une course effrénée et désorganisée pour mettre la main sur ces énergies décarbonées.

Il y a un chiffre que j’aime bien citer : si l’énergie utilisée par les êtres humains en 2020, c’est 100 %, dans un monde décarboné, l’énergie dont on aura besoin en 2050, ce sera 250%. Les besoins en énergie augmentent sous l’effet de la démographie, de l’accès à l’énergie de populations qui sortent de la pauvreté. Mais les besoins augmentent aussi car les énergies décarbonées sont moins efficaces que les énergies fossiles. C’est vrai pour tous les secteurs. Aujourd’hui, sur les 100%, il n’y a que 20% d’énergie décarbonée. Ce sont ces 20% qui doivent devenir 250% en 30 ans. Le défi est donc de multiplier par 12 la quantité d’énergie décarbonée produite sur Terre pour répondre aux besoins de l’humanité en 2050.

L’aviation n’est pas un secteur qui va créer une rupture, un déséquilibre, sur la répartition de l’énergie. Nous allons puiser dans les ressources d’énergies décarbonées très graduellement, avec une transition progressive à travers des avions qui consomment moins, les SAF, puis l’hydrogène.

Il va donc falloir développer beaucoup de technologies différentes et mettre en place des écosystèmes complets en parallèle. Willie Walsh, directeur général de l’IATA disait que le coût de la transition énergétique était de l’ordre de 2.000 milliards de dollars d’ici 2050. Est-ce que l’industrie va pouvoir financer tout cela de front pour arriver au zéro émission nette ?

Aujourd’hui, ce qui est devant nous c’est avant tout une transition énergétique. Pour nous mais aussi pour les autres secteurs. Ce qui est intéressant et récent, c’est que les grands financiers de la planète ont envie d’aller investir sur la transition énergétique. Ils sont prêts. Il va y avoir de l’argent et de plus en plus de projets. Il va falloir que ce secteur investisse et il a besoin de retrouver une santé financière pour en être capable. C’est pourquoi nous prêchons énormément pour aller vers des encouragements, des incitations, plutôt que vers des taxes, des punitions, des solutions qui nous ralentissent. Il faut accélérer, pas ralentir.

Dans le cadre du « Fit for 55″, le pacte vert mis en place par l’Union européenne, est-ce qu’il n’y a pas un risque si l’aviation n’entre pas dans la taxonomie verte ?

« Fit for 55″ comprend plusieurs volets qui s’appliquent à l’aviation. Certains nous plaisent, d’autres beaucoup moins. Le sujet est de trouver les bons moyens pour réaliser cette transition. Tout le monde essaie, avec des dogmatismes, des visions différentes. Nous ne sommes pas au paquet législatif optimum. Mais, nous avons quand même un paquet qui tente de rendre possible la transformation de l’aviation avec l’utilisation des SAF avec un mandat d’incorporation à 5% en 2030. Nous pensons qu’il aurait dû être à 10%, ce qui aurait été atteignable et bien meilleur en termes de trajectoire pour être entièrement décarboné en 2050. Et nous voyons les taxes européennes arriver sur les carburants. Cela ne va pas aider les compagnies européennes à être en bonne santé pour réaliser les investissements dont elles ont besoin. Il y a un mix avec des choses bonnes et moins bonnes.

Vous seriez favorable à un système de subventions comme aux Etats-Unis ?

Je pense qu’un système de subventions, d’aides, d’incitations, est beaucoup plus fort. On fait beaucoup plus bouger les gens par l’envie, par la motivation, que par l’empêchement. Dans l’aviation, je vois que les Etats-Unis accélèrent très fortement, sous l’effet de l’encouragement de l’esprit d’entreprise, des projets qui vont gagner de l’argent, alors qu’en Europe on essaye de mettre le frein. Malheureusement, on utilise beaucoup le bâton en Europe et la carotte aux Etats-Unis. C’est dommage. Nous risquons de voir ces derniers accélérer beaucoup plus vite que nous, alors que l’Europe avait un avantage compétitif avec une conscience environnementale plus forte.

En l’absence de ces subventions, comment faire pour déverrouiller la mise en place de l’écosystème SAF ?

Il aurait fallu un mandat à 10%. Mais nous sommes déjà contents des 5%. C’est le verre à moitié plein. Mais nous voyons aussi beaucoup de compagnies aériennes prendre conscience que si elles ne s’y mettent pas elles-mêmes, à un moment donné, ce ne sera plus acceptable. Nous allons y arriver parce qu’elles se mettent au boulot et prennent des engagements. C’est très positif. Et une fois que la demande est là, l’offre va venir. Si Patrick Pouyanné dit qu’il va faire 300.000 tonnes de SAF, c’est parce qu’il pense qu’il va les vendre. Il ne les fait pas juste pour les produire. Il y a des acheteurs. Il y a une demande venue de gens qui veulent voler en étant très respectueux de la planète. ll faut que ce que nous leur apportions des solutions et que ce que nous faisons soit visible.

On avait l’impression qu’avec la guerre en Ukraine le projet de taxonomie avait été rangé au fond d’un tiroir. Mais finalement, même s’il a été semble-t-il largement amendé, il reste toujours un véritable problème pour l’industrie de défense, qui aura dû mal à l’avenir à se faire financer. D’autant que le groupe de travail sur la taxonomie continue de travailler et n’a pas été dissous. Comment l’industrie de défense va-t-elle se sortir de ce piège ?

Nous avons été parmi les premiers à pointer du doigt les incohérences en Europe sur ce sujet. Il faut toutefois regarder ce dossier avec prudence. L’agression russe sur l’Ukraine a fait prendre conscience à beaucoup de gens qu’il fallait avoir un outil de défense et de sécurité et être capable de le financer. Cela a rappelé les fondamentaux. Pour autant, la taxonomie environnementale et sociale continue d’avancer. D’ailleurs, il y a beaucoup de points très positifs dans les sujets traités. Je ne veux pas rejeter en bloc la démarche, qui est de trouver des mécanismes encourageant la transformation environnementale et sociale. Mais je pense qu’on a commis une erreur sur la compréhension fondamentale du rôle de la défense. La défense devrait être encouragée, au titre de la taxonomie sociale. Parce qu’un système de défense efficace prévient les conflits, assure la paix et donc la prospérité et permet d’avoir la capacité de financer tout ce qu’il y a à financer. Il faudrait au contraire encourager le financement des activités de défense et de sécurité. Mais il y a beaucoup de points de vue très différents en Europe sur ce qu’est la défense, comment contrôler que les armements développés pour nos forces armées ne tombent dans de mauvaises mains. C’est un sujet sur lequel il faut qu’on continue à travailler. Oui, les armements du futur sont dangereux. Il faut en assurer un très bon contrôle, veiller à ce qu’ils contribuent à la paix et pas à la déstabilisation du monde. C’est toujours plus facile de croire qu’on est mieux sans armement. C’est plus simple. Malheureusement, on vient de voir que cela ne marche pas.

Avez-vous par ailleurs senti une volonté de la part du système bancaire européen de ne plus vouloir financer l’achat d’avions pour des raisons de transition environnementale ?

Dans le civil, ce n’est pas une tendance significative. On l’a vu dans le domaine de la défense arriver par l’est et le nord de l’Europe mais aussi par l’Allemagne. Cela s’est beaucoup calmé depuis le début de la guerre avec l’Ukraine. Nous avions déjà beaucoup commencé à travailler, à expliquer et nous avions un système financier assez à l’écoute de nos arguments. Il était également attentif à l’utilisation des armements dans le cadre des exportations. Aujourd’hui, je ne vois pas l’équivalent dans le domaine de l’aviation commerciale. Pendant le Covid, nous n’avons pas eu de problème pour obtenir des financements pour les ventes d’avion. Il y a une conscience très forte que l’aviation à un avenir. C’est le seul moyen de transport qui n’a pas besoin de détruire les écosystèmes au sol qu’on prétend protéger en s’affranchissant de l’aérien. Mais le sujet du carbone reste capital.. On a réussi à convaincre que nous prenions ce sujet sérieusement et que nous avions des solutions pour le régler. A partir de là, nous trouvons des solutions pour financer les achats d’avions.

Société- L’intelligence sociale : clés de l’avenir ?

Société- L’intelligence sociale : clés de l’avenir ?

 

l’intelligence sociale, clé de la performance durable par Jean-François Chantaraud (L’odissé, dans la Tribune)

  • Tribune

La performance d’une organisation dépend de sa capacité à trouver et mettre en œuvre le plus vite possible les solutions les meilleures possibles à ses problèmes les plus importants. Si l’innovation est indispensable, elle ne suffit pas : elle doit s’accompagner d’une faculté collective d’appropriation des meilleures idées.

Un seul saut qualitatif est nécessaire pour fonder une entreprise, un parti politique ou encore un état. Or, celui qui n’avance pas recule : pour durer, il faut donc continuer à inventer par-delà la phase de création. Ainsi, le créateur qui ne se satisfait pas d’avoir créé et qui souhaite inscrire sa réussite dans le temps doit se réinventer encore et encore afin de toujours faire mieux.

L’innovation, facteur de perturbations

Bien sûr, trouver de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes dépend de la capacité d’innovation. Mais innover ne consiste pas seulement à détecter et mettre au point de nouvelles idées. Car si l’on veut qu’une grande quantité d’acteurs soient en accord avec leur mise en œuvre, voire qu’ils les mettent eux-mêmes en pratique, il faut qu’ils les adoptent au point de rejeter leurs anciennes habitudes. Or, plus une innovation est innovante, plus elle bouleverse l’ordre établi. Et plus elle est perturbante, plus il est difficile de l’accepter. La performance d’une organisation dépend donc de sa capacité à impliquer ses interlocuteurs dans la définition et la mise en œuvre de ses projets.

Pour réussir à se transformer, un collectif doit donc savoir sélectionner et s’emparer des perturbations qui ont le plus de chances de l’impacter pour son bien. Et inversement, il lui faut savoir rejeter celles qui pourraient le tirer vers le bas. Sachant qu’aucune boule de cristal ne fonctionne, comment faire le tri et choisir… ? Et, plus difficile encore : sachant que les prismes varient d’une personne à l’autre, comment choisir ensemble et ne pas se disperser … ?

 

Les sources d’inertie sociale

Les freins à l’innovation sont peu maîtrisés. Si le choix de faire obstacle peut être conscient, les raisons profondes de s’opposer sont rarement bien disséquées et toutes comprises. Les résistances au changement résident dans des phénomènes sociologiques enchevêtrés, difficiles à appréhender et dont la mise en œuvre parfaite relève de l’impossible surhumain :

  • Le paradigme : dans une vision du monde incomplète ou dépassée, toute idée nouvelle ne trouve sa place que par hasard. Or, qui peut porter un regard éclairé sur la complexité du monde en mouvement ?
  • L’identité collective : un éthos fragmentaire interdit de trouver ce qui correspond vraiment à la fois à son présent, son passé et son futur. Or, qui se connait ou point de maîtriser son destin ?
  • Les valeurs : un système de valeurs non partagé produit des réponses différentes à une même question, des projets divergents au sein d’un même groupe. Or, qui sait formuler les problèmes au point de faire toujours émerger une solution unique ?
  • Les structures : des vecteurs de liens incompatibles entre eux compliquent, voire interdisent l’intégration des cas particuliers que sont toujours les pionniers. Qui sait installer une organisation valide en toutes circonstances ?
  • La dynamique : des engrenages sociaux auto entretenus parasitent en cachette les relations au point d’obstruer une partie de l’entendement. Qui sait réajuster en continu les équilibres entre le formel et l’informel, le dit et le non-dit ?
  • Le sens : des contresens entre le déclaratif d’une vision théorique et le ressenti d’un vécu en pratique enrayent l’esprit critique et la faculté d’évaluer toute nouveauté. Qui sait conjuguer sans erreur le souhaitable et le possible ?
  • Les comportements : des relations pas toujours adultes avec tout le monde engendrent des réactions parfois irresponsables. Qui contrôle les mécanismes d’interaction au point de parvenir à ce que tout le monde s’entende ?
  • Le contrat social : une sélection mal définie et donc aléatoire des acteurs, pratiques et projets donne du pouvoir à des personnes qui se servent plutôt qu’elles ne servent. Qui sait transcender tous les intérêts particuliers dans l’intérêt général ?

Chacun de ces éléments est une source de freins qui active l’enchainement des autres. Le collectif est alors ralenti, voire empêché par l’une quelconque de ses diverses parties prenantes, puis par toutes, embarquées qu’elles sont dans une même interaction globale que personne ne contrôle. L’absorption collective des idées nouvelles devient alors de plus en plus compliquée. L’ensemble parait n’être plus qu’une foule ivre, incapable d’éclairer ses décisions pour vraiment maîtriser son destin. Ceux qui ne se résolvent pas à prendre acte de cette logique sociale pensent que quelques-uns dirigent le bateau en secret, alors qu’ils ne font qu’essayer de sauver leurs propres meubles. Pour eux, des conspirateurs manipulent la société, alors qu’elle évolue d’elle-même, au gré des événements vaguement intuités et anticipés par certains.

 

Mais, dans les sphères économique, politique ou sociale, tout manager expérimenté a pu mesurer la prégnance de ces phénomènes. Pour la plupart, ces obstacles épars peuvent sembler insurmontables. Pourtant, il est possible d’éclairer à la fois les blocages à l’œuvre et les orientations souhaitables. C’est la maîtrise des Modèles de l’intelligence sociale © qui accélère le repérage des causes de blocages et des leviers de la transformation positive :

  • La Grille d’analyse du lien social définit le fonctionnement des acteurs, des systèmes et des jeux d’acteurs.

➔ Échelle de la complexité et boussole de renforcement des performances futures.

  • Les 9 principes fondamentaux du dialogue organisent les modalités des interactions sociales propices au partage organisé de l’information.

➔ Clés du développement de comportements adultes, responsables, solidaires.

  • La Cohérence globale du sens concilie et aligne le sens souhaitable et le sens possible.

➔ Correctifs prioritaires pour développer l’adhésion au quotidien.

  • Les spirales sociales accordent les structures organisationnelles et les réflexes culturels.

➔ Détection des leviers d’une dynamique de transformation vertueuse.

  • Le Management de l’Organisation par l’Identité (M.O.I) optimise tous les vecteurs de liens avec les acteurs internes pour faire converger leurs énergies.

➔ Concordance méthodique de la gestion des ressources humaines.

  • Le Partage des valeurs fonde l’implication de chaque partie prenante dans des projets convergents.

➔ Clefs d’implication de tous dans un projet commun global.

  • La Grille d’analyse de l’identité collective établit l’éthos qui rattache les codes relationnels, les liens au territoire, le parcours historique et le projet collectif.

➔ Réécrire le récit, le narratif qui conjugue la vision et le réel.

  • L’apogée des sociétés révèle l’état de maturité du contrat social, du profil des dirigeants, de la gouvernance, du lien social et des performances.

➔ Paradigme de renouvellement de l’ensemble.

Tous corrélés par une déclinaison thématique de l’échelle de la complexité, ces modèles favorisent le dépistage des sources de discordances et la localisation des leviers de performance à long terme.

 

Ce corpus intellectuel et opérationnel constitue l’intelligence sociale, clé de la connaissance et de l’activation du lien social au service de la recherche de l’intérêt collectif et général.

L’intelligence sociale, comment ça marche ?

L’intelligence sociale s’appuie sur la reconnaissance de l’existence des mécanismes psychologiques, sociologiques, ethnologiques et philosophiques qui influencent à bas bruit, en positif ou négatif, toutes les relations sociales. Les Modèles de l’intelligence sociale organisent l’étude et la maîtrise des phénomènes relationnels au sein d’un collectif et entre des groupes :

  • Recense et décomposer les forces et les faiblesses des personnes, des organisations et des liens qu’elles entretiennent, leur histoire, leur nature et leur qualité afin de donner un schéma et des clés de compréhension de leur fonctionnement.
  • Structurer l’effort de découverte, de compréhension et d’appropriation des racines et des mécanismes de développement de la cohésion sociale et de la performance globale. Sa maîtrise permet d’adopter comme mode opératoire le dialogue continu et la réflexion collective.
  • Prendre en compte les caractéristiques individuelles ou propres à un groupe, en dissociant les enjeux un à un.
  • Définir et proposer les opérations correctives des modes relationnels, organisationnels et de gouvernance qui permettent de tisser des liens durables, cohérents et convergents entre toutes les parties prenantes et interlocuteurs passés, présents et futurs,

L’intelligence sociale, à quoi ça sert ?

In fine, appliquer les Modèles de l’intelligence sociale consiste à réunir les conditions de l’engagement des énergies dans une projet commun à long terme :

  • Identifier la cause et les processus spécifiques de transformation.de comportements différenciés ;
  • Repérer, analyser et renforcer les savoir-être ensemble des personnes physiques et morales ;
  • Développer la créativité, l’innovation, l’adhésion, la motivation, l’engagement ;
  • Asseoir une culture de responsabilité et de solidarité économique et sociale ;
  • Projeter les acteurs dans un développement vraiment durable, tant sur les plans individuel, collectif et planétaire ;
  • Développer les performances personnelles et collectives à long terme.

 

L’intelligence sociale, le nouvel enjeu économique, politique et social

Dans la société et dans l’entreprise, l’enjeu économique et politique devient donc la maîtrise de tous au profit de tous : c’est l’intelligence sociale d’une personne ou d’un groupe de personnes qui maintien et développe simultanément la cohésion sociale et la performance durable.

L’absence d’intelligence sociale est la cause profonde de la contre-performance durable, de l’affaissement, de la disparition. Il est temps de changer de profil de dirigeant : le plus apte n’est pas le plus grand expert, qui détient seul les solutions, mais celui ou celle qui sait faire accoucher les meilleures solutions par l’ensemble du corps social. L’intelligence sociale est la clé de la Renaissance, du Rassemblement, de l’Union ou de la Reconquête, comme de toute les organisations politiques, économiques et sociales.

_____

NOTES

(*)  L’Odissée, l’Organisation du Dialogue et de l’Intelligence Sociale dans la Société Et l’Entreprise, est un organisme bicéphale composé d’un centre de conseil et recherche (l’Odis) et d’une ONG reconnue d’Intérêt général (les Amis de l’Odissée) dont l’objet consiste à « Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde ».

Depuis 1990, l’Odissée conduit l’étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l’Entreprise, la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l’a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d’auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l’intérieur des entreprises.

L’intelligence sociale : clés de l’avenir ?

L’intelligence sociale : clés de l’avenir ?

 

l’intelligence sociale, clé de la performance durable par Jean-François Chantaraud (L’odissé, dans la Tribune)

  • Tribune

La performance d’une organisation dépend de sa capacité à trouver et mettre en œuvre le plus vite possible les solutions les meilleures possibles à ses problèmes les plus importants. Si l’innovation est indispensable, elle ne suffit pas : elle doit s’accompagner d’une faculté collective d’appropriation des meilleures idées.

Un seul saut qualitatif est nécessaire pour fonder une entreprise, un parti politique ou encore un état. Or, celui qui n’avance pas recule : pour durer, il faut donc continuer à inventer par-delà la phase de création. Ainsi, le créateur qui ne se satisfait pas d’avoir créé et qui souhaite inscrire sa réussite dans le temps doit se réinventer encore et encore afin de toujours faire mieux.

L’innovation, facteur de perturbations

Bien sûr, trouver de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes dépend de la capacité d’innovation. Mais innover ne consiste pas seulement à détecter et mettre au point de nouvelles idées. Car si l’on veut qu’une grande quantité d’acteurs soient en accord avec leur mise en œuvre, voire qu’ils les mettent eux-mêmes en pratique, il faut qu’ils les adoptent au point de rejeter leurs anciennes habitudes. Or, plus une innovation est innovante, plus elle bouleverse l’ordre établi. Et plus elle est perturbante, plus il est difficile de l’accepter. La performance d’une organisation dépend donc de sa capacité à impliquer ses interlocuteurs dans la définition et la mise en œuvre de ses projets.

Pour réussir à se transformer, un collectif doit donc savoir sélectionner et s’emparer des perturbations qui ont le plus de chances de l’impacter pour son bien. Et inversement, il lui faut savoir rejeter celles qui pourraient le tirer vers le bas. Sachant qu’aucune boule de cristal ne fonctionne, comment faire le tri et choisir… ? Et, plus difficile encore : sachant que les prismes varient d’une personne à l’autre, comment choisir ensemble et ne pas se disperser … ?

 

Les sources d’inertie sociale

Les freins à l’innovation sont peu maîtrisés. Si le choix de faire obstacle peut être conscient, les raisons profondes de s’opposer sont rarement bien disséquées et toutes comprises. Les résistances au changement résident dans des phénomènes sociologiques enchevêtrés, difficiles à appréhender et dont la mise en œuvre parfaite relève de l’impossible surhumain :

  • Le paradigme : dans une vision du monde incomplète ou dépassée, toute idée nouvelle ne trouve sa place que par hasard. Or, qui peut porter un regard éclairé sur la complexité du monde en mouvement ?
  • L’identité collective : un éthos fragmentaire interdit de trouver ce qui correspond vraiment à la fois à son présent, son passé et son futur. Or, qui se connait ou point de maîtriser son destin ?
  • Les valeurs : un système de valeurs non partagé produit des réponses différentes à une même question, des projets divergents au sein d’un même groupe. Or, qui sait formuler les problèmes au point de faire toujours émerger une solution unique ?
  • Les structures : des vecteurs de liens incompatibles entre eux compliquent, voire interdisent l’intégration des cas particuliers que sont toujours les pionniers. Qui sait installer une organisation valide en toutes circonstances ?
  • La dynamique : des engrenages sociaux auto entretenus parasitent en cachette les relations au point d’obstruer une partie de l’entendement. Qui sait réajuster en continu les équilibres entre le formel et l’informel, le dit et le non-dit ?
  • Le sens : des contresens entre le déclaratif d’une vision théorique et le ressenti d’un vécu en pratique enrayent l’esprit critique et la faculté d’évaluer toute nouveauté. Qui sait conjuguer sans erreur le souhaitable et le possible ?
  • Les comportements : des relations pas toujours adultes avec tout le monde engendrent des réactions parfois irresponsables. Qui contrôle les mécanismes d’interaction au point de parvenir à ce que tout le monde s’entende ?
  • Le contrat social : une sélection mal définie et donc aléatoire des acteurs, pratiques et projets donne du pouvoir à des personnes qui se servent plutôt qu’elles ne servent. Qui sait transcender tous les intérêts particuliers dans l’intérêt général ?

Chacun de ces éléments est une source de freins qui active l’enchainement des autres. Le collectif est alors ralenti, voire empêché par l’une quelconque de ses diverses parties prenantes, puis par toutes, embarquées qu’elles sont dans une même interaction globale que personne ne contrôle. L’absorption collective des idées nouvelles devient alors de plus en plus compliquée. L’ensemble parait n’être plus qu’une foule ivre, incapable d’éclairer ses décisions pour vraiment maîtriser son destin. Ceux qui ne se résolvent pas à prendre acte de cette logique sociale pensent que quelques-uns dirigent le bateau en secret, alors qu’ils ne font qu’essayer de sauver leurs propres meubles. Pour eux, des conspirateurs manipulent la société, alors qu’elle évolue d’elle-même, au gré des événements vaguement intuités et anticipés par certains.

 

Mais, dans les sphères économique, politique ou sociale, tout manager expérimenté a pu mesurer la prégnance de ces phénomènes. Pour la plupart, ces obstacles épars peuvent sembler insurmontables. Pourtant, il est possible d’éclairer à la fois les blocages à l’œuvre et les orientations souhaitables. C’est la maîtrise des Modèles de l’intelligence sociale © qui accélère le repérage des causes de blocages et des leviers de la transformation positive :

  • La Grille d’analyse du lien social définit le fonctionnement des acteurs, des systèmes et des jeux d’acteurs.

➔ Échelle de la complexité et boussole de renforcement des performances futures.

  • Les 9 principes fondamentaux du dialogue organisent les modalités des interactions sociales propices au partage organisé de l’information.

➔ Clés du développement de comportements adultes, responsables, solidaires.

  • La Cohérence globale du sens concilie et aligne le sens souhaitable et le sens possible.

➔ Correctifs prioritaires pour développer l’adhésion au quotidien.

  • Les spirales sociales accordent les structures organisationnelles et les réflexes culturels.

➔ Détection des leviers d’une dynamique de transformation vertueuse.

  • Le Management de l’Organisation par l’Identité (M.O.I) optimise tous les vecteurs de liens avec les acteurs internes pour faire converger leurs énergies.

➔ Concordance méthodique de la gestion des ressources humaines.

  • Le Partage des valeurs fonde l’implication de chaque partie prenante dans des projets convergents.

➔ Clefs d’implication de tous dans un projet commun global.

  • La Grille d’analyse de l’identité collective établit l’éthos qui rattache les codes relationnels, les liens au territoire, le parcours historique et le projet collectif.

➔ Réécrire le récit, le narratif qui conjugue la vision et le réel.

  • L’apogée des sociétés révèle l’état de maturité du contrat social, du profil des dirigeants, de la gouvernance, du lien social et des performances.

➔ Paradigme de renouvellement de l’ensemble.

Tous corrélés par une déclinaison thématique de l’échelle de la complexité, ces modèles favorisent le dépistage des sources de discordances et la localisation des leviers de performance à long terme.

 

Ce corpus intellectuel et opérationnel constitue l’intelligence sociale, clé de la connaissance et de l’activation du lien social au service de la recherche de l’intérêt collectif et général.

L’intelligence sociale, comment ça marche ?

L’intelligence sociale s’appuie sur la reconnaissance de l’existence des mécanismes psychologiques, sociologiques, ethnologiques et philosophiques qui influencent à bas bruit, en positif ou négatif, toutes les relations sociales. Les Modèles de l’intelligence sociale organisent l’étude et la maîtrise des phénomènes relationnels au sein d’un collectif et entre des groupes :

  • Recense et décomposer les forces et les faiblesses des personnes, des organisations et des liens qu’elles entretiennent, leur histoire, leur nature et leur qualité afin de donner un schéma et des clés de compréhension de leur fonctionnement.
  • Structurer l’effort de découverte, de compréhension et d’appropriation des racines et des mécanismes de développement de la cohésion sociale et de la performance globale. Sa maîtrise permet d’adopter comme mode opératoire le dialogue continu et la réflexion collective.
  • Prendre en compte les caractéristiques individuelles ou propres à un groupe, en dissociant les enjeux un à un.
  • Définir et proposer les opérations correctives des modes relationnels, organisationnels et de gouvernance qui permettent de tisser des liens durables, cohérents et convergents entre toutes les parties prenantes et interlocuteurs passés, présents et futurs,

L’intelligence sociale, à quoi ça sert ?

In fine, appliquer les Modèles de l’intelligence sociale consiste à réunir les conditions de l’engagement des énergies dans une projet commun à long terme :

  • Identifier la cause et les processus spécifiques de transformation.de comportements différenciés ;
  • Repérer, analyser et renforcer les savoir-être ensemble des personnes physiques et morales ;
  • Développer la créativité, l’innovation, l’adhésion, la motivation, l’engagement ;
  • Asseoir une culture de responsabilité et de solidarité économique et sociale ;
  • Projeter les acteurs dans un développement vraiment durable, tant sur les plans individuel, collectif et planétaire ;
  • Développer les performances personnelles et collectives à long terme.

 

L’intelligence sociale, le nouvel enjeu économique, politique et social

Dans la société et dans l’entreprise, l’enjeu économique et politique devient donc la maîtrise de tous au profit de tous : c’est l’intelligence sociale d’une personne ou d’un groupe de personnes qui maintien et développe simultanément la cohésion sociale et la performance durable.

L’absence d’intelligence sociale est la cause profonde de la contre-performance durable, de l’affaissement, de la disparition. Il est temps de changer de profil de dirigeant : le plus apte n’est pas le plus grand expert, qui détient seul les solutions, mais celui ou celle qui sait faire accoucher les meilleures solutions par l’ensemble du corps social. L’intelligence sociale est la clé de la Renaissance, du Rassemblement, de l’Union ou de la Reconquête, comme de toute les organisations politiques, économiques et sociales.

_____

NOTES

(*)  L’Odissée, l’Organisation du Dialogue et de l’Intelligence Sociale dans la Société Et l’Entreprise, est un organisme bicéphale composé d’un centre de conseil et recherche (l’Odis) et d’une ONG reconnue d’Intérêt général (les Amis de l’Odissée) dont l’objet consiste à « Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde ».

Depuis 1990, l’Odissée conduit l’étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l’Entreprise, la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l’a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d’auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l’intérieur des entreprises.

 

Prospective. L’avenir de la France face aux crises

Prospective. L’avenir de la France face aux crises

Des événements de diverses natures ont entraîné des conséquences géopolitiques bien au-delà de leur perception par leurs contemporains ( article de André Yché dans la Tribune)

En remportant la bataille de Chéronée en 338 avant JC, Philippe II de Macédoine assure la domination de son pays sur la Grèce et prépare l’entreprise conquérante d’Alexandre le Grand qui, pénétrant en Orient jusqu’en Asie Centrale et en Inde, ouvre les « routes de la soie ».

De même, la peste de Justinien, au milieu du VIème siècle, en décimant les armées byzantines engagées dans la reconquête de l’Italie, met un terme à l’ultime tentative de réunification de l’Empire romain et, de fait, scelle le sort, à terme, de l’Empire byzantin.

Les batailles de Chesapeake Bay et de Yorktown, en 1781, remportées par de Grasse et Rochambeau, ouvrent la voie à l’indépendance américaine et jouent un rôle déterminant dans l’Histoire mondiale du XXe siècle.

La bataille de Sadowa, qui accélère le déclin de l’Empire austro-hongrois, marque le début de l’hégémonie prussienne en Europe centrale, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.

Enfin, la crise de 1929 n’est surmontée qu’à partir du moment où les Etats-Unis s’engagent dans une politique de réarmement, d’abord au profit des démocraties européennes, puis pour leur compte propre à partir du 8 décembre 1941. Pour soixante-dix ans, la doctrine Monroe est mise entre parenthèses et l’Amérique renonce à son isolationnisme traditionnel. Jusqu’à quand ?

En même temps, la dimension géopolitique de l’Histoire se heurte constamment aux réalités territoriales, aux ancrages nationaux, à l’enracinement des Hommes qui tressent un lien indissoluble entre histoire et géographie.

C’est ainsi que tout au long du premier tiers du XVe siècle, le grand empereur chinois, Yongle, parraine les expéditions maritimes de Zheng He, afin d’ouvrir le monde à la Chine : l’océan Indien, les côtes de l’Afrique de l’Est, la mer Rouge, jusqu’en Egypte. Mais l’agitation turco-mongole sur les frontières du nord impose le recentrage de l’effort budgétaire sur la restauration de la Grande Muraille et, pour protéger le Hebei, l’Empire céleste se détourne durablement du « Grand Large ».

Au cours du dernier tiers du XIXème siècle, alors que monte en Angleterre un courant en faveur du libre-échange qui ouvre le monde entier à la City, porté par l’aristocratie foncière reconvertie dans la finance après l’abrogation des lois protectionnistes sur le blé (« Corn Laws ») par Robert Peel en 1846, une forte opposition se fait jour, conduite aux Communes par Benjamin Disraeli. Derrière ce courant protectionniste, les intérêts portuaires britanniques sont en cause ; ils bénéficient du régime de l’« Exclusif » avec l’Empire qui alimente les réexportations vers le continent. L’entreprise coloniale, ce sont également, à proximité des bases navales, les arsenaux de la Navy et de l’Army qui constituent le cœur de la métallurgie anglaise.

Comme aux Etats-Unis et en France aujourd’hui, les Anglais sont donc en plein débat sur la protection de leur industrie, auquel s’ajoutent les polémiques entre Malthus (protectionniste) et Ricardo (libre-échangiste) sur la souveraineté alimentaire nationale.

Quels enseignements utiles faut-il tirer de ces épisodes historiques quant à l’impact probable de la crise sanitaire, économique et géopolitique que nous traversons?

La France et le Monde

L’expérience pratique de l’Antiquité grecque est celle d’un monde éclaté, dans lequel chaque Cité fixe ses lois, règle son gouvernement, décerne sa citoyenneté. Au-delà, c’est le monde barbare, qui ne parle pas grec et qui, de ce fait, n’est pas civilisé.

Pour autant, Platon n’ignore pas l’idée d’universalité : mais elle est purement intellectuelle ; elle tient dans l’aptitude de tout être humain à penser ; c’est, en quelque sorte, le « Cogito » de Descartes, avant l’heure.

L’universalisme romain ne se conçoit, juridiquement, qu’à travers l’attribution de la citoyenneté, considérablement élargie à partir de l’édit de Caracalla en 212, qui accorde la qualité de citoyen romain à tout homme libre de l’Empire.

Il n’en demeure pas moins que le véritable vecteur du concept d’universalisme réside dans le christianisme, à travers notamment la prédication de Saint Paul :

« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. »

La réalisation de ce principe soulèvera, bien sûr, maintes difficultés, y compris au sein de la communauté chrétienne et sera à l’origine de très vives tensions entre Paul et Pierre, à l’occasion de leur rencontre à Antioche. Avec la fin de l’Empire, le christianisme demeure le seul cadre porteur de valeurs universelles, ce qui ne manquera pas de susciter de nombreux conflits politiques au Moyen-Age, face à l’émergence des nations : le volet politique de la réforme grégorienne illustre, entre dogmes religieux persistants et nouvelles réalités d’un monde recomposé, une contradiction que Machiavel tranchera définitivement en laïcisant la pensée politique.

Il est nécessaire de percevoir qu’en réalité, la divergence entre principes universalistes et réalités nationales est une constante historique.

Le grand penseur de l’universalisme des Lumières est Emmanuel Kant, qui fait de l’universalité une condition essentielle de la morale : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée en loi universelle. ». Ce principe, qu’il élève au rang d’« impératif catégorique », n’est donc pas, à ses yeux, discutable. Pour autant, Kant mesure bien que concrètement, c’est la loi de l’Etat qui s’impose. Il considère que la contrainte physique que peut exercer l’Etat n’a pas d’effet durable sur la société et que ce qui compte, c’est l’obligation morale d’obéir à la loi que chaque individu perçoit intérieurement, parce qu’elle découle, précisément, d’une norme universelle.

Très belle construction intellectuelle, qui inspirera les fondateurs de la Société des Nations, de l’ONU… Mais en pratique, qu’en est-il ? Pour citer Charles Péguy :

« Kant a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, tout comme les textes fondateurs de la République américaine, s’inspirent naturellement de la philosophie kantienne, mais concrètement, la distinction est clairement établie entre ceux qui détiennent des droits subjectifs, les « citoyens », et les autres, les « hommes » qui ne peuvent exciper que de droits objectifs. Et la réalité révolutionnaire est essentiellement nationale (Valmy…) avant de devenir impérialiste, puis colonialiste : Jules Ferry est le symbole de l’ambition civilisatrice universelle de la République, quitte à transiger avec les principes de la laïcité :

« L’anticléricalisme n’est pas un produit d’exportation. »

C’est précisément par la voie de la colonisation que survient la première véritable mondialisation et, bien sûr, elle repose sur un principe d’asymétrie. L’opinion publique pense immédiatement : esclavage, commerce triangulaire. La réalité est plus complexe : c’est le régime de l’Exclusif qui assure à la métropole le monopole des échanges avec ses colonies, de telle sorte que par le biais de réexportations massives qui permettent au colonisateur de capter l’essentiel de la valeur ajoutée, l’équilibre commercial de la puissance colonisatrice est assuré. Ce modèle perdurera jusqu’en 1913 et se traduira par un poids des échanges extérieurs dans l’économie européenne qui ne sera à nouveau atteint qu’à la veille du premier choc pétrolier, au début des années 70.

Entretemps, la science économique a progressé. Le courant de pensée initial est celui des avantages comparatifs de Ricardo, décliné à travers le modèle de Heckscher- Ohlin-Samuelson qui souligne l’importance majeure de la dotation de chaque pays en facteurs de production, de telle sorte, par exemple, que l’abondance de capital aux Etats-Unis devrait conduire l’économie américaine à se spécialiser dans les produits à forte intensité capitalistique, ce qui n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, les phénomènes d’accumulation des avantages comparatifs, d’oligopoles et de dissymétrie des termes de l’échange ont conduit à l’émergence d’une critique croissante, en faveur de la réinstauration d’un certain protectionnisme.

La première question est celle des secteurs stratégiques, éléments essentiels de la souveraineté. Mais comment repenser la souveraineté à l’heure de la construction européenne ? L’industrie de défense, l’approvisionnement énergétique occupent le premier rang de ces préoccupations.

Les nanotechnologies, la santé figurent depuis longtemps parmi les priorités industrielles, aux côtés de l’électronique et des technologies de l’information. Mais quelles conséquences en tirer quant à la localisation de ces activités ? La bonne échelle ne serait-elle pas européenne ?

C’est ici qu’intervient la question de l’emploi. Par exemple, il est certain que la maîtrise de la filière du médicament est un sujet stratégique et économique majeur. Mais peut-on analyser de la même manière la fabrication de masques de protection, eu égard à la réalité de la demande en temps normal ? A ce stade de la réflexion, comme en matière énergétique avec le gaz, le pétrole et l’uranium, on voit bien que la question est plutôt celle de la sécurité, notamment politique, des sources d’approvisionnement : le conflit qui déchire l’ex-empire soviétique illustre cette réalité. D’où le problème du « sourcing » chinois, surtout s’il est exclusif. En définitive, l’arbitrage à opérer se posera en termes de maîtrise des approvisionnements qui, n’implique pas une origine nationale, et d’emplois industriels productifs, c’est-à-dire compétitifs. Au-delà, il est évident que les enjeux de pouvoir d’achat, surtout en période d’inflation et de crise des finances publiques, limiteront les ambitions en termes de relocalisation quoiqu’en disent les prophètes annonciateurs d’un « nouveau monde ».

La principale révélation de la crise globale, en pratique, est celle de la relative fragilité de la chaîne logistique, levier essentiel de la mondialisation. Et c’est sur cet aspect du problème, qui n’est pas nouveau en dépit de la propagande chinoise autour des « routes de la soie », que mérite d’être réexaminée la dimension territoriale de l’économie, en lien avec les questions stratégiques et environnementales.

Traiter d’économie territoriale, c’est, d’abord, parler des territoires et de la relation du local au national. Dans cette démarche délicate, quelques fanaux éclairent le cheminement.

Fernand Braudel, d’abord, qui ne vivra pas assez longtemps pour conclure son ouvrage de synthèse, « L’identité de la France », dont il trace néanmoins les grandes lignes : un pays de pays, morcelés par la géographie et réunis par l’Histoire ; une tension entre de multiples irrédentismes et une centralisation opérée par l’Etat, au profit de la capitale et de son rayonnement mondial, au détriment, par exemple, de Lyon, pourtant mieux situé en termes de flux d’échanges européens. Au final, Braudel ne récuse pas ce travail historique et exprime sa méfiance à l’égard de la résurgence politique des territoires. Il n’est guère décentralisateur et il rejoint, sur ce point, Michelet qui résume sa thèse : l’Histoire s’est finalement imposée à la Géographie, et c’est très bien ainsi. La référence absolue, sur la question territoriale, demeure Vidal de la Blache et son « Tableau de la géographie de la France » de 1903, dans lequel il démontre comment, à cette époque, les seules métropoles qui aient véritablement émergé sont périphériques : tous les grands ports, Strasbourg sur le Rhin… Il montre également l’importance des complémentarités entre territoires et le processus de fertilisation croisée qui en résulte, notamment sur le plan démographique : La France est « une terre qui semble faite pour absorber sa propre émigration ». Mais Vidal est un homme de l’intérieur, du continent, qui ne connaît guère les côtes océaniques et qui manque du recul de Braudel pour distinguer les failles du modèle français : la France a raté la mer et n’a acclimaté que tardivement l’industrialisation et le capitalisme parce que pour le meilleur ou pour le pire, elle a toujours été attirée par son terroir et par les frontières continentales, lieu des menaces directes pesant sur son intégrité. Que dire de plus, et qu’en déduire ?

D’abord, que la question des territoires de la République est essentiellement franco-française et n’interfère qu’indirectement et de façon relativement marginale avec les questions de « déglobalisation » et de souveraineté économique. Certes, divers centres de production peuvent être réimplantés sur le territoire national, mais leur localisation précise dépendra surtout de considérations logistiques : la concurrence entre territoires, que l’on peut pressentir, correspondrait donc à une débauche d’énergie, peu productive.

En revanche, des leviers majeurs de redynamisation territoriale existent et, indépendamment de la crise sanitaire et économique, méritent d’être actionnés.

Le premier d’entre eux est relatif au développement de l’offre d’habitat, qui deviendra un facteur d’attractivité essentiel, s’agissant notamment des key-workers, particulièrement de ceux que leur métier écarte du télétravail. Il est évident que l’offre d’habitat intermédiaire à proximité des centres hospitaliers constituera, par exemple, une priorité à réexaminer dans l’avenir. Plus généralement, la revitalisation des villes moyennes et en particulier des « cœurs de ville » passe par la création d’une offre d’habitat adaptée à des clientèles potentiellement intéressées par les aménités culturelles, mais aussi sanitaires et éducatives : l’attractivité du centre-ville conditionne l’avenir de la périphérie.

Le deuxième enjeu, puisqu’il n’existe pas véritablement de territoire autonome en regard de l’économie nationale, réside dans la connexion au marché : national, européen, mondial. Connexion numérique, d’abord, mais aussi logistique physique et, notamment, multimodale.

Le troisième enjeu est relatif à la constitution de clusters autour des établissements universitaires et, à moindre échelle, des centres de formation d’ampleur régionale, de manière à coupler recherche et production, constituant ainsi de véritables pôles d’attractivité.

Au final, il est évident que les enjeux de revitalisation des territoires revêtent une dimension essentiellement nationale et qu’il est quelque peu artificiel de les raccorder à la question de la « déglobalisation », analysée comme ressort de nombreuses « relocalisations » sur le territoire national, ce qu’elle n’est probablement pas.

Si relocalisations il doit y avoir, ce qui paraît vraisemblable, c’est à l’échelle de l’Europe et du pourtour méditerranéen qu’il faudra les concevoir. Dans cette perspective, la connexion politique et opérationnelle entre les territoires et l’Etat central revêtira une importance accrue. En conclusion, la grande erreur est d’avoir pensé le capitalisme indépendamment d’une stratégie régalienne. L’erreur symétrique serait de penser les relocalisations indépendamment des principes du capitalisme.

L’Europe, ainsi nommée par les Grecs selon la célèbre princesse phénicienne enlevée, aux dires d’Esope, par Zeus métamorphosé en taureau, n’a longtemps été qu’une réalité géographique mal connue, à l’Ouest de l’espace hellène. Plus tard, l’entité politique structurante est l’Empire romain, essentiellement méditerranéen, qui ne franchit guère le Rhin et le Danube, tandis que la chrétienté réunit Occident et Orient, le christianisme étant d’ailleurs une religion d’origine orientale. Le premier, l’Empire de Charlemagne s’inscrit brièvement dans un espace correspondant à celui de l’Europe des Six. Issue du traité de Verdun de 843, une « Francia occidentalis » séparée par l’éphémère Lotharingie de son pendant oriental, participe du démembrement de l’Occident. Le Moyen-Age ignore donc la dimension européenne, qui n’est révélée que grâce à la prise de Byzance par les Turcs en 1453. Le pape Pie II s’en inquiète en ces termes : « des querelles intestines laissent les ennemis de la Croix se déchaîner » en préambule de son traité « De Europa ».

Tandis qu’Erasme y voit, déjà, l’espace d’une possible paix perpétuelle, Charles Quint tente, contre François Ier, d’imposer l’union par la force, sans succès ; François Ier n’hésite pas à s’allier à Soleiman pour contrer ce dessein, et la flotte turque, passant un hiver à Toulon, transforme ce port en ville musulmane, peuplée de milliers de janissaires et de leurs captifs chrétiens. François Ier frise l’excommunication, avant que la flotte ottomane ne lève l’ancre pour le Levant.

Napoléon, qui tente d’unifier l’espace péninsulaire du bloc asiatique par la force et par le droit, échoue pareillement et le Congrès de Vienne institue une Sainte Alliance dont ne s’excluent volontairement, signe précurseur, que l’Angleterre et le Vatican.

Dès lors, toute construction idéaliste, comme celle de Victor Hugo, bute sur la rivalité franco-allemande, jusqu’au grandiose projet d’Aristide Briand, à la fin des années vingt, mis à bas par la crise mondiale. Et c’est Churchill, au lendemain de la guerre, qui invite les continentaux à s’unir, sans inclure, lucidement, le Royaume-Uni dans la perspective ainsi tracée.

Ainsi, toute l’histoire de l’Europe met en évidence deux faits saillants : d’abord, que l’Angleterre n’est guère concernée ; ensuite, que la réalisation du projet dépend entièrement de la configuration, naturellement conflictuelle, de l’axe franco-allemand.

Un épisode l’illustre singulièrement : à l’issue de la signature du traité de l’Elysée, en 1963, qui pose les bases du projet européen, l’entregent de Jean Monnet permet à celui-ci de faire introduire devant le Bundestag, pour sa ratification, un préambule repositionnant le traité dans une perspective atlantiste, expressément écartée par le général de Gaulle qui, furieux, évoque la possibilité d’un renversement d’alliance « avec la Russie » ! Les limites politiques du « couple » franco-allemand sont ainsi tracées.

Au fond, c’est sur ce compromis que l’Europe a progressé : un grand marché ouvert au monde libre, supervisé en matière de droit de la concurrence ; la politique agricole commune pour satisfaire la France et quelques Etats méditerranéens ; des fonds structurels pour accompagner les retardataires ; et surtout, en contrepartie d’une clientèle assurée pour l’industrie allemande, une union monétaire, assortie de règles disciplinaires strictes. Un « deal » intelligent, sans doute le meilleur que l’on puisse espérer, et qui s’avère incontestablement « gagnant-gagnant ».

A ceci près qu’une fois encore, la relation franco-allemande soulève des difficultés, non pas à cause d’un écart de compétitivité entre les deux économies, qui fluctue dans le temps, mais d’un différentiel majeur de croissance démographique qui est structurellement stable et qui condamne la France à un taux de chômage élevé, pour des niveaux de croissance équivalents. De là viennent les excédents d’une grande Suisse, les déficits d’une « petite Russie » dépourvue de richesses naturelles, hormis sa puissante agriculture. Et au final, un « spread » croissant sur les marchés financiers.

Cette situation représente-t-elle un problème ? Assurément, dans le contexte de crise globale que nous traversons. Est-il insurmontable ? Peu vraisemblablement : la France et sa dette publique ne peuvent se passer de l’euro, pas plus que l’Allemagne d’un de ses principaux clients.

Pour autant, nous ne saurions ignorer qu’à partir de son origine sanitaire, la crise revêt une dimension économique et, désormais, géopolitique.

L’Union européenne, à travers ses plans de relance et la mobilisation du système européen de banques centrales a couvert, dans des conditions relativement satisfaisantes, son champ d’intervention naturel, économique et financier, sous une réserve majeure : l’enjeu agroalimentaire, et d’abord agricole, ne saurait être abordé selon sa seule dimension écologique, qui ne peut être exclusive de son poids économique et de son impact stratégique. La France aurait beaucoup à perdre de ce cantonnement idéologique.

Ce constat renvoie à une question fondamentale : après le Brexit, l’exclusion de la Turquie et la guerre en Ukraine, l’UE offre-t-elle le cadre pertinent pour parler de sécurité européenne, alors même qu’à l’exception de la France, toutes les nations européennes (hors Grèce, Croatie et Serbie) suivent l’exemple de l’Allemagne pour se détourner de la construction d’une industrie de défense européenne, socle indispensable d’une Europe (au sens de l’UE) de la défense ? Dès lors, puisqu’il ne s’agit que de parler de capacités militaires, au sens de « second pilier de l’OTAN », est-il raisonnable de s’en tenir à un tête-à-tête avec l’Allemagne, sans intégrer le Royaume-Uni, la Suède et la Turquie dont le poids militaire est essentiel sur le théâtre européen.

La question posée est donc celle de la réactivation d’un cadre similaire à celui de l’Union de l’Europe Occidentale, qui pourrait retrouver son utilité lorsque la relance d’un processus de discussion avec la Russie, analogue à celui de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’avèrera indispensable. En l’absence d’un tel dispositif, le destin du continent européen pourrait fort bien être traité directement entre Washington et Moscou.

Prospective: L’avenir de la France face aux crises

Prospective: L’avenir de la France face aux crises

Des événements de diverses natures ont entraîné des conséquences géopolitiques bien au-delà de leur perception par leurs contemporains ( article de André Yché dans la  « Tribune »)

En remportant la bataille de Chéronée en 338 avant JC, Philippe II de Macédoine assure la domination de son pays sur la Grèce et prépare l’entreprise conquérante d’Alexandre le Grand qui, pénétrant en Orient jusqu’en Asie Centrale et en Inde, ouvre les « routes de la soie ».

De même, la peste de Justinien, au milieu du VIème siècle, en décimant les armées byzantines engagées dans la reconquête de l’Italie, met un terme à l’ultime tentative de réunification de l’Empire romain et, de fait, scelle le sort, à terme, de l’Empire byzantin.

Les batailles de Chesapeake Bay et de Yorktown, en 1781, remportées par de Grasse et Rochambeau, ouvrent la voie à l’indépendance américaine et jouent un rôle déterminant dans l’Histoire mondiale du XXe siècle.

La bataille de Sadowa, qui accélère le déclin de l’Empire austro-hongrois, marque le début de l’hégémonie prussienne en Europe centrale, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.

Enfin, la crise de 1929 n’est surmontée qu’à partir du moment où les Etats-Unis s’engagent dans une politique de réarmement, d’abord au profit des démocraties européennes, puis pour leur compte propre à partir du 8 décembre 1941. Pour soixante-dix ans, la doctrine Monroe est mise entre parenthèses et l’Amérique renonce à son isolationnisme traditionnel. Jusqu’à quand ?

En même temps, la dimension géopolitique de l’Histoire se heurte constamment aux réalités territoriales, aux ancrages nationaux, à l’enracinement des Hommes qui tressent un lien indissoluble entre histoire et géographie.

C’est ainsi que tout au long du premier tiers du XVe siècle, le grand empereur chinois, Yongle, parraine les expéditions maritimes de Zheng He, afin d’ouvrir le monde à la Chine : l’océan Indien, les côtes de l’Afrique de l’Est, la mer Rouge, jusqu’en Egypte. Mais l’agitation turco-mongole sur les frontières du nord impose le recentrage de l’effort budgétaire sur la restauration de la Grande Muraille et, pour protéger le Hebei, l’Empire céleste se détourne durablement du « Grand Large ».

Au cours du dernier tiers du XIXème siècle, alors que monte en Angleterre un courant en faveur du libre-échange qui ouvre le monde entier à la City, porté par l’aristocratie foncière reconvertie dans la finance après l’abrogation des lois protectionnistes sur le blé (« Corn Laws ») par Robert Peel en 1846, une forte opposition se fait jour, conduite aux Communes par Benjamin Disraeli. Derrière ce courant protectionniste, les intérêts portuaires britanniques sont en cause ; ils bénéficient du régime de l’« Exclusif » avec l’Empire qui alimente les réexportations vers le continent. L’entreprise coloniale, ce sont également, à proximité des bases navales, les arsenaux de la Navy et de l’Army qui constituent le cœur de la métallurgie anglaise.

Comme aux Etats-Unis et en France aujourd’hui, les Anglais sont donc en plein débat sur la protection de leur industrie, auquel s’ajoutent les polémiques entre Malthus (protectionniste) et Ricardo (libre-échangiste) sur la souveraineté alimentaire nationale.

Quels enseignements utiles faut-il tirer de ces épisodes historiques quant à l’impact probable de la crise sanitaire, économique et géopolitique que nous traversons?

La France et le Monde

L’expérience pratique de l’Antiquité grecque est celle d’un monde éclaté, dans lequel chaque Cité fixe ses lois, règle son gouvernement, décerne sa citoyenneté. Au-delà, c’est le monde barbare, qui ne parle pas grec et qui, de ce fait, n’est pas civilisé.

Pour autant, Platon n’ignore pas l’idée d’universalité : mais elle est purement intellectuelle ; elle tient dans l’aptitude de tout être humain à penser ; c’est, en quelque sorte, le « Cogito » de Descartes, avant l’heure.

L’universalisme romain ne se conçoit, juridiquement, qu’à travers l’attribution de la citoyenneté, considérablement élargie à partir de l’édit de Caracalla en 212, qui accorde la qualité de citoyen romain à tout homme libre de l’Empire.

Il n’en demeure pas moins que le véritable vecteur du concept d’universalisme réside dans le christianisme, à travers notamment la prédication de Saint Paul :

« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. »

La réalisation de ce principe soulèvera, bien sûr, maintes difficultés, y compris au sein de la communauté chrétienne et sera à l’origine de très vives tensions entre Paul et Pierre, à l’occasion de leur rencontre à Antioche. Avec la fin de l’Empire, le christianisme demeure le seul cadre porteur de valeurs universelles, ce qui ne manquera pas de susciter de nombreux conflits politiques au Moyen-Age, face à l’émergence des nations : le volet politique de la réforme grégorienne illustre, entre dogmes religieux persistants et nouvelles réalités d’un monde recomposé, une contradiction que Machiavel tranchera définitivement en laïcisant la pensée politique.

Il est nécessaire de percevoir qu’en réalité, la divergence entre principes universalistes et réalités nationales est une constante historique.

Le grand penseur de l’universalisme des Lumières est Emmanuel Kant, qui fait de l’universalité une condition essentielle de la morale : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée en loi universelle. ». Ce principe, qu’il élève au rang d’« impératif catégorique », n’est donc pas, à ses yeux, discutable. Pour autant, Kant mesure bien que concrètement, c’est la loi de l’Etat qui s’impose. Il considère que la contrainte physique que peut exercer l’Etat n’a pas d’effet durable sur la société et que ce qui compte, c’est l’obligation morale d’obéir à la loi que chaque individu perçoit intérieurement, parce qu’elle découle, précisément, d’une norme universelle.

Très belle construction intellectuelle, qui inspirera les fondateurs de la Société des Nations, de l’ONU… Mais en pratique, qu’en est-il ? Pour citer Charles Péguy :

« Kant a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, tout comme les textes fondateurs de la République américaine, s’inspirent naturellement de la philosophie kantienne, mais concrètement, la distinction est clairement établie entre ceux qui détiennent des droits subjectifs, les « citoyens », et les autres, les « hommes » qui ne peuvent exciper que de droits objectifs. Et la réalité révolutionnaire est essentiellement nationale (Valmy…) avant de devenir impérialiste, puis colonialiste : Jules Ferry est le symbole de l’ambition civilisatrice universelle de la République, quitte à transiger avec les principes de la laïcité :

« L’anticléricalisme n’est pas un produit d’exportation. »

C’est précisément par la voie de la colonisation que survient la première véritable mondialisation et, bien sûr, elle repose sur un principe d’asymétrie. L’opinion publique pense immédiatement : esclavage, commerce triangulaire. La réalité est plus complexe : c’est le régime de l’Exclusif qui assure à la métropole le monopole des échanges avec ses colonies, de telle sorte que par le biais de réexportations massives qui permettent au colonisateur de capter l’essentiel de la valeur ajoutée, l’équilibre commercial de la puissance colonisatrice est assuré. Ce modèle perdurera jusqu’en 1913 et se traduira par un poids des échanges extérieurs dans l’économie européenne qui ne sera à nouveau atteint qu’à la veille du premier choc pétrolier, au début des années 70.

Entretemps, la science économique a progressé. Le courant de pensée initial est celui des avantages comparatifs de Ricardo, décliné à travers le modèle de Heckscher- Ohlin-Samuelson qui souligne l’importance majeure de la dotation de chaque pays en facteurs de production, de telle sorte, par exemple, que l’abondance de capital aux Etats-Unis devrait conduire l’économie américaine à se spécialiser dans les produits à forte intensité capitalistique, ce qui n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, les phénomènes d’accumulation des avantages comparatifs, d’oligopoles et de dissymétrie des termes de l’échange ont conduit à l’émergence d’une critique croissante, en faveur de la réinstauration d’un certain protectionnisme.

La première question est celle des secteurs stratégiques, éléments essentiels de la souveraineté. Mais comment repenser la souveraineté à l’heure de la construction européenne ? L’industrie de défense, l’approvisionnement énergétique occupent le premier rang de ces préoccupations.

Les nanotechnologies, la santé figurent depuis longtemps parmi les priorités industrielles, aux côtés de l’électronique et des technologies de l’information. Mais quelles conséquences en tirer quant à la localisation de ces activités ? La bonne échelle ne serait-elle pas européenne ?

C’est ici qu’intervient la question de l’emploi. Par exemple, il est certain que la maîtrise de la filière du médicament est un sujet stratégique et économique majeur. Mais peut-on analyser de la même manière la fabrication de masques de protection, eu égard à la réalité de la demande en temps normal ? A ce stade de la réflexion, comme en matière énergétique avec le gaz, le pétrole et l’uranium, on voit bien que la question est plutôt celle de la sécurité, notamment politique, des sources d’approvisionnement : le conflit qui déchire l’ex-empire soviétique illustre cette réalité. D’où le problème du « sourcing » chinois, surtout s’il est exclusif. En définitive, l’arbitrage à opérer se posera en termes de maîtrise des approvisionnements qui, n’implique pas une origine nationale, et d’emplois industriels productifs, c’est-à-dire compétitifs. Au-delà, il est évident que les enjeux de pouvoir d’achat, surtout en période d’inflation et de crise des finances publiques, limiteront les ambitions en termes de relocalisation quoiqu’en disent les prophètes annonciateurs d’un « nouveau monde ».

La principale révélation de la crise globale, en pratique, est celle de la relative fragilité de la chaîne logistique, levier essentiel de la mondialisation. Et c’est sur cet aspect du problème, qui n’est pas nouveau en dépit de la propagande chinoise autour des « routes de la soie », que mérite d’être réexaminée la dimension territoriale de l’économie, en lien avec les questions stratégiques et environnementales.

Traiter d’économie territoriale, c’est, d’abord, parler des territoires et de la relation du local au national. Dans cette démarche délicate, quelques fanaux éclairent le cheminement.

Fernand Braudel, d’abord, qui ne vivra pas assez longtemps pour conclure son ouvrage de synthèse, « L’identité de la France », dont il trace néanmoins les grandes lignes : un pays de pays, morcelés par la géographie et réunis par l’Histoire ; une tension entre de multiples irrédentismes et une centralisation opérée par l’Etat, au profit de la capitale et de son rayonnement mondial, au détriment, par exemple, de Lyon, pourtant mieux situé en termes de flux d’échanges européens. Au final, Braudel ne récuse pas ce travail historique et exprime sa méfiance à l’égard de la résurgence politique des territoires. Il n’est guère décentralisateur et il rejoint, sur ce point, Michelet qui résume sa thèse : l’Histoire s’est finalement imposée à la Géographie, et c’est très bien ainsi. La référence absolue, sur la question territoriale, demeure Vidal de la Blache et son « Tableau de la géographie de la France » de 1903, dans lequel il démontre comment, à cette époque, les seules métropoles qui aient véritablement émergé sont périphériques : tous les grands ports, Strasbourg sur le Rhin… Il montre également l’importance des complémentarités entre territoires et le processus de fertilisation croisée qui en résulte, notamment sur le plan démographique : La France est « une terre qui semble faite pour absorber sa propre émigration ». Mais Vidal est un homme de l’intérieur, du continent, qui ne connaît guère les côtes océaniques et qui manque du recul de Braudel pour distinguer les failles du modèle français : la France a raté la mer et n’a acclimaté que tardivement l’industrialisation et le capitalisme parce que pour le meilleur ou pour le pire, elle a toujours été attirée par son terroir et par les frontières continentales, lieu des menaces directes pesant sur son intégrité. Que dire de plus, et qu’en déduire ?

D’abord, que la question des territoires de la République est essentiellement franco-française et n’interfère qu’indirectement et de façon relativement marginale avec les questions de « déglobalisation » et de souveraineté économique. Certes, divers centres de production peuvent être réimplantés sur le territoire national, mais leur localisation précise dépendra surtout de considérations logistiques : la concurrence entre territoires, que l’on peut pressentir, correspondrait donc à une débauche d’énergie, peu productive.

En revanche, des leviers majeurs de redynamisation territoriale existent et, indépendamment de la crise sanitaire et économique, méritent d’être actionnés.

Le premier d’entre eux est relatif au développement de l’offre d’habitat, qui deviendra un facteur d’attractivité essentiel, s’agissant notamment des key-workers, particulièrement de ceux que leur métier écarte du télétravail. Il est évident que l’offre d’habitat intermédiaire à proximité des centres hospitaliers constituera, par exemple, une priorité à réexaminer dans l’avenir. Plus généralement, la revitalisation des villes moyennes et en particulier des « cœurs de ville » passe par la création d’une offre d’habitat adaptée à des clientèles potentiellement intéressées par les aménités culturelles, mais aussi sanitaires et éducatives : l’attractivité du centre-ville conditionne l’avenir de la périphérie.

Le deuxième enjeu, puisqu’il n’existe pas véritablement de territoire autonome en regard de l’économie nationale, réside dans la connexion au marché : national, européen, mondial. Connexion numérique, d’abord, mais aussi logistique physique et, notamment, multimodale.

Le troisième enjeu est relatif à la constitution de clusters autour des établissements universitaires et, à moindre échelle, des centres de formation d’ampleur régionale, de manière à coupler recherche et production, constituant ainsi de véritables pôles d’attractivité.

Au final, il est évident que les enjeux de revitalisation des territoires revêtent une dimension essentiellement nationale et qu’il est quelque peu artificiel de les raccorder à la question de la « déglobalisation », analysée comme ressort de nombreuses « relocalisations » sur le territoire national, ce qu’elle n’est probablement pas.

Si relocalisations il doit y avoir, ce qui paraît vraisemblable, c’est à l’échelle de l’Europe et du pourtour méditerranéen qu’il faudra les concevoir. Dans cette perspective, la connexion politique et opérationnelle entre les territoires et l’Etat central revêtira une importance accrue. En conclusion, la grande erreur est d’avoir pensé le capitalisme indépendamment d’une stratégie régalienne. L’erreur symétrique serait de penser les relocalisations indépendamment des principes du capitalisme.

L’Europe, ainsi nommée par les Grecs selon la célèbre princesse phénicienne enlevée, aux dires d’Esope, par Zeus métamorphosé en taureau, n’a longtemps été qu’une réalité géographique mal connue, à l’Ouest de l’espace hellène. Plus tard, l’entité politique structurante est l’Empire romain, essentiellement méditerranéen, qui ne franchit guère le Rhin et le Danube, tandis que la chrétienté réunit Occident et Orient, le christianisme étant d’ailleurs une religion d’origine orientale. Le premier, l’Empire de Charlemagne s’inscrit brièvement dans un espace correspondant à celui de l’Europe des Six. Issue du traité de Verdun de 843, une « Francia occidentalis » séparée par l’éphémère Lotharingie de son pendant oriental, participe du démembrement de l’Occident. Le Moyen-Age ignore donc la dimension européenne, qui n’est révélée que grâce à la prise de Byzance par les Turcs en 1453. Le pape Pie II s’en inquiète en ces termes : « des querelles intestines laissent les ennemis de la Croix se déchaîner » en préambule de son traité « De Europa ».

Tandis qu’Erasme y voit, déjà, l’espace d’une possible paix perpétuelle, Charles Quint tente, contre François Ier, d’imposer l’union par la force, sans succès ; François Ier n’hésite pas à s’allier à Soleiman pour contrer ce dessein, et la flotte turque, passant un hiver à Toulon, transforme ce port en ville musulmane, peuplée de milliers de janissaires et de leurs captifs chrétiens. François Ier frise l’excommunication, avant que la flotte ottomane ne lève l’ancre pour le Levant.

Napoléon, qui tente d’unifier l’espace péninsulaire du bloc asiatique par la force et par le droit, échoue pareillement et le Congrès de Vienne institue une Sainte Alliance dont ne s’excluent volontairement, signe précurseur, que l’Angleterre et le Vatican.

Dès lors, toute construction idéaliste, comme celle de Victor Hugo, bute sur la rivalité franco-allemande, jusqu’au grandiose projet d’Aristide Briand, à la fin des années vingt, mis à bas par la crise mondiale. Et c’est Churchill, au lendemain de la guerre, qui invite les continentaux à s’unir, sans inclure, lucidement, le Royaume-Uni dans la perspective ainsi tracée.

Ainsi, toute l’histoire de l’Europe met en évidence deux faits saillants : d’abord, que l’Angleterre n’est guère concernée ; ensuite, que la réalisation du projet dépend entièrement de la configuration, naturellement conflictuelle, de l’axe franco-allemand.

Un épisode l’illustre singulièrement : à l’issue de la signature du traité de l’Elysée, en 1963, qui pose les bases du projet européen, l’entregent de Jean Monnet permet à celui-ci de faire introduire devant le Bundestag, pour sa ratification, un préambule repositionnant le traité dans une perspective atlantiste, expressément écartée par le général de Gaulle qui, furieux, évoque la possibilité d’un renversement d’alliance « avec la Russie » ! Les limites politiques du « couple » franco-allemand sont ainsi tracées.

Au fond, c’est sur ce compromis que l’Europe a progressé : un grand marché ouvert au monde libre, supervisé en matière de droit de la concurrence ; la politique agricole commune pour satisfaire la France et quelques Etats méditerranéens ; des fonds structurels pour accompagner les retardataires ; et surtout, en contrepartie d’une clientèle assurée pour l’industrie allemande, une union monétaire, assortie de règles disciplinaires strictes. Un « deal » intelligent, sans doute le meilleur que l’on puisse espérer, et qui s’avère incontestablement « gagnant-gagnant ».

A ceci près qu’une fois encore, la relation franco-allemande soulève des difficultés, non pas à cause d’un écart de compétitivité entre les deux économies, qui fluctue dans le temps, mais d’un différentiel majeur de croissance démographique qui est structurellement stable et qui condamne la France à un taux de chômage élevé, pour des niveaux de croissance équivalents. De là viennent les excédents d’une grande Suisse, les déficits d’une « petite Russie » dépourvue de richesses naturelles, hormis sa puissante agriculture. Et au final, un « spread » croissant sur les marchés financiers.

Cette situation représente-t-elle un problème ? Assurément, dans le contexte de crise globale que nous traversons. Est-il insurmontable ? Peu vraisemblablement : la France et sa dette publique ne peuvent se passer de l’euro, pas plus que l’Allemagne d’un de ses principaux clients.

Pour autant, nous ne saurions ignorer qu’à partir de son origine sanitaire, la crise revêt une dimension économique et, désormais, géopolitique.

L’Union européenne, à travers ses plans de relance et la mobilisation du système européen de banques centrales a couvert, dans des conditions relativement satisfaisantes, son champ d’intervention naturel, économique et financier, sous une réserve majeure : l’enjeu agroalimentaire, et d’abord agricole, ne saurait être abordé selon sa seule dimension écologique, qui ne peut être exclusive de son poids économique et de son impact stratégique. La France aurait beaucoup à perdre de ce cantonnement idéologique.

Ce constat renvoie à une question fondamentale : après le Brexit, l’exclusion de la Turquie et la guerre en Ukraine, l’UE offre-t-elle le cadre pertinent pour parler de sécurité européenne, alors même qu’à l’exception de la France, toutes les nations européennes (hors Grèce, Croatie et Serbie) suivent l’exemple de l’Allemagne pour se détourner de la construction d’une industrie de défense européenne, socle indispensable d’une Europe (au sens de l’UE) de la défense ? Dès lors, puisqu’il ne s’agit que de parler de capacités militaires, au sens de « second pilier de l’OTAN », est-il raisonnable de s’en tenir à un tête-à-tête avec l’Allemagne, sans intégrer le Royaume-Uni, la Suède et la Turquie dont le poids militaire est essentiel sur le théâtre européen.

La question posée est donc celle de la réactivation d’un cadre similaire à celui de l’Union de l’Europe Occidentale, qui pourrait retrouver son utilité lorsque la relance d’un processus de discussion avec la Russie, analogue à celui de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’avèrera indispensable. En l’absence d’un tel dispositif, le destin du continent européen pourrait fort bien être traité directement entre Washington et Moscou.

L’avenir de la France face aux crises

L’avenir de la France face aux crises

Des événements de diverses natures ont entraîné des conséquences géopolitiques bien au-delà de leur perception par leurs contemporains ( article de André Yché dans la  » Tribune »)

En remportant la bataille de Chéronée en 338 avant JC, Philippe II de Macédoine assure la domination de son pays sur la Grèce et prépare l’entreprise conquérante d’Alexandre le Grand qui, pénétrant en Orient jusqu’en Asie Centrale et en Inde, ouvre les « routes de la soie ».

De même, la peste de Justinien, au milieu du VIème siècle, en décimant les armées byzantines engagées dans la reconquête de l’Italie, met un terme à l’ultime tentative de réunification de l’Empire romain et, de fait, scelle le sort, à terme, de l’Empire byzantin.

Les batailles de Chesapeake Bay et de Yorktown, en 1781, remportées par de Grasse et Rochambeau, ouvrent la voie à l’indépendance américaine et jouent un rôle déterminant dans l’Histoire mondiale du XXe siècle.

La bataille de Sadowa, qui accélère le déclin de l’Empire austro-hongrois, marque le début de l’hégémonie prussienne en Europe centrale, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.

Enfin, la crise de 1929 n’est surmontée qu’à partir du moment où les Etats-Unis s’engagent dans une politique de réarmement, d’abord au profit des démocraties européennes, puis pour leur compte propre à partir du 8 décembre 1941. Pour soixante-dix ans, la doctrine Monroe est mise entre parenthèses et l’Amérique renonce à son isolationnisme traditionnel. Jusqu’à quand ?

En même temps, la dimension géopolitique de l’Histoire se heurte constamment aux réalités territoriales, aux ancrages nationaux, à l’enracinement des Hommes qui tressent un lien indissoluble entre histoire et géographie.

C’est ainsi que tout au long du premier tiers du XVe siècle, le grand empereur chinois, Yongle, parraine les expéditions maritimes de Zheng He, afin d’ouvrir le monde à la Chine : l’océan Indien, les côtes de l’Afrique de l’Est, la mer Rouge, jusqu’en Egypte. Mais l’agitation turco-mongole sur les frontières du nord impose le recentrage de l’effort budgétaire sur la restauration de la Grande Muraille et, pour protéger le Hebei, l’Empire céleste se détourne durablement du « Grand Large ».

Au cours du dernier tiers du XIXème siècle, alors que monte en Angleterre un courant en faveur du libre-échange qui ouvre le monde entier à la City, porté par l’aristocratie foncière reconvertie dans la finance après l’abrogation des lois protectionnistes sur le blé (« Corn Laws ») par Robert Peel en 1846, une forte opposition se fait jour, conduite aux Communes par Benjamin Disraeli. Derrière ce courant protectionniste, les intérêts portuaires britanniques sont en cause ; ils bénéficient du régime de l’« Exclusif » avec l’Empire qui alimente les réexportations vers le continent. L’entreprise coloniale, ce sont également, à proximité des bases navales, les arsenaux de la Navy et de l’Army qui constituent le cœur de la métallurgie anglaise.

Comme aux Etats-Unis et en France aujourd’hui, les Anglais sont donc en plein débat sur la protection de leur industrie, auquel s’ajoutent les polémiques entre Malthus (protectionniste) et Ricardo (libre-échangiste) sur la souveraineté alimentaire nationale.

Quels enseignements utiles faut-il tirer de ces épisodes historiques quant à l’impact probable de la crise sanitaire, économique et géopolitique que nous traversons?

La France et le Monde

L’expérience pratique de l’Antiquité grecque est celle d’un monde éclaté, dans lequel chaque Cité fixe ses lois, règle son gouvernement, décerne sa citoyenneté. Au-delà, c’est le monde barbare, qui ne parle pas grec et qui, de ce fait, n’est pas civilisé.

Pour autant, Platon n’ignore pas l’idée d’universalité : mais elle est purement intellectuelle ; elle tient dans l’aptitude de tout être humain à penser ; c’est, en quelque sorte, le « Cogito » de Descartes, avant l’heure.

L’universalisme romain ne se conçoit, juridiquement, qu’à travers l’attribution de la citoyenneté, considérablement élargie à partir de l’édit de Caracalla en 212, qui accorde la qualité de citoyen romain à tout homme libre de l’Empire.

Il n’en demeure pas moins que le véritable vecteur du concept d’universalisme réside dans le christianisme, à travers notamment la prédication de Saint Paul :

« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. »

La réalisation de ce principe soulèvera, bien sûr, maintes difficultés, y compris au sein de la communauté chrétienne et sera à l’origine de très vives tensions entre Paul et Pierre, à l’occasion de leur rencontre à Antioche. Avec la fin de l’Empire, le christianisme demeure le seul cadre porteur de valeurs universelles, ce qui ne manquera pas de susciter de nombreux conflits politiques au Moyen-Age, face à l’émergence des nations : le volet politique de la réforme grégorienne illustre, entre dogmes religieux persistants et nouvelles réalités d’un monde recomposé, une contradiction que Machiavel tranchera définitivement en laïcisant la pensée politique.

Il est nécessaire de percevoir qu’en réalité, la divergence entre principes universalistes et réalités nationales est une constante historique.

Le grand penseur de l’universalisme des Lumières est Emmanuel Kant, qui fait de l’universalité une condition essentielle de la morale : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée en loi universelle. ». Ce principe, qu’il élève au rang d’« impératif catégorique », n’est donc pas, à ses yeux, discutable. Pour autant, Kant mesure bien que concrètement, c’est la loi de l’Etat qui s’impose. Il considère que la contrainte physique que peut exercer l’Etat n’a pas d’effet durable sur la société et que ce qui compte, c’est l’obligation morale d’obéir à la loi que chaque individu perçoit intérieurement, parce qu’elle découle, précisément, d’une norme universelle.

Très belle construction intellectuelle, qui inspirera les fondateurs de la Société des Nations, de l’ONU… Mais en pratique, qu’en est-il ? Pour citer Charles Péguy :

« Kant a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, tout comme les textes fondateurs de la République américaine, s’inspirent naturellement de la philosophie kantienne, mais concrètement, la distinction est clairement établie entre ceux qui détiennent des droits subjectifs, les « citoyens », et les autres, les « hommes » qui ne peuvent exciper que de droits objectifs. Et la réalité révolutionnaire est essentiellement nationale (Valmy…) avant de devenir impérialiste, puis colonialiste : Jules Ferry est le symbole de l’ambition civilisatrice universelle de la République, quitte à transiger avec les principes de la laïcité :

« L’anticléricalisme n’est pas un produit d’exportation. »

C’est précisément par la voie de la colonisation que survient la première véritable mondialisation et, bien sûr, elle repose sur un principe d’asymétrie. L’opinion publique pense immédiatement : esclavage, commerce triangulaire. La réalité est plus complexe : c’est le régime de l’Exclusif qui assure à la métropole le monopole des échanges avec ses colonies, de telle sorte que par le biais de réexportations massives qui permettent au colonisateur de capter l’essentiel de la valeur ajoutée, l’équilibre commercial de la puissance colonisatrice est assuré. Ce modèle perdurera jusqu’en 1913 et se traduira par un poids des échanges extérieurs dans l’économie européenne qui ne sera à nouveau atteint qu’à la veille du premier choc pétrolier, au début des années 70.

Entretemps, la science économique a progressé. Le courant de pensée initial est celui des avantages comparatifs de Ricardo, décliné à travers le modèle de Heckscher- Ohlin-Samuelson qui souligne l’importance majeure de la dotation de chaque pays en facteurs de production, de telle sorte, par exemple, que l’abondance de capital aux Etats-Unis devrait conduire l’économie américaine à se spécialiser dans les produits à forte intensité capitalistique, ce qui n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, les phénomènes d’accumulation des avantages comparatifs, d’oligopoles et de dissymétrie des termes de l’échange ont conduit à l’émergence d’une critique croissante, en faveur de la réinstauration d’un certain protectionnisme.

La première question est celle des secteurs stratégiques, éléments essentiels de la souveraineté. Mais comment repenser la souveraineté à l’heure de la construction européenne ? L’industrie de défense, l’approvisionnement énergétique occupent le premier rang de ces préoccupations.

Les nanotechnologies, la santé figurent depuis longtemps parmi les priorités industrielles, aux côtés de l’électronique et des technologies de l’information. Mais quelles conséquences en tirer quant à la localisation de ces activités ? La bonne échelle ne serait-elle pas européenne ?

C’est ici qu’intervient la question de l’emploi. Par exemple, il est certain que la maîtrise de la filière du médicament est un sujet stratégique et économique majeur. Mais peut-on analyser de la même manière la fabrication de masques de protection, eu égard à la réalité de la demande en temps normal ? A ce stade de la réflexion, comme en matière énergétique avec le gaz, le pétrole et l’uranium, on voit bien que la question est plutôt celle de la sécurité, notamment politique, des sources d’approvisionnement : le conflit qui déchire l’ex-empire soviétique illustre cette réalité. D’où le problème du « sourcing » chinois, surtout s’il est exclusif. En définitive, l’arbitrage à opérer se posera en termes de maîtrise des approvisionnements qui, n’implique pas une origine nationale, et d’emplois industriels productifs, c’est-à-dire compétitifs. Au-delà, il est évident que les enjeux de pouvoir d’achat, surtout en période d’inflation et de crise des finances publiques, limiteront les ambitions en termes de relocalisation quoiqu’en disent les prophètes annonciateurs d’un « nouveau monde ».

La principale révélation de la crise globale, en pratique, est celle de la relative fragilité de la chaîne logistique, levier essentiel de la mondialisation. Et c’est sur cet aspect du problème, qui n’est pas nouveau en dépit de la propagande chinoise autour des « routes de la soie », que mérite d’être réexaminée la dimension territoriale de l’économie, en lien avec les questions stratégiques et environnementales.

Traiter d’économie territoriale, c’est, d’abord, parler des territoires et de la relation du local au national. Dans cette démarche délicate, quelques fanaux éclairent le cheminement.

Fernand Braudel, d’abord, qui ne vivra pas assez longtemps pour conclure son ouvrage de synthèse, « L’identité de la France », dont il trace néanmoins les grandes lignes : un pays de pays, morcelés par la géographie et réunis par l’Histoire ; une tension entre de multiples irrédentismes et une centralisation opérée par l’Etat, au profit de la capitale et de son rayonnement mondial, au détriment, par exemple, de Lyon, pourtant mieux situé en termes de flux d’échanges européens. Au final, Braudel ne récuse pas ce travail historique et exprime sa méfiance à l’égard de la résurgence politique des territoires. Il n’est guère décentralisateur et il rejoint, sur ce point, Michelet qui résume sa thèse : l’Histoire s’est finalement imposée à la Géographie, et c’est très bien ainsi. La référence absolue, sur la question territoriale, demeure Vidal de la Blache et son « Tableau de la géographie de la France » de 1903, dans lequel il démontre comment, à cette époque, les seules métropoles qui aient véritablement émergé sont périphériques : tous les grands ports, Strasbourg sur le Rhin… Il montre également l’importance des complémentarités entre territoires et le processus de fertilisation croisée qui en résulte, notamment sur le plan démographique : La France est « une terre qui semble faite pour absorber sa propre émigration ». Mais Vidal est un homme de l’intérieur, du continent, qui ne connaît guère les côtes océaniques et qui manque du recul de Braudel pour distinguer les failles du modèle français : la France a raté la mer et n’a acclimaté que tardivement l’industrialisation et le capitalisme parce que pour le meilleur ou pour le pire, elle a toujours été attirée par son terroir et par les frontières continentales, lieu des menaces directes pesant sur son intégrité. Que dire de plus, et qu’en déduire ?

D’abord, que la question des territoires de la République est essentiellement franco-française et n’interfère qu’indirectement et de façon relativement marginale avec les questions de « déglobalisation » et de souveraineté économique. Certes, divers centres de production peuvent être réimplantés sur le territoire national, mais leur localisation précise dépendra surtout de considérations logistiques : la concurrence entre territoires, que l’on peut pressentir, correspondrait donc à une débauche d’énergie, peu productive.

En revanche, des leviers majeurs de redynamisation territoriale existent et, indépendamment de la crise sanitaire et économique, méritent d’être actionnés.

Le premier d’entre eux est relatif au développement de l’offre d’habitat, qui deviendra un facteur d’attractivité essentiel, s’agissant notamment des key-workers, particulièrement de ceux que leur métier écarte du télétravail. Il est évident que l’offre d’habitat intermédiaire à proximité des centres hospitaliers constituera, par exemple, une priorité à réexaminer dans l’avenir. Plus généralement, la revitalisation des villes moyennes et en particulier des « cœurs de ville » passe par la création d’une offre d’habitat adaptée à des clientèles potentiellement intéressées par les aménités culturelles, mais aussi sanitaires et éducatives : l’attractivité du centre-ville conditionne l’avenir de la périphérie.

Le deuxième enjeu, puisqu’il n’existe pas véritablement de territoire autonome en regard de l’économie nationale, réside dans la connexion au marché : national, européen, mondial. Connexion numérique, d’abord, mais aussi logistique physique et, notamment, multimodale.

Le troisième enjeu est relatif à la constitution de clusters autour des établissements universitaires et, à moindre échelle, des centres de formation d’ampleur régionale, de manière à coupler recherche et production, constituant ainsi de véritables pôles d’attractivité.

Au final, il est évident que les enjeux de revitalisation des territoires revêtent une dimension essentiellement nationale et qu’il est quelque peu artificiel de les raccorder à la question de la « déglobalisation », analysée comme ressort de nombreuses « relocalisations » sur le territoire national, ce qu’elle n’est probablement pas.

Si relocalisations il doit y avoir, ce qui paraît vraisemblable, c’est à l’échelle de l’Europe et du pourtour méditerranéen qu’il faudra les concevoir. Dans cette perspective, la connexion politique et opérationnelle entre les territoires et l’Etat central revêtira une importance accrue. En conclusion, la grande erreur est d’avoir pensé le capitalisme indépendamment d’une stratégie régalienne. L’erreur symétrique serait de penser les relocalisations indépendamment des principes du capitalisme.

L’Europe, ainsi nommée par les Grecs selon la célèbre princesse phénicienne enlevée, aux dires d’Esope, par Zeus métamorphosé en taureau, n’a longtemps été qu’une réalité géographique mal connue, à l’Ouest de l’espace hellène. Plus tard, l’entité politique structurante est l’Empire romain, essentiellement méditerranéen, qui ne franchit guère le Rhin et le Danube, tandis que la chrétienté réunit Occident et Orient, le christianisme étant d’ailleurs une religion d’origine orientale. Le premier, l’Empire de Charlemagne s’inscrit brièvement dans un espace correspondant à celui de l’Europe des Six. Issue du traité de Verdun de 843, une « Francia occidentalis » séparée par l’éphémère Lotharingie de son pendant oriental, participe du démembrement de l’Occident. Le Moyen-Age ignore donc la dimension européenne, qui n’est révélée que grâce à la prise de Byzance par les Turcs en 1453. Le pape Pie II s’en inquiète en ces termes : « des querelles intestines laissent les ennemis de la Croix se déchaîner » en préambule de son traité « De Europa ».

Tandis qu’Erasme y voit, déjà, l’espace d’une possible paix perpétuelle, Charles Quint tente, contre François Ier, d’imposer l’union par la force, sans succès ; François Ier n’hésite pas à s’allier à Soleiman pour contrer ce dessein, et la flotte turque, passant un hiver à Toulon, transforme ce port en ville musulmane, peuplée de milliers de janissaires et de leurs captifs chrétiens. François Ier frise l’excommunication, avant que la flotte ottomane ne lève l’ancre pour le Levant.

Napoléon, qui tente d’unifier l’espace péninsulaire du bloc asiatique par la force et par le droit, échoue pareillement et le Congrès de Vienne institue une Sainte Alliance dont ne s’excluent volontairement, signe précurseur, que l’Angleterre et le Vatican.

Dès lors, toute construction idéaliste, comme celle de Victor Hugo, bute sur la rivalité franco-allemande, jusqu’au grandiose projet d’Aristide Briand, à la fin des années vingt, mis à bas par la crise mondiale. Et c’est Churchill, au lendemain de la guerre, qui invite les continentaux à s’unir, sans inclure, lucidement, le Royaume-Uni dans la perspective ainsi tracée.

Ainsi, toute l’histoire de l’Europe met en évidence deux faits saillants : d’abord, que l’Angleterre n’est guère concernée ; ensuite, que la réalisation du projet dépend entièrement de la configuration, naturellement conflictuelle, de l’axe franco-allemand.

Un épisode l’illustre singulièrement : à l’issue de la signature du traité de l’Elysée, en 1963, qui pose les bases du projet européen, l’entregent de Jean Monnet permet à celui-ci de faire introduire devant le Bundestag, pour sa ratification, un préambule repositionnant le traité dans une perspective atlantiste, expressément écartée par le général de Gaulle qui, furieux, évoque la possibilité d’un renversement d’alliance « avec la Russie » ! Les limites politiques du « couple » franco-allemand sont ainsi tracées.

Au fond, c’est sur ce compromis que l’Europe a progressé : un grand marché ouvert au monde libre, supervisé en matière de droit de la concurrence ; la politique agricole commune pour satisfaire la France et quelques Etats méditerranéens ; des fonds structurels pour accompagner les retardataires ; et surtout, en contrepartie d’une clientèle assurée pour l’industrie allemande, une union monétaire, assortie de règles disciplinaires strictes. Un « deal » intelligent, sans doute le meilleur que l’on puisse espérer, et qui s’avère incontestablement « gagnant-gagnant ».

A ceci près qu’une fois encore, la relation franco-allemande soulève des difficultés, non pas à cause d’un écart de compétitivité entre les deux économies, qui fluctue dans le temps, mais d’un différentiel majeur de croissance démographique qui est structurellement stable et qui condamne la France à un taux de chômage élevé, pour des niveaux de croissance équivalents. De là viennent les excédents d’une grande Suisse, les déficits d’une « petite Russie » dépourvue de richesses naturelles, hormis sa puissante agriculture. Et au final, un « spread » croissant sur les marchés financiers.

Cette situation représente-t-elle un problème ? Assurément, dans le contexte de crise globale que nous traversons. Est-il insurmontable ? Peu vraisemblablement : la France et sa dette publique ne peuvent se passer de l’euro, pas plus que l’Allemagne d’un de ses principaux clients.

Pour autant, nous ne saurions ignorer qu’à partir de son origine sanitaire, la crise revêt une dimension économique et, désormais, géopolitique.

L’Union européenne, à travers ses plans de relance et la mobilisation du système européen de banques centrales a couvert, dans des conditions relativement satisfaisantes, son champ d’intervention naturel, économique et financier, sous une réserve majeure : l’enjeu agroalimentaire, et d’abord agricole, ne saurait être abordé selon sa seule dimension écologique, qui ne peut être exclusive de son poids économique et de son impact stratégique. La France aurait beaucoup à perdre de ce cantonnement idéologique.

Ce constat renvoie à une question fondamentale : après le Brexit, l’exclusion de la Turquie et la guerre en Ukraine, l’UE offre-t-elle le cadre pertinent pour parler de sécurité européenne, alors même qu’à l’exception de la France, toutes les nations européennes (hors Grèce, Croatie et Serbie) suivent l’exemple de l’Allemagne pour se détourner de la construction d’une industrie de défense européenne, socle indispensable d’une Europe (au sens de l’UE) de la défense ? Dès lors, puisqu’il ne s’agit que de parler de capacités militaires, au sens de « second pilier de l’OTAN », est-il raisonnable de s’en tenir à un tête-à-tête avec l’Allemagne, sans intégrer le Royaume-Uni, la Suède et la Turquie dont le poids militaire est essentiel sur le théâtre européen.

La question posée est donc celle de la réactivation d’un cadre similaire à celui de l’Union de l’Europe Occidentale, qui pourrait retrouver son utilité lorsque la relance d’un processus de discussion avec la Russie, analogue à celui de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’avèrera indispensable. En l’absence d’un tel dispositif, le destin du continent européen pourrait fort bien être traité directement entre Washington et Moscou.

Des événements de diverses natures ont entraîné des conséquences géopolitiques bien au-delà de leur perception par leurs contemporains ( article de André Yché dans la Tribune)

En remportant la bataille de Chéronée en 338 avant JC, Philippe II de Macédoine assure la domination de son pays sur la Grèce et prépare l’entreprise conquérante d’Alexandre le Grand qui, pénétrant en Orient jusqu’en Asie Centrale et en Inde, ouvre les « routes de la soie ».

De même, la peste de Justinien, au milieu du VIème siècle, en décimant les armées byzantines engagées dans la reconquête de l’Italie, met un terme à l’ultime tentative de réunification de l’Empire romain et, de fait, scelle le sort, à terme, de l’Empire byzantin.

Les batailles de Chesapeake Bay et de Yorktown, en 1781, remportées par de Grasse et Rochambeau, ouvrent la voie à l’indépendance américaine et jouent un rôle déterminant dans l’Histoire mondiale du XXe siècle.

La bataille de Sadowa, qui accélère le déclin de l’Empire austro-hongrois, marque le début de l’hégémonie prussienne en Europe centrale, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.

Enfin, la crise de 1929 n’est surmontée qu’à partir du moment où les Etats-Unis s’engagent dans une politique de réarmement, d’abord au profit des démocraties européennes, puis pour leur compte propre à partir du 8 décembre 1941. Pour soixante-dix ans, la doctrine Monroe est mise entre parenthèses et l’Amérique renonce à son isolationnisme traditionnel. Jusqu’à quand ?

En même temps, la dimension géopolitique de l’Histoire se heurte constamment aux réalités territoriales, aux ancrages nationaux, à l’enracinement des Hommes qui tressent un lien indissoluble entre histoire et géographie.

C’est ainsi que tout au long du premier tiers du XVe siècle, le grand empereur chinois, Yongle, parraine les expéditions maritimes de Zheng He, afin d’ouvrir le monde à la Chine : l’océan Indien, les côtes de l’Afrique de l’Est, la mer Rouge, jusqu’en Egypte. Mais l’agitation turco-mongole sur les frontières du nord impose le recentrage de l’effort budgétaire sur la restauration de la Grande Muraille et, pour protéger le Hebei, l’Empire céleste se détourne durablement du « Grand Large ».

Au cours du dernier tiers du XIXème siècle, alors que monte en Angleterre un courant en faveur du libre-échange qui ouvre le monde entier à la City, porté par l’aristocratie foncière reconvertie dans la finance après l’abrogation des lois protectionnistes sur le blé (« Corn Laws ») par Robert Peel en 1846, une forte opposition se fait jour, conduite aux Communes par Benjamin Disraeli. Derrière ce courant protectionniste, les intérêts portuaires britanniques sont en cause ; ils bénéficient du régime de l’« Exclusif » avec l’Empire qui alimente les réexportations vers le continent. L’entreprise coloniale, ce sont également, à proximité des bases navales, les arsenaux de la Navy et de l’Army qui constituent le cœur de la métallurgie anglaise.

Comme aux Etats-Unis et en France aujourd’hui, les Anglais sont donc en plein débat sur la protection de leur industrie, auquel s’ajoutent les polémiques entre Malthus (protectionniste) et Ricardo (libre-échangiste) sur la souveraineté alimentaire nationale.

Quels enseignements utiles faut-il tirer de ces épisodes historiques quant à l’impact probable de la crise sanitaire, économique et géopolitique que nous traversons?

La France et le Monde

L’expérience pratique de l’Antiquité grecque est celle d’un monde éclaté, dans lequel chaque Cité fixe ses lois, règle son gouvernement, décerne sa citoyenneté. Au-delà, c’est le monde barbare, qui ne parle pas grec et qui, de ce fait, n’est pas civilisé.

Pour autant, Platon n’ignore pas l’idée d’universalité : mais elle est purement intellectuelle ; elle tient dans l’aptitude de tout être humain à penser ; c’est, en quelque sorte, le « Cogito » de Descartes, avant l’heure.

L’universalisme romain ne se conçoit, juridiquement, qu’à travers l’attribution de la citoyenneté, considérablement élargie à partir de l’édit de Caracalla en 212, qui accorde la qualité de citoyen romain à tout homme libre de l’Empire.

Il n’en demeure pas moins que le véritable vecteur du concept d’universalisme réside dans le christianisme, à travers notamment la prédication de Saint Paul :

« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. »

La réalisation de ce principe soulèvera, bien sûr, maintes difficultés, y compris au sein de la communauté chrétienne et sera à l’origine de très vives tensions entre Paul et Pierre, à l’occasion de leur rencontre à Antioche. Avec la fin de l’Empire, le christianisme demeure le seul cadre porteur de valeurs universelles, ce qui ne manquera pas de susciter de nombreux conflits politiques au Moyen-Age, face à l’émergence des nations : le volet politique de la réforme grégorienne illustre, entre dogmes religieux persistants et nouvelles réalités d’un monde recomposé, une contradiction que Machiavel tranchera définitivement en laïcisant la pensée politique.

Il est nécessaire de percevoir qu’en réalité, la divergence entre principes universalistes et réalités nationales est une constante historique.

Le grand penseur de l’universalisme des Lumières est Emmanuel Kant, qui fait de l’universalité une condition essentielle de la morale : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée en loi universelle. ». Ce principe, qu’il élève au rang d’« impératif catégorique », n’est donc pas, à ses yeux, discutable. Pour autant, Kant mesure bien que concrètement, c’est la loi de l’Etat qui s’impose. Il considère que la contrainte physique que peut exercer l’Etat n’a pas d’effet durable sur la société et que ce qui compte, c’est l’obligation morale d’obéir à la loi que chaque individu perçoit intérieurement, parce qu’elle découle, précisément, d’une norme universelle.

Très belle construction intellectuelle, qui inspirera les fondateurs de la Société des Nations, de l’ONU… Mais en pratique, qu’en est-il ? Pour citer Charles Péguy :

« Kant a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, tout comme les textes fondateurs de la République américaine, s’inspirent naturellement de la philosophie kantienne, mais concrètement, la distinction est clairement établie entre ceux qui détiennent des droits subjectifs, les « citoyens », et les autres, les « hommes » qui ne peuvent exciper que de droits objectifs. Et la réalité révolutionnaire est essentiellement nationale (Valmy…) avant de devenir impérialiste, puis colonialiste : Jules Ferry est le symbole de l’ambition civilisatrice universelle de la République, quitte à transiger avec les principes de la laïcité :

« L’anticléricalisme n’est pas un produit d’exportation. »

C’est précisément par la voie de la colonisation que survient la première véritable mondialisation et, bien sûr, elle repose sur un principe d’asymétrie. L’opinion publique pense immédiatement : esclavage, commerce triangulaire. La réalité est plus complexe : c’est le régime de l’Exclusif qui assure à la métropole le monopole des échanges avec ses colonies, de telle sorte que par le biais de réexportations massives qui permettent au colonisateur de capter l’essentiel de la valeur ajoutée, l’équilibre commercial de la puissance colonisatrice est assuré. Ce modèle perdurera jusqu’en 1913 et se traduira par un poids des échanges extérieurs dans l’économie européenne qui ne sera à nouveau atteint qu’à la veille du premier choc pétrolier, au début des années 70.

Entretemps, la science économique a progressé. Le courant de pensée initial est celui des avantages comparatifs de Ricardo, décliné à travers le modèle de Heckscher- Ohlin-Samuelson qui souligne l’importance majeure de la dotation de chaque pays en facteurs de production, de telle sorte, par exemple, que l’abondance de capital aux Etats-Unis devrait conduire l’économie américaine à se spécialiser dans les produits à forte intensité capitalistique, ce qui n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, les phénomènes d’accumulation des avantages comparatifs, d’oligopoles et de dissymétrie des termes de l’échange ont conduit à l’émergence d’une critique croissante, en faveur de la réinstauration d’un certain protectionnisme.

La première question est celle des secteurs stratégiques, éléments essentiels de la souveraineté. Mais comment repenser la souveraineté à l’heure de la construction européenne ? L’industrie de défense, l’approvisionnement énergétique occupent le premier rang de ces préoccupations.

Les nanotechnologies, la santé figurent depuis longtemps parmi les priorités industrielles, aux côtés de l’électronique et des technologies de l’information. Mais quelles conséquences en tirer quant à la localisation de ces activités ? La bonne échelle ne serait-elle pas européenne ?

C’est ici qu’intervient la question de l’emploi. Par exemple, il est certain que la maîtrise de la filière du médicament est un sujet stratégique et économique majeur. Mais peut-on analyser de la même manière la fabrication de masques de protection, eu égard à la réalité de la demande en temps normal ? A ce stade de la réflexion, comme en matière énergétique avec le gaz, le pétrole et l’uranium, on voit bien que la question est plutôt celle de la sécurité, notamment politique, des sources d’approvisionnement : le conflit qui déchire l’ex-empire soviétique illustre cette réalité. D’où le problème du « sourcing » chinois, surtout s’il est exclusif. En définitive, l’arbitrage à opérer se posera en termes de maîtrise des approvisionnements qui, n’implique pas une origine nationale, et d’emplois industriels productifs, c’est-à-dire compétitifs. Au-delà, il est évident que les enjeux de pouvoir d’achat, surtout en période d’inflation et de crise des finances publiques, limiteront les ambitions en termes de relocalisation quoiqu’en disent les prophètes annonciateurs d’un « nouveau monde ».

La principale révélation de la crise globale, en pratique, est celle de la relative fragilité de la chaîne logistique, levier essentiel de la mondialisation. Et c’est sur cet aspect du problème, qui n’est pas nouveau en dépit de la propagande chinoise autour des « routes de la soie », que mérite d’être réexaminée la dimension territoriale de l’économie, en lien avec les questions stratégiques et environnementales.

Traiter d’économie territoriale, c’est, d’abord, parler des territoires et de la relation du local au national. Dans cette démarche délicate, quelques fanaux éclairent le cheminement.

Fernand Braudel, d’abord, qui ne vivra pas assez longtemps pour conclure son ouvrage de synthèse, « L’identité de la France », dont il trace néanmoins les grandes lignes : un pays de pays, morcelés par la géographie et réunis par l’Histoire ; une tension entre de multiples irrédentismes et une centralisation opérée par l’Etat, au profit de la capitale et de son rayonnement mondial, au détriment, par exemple, de Lyon, pourtant mieux situé en termes de flux d’échanges européens. Au final, Braudel ne récuse pas ce travail historique et exprime sa méfiance à l’égard de la résurgence politique des territoires. Il n’est guère décentralisateur et il rejoint, sur ce point, Michelet qui résume sa thèse : l’Histoire s’est finalement imposée à la Géographie, et c’est très bien ainsi. La référence absolue, sur la question territoriale, demeure Vidal de la Blache et son « Tableau de la géographie de la France » de 1903, dans lequel il démontre comment, à cette époque, les seules métropoles qui aient véritablement émergé sont périphériques : tous les grands ports, Strasbourg sur le Rhin… Il montre également l’importance des complémentarités entre territoires et le processus de fertilisation croisée qui en résulte, notamment sur le plan démographique : La France est « une terre qui semble faite pour absorber sa propre émigration ». Mais Vidal est un homme de l’intérieur, du continent, qui ne connaît guère les côtes océaniques et qui manque du recul de Braudel pour distinguer les failles du modèle français : la France a raté la mer et n’a acclimaté que tardivement l’industrialisation et le capitalisme parce que pour le meilleur ou pour le pire, elle a toujours été attirée par son terroir et par les frontières continentales, lieu des menaces directes pesant sur son intégrité. Que dire de plus, et qu’en déduire ?

D’abord, que la question des territoires de la République est essentiellement franco-française et n’interfère qu’indirectement et de façon relativement marginale avec les questions de « déglobalisation » et de souveraineté économique. Certes, divers centres de production peuvent être réimplantés sur le territoire national, mais leur localisation précise dépendra surtout de considérations logistiques : la concurrence entre territoires, que l’on peut pressentir, correspondrait donc à une débauche d’énergie, peu productive.

En revanche, des leviers majeurs de redynamisation territoriale existent et, indépendamment de la crise sanitaire et économique, méritent d’être actionnés.

Le premier d’entre eux est relatif au développement de l’offre d’habitat, qui deviendra un facteur d’attractivité essentiel, s’agissant notamment des key-workers, particulièrement de ceux que leur métier écarte du télétravail. Il est évident que l’offre d’habitat intermédiaire à proximité des centres hospitaliers constituera, par exemple, une priorité à réexaminer dans l’avenir. Plus généralement, la revitalisation des villes moyennes et en particulier des « cœurs de ville » passe par la création d’une offre d’habitat adaptée à des clientèles potentiellement intéressées par les aménités culturelles, mais aussi sanitaires et éducatives : l’attractivité du centre-ville conditionne l’avenir de la périphérie.

Le deuxième enjeu, puisqu’il n’existe pas véritablement de territoire autonome en regard de l’économie nationale, réside dans la connexion au marché : national, européen, mondial. Connexion numérique, d’abord, mais aussi logistique physique et, notamment, multimodale.

Le troisième enjeu est relatif à la constitution de clusters autour des établissements universitaires et, à moindre échelle, des centres de formation d’ampleur régionale, de manière à coupler recherche et production, constituant ainsi de véritables pôles d’attractivité.

Au final, il est évident que les enjeux de revitalisation des territoires revêtent une dimension essentiellement nationale et qu’il est quelque peu artificiel de les raccorder à la question de la « déglobalisation », analysée comme ressort de nombreuses « relocalisations » sur le territoire national, ce qu’elle n’est probablement pas.

Si relocalisations il doit y avoir, ce qui paraît vraisemblable, c’est à l’échelle de l’Europe et du pourtour méditerranéen qu’il faudra les concevoir. Dans cette perspective, la connexion politique et opérationnelle entre les territoires et l’Etat central revêtira une importance accrue. En conclusion, la grande erreur est d’avoir pensé le capitalisme indépendamment d’une stratégie régalienne. L’erreur symétrique serait de penser les relocalisations indépendamment des principes du capitalisme.

L’Europe, ainsi nommée par les Grecs selon la célèbre princesse phénicienne enlevée, aux dires d’Esope, par Zeus métamorphosé en taureau, n’a longtemps été qu’une réalité géographique mal connue, à l’Ouest de l’espace hellène. Plus tard, l’entité politique structurante est l’Empire romain, essentiellement méditerranéen, qui ne franchit guère le Rhin et le Danube, tandis que la chrétienté réunit Occident et Orient, le christianisme étant d’ailleurs une religion d’origine orientale. Le premier, l’Empire de Charlemagne s’inscrit brièvement dans un espace correspondant à celui de l’Europe des Six. Issue du traité de Verdun de 843, une « Francia occidentalis » séparée par l’éphémère Lotharingie de son pendant oriental, participe du démembrement de l’Occident. Le Moyen-Age ignore donc la dimension européenne, qui n’est révélée que grâce à la prise de Byzance par les Turcs en 1453. Le pape Pie II s’en inquiète en ces termes : « des querelles intestines laissent les ennemis de la Croix se déchaîner » en préambule de son traité « De Europa ».

Tandis qu’Erasme y voit, déjà, l’espace d’une possible paix perpétuelle, Charles Quint tente, contre François Ier, d’imposer l’union par la force, sans succès ; François Ier n’hésite pas à s’allier à Soleiman pour contrer ce dessein, et la flotte turque, passant un hiver à Toulon, transforme ce port en ville musulmane, peuplée de milliers de janissaires et de leurs captifs chrétiens. François Ier frise l’excommunication, avant que la flotte ottomane ne lève l’ancre pour le Levant.

Napoléon, qui tente d’unifier l’espace péninsulaire du bloc asiatique par la force et par le droit, échoue pareillement et le Congrès de Vienne institue une Sainte Alliance dont ne s’excluent volontairement, signe précurseur, que l’Angleterre et le Vatican.

Dès lors, toute construction idéaliste, comme celle de Victor Hugo, bute sur la rivalité franco-allemande, jusqu’au grandiose projet d’Aristide Briand, à la fin des années vingt, mis à bas par la crise mondiale. Et c’est Churchill, au lendemain de la guerre, qui invite les continentaux à s’unir, sans inclure, lucidement, le Royaume-Uni dans la perspective ainsi tracée.

Ainsi, toute l’histoire de l’Europe met en évidence deux faits saillants : d’abord, que l’Angleterre n’est guère concernée ; ensuite, que la réalisation du projet dépend entièrement de la configuration, naturellement conflictuelle, de l’axe franco-allemand.

Un épisode l’illustre singulièrement : à l’issue de la signature du traité de l’Elysée, en 1963, qui pose les bases du projet européen, l’entregent de Jean Monnet permet à celui-ci de faire introduire devant le Bundestag, pour sa ratification, un préambule repositionnant le traité dans une perspective atlantiste, expressément écartée par le général de Gaulle qui, furieux, évoque la possibilité d’un renversement d’alliance « avec la Russie » ! Les limites politiques du « couple » franco-allemand sont ainsi tracées.

Au fond, c’est sur ce compromis que l’Europe a progressé : un grand marché ouvert au monde libre, supervisé en matière de droit de la concurrence ; la politique agricole commune pour satisfaire la France et quelques Etats méditerranéens ; des fonds structurels pour accompagner les retardataires ; et surtout, en contrepartie d’une clientèle assurée pour l’industrie allemande, une union monétaire, assortie de règles disciplinaires strictes. Un « deal » intelligent, sans doute le meilleur que l’on puisse espérer, et qui s’avère incontestablement « gagnant-gagnant ».

A ceci près qu’une fois encore, la relation franco-allemande soulève des difficultés, non pas à cause d’un écart de compétitivité entre les deux économies, qui fluctue dans le temps, mais d’un différentiel majeur de croissance démographique qui est structurellement stable et qui condamne la France à un taux de chômage élevé, pour des niveaux de croissance équivalents. De là viennent les excédents d’une grande Suisse, les déficits d’une « petite Russie » dépourvue de richesses naturelles, hormis sa puissante agriculture. Et au final, un « spread » croissant sur les marchés financiers.

Cette situation représente-t-elle un problème ? Assurément, dans le contexte de crise globale que nous traversons. Est-il insurmontable ? Peu vraisemblablement : la France et sa dette publique ne peuvent se passer de l’euro, pas plus que l’Allemagne d’un de ses principaux clients.

Pour autant, nous ne saurions ignorer qu’à partir de son origine sanitaire, la crise revêt une dimension économique et, désormais, géopolitique.

L’Union européenne, à travers ses plans de relance et la mobilisation du système européen de banques centrales a couvert, dans des conditions relativement satisfaisantes, son champ d’intervention naturel, économique et financier, sous une réserve majeure : l’enjeu agroalimentaire, et d’abord agricole, ne saurait être abordé selon sa seule dimension écologique, qui ne peut être exclusive de son poids économique et de son impact stratégique. La France aurait beaucoup à perdre de ce cantonnement idéologique.

Ce constat renvoie à une question fondamentale : après le Brexit, l’exclusion de la Turquie et la guerre en Ukraine, l’UE offre-t-elle le cadre pertinent pour parler de sécurité européenne, alors même qu’à l’exception de la France, toutes les nations européennes (hors Grèce, Croatie et Serbie) suivent l’exemple de l’Allemagne pour se détourner de la construction d’une industrie de défense européenne, socle indispensable d’une Europe (au sens de l’UE) de la défense ? Dès lors, puisqu’il ne s’agit que de parler de capacités militaires, au sens de « second pilier de l’OTAN », est-il raisonnable de s’en tenir à un tête-à-tête avec l’Allemagne, sans intégrer le Royaume-Uni, la Suède et la Turquie dont le poids militaire est essentiel sur le théâtre européen.

La question posée est donc celle de la réactivation d’un cadre similaire à celui de l’Union de l’Europe Occidentale, qui pourrait retrouver son utilité lorsque la relance d’un processus de discussion avec la Russie, analogue à celui de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’avèrera indispensable. En l’absence d’un tel dispositif, le destin du continent européen pourrait fort bien être traité directement entre Washington et Moscou.

L’avenir de la France face aux crises

L’avenir de la France face aux crises

Des événements de diverses natures ont entraîné des conséquences géopolitiques bien au-delà de leur perception par leurs contemporains ( article de

André Yché dans la Tribune)

En remportant la bataille de Chéronée en 338 avant JC, Philippe II de Macédoine assure la domination de son pays sur la Grèce et prépare l’entreprise conquérante d’Alexandre le Grand qui, pénétrant en Orient jusqu’en Asie Centrale et en Inde, ouvre les « routes de la soie ».

De même, la peste de Justinien, au milieu du VIème siècle, en décimant les armées byzantines engagées dans la reconquête de l’Italie, met un terme à l’ultime tentative de réunification de l’Empire romain et, de fait, scelle le sort, à terme, de l’Empire byzantin.

Les batailles de Chesapeake Bay et de Yorktown, en 1781, remportées par de Grasse et Rochambeau, ouvrent la voie à l’indépendance américaine et jouent un rôle déterminant dans l’Histoire mondiale du XXe siècle.

La bataille de Sadowa, qui accélère le déclin de l’Empire austro-hongrois, marque le début de l’hégémonie prussienne en Europe centrale, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.

Enfin, la crise de 1929 n’est surmontée qu’à partir du moment où les Etats-Unis s’engagent dans une politique de réarmement, d’abord au profit des démocraties européennes, puis pour leur compte propre à partir du 8 décembre 1941. Pour soixante-dix ans, la doctrine Monroe est mise entre parenthèses et l’Amérique renonce à son isolationnisme traditionnel. Jusqu’à quand ?

En même temps, la dimension géopolitique de l’Histoire se heurte constamment aux réalités territoriales, aux ancrages nationaux, à l’enracinement des Hommes qui tressent un lien indissoluble entre histoire et géographie.

C’est ainsi que tout au long du premier tiers du XVe siècle, le grand empereur chinois, Yongle, parraine les expéditions maritimes de Zheng He, afin d’ouvrir le monde à la Chine : l’océan Indien, les côtes de l’Afrique de l’Est, la mer Rouge, jusqu’en Egypte. Mais l’agitation turco-mongole sur les frontières du nord impose le recentrage de l’effort budgétaire sur la restauration de la Grande Muraille et, pour protéger le Hebei, l’Empire céleste se détourne durablement du « Grand Large ».

Au cours du dernier tiers du XIXème siècle, alors que monte en Angleterre un courant en faveur du libre-échange qui ouvre le monde entier à la City, porté par l’aristocratie foncière reconvertie dans la finance après l’abrogation des lois protectionnistes sur le blé (« Corn Laws ») par Robert Peel en 1846, une forte opposition se fait jour, conduite aux Communes par Benjamin Disraeli. Derrière ce courant protectionniste, les intérêts portuaires britanniques sont en cause ; ils bénéficient du régime de l’« Exclusif » avec l’Empire qui alimente les réexportations vers le continent. L’entreprise coloniale, ce sont également, à proximité des bases navales, les arsenaux de la Navy et de l’Army qui constituent le cœur de la métallurgie anglaise.

Comme aux Etats-Unis et en France aujourd’hui, les Anglais sont donc en plein débat sur la protection de leur industrie, auquel s’ajoutent les polémiques entre Malthus (protectionniste) et Ricardo (libre-échangiste) sur la souveraineté alimentaire nationale.

Quels enseignements utiles faut-il tirer de ces épisodes historiques quant à l’impact probable de la crise sanitaire, économique et géopolitique que nous traversons?

La France et le Monde

L’expérience pratique de l’Antiquité grecque est celle d’un monde éclaté, dans lequel chaque Cité fixe ses lois, règle son gouvernement, décerne sa citoyenneté. Au-delà, c’est le monde barbare, qui ne parle pas grec et qui, de ce fait, n’est pas civilisé.

Pour autant, Platon n’ignore pas l’idée d’universalité : mais elle est purement intellectuelle ; elle tient dans l’aptitude de tout être humain à penser ; c’est, en quelque sorte, le « Cogito » de Descartes, avant l’heure.

L’universalisme romain ne se conçoit, juridiquement, qu’à travers l’attribution de la citoyenneté, considérablement élargie à partir de l’édit de Caracalla en 212, qui accorde la qualité de citoyen romain à tout homme libre de l’Empire.

Il n’en demeure pas moins que le véritable vecteur du concept d’universalisme réside dans le christianisme, à travers notamment la prédication de Saint Paul :

« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. »

La réalisation de ce principe soulèvera, bien sûr, maintes difficultés, y compris au sein de la communauté chrétienne et sera à l’origine de très vives tensions entre Paul et Pierre, à l’occasion de leur rencontre à Antioche. Avec la fin de l’Empire, le christianisme demeure le seul cadre porteur de valeurs universelles, ce qui ne manquera pas de susciter de nombreux conflits politiques au Moyen-Age, face à l’émergence des nations : le volet politique de la réforme grégorienne illustre, entre dogmes religieux persistants et nouvelles réalités d’un monde recomposé, une contradiction que Machiavel tranchera définitivement en laïcisant la pensée politique.

Il est nécessaire de percevoir qu’en réalité, la divergence entre principes universalistes et réalités nationales est une constante historique.

Le grand penseur de l’universalisme des Lumières est Emmanuel Kant, qui fait de l’universalité une condition essentielle de la morale : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée en loi universelle. ». Ce principe, qu’il élève au rang d’« impératif catégorique », n’est donc pas, à ses yeux, discutable. Pour autant, Kant mesure bien que concrètement, c’est la loi de l’Etat qui s’impose. Il considère que la contrainte physique que peut exercer l’Etat n’a pas d’effet durable sur la société et que ce qui compte, c’est l’obligation morale d’obéir à la loi que chaque individu perçoit intérieurement, parce qu’elle découle, précisément, d’une norme universelle.

Très belle construction intellectuelle, qui inspirera les fondateurs de la Société des Nations, de l’ONU… Mais en pratique, qu’en est-il ? Pour citer Charles Péguy :

« Kant a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, tout comme les textes fondateurs de la République américaine, s’inspirent naturellement de la philosophie kantienne, mais concrètement, la distinction est clairement établie entre ceux qui détiennent des droits subjectifs, les « citoyens », et les autres, les « hommes » qui ne peuvent exciper que de droits objectifs. Et la réalité révolutionnaire est essentiellement nationale (Valmy…) avant de devenir impérialiste, puis colonialiste : Jules Ferry est le symbole de l’ambition civilisatrice universelle de la République, quitte à transiger avec les principes de la laïcité :

« L’anticléricalisme n’est pas un produit d’exportation. »

C’est précisément par la voie de la colonisation que survient la première véritable mondialisation et, bien sûr, elle repose sur un principe d’asymétrie. L’opinion publique pense immédiatement : esclavage, commerce triangulaire. La réalité est plus complexe : c’est le régime de l’Exclusif qui assure à la métropole le monopole des échanges avec ses colonies, de telle sorte que par le biais de réexportations massives qui permettent au colonisateur de capter l’essentiel de la valeur ajoutée, l’équilibre commercial de la puissance colonisatrice est assuré. Ce modèle perdurera jusqu’en 1913 et se traduira par un poids des échanges extérieurs dans l’économie européenne qui ne sera à nouveau atteint qu’à la veille du premier choc pétrolier, au début des années 70.

Entretemps, la science économique a progressé. Le courant de pensée initial est celui des avantages comparatifs de Ricardo, décliné à travers le modèle de Heckscher- Ohlin-Samuelson qui souligne l’importance majeure de la dotation de chaque pays en facteurs de production, de telle sorte, par exemple, que l’abondance de capital aux Etats-Unis devrait conduire l’économie américaine à se spécialiser dans les produits à forte intensité capitalistique, ce qui n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, les phénomènes d’accumulation des avantages comparatifs, d’oligopoles et de dissymétrie des termes de l’échange ont conduit à l’émergence d’une critique croissante, en faveur de la réinstauration d’un certain protectionnisme.

La première question est celle des secteurs stratégiques, éléments essentiels de la souveraineté. Mais comment repenser la souveraineté à l’heure de la construction européenne ? L’industrie de défense, l’approvisionnement énergétique occupent le premier rang de ces préoccupations.

Les nanotechnologies, la santé figurent depuis longtemps parmi les priorités industrielles, aux côtés de l’électronique et des technologies de l’information. Mais quelles conséquences en tirer quant à la localisation de ces activités ? La bonne échelle ne serait-elle pas européenne ?

C’est ici qu’intervient la question de l’emploi. Par exemple, il est certain que la maîtrise de la filière du médicament est un sujet stratégique et économique majeur. Mais peut-on analyser de la même manière la fabrication de masques de protection, eu égard à la réalité de la demande en temps normal ? A ce stade de la réflexion, comme en matière énergétique avec le gaz, le pétrole et l’uranium, on voit bien que la question est plutôt celle de la sécurité, notamment politique, des sources d’approvisionnement : le conflit qui déchire l’ex-empire soviétique illustre cette réalité. D’où le problème du « sourcing » chinois, surtout s’il est exclusif. En définitive, l’arbitrage à opérer se posera en termes de maîtrise des approvisionnements qui, n’implique pas une origine nationale, et d’emplois industriels productifs, c’est-à-dire compétitifs. Au-delà, il est évident que les enjeux de pouvoir d’achat, surtout en période d’inflation et de crise des finances publiques, limiteront les ambitions en termes de relocalisation quoiqu’en disent les prophètes annonciateurs d’un « nouveau monde ».

La principale révélation de la crise globale, en pratique, est celle de la relative fragilité de la chaîne logistique, levier essentiel de la mondialisation. Et c’est sur cet aspect du problème, qui n’est pas nouveau en dépit de la propagande chinoise autour des « routes de la soie », que mérite d’être réexaminée la dimension territoriale de l’économie, en lien avec les questions stratégiques et environnementales.

Traiter d’économie territoriale, c’est, d’abord, parler des territoires et de la relation du local au national. Dans cette démarche délicate, quelques fanaux éclairent le cheminement.

Fernand Braudel, d’abord, qui ne vivra pas assez longtemps pour conclure son ouvrage de synthèse, « L’identité de la France », dont il trace néanmoins les grandes lignes : un pays de pays, morcelés par la géographie et réunis par l’Histoire ; une tension entre de multiples irrédentismes et une centralisation opérée par l’Etat, au profit de la capitale et de son rayonnement mondial, au détriment, par exemple, de Lyon, pourtant mieux situé en termes de flux d’échanges européens. Au final, Braudel ne récuse pas ce travail historique et exprime sa méfiance à l’égard de la résurgence politique des territoires. Il n’est guère décentralisateur et il rejoint, sur ce point, Michelet qui résume sa thèse : l’Histoire s’est finalement imposée à la Géographie, et c’est très bien ainsi. La référence absolue, sur la question territoriale, demeure Vidal de la Blache et son « Tableau de la géographie de la France » de 1903, dans lequel il démontre comment, à cette époque, les seules métropoles qui aient véritablement émergé sont périphériques : tous les grands ports, Strasbourg sur le Rhin… Il montre également l’importance des complémentarités entre territoires et le processus de fertilisation croisée qui en résulte, notamment sur le plan démographique : La France est « une terre qui semble faite pour absorber sa propre émigration ». Mais Vidal est un homme de l’intérieur, du continent, qui ne connaît guère les côtes océaniques et qui manque du recul de Braudel pour distinguer les failles du modèle français : la France a raté la mer et n’a acclimaté que tardivement l’industrialisation et le capitalisme parce que pour le meilleur ou pour le pire, elle a toujours été attirée par son terroir et par les frontières continentales, lieu des menaces directes pesant sur son intégrité. Que dire de plus, et qu’en déduire ?

D’abord, que la question des territoires de la République est essentiellement franco-française et n’interfère qu’indirectement et de façon relativement marginale avec les questions de « déglobalisation » et de souveraineté économique. Certes, divers centres de production peuvent être réimplantés sur le territoire national, mais leur localisation précise dépendra surtout de considérations logistiques : la concurrence entre territoires, que l’on peut pressentir, correspondrait donc à une débauche d’énergie, peu productive.

En revanche, des leviers majeurs de redynamisation territoriale existent et, indépendamment de la crise sanitaire et économique, méritent d’être actionnés.

Le premier d’entre eux est relatif au développement de l’offre d’habitat, qui deviendra un facteur d’attractivité essentiel, s’agissant notamment des key-workers, particulièrement de ceux que leur métier écarte du télétravail. Il est évident que l’offre d’habitat intermédiaire à proximité des centres hospitaliers constituera, par exemple, une priorité à réexaminer dans l’avenir. Plus généralement, la revitalisation des villes moyennes et en particulier des « cœurs de ville » passe par la création d’une offre d’habitat adaptée à des clientèles potentiellement intéressées par les aménités culturelles, mais aussi sanitaires et éducatives : l’attractivité du centre-ville conditionne l’avenir de la périphérie.

Le deuxième enjeu, puisqu’il n’existe pas véritablement de territoire autonome en regard de l’économie nationale, réside dans la connexion au marché : national, européen, mondial. Connexion numérique, d’abord, mais aussi logistique physique et, notamment, multimodale.

Le troisième enjeu est relatif à la constitution de clusters autour des établissements universitaires et, à moindre échelle, des centres de formation d’ampleur régionale, de manière à coupler recherche et production, constituant ainsi de véritables pôles d’attractivité.

Au final, il est évident que les enjeux de revitalisation des territoires revêtent une dimension essentiellement nationale et qu’il est quelque peu artificiel de les raccorder à la question de la « déglobalisation », analysée comme ressort de nombreuses « relocalisations » sur le territoire national, ce qu’elle n’est probablement pas.

Si relocalisations il doit y avoir, ce qui paraît vraisemblable, c’est à l’échelle de l’Europe et du pourtour méditerranéen qu’il faudra les concevoir. Dans cette perspective, la connexion politique et opérationnelle entre les territoires et l’Etat central revêtira une importance accrue. En conclusion, la grande erreur est d’avoir pensé le capitalisme indépendamment d’une stratégie régalienne. L’erreur symétrique serait de penser les relocalisations indépendamment des principes du capitalisme.

L’Europe, ainsi nommée par les Grecs selon la célèbre princesse phénicienne enlevée, aux dires d’Esope, par Zeus métamorphosé en taureau, n’a longtemps été qu’une réalité géographique mal connue, à l’Ouest de l’espace hellène. Plus tard, l’entité politique structurante est l’Empire romain, essentiellement méditerranéen, qui ne franchit guère le Rhin et le Danube, tandis que la chrétienté réunit Occident et Orient, le christianisme étant d’ailleurs une religion d’origine orientale. Le premier, l’Empire de Charlemagne s’inscrit brièvement dans un espace correspondant à celui de l’Europe des Six. Issue du traité de Verdun de 843, une « Francia occidentalis » séparée par l’éphémère Lotharingie de son pendant oriental, participe du démembrement de l’Occident. Le Moyen-Age ignore donc la dimension européenne, qui n’est révélée que grâce à la prise de Byzance par les Turcs en 1453. Le pape Pie II s’en inquiète en ces termes : « des querelles intestines laissent les ennemis de la Croix se déchaîner » en préambule de son traité « De Europa ».

Tandis qu’Erasme y voit, déjà, l’espace d’une possible paix perpétuelle, Charles Quint tente, contre François Ier, d’imposer l’union par la force, sans succès ; François Ier n’hésite pas à s’allier à Soleiman pour contrer ce dessein, et la flotte turque, passant un hiver à Toulon, transforme ce port en ville musulmane, peuplée de milliers de janissaires et de leurs captifs chrétiens. François Ier frise l’excommunication, avant que la flotte ottomane ne lève l’ancre pour le Levant.

Napoléon, qui tente d’unifier l’espace péninsulaire du bloc asiatique par la force et par le droit, échoue pareillement et le Congrès de Vienne institue une Sainte Alliance dont ne s’excluent volontairement, signe précurseur, que l’Angleterre et le Vatican.

Dès lors, toute construction idéaliste, comme celle de Victor Hugo, bute sur la rivalité franco-allemande, jusqu’au grandiose projet d’Aristide Briand, à la fin des années vingt, mis à bas par la crise mondiale. Et c’est Churchill, au lendemain de la guerre, qui invite les continentaux à s’unir, sans inclure, lucidement, le Royaume-Uni dans la perspective ainsi tracée.

Ainsi, toute l’histoire de l’Europe met en évidence deux faits saillants : d’abord, que l’Angleterre n’est guère concernée ; ensuite, que la réalisation du projet dépend entièrement de la configuration, naturellement conflictuelle, de l’axe franco-allemand.

Un épisode l’illustre singulièrement : à l’issue de la signature du traité de l’Elysée, en 1963, qui pose les bases du projet européen, l’entregent de Jean Monnet permet à celui-ci de faire introduire devant le Bundestag, pour sa ratification, un préambule repositionnant le traité dans une perspective atlantiste, expressément écartée par le général de Gaulle qui, furieux, évoque la possibilité d’un renversement d’alliance « avec la Russie » ! Les limites politiques du « couple » franco-allemand sont ainsi tracées.

Au fond, c’est sur ce compromis que l’Europe a progressé : un grand marché ouvert au monde libre, supervisé en matière de droit de la concurrence ; la politique agricole commune pour satisfaire la France et quelques Etats méditerranéens ; des fonds structurels pour accompagner les retardataires ; et surtout, en contrepartie d’une clientèle assurée pour l’industrie allemande, une union monétaire, assortie de règles disciplinaires strictes. Un « deal » intelligent, sans doute le meilleur que l’on puisse espérer, et qui s’avère incontestablement « gagnant-gagnant ».

A ceci près qu’une fois encore, la relation franco-allemande soulève des difficultés, non pas à cause d’un écart de compétitivité entre les deux économies, qui fluctue dans le temps, mais d’un différentiel majeur de croissance démographique qui est structurellement stable et qui condamne la France à un taux de chômage élevé, pour des niveaux de croissance équivalents. De là viennent les excédents d’une grande Suisse, les déficits d’une « petite Russie » dépourvue de richesses naturelles, hormis sa puissante agriculture. Et au final, un « spread » croissant sur les marchés financiers.

Cette situation représente-t-elle un problème ? Assurément, dans le contexte de crise globale que nous traversons. Est-il insurmontable ? Peu vraisemblablement : la France et sa dette publique ne peuvent se passer de l’euro, pas plus que l’Allemagne d’un de ses principaux clients.

Pour autant, nous ne saurions ignorer qu’à partir de son origine sanitaire, la crise revêt une dimension économique et, désormais, géopolitique.

L’Union européenne, à travers ses plans de relance et la mobilisation du système européen de banques centrales a couvert, dans des conditions relativement satisfaisantes, son champ d’intervention naturel, économique et financier, sous une réserve majeure : l’enjeu agroalimentaire, et d’abord agricole, ne saurait être abordé selon sa seule dimension écologique, qui ne peut être exclusive de son poids économique et de son impact stratégique. La France aurait beaucoup à perdre de ce cantonnement idéologique.

Ce constat renvoie à une question fondamentale : après le Brexit, l’exclusion de la Turquie et la guerre en Ukraine, l’UE offre-t-elle le cadre pertinent pour parler de sécurité européenne, alors même qu’à l’exception de la France, toutes les nations européennes (hors Grèce, Croatie et Serbie) suivent l’exemple de l’Allemagne pour se détourner de la construction d’une industrie de défense européenne, socle indispensable d’une Europe (au sens de l’UE) de la défense ? Dès lors, puisqu’il ne s’agit que de parler de capacités militaires, au sens de « second pilier de l’OTAN », est-il raisonnable de s’en tenir à un tête-à-tête avec l’Allemagne, sans intégrer le Royaume-Uni, la Suède et la Turquie dont le poids militaire est essentiel sur le théâtre européen.

La question posée est donc celle de la réactivation d’un cadre similaire à celui de l’Union de l’Europe Occidentale, qui pourrait retrouver son utilité lorsque la relance d’un processus de discussion avec la Russie, analogue à celui de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’avèrera indispensable. En l’absence d’un tel dispositif, le destin du continent européen pourrait fort bien être traité directement entre Washington et Moscou.

Balance commerciale : un déficit mortel pour l’avenir

Le déficit commercial français a atteint 9 milliards d’euros en novembre en moyenne d’après Bercy le déficit commercial de la France devrait approcher les 90 milliards c’est-à-dire encore beaucoup plus que la moyenne habituelle de 60 milliards quand cette même moyenne en Allemagne fait paraître un profit proche de 200 milliards.

La balance commerciale constitue en faite le véritable indicateur de compétitivité du pays. Or la France n’est plus depuis longtemps une puissance industrielle et elle est de moins une  puissance agricole. La croissance repose essentiellement sur la consommation des ménages de produits en très grande majorité importée.

Sur le seul mois de novembre, le déficit extérieur s’est creusé à 9,7 milliards d’euros, soit 2 milliards de plus qu’en octobre. A titre de comparaison, il n’était que de 4,5 milliards en janvier 2021.

La France subit de plein fouet le renchérissement de ses importations. Celles-ci ont atteint un niveau « historique » de 52,5 milliards en moyenne mobile sur trois mois et de 53,7 milliards en novembre. Sur onze mois, « les importations n’ont augmenté que de 2,6 % en volume, contre 20,1 % en valeur », précisent les Douanes.  Ce phénomène est notamment visible sur la facture énergétique. L’addition a été alourdie par les tensions très fortes sur les cours du pétrole, du gaz et de l’électricité liées à la reprise mondiale.

A cela, s’est aussi ajouté un élément spécifique défavorable à l’Hexagone : du fait de la météo hivernale et de la mise à l’arrêt forcé de plusieurs réacteurs nucléaires, il a été dans l’incapacité de répondre à la demande intérieure. Résultat : traditionnellement exportatrice d’électricité, la France s’est retrouvée en position d’importatrice nette en novembre, à un moment où les cours s’envolaient. De quoi creuser considérablement les déficits sur les produits énergétiques, à 5,3 milliards contre 3,7 milliards deux mois plus tôt.

Mais malgré le retour des exportations à leur niveau d’avril 2019 (44 milliards en novembre), la performance hexagonale n’est guère plus brillante sur les autres produits : le solde commercial sur les biens d’investissement et sur les biens de consommation s’est également détérioré. Là encore, cela s’explique par un gonflement du montant des importations lié aux hausses de prix constatées aussi bien sur les matières premières autres que l’énergie (bois, métaux, céréales etc.) que sur les biens manufacturés.

 

La démographie vieillissante hypothèque l’avenir de la création

La démographie vieillissante hypothèque l’avenir de la création

 

L’avenir de la création dépend moins de la place occupée par les écrans, les réseaux sociaux ou les jeux vidéo que du profil socioculturel de leurs utilisateurs, observe, dans sa chronique, Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».

 

Il s’est passé deux choses étonnantes au Théâtre de l’Athénée, à Paris, samedi 22 janvier, lors d’une représentation du Voyage de Gulliver. Sur scène, avec des jeux d’optiques fascinants, entre marionnettes et comédiens réels. Dans la salle aussi, formée de deux tiers d’adultes et d’un tiers d’enfants. Cette alchimie fait écho au problème sérieux de la culture dite classique : le vieillissement de son public, qui gagne depuis des années et que la pandémie a accéléré.

Pour mesurer l’enjeu, il existe une avalanche de livres, de spectacles, de films ou d’expositions destinés au « jeune public ». Mais rarissimes sont les œuvres dont les formes attirent grands et petits. Sur les sièges de l’Athénée, Stéphane Braunschweig, directeur du théâtre de l’Odéon, cohabitait avec des couples assis seuls ou à côté de gamins leur chuchotant des questions. Soit une salle un peu turbulente mais belle à voir.

Les artistes de ce Voyage de Gulliver, Valérie Lesort et Christian Hecq, martèlent qu’il est pour « tout public ». Même chose pour leurs autres créations, comme Vingt mille lieues sous les mers, Le Domino noir, La Mouche ou Le Bourgeois Gentilhomme. Pour y arriver, le tandem se frotte aux formats du théâtre ou de l’opéra, qu’ils bousculent au moyen de marionnettes, des arts plastiques, de la danse, de la musique, de l’émotion et du rire. Ce n’est pas de l’art pour les jeunes mais de l’art tout court qui a du style.

Lesort et Hecq forment le couple artistique le plus convoité du moment tant leurs spectacles triomphent tout en étant les agents involontaires d’un public élargi. Leur Voyage de Gulliver, achevé à Paris, commence une longue tournée avec pour première étape le théâtre des Célestins, à Lyon, le 1er février.

La priorité du ministère de la culture est d’attirer en ces lieux les gens d’origine modeste qui n’y vont pas. Or la question du vieillissement du public est presque plus grave : que les lieux culturels soient dominés par les gens aisés est problématique mais au moins ces derniers se reproduisent, alors que les seniors meurent et ne sont pas remplacés – si, à 18 ans, on ne va pas au spectacle, on ne le fera pas à 60 ans.

Ce vieillissement du public est pourtant repéré. Selon plusieurs études, l’âge médian au concert classique est passé de 36 ans en 1981, à 52 ans en 2008, à 61 ans aujourd’hui. La Philharmonie de Paris, en multipliant les actions depuis 2015, a un peu corrigé le tir mais la tendance de fond est là. C’est vrai aussi pour les musées, les théâtres ou les librairies, si on met de côté le public des scolaires (contraint de venir).

L’avenir de l’Afrique dépend de l’investissement dans la jeunesse

L’avenir de l’Afrique dépend de l’investissement dans la jeunesse 

Pour l’économiste Hippolyte Fofack, « faire de la population un atout est la voie la plus efficace » pour placer les pays « sur une longue trajectoire de croissance ».

 

Des propos relativement évidents mais un peu intemporels et surtout qui ne sont guère éclairants quant aux perspectives de développement.Il ne suffit pas de constater que la jeunesse peut être un atout, il faut aussi décrire les conditions économiques, techniques voire politiques et sociétales permettant à cette jeunesse de participer au développement. Là comme ailleurs l’incantation ne suffit pas.NDLR

 

Tribune dans le Monde .

 Depuis plusieurs années, les débats sur les enjeux de développement en Afrique sont obscurcis par l’emphase sur le contrôle des naissances et la réduction des taux de fécondité. Les projections des Nations unies qui suggèrent que la population africaine doublera d’ici à 2050 sont devenues un cliché, alors même que les niveaux de fécondité sur le continent sont en baisse : ils ont déjà chuté de plus de 36 % depuis 1970 et le taux moyen de fécondité devrait passer de 4,2 naissances par femme à 2,1 plus tard dans le siècle.

Il est tout aussi troublant que des experts s’empressent d’utiliser de tels clichés pour décrire une région encore ébranlée par les effets de plusieurs siècles d’esclavage et de colonisation qui ont décimé sa population. Selon les estimations les plus récentes, l’Afrique a la plus faible densité de population au monde, avec 46 habitants/km2, contre 150 en Asie et 112 en Europe.

Dans le même temps, de nombreux pays européens mettent en œuvre des politiques de promotion des naissances, à coups d’incitations financières, inspirées par le modèle conçu par le Prix Nobel d’économie Gary Becker. Selon ce modèle, la volonté des parents d’avoir des enfants « dépend du coût d’un enfant supplémentaire ».

Des risques et des opportunités

En 2021, l’Africa Progress Group, présidé par Olusegun Obasanjo, ancien chef d’Etat du Nigeria, a publié son rapport annuel, intitulé « Faire de la population africaine un atout ». L’étude est une contribution bienvenue aux discussions sur la relation entre la démographie et le développement en Afrique. En matière de croissance économique, elle souligne que l’incapacité d’investir durablement dans la jeunesse africaine et de la former pour relever les principaux défis du développement, de la santé, de la sécurité, du commerce et des infrastructures se révèle très coûteuse.

Par exemple, au lieu d’utiliser des programmes de grands travaux publics pour élargir les opportunités d’emploi pour les jeunes sur un continent où les taux de chômage sont au niveau de ceux enregistrés pendant la Grande Dépression dans les années 1930, les gouvernements africains s’appuient depuis des décennies sur des partenaires internationaux pour construire des infrastructures. L’une des conséquences de cette politique a été l’affaiblissement du processus d’apprentissage par la pratique, qui à la fois marginalise les jeunes Africains et exacerbe les risques de piège de la dette associés aux modèles de croissance extravertis.

 

COP26 : L’avenir dépend de la santé de l’océan

COP26 : L’avenir dépend de la santé de l’océan 

 

Connectant les écosystèmes marins et reliant les populations, l’océan n’occupe pas la place qu’il mérite dans les négociations sur le climat, regrette, dans une tribune au « Monde », un collectif de scientifiques, alors que trente-sept organismes de recherche du monde entier se mobilisent en amont de la COP26 et du One Ocean Summit. ( extrait)

 

Tribune. Il couvre 70 % de la surface du globe et joue un rôle crucial dans la réponse au changement global. Pourtant, l’océan n’occupe pas, en proportion, la place qu’il mérite dans les négociations sur le climat. Une vague de scientifiques du monde entier se lève aujourd’hui, après le lancement de la COP26, pour rappeler l’influence prépondérante de l’océan sur la régulation du climat et l’urgence de prendre soin de ce grand bien commun de l’humanité dont notre avenir dépend.

Par le prisme de la science, notre regard a changé. De la côte au grand large, de la surface aux abysses, d’un pôle à l’autre, les chercheurs ont compris qu’il fonctionne comme une entité unique qui vit, respire, évolue et souffre en interdépendance avec les actions humaines. On ne parle plus d’ailleurs des océans mais bien de l’océan au singulier, comme un tout qui connecte les écosystèmes marins et relie les populations du monde par-delà les frontières.

Ce n’est pas un abus de langage que de dire que la vie de chaque être humain dépend de l’océan. Il nous nourrit, nous transporte, nous fournit de l’énergie tout autant qu’il nous émerveille. Pourtant, les menaces que le changement climatique fait peser sur lui restent souvent négligées alors que la dégradation rapide des écosystèmes marins provoque des atteintes majeures à la biodiversité et compromet la sécurité de 40 % de la population mondiale.

Jusqu’à présent l’océan a contribué à amortir la violence du choc en absorbant 93 % de l’excès de chaleur induit par les activités humaines depuis le début de l’ère industrielle. Mais combien de temps encore ce puissant régulateur de la température de notre planète pourra-t-il éponger nos abus ?

Toute cette chaleur emmagasinée n’est pas sans conséquence pour l’océan lui-même et pour nos sociétés. En se réchauffant, il « gonfle ». Ce phénomène de dilatation thermique est responsable de 40 % de l’élévation du niveau de la mer. L’autre part étant à attribuer à la fonte des glaces, toujours en lien avec le changement climatique. Le dernier rapport du GIEC alerte d’ailleurs sur l’accélération du rythme de leur fonte : d’après ses prévisions, la mer pourrait gagner 1 mètre, voire plus, d’ici 2100. Selon les experts, la fonte des calottes glaciaires constitue un « point de rupture » qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices et irréversibles pour la planète et l’humanité.

Le climat pourrait aussi être affecté par la perte de puissance récemment observée d’un des plus grands courants océaniques, la Circulation méridienne de retournement atlantique – l’AMOC –, qui transporte de gigantesques masses d’eau entre les deux hémisphères. L’excès de chaleur n’est pas le seul fléau à craindre. L’océan est aujourd’hui 30 % plus acide qu’il y a deux cent cinquante ans. Cette fois encore, nos émissions croissantes en dioxyde de carbone (CO2) en sont responsables. L’océan absorbe en effet 30 % du CO2 généré par les activités humaines. Son acidification a des conséquences dramatiques pour toutes les espèces qui fabriquent des coquilles ou des squelettes en carbonate de calcium comme les coraux, les foraminifères, certaines espèces de planctons, les huîtres et les moules.

I

Technologie nucléaire : l’avenir via la fusion ?

 

 

Technologie nucléaire : l’avenir via la fusion ?

 

 

Récemment les États-Unis ont réalisé des expérimentations significatives en matière de fusion. Une technologie sur laquelle on fonde beaucoup d’espérance car elle ne produit pratiquement pas de déchets. La France est dans une phase d’expérimentation pour un réacteur à fusion dans le cadre du projet international ITER, la Chine a déjà mis au point un réacteur à fusion . Les réacteurs en service actuellement sont à fission nucléaire et ont surtout le désavantage de générer des déchets très toxiques. La fusion nucléaire est considérée par ses défenseurs comme l’énergie de demain car elle est infinie, tout comme celle du soleil, et ne produit ni déchets ni gaz à effet de serre.

La Chine dispose à cet effet d’un réacteur Tokamak HL-2M, le plus performant du pays, dans la province du Sichuan (sud-ouest). Il s’agit d’une chambre de confinement magnétique qui génère une chaleur phénoménale dans le but de fondre des noyaux atomiques.

Ce tokamak est surnommé « soleil artificiel » en raison de la température qui peut y dépasser les 150 millions de degrés, selon Chine nouvelle – soit dix fois la chaleur produite au cœur même du soleil.

La France a lancé en juillet à Saint-Paul-lès-Durance (Bouches-du-Rhône) l’assemblage d’un gigantesque réacteur à fusion dans le cadre du projet Iter. Il vise les 150 millions de degrés mais les premiers tests ne sont pas attendus avant 2025.

L’assemblage du réacteur expérimental ITER, dont l’ambition est d’apprendre à maîtriser la fusion nucléaire, a débuté mardi 28 juillet dans le sud de la France. Mais les connaissances scientifiques en la matière progressent trop lentement au vu de l’urgence climatique.

Le projet a débuté en 2006, avec la signature d’un accord international réunissant 35 pays, dont les membres de l’Union Européenne (avec, à l’époque, le Royaume-Uni), la Suisse, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis. Depuis environ 15 ans, le site ITER (réacteur thermonucléaire expérimental international) s’édifie lentement dans le sud de la France, à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône.
Après plusieurs contretemps, sa construction  a franchi ce mardi 28 juillet une étape symbolique : le lancement de l’assemblage du réacteur, qui devrait encore durer près de cinq ans. Un événement salué par Emmanuel Macron, en visioconférence, ainsi que par les dirigeants de sept des États partenaires du projet.
“Avec la fusion, le nucléaire peut être une promesse d’avenir”, en offrant “une énergie non polluante, décarbonée, sûre et pratiquement sans déchets”d’ici à 2050”.
Théoriquement, la fusion nucléaire permet effectivement d’accéder à une source d’énergie décarbonée, aux déchets radioactifs peu nombreux et à courte durée de vie. Une technologie bien plus propre que la fission nucléaire employée dans les centrales actuelles, et quasiment infinie : la fusion ne nécessite en effet pas d’uranium, minerai dont les réserves tendent à s’épuiser. Elle reproduit, à peu de choses près, les réactions observées au cœur des étoiles, d’où l’expression “mettre le soleil en boîte” pour décrire son mode de fonctionnement.

La fusion est largement plus complexe que la fission nucléaire et les expérimentations nécessitent la construction de tokamaks de plus en plus grands et performants. En effet, chaque changement d’échelle provoque l’apparition de nouveaux phénomènes, qu’il faut apprendre à maîtriser. D’où la naissance d’ITER, tokamak encore plus vaste que Jet et qui aura lui même un successeur.

Hydrogène, l’avenir ?

Hydrogène, l’avenir ?

 

 

Douze pays, dont la France, ont élaboré une « stratégie nationale » pour l’hydrogène et une vingtaine d’autres préparent la leur. Mais pour le substituer aux énergies fossiles avant 2050 dans l’industrie lourde et les transports, le temps presse, observe Jean-Michel Bezat, journaliste au « Monde », dans sa chronique.

A peine les présentations faites, Marco Alvera ouvre son livre fraîchement publié (The Hydrogen Revolution, Hodder Studio, non traduit) et vous renvoie à la page 229. Son visage s’éclaire : un tableau montre qu’en 2030, le coût du kilogramme d’hydrogène « vert » produit par électrolyse de l’eau tombera à 2 dollars (1,72 euro) si le prix des énergies renouvelables et des électrolyseurs servant à le produire baisse encore. Et à 1 dollar quand il le sera à très grande échelle. Aujourd’hui, le H2 est « noir » ou « gris » puisqu’il est produit en brûlant du charbon ou du gaz, et non compétitif avec d’autres sources d’énergie. Mais il valait 25 dollars le kilo il y a dix ans. Alors…

A-t-on enfin conquis le Graal de l’énergie, cette ressource inépuisable et décarbonée qui sauvera la planète ? Patron de SNAM, le géant italien des infrastructures gazières, M. Alvera veut y croire. S’il n’use pas des accents de gourou pour prophétiser l’avènement d’une « économie hydrogène » bouleversant notre civilisation occidentale, comme l’Américain Jeremy Rifkin, il assure qu’on est à l’aube d’un développement mondial. Il n’a pas oublié sa lecture, à l’adolescence, de L’Ile mystérieuse de Jules Verne (1874), cité dans son ouvrage : « Oui, mes amis, s’enflamme le savant Cyrus Smith, je crois que l’eau sera un jour utilisée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène qui la constituent fourniront une source de lumière et de chaleur inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. »

Une si longue attente ! Le réchauffement climatique a accéléré la réflexion sur le meilleur « mix » énergétique sans CO2. L’hydrogène y aura une place importante. Dans la perspective d’une économie neutre en carbone au milieu du siècle, les experts s’accordent peu ou prou sur le dosage : la part de l’électricité passera de 20 % à 50 % ou 60 % ; les activités plus difficiles à électrifier, comme les industries lourdes et le transport de masse, devront recourir aux énergies fossiles avec captage-stockage du CO2. Et à l’hydrogène « vert », qui pourrait représenter 10 % de la demande globale.

Enthousiasme de néophyte

En quelques années, la situation a changé du tout au tout. Douze pays, dont la France, ont élaboré une « stratégie nationale » pour l’hydrogène et une vingtaine d’autres préparent la leur. Bruxelles a inscrit son développement dans les « projets importants d’intérêt européen commun », comme les batteries.

Des gigafactories d’électrolyseurs émergent sur plusieurs continents, les géants du pétrole et du gaz veulent en produire, l’Australie et le Chili se préparent à devenir exportateurs. Au total, 359 grands projets sont développés ou annoncés pour un investissement de 500 milliards de dollars (431 milliards d’euros), avec une avance de l’Europe, indique l’Hydrogen Council regroupant industriels et financiers

Véhicules électriques: L’avenir passe par les batteries solides

Véhicules électriques: L’avenir passe par les batteries solides 

Ce que suggère William Boston dans un article du Wall Street Journal

Selon les dirigeants et les analystes du secteur automobile, la forme solide pourrait permettre de réduire les temps de charge et de rendre les batteries plus sûres en éliminant la solution électrolyte inflammable utilisée dans la technologie lithium-ion.

Cependant, cette nouvelle solution reste coûteuse et relativement peu éprouvée dans des situations réelles, un obstacle qui devrait prendre des années à être surmonté avant de la commercialiser pour le grand public.

Toyota poursuit le développement, en interne, des cellules de batteries solides. Au début du mois, le constructeur japonais a annoncé avoir encore besoin de temps pour implanter cette technologie dans des voitures entièrement électriques, mais il a affirmé vouloir commencer par utiliser des batteries solides de plus petites tailles dans des véhicules hybrides.

D’autres grands constructeurs automobiles, tels que Volkswagen, Ford et BMW, ont investi dans des start-up spécialisées dans les batteries solides afin de les aider à perfectionner cette technologie et à la rendre opérationnelle pour la production de masse. L’un des problèmes majeurs rencontrés avec les batteries lithium-ion est lié au fait que plus la densité d’énergie augmente, plus le risque d’incendie grandit

Selon le cabinet de conseil AlixPartners, environ 2 milliards de dollars ont été, jusqu’à présent, investis de la part des constructeurs automobiles et de financiers dans des start-up en pointe dans ce domaine. La moitié de cette somme a été perçue par QuantumScape, qui compte Bill Gates et Volkswagen parmi ses investisseurs.

La recherche sur les batteries solides reste un projet qui s’inscrit dans le long terme. M. Loehr indique que leur production en masse pourrait ne pas intervenir avant presque dix ans, mais les constructeurs automobiles investissent dès maintenant pour acquérir une expertise et adapter leurs processus de fabrication, ajoute-t-il.

 

Les progrès réalisés dans les batteries lithium-ion au cours des années 1980 et 1990 ont débouché sur la création de Tesla, le premier constructeur de voitures électriques à connaître le succès commercial. Ces batteries, qui utilisent un électrolyte liquide, ont aujourd’hui amélioré leur autonomie entre deux charges et sont nettement moins chères qu’à leurs débuts.

Mais elles présentent également des inconvénients. General Motors a récemment rappelé environ 142 000 Chevrolet Bolt électriques pour corriger un défaut de fabrication pouvant entraîner l’incendie des batteries.

L’un des problèmes majeurs rencontrés avec les batteries lithium-ion est lié au fait que plus la densité d’énergie augmente, plus le risque d’incendie grandit, observe Tim Bush, analyste de spécialiste de la technologie des batteries chez UBS Research.

« Si nous nous débarrassons de l’électrolyte et que nous le remplaçons par un matériau solide, nous éliminerons cette question de sécurité tout en ayant la possibilité de doubler la densité énergétique par rapport à la technologie actuelle », précise M. Bush.

Personne n’a encore réussi à fabriquer des batteries solides pouvant être produites en masse et installées sur des millions de voitures. Mais certaines start-up espèrent pouvoir atteindre cet objectif en s’associant à des constructeurs automobiles qui ont plus d’un siècle d’expérience dans la production en grande série.

En décembre, QuantumScape, jeune pousse de la Silicon Valley, a annoncé avoir réussi une avancée importante après avoir testé avec succès des batteries utilisant son matériau solide.

En mars, Volkswagen a déclaré que ses scientifiques spécialisés dans les batteries avaient vérifié de manière indépendante les tests de QuantumScape dans leur propre laboratoire. L’entreprise a alors accepté de remettre 100 millions de dollars dans la start-up, portant ainsi son investissement total à 300 millions de dollars. QuantumScape est aujourd’hui valorisé à environ 10,5 milliards de dollars.

 

On  sceptique sur la possibilité de l’utiliser rapidement pour une production de masse, en raison d’inconnues sur les coûts de fabrication et sur sa capacité à fonctionner en toute sécurité sous des climats extrêmement chauds ou froids.

« Ce qui n’est pas encore résolu, c’est le coût, a-t-il prévenu. Une voiture électrique et sa batterie doivent pouvoir marcher sur un très large éventail de températures. »

L’année dernière, Toyota a construit un prototype de véhicule utilisant des batteries solides et l’a soumis à une série de tests. Masahiko Maeda, directeur de la technologie du constructeur japonais, a déclaré ce mois-ci que les résultats montrent que ces batteries ont un rendement plus élevé que celles à lithium-ion classiques, mais aussi que leur durée de vie est plus courte.

« Pour résoudre ce problème et d’autres, nous devons poursuivre le travail sur cette technologie, et en particulier sur les matériaux d’électrolyte solide », a fait savoir M. Maeda aux journalistes lors du grand raout de l’entreprise consacré à la technologie.

 

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