L’Arménie victime de la Russie
Olivier Roy, Politiste estime que l’Arménie a surtout été victime de la Russie. Outre son déséquilibre militaire flagrant avec l’Azerbaïdjan, Erevan a considéré à tort, comme certains géopoliticiens, que Moscou restait le dernier rempart de l’Occident contre l’islam. Or, c’était mal connaître sa volonté de reconquérir son pré carré, analyse le politiste dans une tribune au « Monde ».
Tribune.
Comment l’Arménie a-t-elle pu être aussi facilement écrasée dans le conflit du Haut-Karabakh ? Certes, on connaît les raisons techniques. Au moment de la chute de l’URSS, l’Arménie, qui avait une longue histoire militaire dans le cadre des armées tsaristes puis soviétiques, disposait d’une avance en termes de capacités militaires sur un Azerbaïdjan à l’histoire récente et sans tradition militaire : elle a pu récupérer le Haut-Karabakh et s’emparer des vastes territoires azéris en 1994. Cette avance a disparu à partir de l’arrivée au pouvoir à Bakou d’Ilham Aliev en 2003 : le budget militaire azerbaïdjanais a atteint un niveau sept fois supérieur à celui de l’Arménie, la population azérie est trois fois plus nombreuse et beaucoup plus jeune depuis le décrochage de la démographie arménienne autour de 1990.
Des accords militaires avec la Russie et la Turquie ont permis de développer l’encadrement et l’entraînement de l’armée azerbaïdjanaise, tandis que les revenus des hydrocarbures ont rendu possible une politique d’achats massifs d’armement et surtout l’accès aux drones, vendus par des compagnies israéliennes et turques. Sur le marché mondial de l’armement l’Azerbaïdjan est un excellent client. De plus, le régime est stable et peut donc élaborer une stratégie de long terme.
A l’inverse, l’Arménie, en déclin démographique, a vu son budget militaire stagner et surtout être largement obéré par la corruption et la prévarication des officiels, renforcées par l’instabilité politique. C’est une armée démunie et démoralisée qui a vu débouler les forces azerbaïdjanaises et leurs alliés en septembre.
Pas d’effet de surprise
Mais cela n’explique pas tout. Cela fait quinze ans que l’on sait que l’Azerbaïdjan réarme pour reprendre ce qu’il considère comme son territoire. Le président Ilham Aliev, soucieux de se démarquer de son père, Heydar Aliev, le président de la défaite, en a fait une affaire personnelle et s’en est donné les moyens. Il n’y a eu aucun effet de surprise dans l’offensive azerbaïdjanaise : la tension montait depuis deux ans sur la ligne de cessez-le-feu et les Russes, bien implantés dans les deux pays, n’en ignoraient rien. Ce qui est donc étonnant, c’est l’absence d’anticipation du côté arménien.
Sans nier l’impact de l’incompétence, de la corruption et de l’instabilité politique, sans nier la dissymétrie des forces, il y a certainement un autre facteur qui a joué : l’Arménie comptait sur le soutien indéfectible de la Russie contre la menace « turque » et musulmane. Bref, elle a pris au mot cette image d’une Russie chrétienne, dernier rempart de l’Occident dans la grande ligne de faille qui le sépare de l’islam, où l’Arménie serait à l’avant-poste. Dans ce rôle, la Russie aurait pu dissuader Bakou de passer à l’offensive.